Résumé
Le diabète des personnes âgées constitue un problème croissant de santé publique qui retentit en termes de qualité de vie et d’autonomie des patients. Malgré l’absence d’étude prospective, il est actuellement possible d’entrevoir quels objectifs thérapeutiques rechercher en fonction des patients. Ces objectifs sont déterminés à l’aide de l’évaluation diabétologique habituelle complétée par une évaluation gériatrique permettant notamment de préciser le degré de fragilité du patient. Alors que l’objectif glycémique pour un diabétique âgé en bonne santé est peu différent de celui du diabétique plus jeune, il doit être plus large chez les diabétiques âgés fragiles, notamment pour limiter le risque hypoglycémique et éviter des contraintes sans bénéfice potentiel pour le malade. Etant donné que les diabétiques âgés ont plus fréquemment des complications dégénératives plus graves, de même que d’autres facteurs de risque cardio-vasculaire, il est nécessaire de définir là aussi des objectifs individualisés prenant en compte, non seulement la maladie diabétique, mais aussi les conséquences du vieillissement. Cette démarche, préalable indispensable à l’utilisation appropriée des moyens thérapeutiques, doit être entreprise par une concertation multidisciplinaire.
Summary
Diabetes in the elderly is a growing public health problem, impacting both quality of life and autonomy. In the absence of prospective studies, the therapeutic goal will depend both on classical diabetes-related criteria and on geriatric assessment to determine the degree of frailty. The glycemic goal for elderly diabetic patients in good general health is roughly the same as for younger patients, while the target should be less strict for frail patients, in order to avoid both hypoglycemia and excessive treatment constraints that have no direct benefit. As elderly diabetic patients have more frequent severe degenerative disorders and other cardiovascular risk factors, the treatment goals must take into account not only diabetes itself but also the consequences of aging. This clinical assessment, which is crucial for individually tailored treatment, must be undertaken by a multidisciplinary team.
QUELS ENJEUX THÉRAPEUTIQUES CHEZ LA PERSONNE ÂGÉE DIABÉTIQUE ?
Le diabète des sujets âgés constitue un problème de santé publique rapidement croissant à l’intersection de plusieurs disciplines médicales ; il retentit beaucoup sur la qualité de vie et l’autonomie des patients [1]. Le terme de ‘‘ diabétiques âgés ’’ recouvre une population très hétérogène allant du patient autonome n’ayant pas de complication et peu de comorbidités, au patient en grande dépendance atteint de plusieurs pathologies entravant son pronostic vital à moyen terme. On conçoit donc que les objectifs thérapeutiques varient selon les patients.
Les travaux portant sur la prise en charge thérapeutique des patients diabétiques âgés, et notamment sur ses objectifs thérapeutiques, sont rares ou nécessitent une actualisation [2]. La question est d’adopter une attitude rationnelle en évitant, d’une part de traiter insuffisamment certains patients (en laissant évoluer des complications qui vont altérer leur qualité de vie, leur autonomie et leur espérance de vie), d’autre part de traiter trop énergiquement d’autres patients (sans qu’ils en retirent un bénéfice alors qu’ils sont exposés à des contraintes ou des risques iatrogènes injustifiés). Nous abordons ici les situations face auxquelles il faut définir des objectifs spécifiques de prise en charge quel que soit le type de diabète en nous appuyant sur les conclusions de l’intergroupe francophone de Diabéto-Gériatrie, constitué de diabétologues, de gériatres et d’épidémiologistes, créé en 2004 sous l’égide de la Société Francophone du Diabète (SFD-ALFEDIAM) et de la Société Française de Gériatrie et de Gérontologie (SFGG) pour améliorer la connaissance, proposer des recommandations et développer la recherche sur ce thème.
Deux facteurs épidémiologiques concourent à l’augmentation de la prévalence du diabète chez les personnes âgées.
On entend par personnes âgées les sujets de plus de 75 ans et les sujets de plus de 65 ans poly-pathologiques. Le quart des patients diabétiques français est âgé de plus de 75 ans, ce qui représente plus de 600 000 Français selon l’étude ENTRED [3].
Dans les pays occidentaux, la prévalence du diabète de type 2 augmente avec le vieillissement et elle atteint 17,7 % chez les hommes et 11,5 % chez les femmes âgées de 70 à 79 ans en France [4]. On estime ainsi que 20 % des personnes âgées vivant en institution sont diabétiques. Ce phénomène est expliqué par l’augmentation de l’espérance de vie et par l’augmentation mondiale de la prévalence globale du diabète à laquelle participe la précarité, cette dernière étant aussi à l’origine de l’augmentation de prévalence d’autres facteurs de risque cardio-vasculaire et d’une diminution d’accès aux soins [5]. Ainsi le nombre des diabétiques âgés de plus de 65 ans, qui était estimé à 50 millions en 1995, devrait au moins doubler en 2025 au niveau mondial.
Parmi les éléments permettant de préciser les objectifs thérapeutiques, la notion de ‘‘ fragilité ’’ et le risque d’hypoglycémie revêtent une grande importance.
La prise en charge thérapeutique du diabétique âgé doit intégrer à la fois les caractéristiques évolutives du diabète et de ses complications, le vieillissement et les conditions de vie, le souhait du patient (souvent partie prenante dans la surveillance et le traitement), les autres facteurs de risque cardio-vasculaire très fréquemment associés et les autres maladies. Alors que la plupart de ces éléments sont habituellement pris en compte, le concept de fragilité et le risque d’hypoglycémie, autres facteurs importants à considérer, doivent être soulignés.
L’état de ‘‘ fragilité ’’ est un concept gériatrique bien défini et évaluable
L’état de ‘‘ fragilité ’’ (correspondant au terme anglais « frailty ») constitue l’étape intermédiaire entre le vieillissement réussi et la dépendance irréversible du vieillissement pathologique [6]. Les critères de définition de la fragilité reposent sur des données cliniques et sociales mais également sur des échelles d’évaluation explorant les fonctions cognitives, les capacités fonctionnelles, le risque de chute et l’état nutritionnel [6]. Ces critères sont explorés par ‘‘ l’évaluation gérontologique ’’ qui est complémentaire de l’évaluation diabétologique habituelle [7]. L’étude ENTRED a montré la prévalence élevée de la fragilité chez les diabétiques très âgés, notamment après 85 ans [3]. Ils cumulent en effet souvent des handicaps qui altèrent leur qualité de vie et rendent leur traitement plus difficile (sur le plan de la surveillance et de l’insulinothérapie par exemple). Au vieillissement sensoriel, auditif et visuel, s’associent souvent une dénutrition avec sarcopénie et une altération fréquente de la fonction rénale et des fonctions cognitives. D’autre part s’ajoutent volontiers un isolement social ou familial, des difficultés financières et de nombreuses comorbidités qui interfèrent aussi sur la prise en charge thérapeutique [5].
Le risque d’hypoglycémie ne doit pas être négligé… ni sur-estimé
Les hypoglycémies sont fréquentes en raison de l’alimentation irrégulière de certaines personnes âgées, de l’altération fréquente de la filtration glomérulaire qui diminue l’élimination des médicaments insulino-sécréteurs, et des interactions médicamenteuses. Ces hypoglycémies sont très redoutées en raison de leur symptomatologie volontiers atypique et de leurs complications neurologiques et cardiologiques a fortiori en cas de trouble cognitif ou de cardiopathie associés [8]. Les hypoglycémies de l’insulinothérapie sont les plus fréquentes mais celles résultant des médicaments insulino-sécréteurs sont plus prolongées et plus graves. Alors que les hypoglycémies sont souvent considérées à tort comme un facteur limitant du traitement des diabétiques âgés quelle que soit leur situation individuelle, le risque d’hypoglycémie ne doit pas être sur-estimé chez les malades dont l’état clinique autorise une bonne prise en charge du diabète. Même si l’étude ACCORD, bien que menée chez des diabétiques de 62 ans en moyenne, ait mis en évidence une surmortalité liée aux hypoglycémies, on considère encore globalement que les conséquences des hypoglycémies chez les diabétiques âgés ne semblent pas supérieures en comparaison aux diabétiques plus jeunes [9]. En revanche, l’exposition de diabétiques âgés dépendants aux hypoglycémies peut aggraver des altérations neurologiques pré- existantes. Des mesures de prévention et d’éducation de l’entourage ou des malades sont nécessaires, lorsqu’elles sont réalisables [10].
Les objectifs glycémiques au long cours distinguent deux groupes de patients
Une prise en charge optimale des diabétiques âgés passe par une étape indispensable qui est de déterminer quels objectifs thérapeutiques on recherche. Cette étape est encore trop souvent négligée par le médecin qui passe sans transition du diagnostic à la prescription d’un traitement. Or les moyens thérapeutiques à mettre en œuvre dépendent directement des objectifs fixés : le nombre d’injections quotidiennes d’insuline l’illustre bien.
Les contraintes liées au traitement (auto-contrôles glycémiques, nombre d’injections d’insuline…) et les risques d’hypoglycémie doivent être très largement compensés par un bénéfice réel pour le patient en termes de qualité de vie, de maintien de l’autonomie et de conservation de l’espérance de vie.
Les grandes études comme l’UKPDS, qui ont permis d’affiner les objectifs glycé- miques chez les diabétiques, ont porté sur des patients jeunes (d’âge moyen 53 ans à l’inclusion), alors qu’aucune étude prospective à ce jour n’a précisé les objectifs glycémiques chez les diabétiques âgés [11]. Il faut donc pour le moment se limiter à adapter aux diabétiques âgés les résultats obtenus chez les diabétiques plus jeunes.
C’est ce qui explique la diversité des objectifs en fonction des pays [12].
Les objectifs glycémiques doivent être adaptés à l’état clinique et à l’autonomie fonctionnelle du diabétique âgé. Chez les diabétiques âgés en bonne santé, un consensus se dégage pour rapprocher les objectifs glycémiques de ceux des diabétiques plus jeunes. La valeur d’HbA1c proposée par l’intergroupe francophone de Diabéto-Gériatrie est de 6,5 à 7,5 %, correspondant à des glycémies à jeun entre 0,9 et 1,26 g/l. Chez les sujets fragiles ou présentant un vieillissement pathologique, les objectifs sont moins stricts et se situent entre 7,5 et 8,5 %, avec des glycémies à jeun entre 1,2 et 1,6 g/l [12]. Ces recommandations rejoignent celles de l’European Union Geriatrics Medicine Society [13].
Il n’en reste pas moins que les études récentes sur le traitement intensif du diabète, bien que menées chez des diabétiques en moyenne plus jeunes et avec des objectifs thérapeutiques plus stricts, ne permettent toujours pas de conclure quant à l’action bénéfique directe de l’équilibre glycémique sur les complications macroangiopathiques du diabète [14-17]. Or cette situation peut être transposée aux diabétiques âgés car les deux principales hypothèses évoquées à l’origine de ce constat sont, d’une part la possibilité d’une action retardée de l’équilibre glycémique par rapport à la durée des études (de trois à huit ans), d’autre part l’interférence de l’action délétère des autres facteurs de risque cardio-vasculaire insuffisamment pris en compte [14-20].
En revanche les objectifs glycémiques à court terme en situation aiguë doivent rester stricts
Le maintien ou l’instauration d’une glycémie normale diminue la mortalité des complications métaboliques aiguës (décompensation hyperosmolaire ou cétosique), des infections, des syndromes coronariens aigus et des accidents vasculaires cérébraux, quels que soient les patients, hormis bien entendu les situations de fin de vie.
Les complications dégénératives du diabète, plus fréquentes et plus graves, peuvent aussi avoir des objectifs spécifiques avec des incidences thérapeutiques
Les complications cardiaques retentissent sur le traitement médicamenteux du diabète
Le diabète et le vieillissement concourent à majorer la fréquence et la gravité de l’insuffisance coronarienne. En 2001, la prévalence des pathologies coronariennes auto-déclarées chez les femmes diabétiques âgées s’élevait de 20 % entre 65 à 74 ans, à 28 % après 85 ans, ces résultats étant confirmés par des études postérieures [3, 21].
Chez les diabétiques âgés en bonne santé, la prise en charge cardiologique d’un angor ou d’un syndrome coronarien aigu doit être la même que celle recommandée pour les sujets plus jeunes. En revanche, chez les patients fragiles, une approche uniquement médicale est privilégiée en raison du risque iatrogène élevé des procé- dures de cardiologie interventionnelle [22].
Les modalités de dépistage de l’ischémie myocardique silencieuse, fréquente et de mauvais pronostic chez le diabétique âgé, doivent être adaptées à la possibilité de réaliser certains examens complémentaires (la scintigraphie myocardique est très souvent préférable à l’épreuve d’effort) et aux possibilités thérapeutiques : une coronarographie n’est envisageable que si elle peut être suivie par un geste de revascularisation.
Hypertension et insuffisance coronarienne aggravent la fréquence et la gravité de l’insuffisance cardiaque des diabétiques âgés. L’indication de l’échographie cardiaque, examen particulièrement contributif et non invasif, n’est limitée que par les troubles du comportement (syndrome démentiel) qui en entravent la réalisation.
La prescription d’un régime désodé doit être raisonnée et très régulièrement ré-évaluée en raison des risques d’hyponatrémie et de dénutrition [23].
L’insuffisance coronarienne et l’insuffisance cardiaque retentissent sur le traitement du diabète puisque qu’elles obligent à reconsidérer notamment le traitement par biguanide et par glitazone.
Les complications cérébrales influent sur l’observance thérapeutique
Les troubles cognitifs des diabétiques âgés sont plus fréquents que chez les personnes âgées non diabétiques et semblent liés à la durée d’évolution du diabète et à l’équilibre glycémique.
Le diabète et l’association diabète-HTA multiplient respectivement par deux et par six le risque de démence vasculaire. Le diabète pourrait aussi aggraver une maladie d’Alzheimer pré-existante, voire la favoriser. Les syndromes démentiels entravent lourdement la prise en charge des malades qui deviennent dépendants ou non compliants pour la surveillance du diabète, l’administration et l’adaptation du traitement (pour lequel on est amené à souvent privilégier l’insulinothérapie en raison de son cadre d’administration plus sécuritaire) [24].
Les syndromes dépressifs sont eux aussi plus fréquents chez les diabétiques âgés et constituent un facteur à la fois confondant et aggravant d’un syndrome démentiel.
Le risque d’accident vasculaire cérébral (AVC) ischémique, qui est globalement triplé, est d’autant plus élevé que le sujet est hypertendu ou présente une fibrillation auriculaire ou une sténose carotidienne, que le diabète est mal équilibré ou encore que le malade présente déjà un antécédent d’AVC. La mortalité des AVC est majorée chez les diabétiques d’un facteur 1,8 à 3 tandis que le risque de handicap à trois mois est très élevé. Le rôle délétère de l’hyperglycémie au cours de l’AVC a été avancé et nous avons vu précédemment qu’il justifie de resserrer transitoirement les objectifs glycémiques avec recours à l’insuline associée à une hydratation, à un nursing efficace et à une rééducation précoce [24].
L’atteinte rénale est multifactorielle et retentit sur le traitement médicamenteux
La néphropathie diabétique majore les fréquentes altérations rénales, notamment d’origine hypertensive et infectieuse. La surveillance semestrielle du débit de filtration glomérulaire (DFG) s’avère encore plus nécessaire chez ces patients dont l’hémodynamique et l’état d’hydratation peuvent varier rapidement, en particulier à l’occasion d’affections intercurrentes ou de traitements médicamenteux antihypertenseurs.
Comme chez les sujets plus jeunes, le contrôle de la glycémie et de la pression artérielle doivent être mis en œuvre dès le stade de micro-albuminurie, même si le lien entre cette dernière et son origine diabétique est moins univoque que chez le diabétique jeune.
L’altération du DFG limite l’utilisation des médicaments antidiabétiques oraux et les incrétines. L’insulinothérapie reste le seul médicament possible lorsque le DFG est inférieur à 30 ml/mn, situation rencontrée chez près de 30 % des personnes âgées de plus de 75 ans [25].
Au stade d’insuffisance rénale terminale, le contrôle de l’état nutritionnel et de l’anémie sont indispensables. L’indication et les modalités de l’épuration extrarénale, lorsque la clairance de la créatinine devient inférieure à 15 ml/mn, doivent être discutées entre diabétologues, néphrologues et gériatres en fonction de l’état clinique et cognitif d’un malade bien évidemment encore plus fragile, compte tenu du risque majoré de mauvaise tolérance et/ou de mauvaise acceptation du traitement [26].
Les complications ophtalmologiques se potentialisent et diminuent l’activité physique
La survenue d’une rétinopathie diabétique et/ou d’un œdème maculaire aggrave le déficit visuel pré-existant d’un glaucome, d’une cataracte ou d’une dégénérescence maculaire, fréquents à cet âge. La surveillance ophtalmologique annuelle reste donc indispensable, même si elle est difficile chez des patients ayant perdu partiellement leur autonomie ou ayant des troubles du comportement [27]. Les troubles visuels constituent une source majeure de handicap, de diminution de l’activité physique et imposent la participation d’un aidant à la gestion du traitement (administration des médicaments), en particulier de l’insulinothérapie.
Les plaies des pieds sont toujours potentiellement graves
Les plaies des pieds des diabétiques âgés sont fréquentes, mais très souvent méconnues ou sous-estimées. Elles résultent généralement de l’association de lésions d’artériopathie, de neuropathie, de troubles de la statique et de déformations liées au vieillissement. La diminution de l’acuité visuelle et la diminution de la souplesse articulaire du patient retardent les soins. Le dépistage des malades à haut risque, le recours aux aidants et la prescription de soins préventifs de podologie et pédicurie sont indispensables puisque le risque d’amputation est estimé à 0,5 % par an et par malade de plus de 80 ans, avec de graves conséquences sur l’autonomie et l’état nutritionnel [28, 29].
Objectifs thérapeutiques des autres facteurs de risque cardio-vasculaire
Les diabétiques âgés ont très souvent d’autres facteurs de risque cardio-vasculaire.
Ne pas lutter contre ces facteurs de risque revient à diminuer le bénéfice de l’amélioration de l’équilibre glycémique.
Pour l’hypertension artérielle, plus de 85 % des diabétiques âgés français reçoivent un traitement anti-hypertenseur et près de 15 % des diabétiques âgés traités conservent une pression artérielle supérieure à 150/80 mmHg d’après l’étude ENTRED [3]. Le contrôle de la pression artérielle diminue l’incidence des accidents cardiaques, des AVC et des démences. Les objectifs de pression artérielle sont habituellement moins ambitieux que chez les jeunes diabétiques et sont fixés à 140 / 80 mm Hg jusqu’à 80 ans. Au-delà de cet âge ou chez les sujets fragiles, le but du traitement se limite à obtenir une pression systolique inférieure à 150 mmHg ou, lorsque la pression artérielle systolique initiale est très élevée, une baisse de 30 mmHg, afin de diminuer le risque d’hypotension orthostatique (et par conséquent de chute, voire d’AVC).
Les mesures non-médicamenteuses sont efficaces, mais difficiles à mettre en place et le régime désodé strict doit être évité. La surveillance clinique (à la recherche d’une hypotension orthostatique) et biologique (créatininémie, natrémie et kaliémie) est indispensable. Le choix de la monothérapie initiale dépend principalement de la comorbidité et de la tolérance des médicaments anti-hypertenseurs administrés antérieurement [30].
Les dyslipidémies sont fréquentes chez les sujets âgés, bien que la valeur pronostique du LDL-cholestérol diminue avec l’âge au profit de la diminution du HDLcholestérol. Le problème posé est celui de l’opportunité d’un traitement hypolipé- miant. Les objectifs en termes de LDL-cholestérol, en prévention primaire ou secondaire, ne sont pas modifiés selon les dernières recommandations qui ne considèrent pas spécifiquement le cas des diabétiques âgés. D’autre part, le bénéfice d’un traitement par statine demeure identique entre 70 et 80 ans. Après 80 ans, il n’est pas recommandé de débuter un traitement par statine en prévention primaire et, en prévention secondaire, le traitement doit être discuté en fonction de la situation clinique, du niveau de risque cardio-vasculaire, de l’espérance de vie et du risque de rhabdomyolyse sous statine (qui est plus élevé chez les sujets âgés, a fortiori en cas d’hypothyroïdie ou d’insuffisance rénale) [31].
Les déterminants des objectifs thérapeutiques conduisent à des modalités thérapeutiques spécifiques
Les objectifs généraux du traitement visent à réduire les symptômes liés à l’hyperglycémie, prévenir les complications métaboliques aiguës, prévenir ou traiter les complications chroniques, prendre en charge les pathologies associées et inclure le traitement dans une démarche cohérente avec le souhait du malade et son environnement social et familial [32].
Le niveau de contrainte généré par le traitement (fréquence des auto-contrôles, réalisation et nombre des injections d’insuline…) doit être accepté par le malade et comporter un bénéfice réel pour sa santé. D’autre part, les diabétiques âgés constituent la cible de bon nombre de précautions d’emploi ou de contre-indications aux médicaments antidiabétiques.
Les mesures non-médicamenteuses doivent être adaptées à la personne âgée , à ses conditions de vie, à son état cognitif, aux pathologies associées et notamment à l’état dentaire [33]. Le risque très souvent porte plus sur la dénutrition protéique que la surcharge pondérale. Seule la régularité des apports caloriques et la suppression des glucides pris isolément restent incontournables.
L’activité physique doit également tenir compte de l’état clinique du diabétique âgé et du risque de chute. Il s’agit d’une composante essentielle du traitement dont les bénéfices sont multiples sur la qualité de l’équilibre glycémique et sur la trophicité musculaire [34].
Les antidiabétiques oraux doivent permettre d’obtenir l’objectif glycémique recherché en respectant les précautions d’emploi et les contre-indications, liées notamment à l’insuffisance rénale afin de limiter le risque d’accident médicamenteux [25].
Les biguanides (metformine) nécessitent des précautions d’emploi en raison des troubles digestifs et ils sont contre-indiqués lorsque le DFG est inférieur à 60 ml/mn ou en cas d’insuffisance cardiaque ou d’artériopathie notamment, en raison du risque rare mais gravissime d’acidose lactique. Pour la même raison, la metformine doit être interrompue en cas d’affection intercurrente et avant la réalisation d’une imagerie avec produit de contraste iodé.
Les sulfonylurées exposent principalement aux hypoglycémies et il est souhaitable de préférer les molécules dont la demi-vie d’élimination est courte, en les interrompant lorsque le DFG est entre 30 et 50 ml/mn selon les recommandations actuelles.
En l’absence d’étude contrôlée, la prescription de glinide n’est officiellement pas recommandée après 75 ans.
Les inhibiteurs de l’alpha-glucosidase n’exposent pas aux hypoglycémies, mais leurs effets secondaires digestifs entravent leur utilisation chez les diabétiques âgés.
L’utilisation des glitazones est très limitée par l’insuffisance cardiaque fréquente et celle de la rosiglitazone est désormais contre-indiquée en cas d’insuffisance coronarienne ou d’artériopathie des membres inférieurs.
À ce jour, aucune étude spécifique n’a été publiée pour évaluer la place des analogues du GLP1 et des inhibiteurs de la DPP-IV chez les diabétiques âgés, mais les premiers résultats communiqués évoquent une efficacité et une tolérance indépendantes de l’âge [25]. Ils ont l’intérêt de ne pas exposer aux hypoglycémies.
L’insulinothérapie , temporaire ou définitive, constitue très souvent le traitement incontournable du diabète des sujets âgés. Ses indications sont à la fois plus larges et plus fréquentes chez les diabétiques âgés. Il y a certes les classiques situations aiguës:
les complications métaboliques aiguës du diabète (notamment l’hyperosmolarité) et les affections aiguës intercurrentes qui déséquilibrent le diabète (corticothérapie, pathologie abdominale, rétention urinaire…) ou qui imposent d’obtenir un équilibre glycémique strict (syndrome coronarien aigu, accident vasculaire cérébral, infection). Mais d’autres situations requièrent aussi une insulinothérapie transitoire ou définitive: non seulement les échecs d’un traitement oral optimum (avec un objectif glycémique non atteint), mais aussi les pathologies contre-indiquant la poursuite des antidiabétiques oraux (insuffisance rénale, intervention chirurgicale, associations médicamenteuses à risque majoré…), les affections empêchant d’administrer les antidiabétiques oraux (trouble de vigilance, troubles de déglutition, troubles digestifs, alimentation orale irrégulière…), la nécessité d’améliorer l’état nutritionnel et trophique, ainsi que l’optimisation de la surveillance (une insulinothérapie administrée et surveillée par une tierce personne étant très souvent plus prudente que la poursuite d’un traitement oral chez un malade dément).
La mise en route de l’insulinothérapie nécessite dans la mesure du possible une éducation thérapeutique, comme chez les diabétiques plus jeunes, mais avec des messages adaptés aux objectifs thérapeutiques et à l’autonomie des patients. Idéalement, cette éducation doit être dispensée au malade lui-même. Lorsque les fonctions cognitives ne le permettent pas, elle doit s’adresser à l’entourage ou aux aidants. Le contrôle des glycémies capillaires, particulièrement recommandé en cas de prise de médicaments hypoglycémiants, est indispensable lors d’une insulinothé- rapie avec une fréquence qui est fonction de l’état clinique des malades, de l’objectif glycémique et de la faisabilité quotidienne (qui peut être limitée en institution gériatrique où les soignants sont peu nombreux).
Le schéma d’insulinothérapie et les posologies doivent être adaptés à l’objectif glycémique et plus particulièrement aux risques d’hypoglycémies nocturnes. Enfin, l’injection peut être faite par le malade lui-même en l’absence de trouble cognitif, après éducation thérapeutique… et s’il le souhaite [25]. Les stylos injecteurs d’insuline constituent alors une aide précieuse. L’intérêt des pompes à insuline demeure bien entendu en cas de mauvais équilibre du diabète, mais cette technique est rarement envisagée chez les diabétiques âgés eu égard aux objectifs thérapeutiques recherchés et, à notre connaissance, aucune étude n’a été publiée sur ce sujet.
CONCLUSION
Le diabète constitue le type même de pathologie chronique de la personne âgée dont la prise en charge thérapeutique adaptée ne peut se passer de la détermination préalable d’objectifs précisant ce que l’on traite, pourquoi l’on traite et ‘‘ jusqu’où ’’ l’on traite le patient. Il s’agit d’une démarche éthique visant autant à éviter les traitements insuffisants que les traitements excessifs, tous deux délétères pour le patient : la prise en charge « laxiste » d’un diabétique qui a réussi son vieillissement est aussi déraisonnable, voire dangereuse, que l’acharnement thérapeutique chez des sujets fragiles. La prise en charge optimale des diabétiques âgés doit s’appuyer sur une démarche multidisciplinaire, progressive et adaptée à chaque patient, associant notamment diabétologue, gériatre et médecin traitant. Elle doit aussi reposer sur les résultats objectifs d’études prospectives. C’est dans ce but que l’étude française GERODIAB, dont l’objectif est d’évaluer la morbi-mortalité à cinq ans de mille diabétiques de type 2 de 70 ans et plus en fonction de l’équilibre glycémique, est actuellement menée [35]. Ses résultats devraient notamment permettre de proposer des objectifs thérapeutiques en fonction de sous-groupes de malades mieux individualisés.
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DISCUSSION
M. Claude JAFFIOL
La prise en charge de la personne diabétique doit être globale. Rechercher un équilibre glycémique idéal peut être à haut risque chez les sujets avec des complications vasculaires.
Le rôle des paramédicaux est essentiel dans le suivi du diabétique à domicile. Leur formation est très importante à prendre en charge. Quelle organisation proposez-vous ?
Il est indispensable que les paramédicaux, qui ont un rôle important en gériatrie, soient informés sur les spécificités du diabète de la personne âgée, notamment en ce qui concerne les objectifs thérapeutiques. Les objectifs glycémiques doivent être déterminés et poursuivis par le médecin en fonction de la situation précise de chaque patient, mais aussi en collaboration avec l’infirmière : en découlent directement les modalités d’adaptation d’une insulinothérapie et la fréquence des glycémies capillaires. La collaboration entre médecins et paramédicaux concerne aussi les complications du diabète, très souvent intriquées aux maladies du vieillissement. C’est dans ce but que notre intergroupe francophone de Diabéto-Gériatrie a coordonné un guide de prise en charge des patients diabétiques âgés à l’intention des paramédicaux, publié en mars dernier.
M. Iradj GANDJBAKHCH
Que préconisez-vous comme contrôle glycémique chez les diabétiques âgés pendant les interventions chirurgicales par exemple la chirurgie coronarienne ?
Les interventions chirurgicales, de même que les syndromes coronariens, les accidents vasculaires cérébraux ou encore les syndromes infectieux, sont des situations où il faut obtenir un équilibre glycémique strict. Il a été prouvé que l’hyperglycémie augmente la mortalité à court terme des patients ayant un syndrome coronarien aigu ou un accident vasculaire cérébral. Ce n’est qu’à distance de ces épisodes que l’on peut revenir à un objectif à long terme individualisé et adapté à la situation précise du patient.
Bull. Acad. Natle Méd., 2010, 194, nos 4 et 5, 819-831, séance du 4 mai 2010