Communication scientifique
Séance du 1 mars 2011

Prise en charge de la dénutrition à l’hôpital : savoir diagnostiquer la dénutrition et ses risques de complications pour mieux les prévenir et les traiter

MOTS-CLÉS : coûts et analyse des coûts. évaluation nutritionnelle. malnutrition
Nutritional support at the hospital : diagnosis of malnutrition and its associated risks for better prevention and treatment
KEY-WORDS : costs and cost analysis. malnutrition. nutrition assessment

Luc Cynober

Résumé

La dénutrition est très fréquente chez les malades hospitalisés. Sa prévalence et ses conséquences sont sous-estimées. La dénutrition est en effet un facteur indépendant de morbi-mortalité, responsable de surcoûts hospitaliers importants. Il est important de clarifier quatre problématiques différentes : le dépistage du risque de dénutrition, l’évaluation de l’intensité de celle-ci, le risque de complications associées à la dénutrition et l’efficacité de la thérapeutique de renutrition car elles font appel à des méthodes d’exploration différentes. Nous illustrons ces points par les travaux que nous avons réalisés ces trente dernières années.

Summary

Malnutrition (undernutrition) is common in hospital inpatients. However, its prevalence and consequences are underestimated. Malnutrition is an independent factor of morbidity and mortality, generating high hospital overcosts. It is important to examine four separate issues requiring the use of different methods for their assessment, namely the nutritional risk, the severity of malnutrition, the risk of associated complications, and the efficacy of renutrition programs.

INTRODUCTION

Lorsque l’on évoque la dénutrition, la plupart d’entre nous pense immédiatement aux pays en voie de développement, à la famine et à la guerre. Au-delà, dans les pays développés, on mentionne les personnes en situation de précarité chez lesquelles il existe de nombreuses carences, en particulier vitaminiques. La dénutrition hospitalière, quant à elle, reste largement sous-estimée, voire ignorée, malgré le Plan National Nutrition Santé (PNNS). Pourtant, la prévalence de la dénutrition à l’hôpital est élevée (de l’ordre de 35 à 65 % en moyenne), même si elle est variable selon la pathologie et l’âge des malades (tableau I). La dénutrition est un facteur indépendant de morbidité, en particulier infectieuse, et de mortalité [3-5, 7, 8]. Elle est responsable d’un surcoût hospitalier important. Identifier les risques de dénutrition à l’hôpital, évaluer son intensité et les risques de complications associés, constituent donc un enjeu majeur de santé publique.

Tableau 1. — Quelques exemples de prévalence de la dénutrition selon la pathologie réf pathologie dénutris cancer*

1 pancréas 67 % 1 estomac 60 % 1 rein, vessie 52 % 1 ORL 49 % 2 gastrointestinal 48 % 2 colorectal 20 % 1 sein < 10 % 3 post-chirurgie (digestive, thoracique) 40 % 3 soins intensifs 43 % 3 pneumologie 45 % 4 gastroentérologie 50 % 5 candidat à la transplantation hépatique 53 % 6 Insuffisance respiratoire grave 54 % 7 médecine (personnes âgées) 65 % * Avant initiation d’un traitement Un sujet est considéré comme étant dénutri lorsque son indice de masse corporelle (IMC : poids/taille2) est inférieur à 18,5 (< 21 chez les personnes de plus de 75 ans).

La dénutrition est sévère lorsque l’IMC est inférieur à 16,0. On considère actuellement que l’existence d’une perte de fonctions (musculaire, cognitive, immunologique) est inhérente à la dénutrition et doit donc être associée à sa définition [8].

 

Bref rappel sur les mécanismes de la dénutrition et sur ses conséquences

Le poids corporel, chez l’adulte en bonne santé, est homéostatique ; c’est-à-dire que, sur une période de 24 heures, les dépenses (énergétiques, azotées etc.) sont équivalentes aux apports. Dès lors, la dénutrition résulte soit d’une diminution des apports, soit d’une augmentation des pertes. Dans certains cas (comme par exemple les cancers), les deux phénomènes peuvent se conjuguer.

Ces altérations ont de multiples causes dont les principales sont résumées dans le tableau II.

Tableau 2. — Principales causes de dénutrition Liées à une carence d’apport alimentaire :

• Diminution de la sensation de faim (ex : sujets âgés) • Douleur à la prise alimentaire (ex : mucite) • Troubles de la déglutition • Maladies cachectisantes (rôle des cytokines pro-inflammatoires) : certains cancers • Insuffisance cardiaque ou respiratoire • Diarrhées : MICI, grêle court, SIDA (de moins en moins depuis l’avènement des tri thérapies) • Troubles neurologiques sévères • Coma Liées à une augmentation des dépenses énergétiques :

• Situation d’agression (brûlure, traumatisme, chirurgie lourde) • Certains cancers et leurs traitements • Infections La dénutrition peut s’installer de façon progressive, par exemple chez le sujet âgé ou dans la broncho-pneumopathie chronique obstructive. Elle peut se développer brutalement, par exemple lors d’une brûlure sévère (plus de 20 % de la surface corporelle).

La clé de la compréhension de la physiopathologie de la dénutrition est la synthèse de glucose. L’homme sait faire des graisses à partir du glucose (la conséquence pathologique en est la stéatose) mais pas l’inverse. De plus, les réserves de glucose (glycogène) sont très limitées car le stockage de ce nutriment nécessite beaucoup d’eau. L’espèce humaine a choisi la mobilité pour se perpétuer et donc de limiter ses stocks. Or, le glucose est le substrat énergétique obligatoire (dans le cerveau) ou prépondant dans de nombreux tissus.

Pour ces raisons, en cas de carence d’apport ou d’augmentation des besoins, l’organisme synthétise le glucose dont il a besoin à partir de certains acides aminés (néoglucogenèse), largement sous l’influence des cytokines pro-inflammatoires [9] dont la sécrétion est augmentée en situation d’agression [10]. Cela explique, comme nous l’avons bien montré dès 1982 [11], que la concentration plasmatique des acides aminés glucoformateurs est effondrée chez les patients brûlés. Ces acides aminés proviennent des protéines et il faut bien comprendre que celles-ci ne se sont pas sensus stricto leur forme de réserve. En effet, toutes les protéines ont des fonctions (tableau III).

Tableau 3. — Fonctions des protéines et conséquences de leur déplétion Fonctions des protéines Complications associées à la déplétion Contraction musculaire (actine, myosine) adynamie, insuffisances cardiaque et respiratoire Tissus de soutien (collagène) escarres, fistules Immunité (immunoglobulines) infections Pression oncotique (albumine) œdèmes Précurseurs de neuromédiateurs dépression Les données présentées ci-dessus expliquent bien que l’utilisation excessive des protéines à des fins énergétiques entraîne des altérations fonctionnelles (tableau III) responsables de morbi-mortalité chez les patients concernés. En particulier, les patients dénutris sont exposés aux complications infectieuses : toutes choses étant égales par ailleurs, un malade dénutri a quatre fois plus de risque de développer une complication infectieuse qu’un malade normonutri [12].

Notions de patients à risque de dénutrition et de malades à risque de complications liées à la dénutrition : les différents objectifs de l’évaluation nutritionnelle

Des patients peuvent être à risque de dénutrition mais ne pas devenir dénutris ; par exemple, une personne âgée venant de perdre son conjoint.

Des patients dénutris peuvent être à risque de complications mais ne pas les développer. Ainsi, la chirurgie lourde entraîne, de façon quasi-systématique, une perte de poids. Heureusement, tous les patients chirurgicaux ne font pas de complication infectieuse.

La littérature est souvent très confuse à ce sujet, incapable de dichotomiser les questions posées et de proposer les outils pertinents d’évaluation, adaptés à chaque situation. Il convient donc de distinguer clairement :

— Le dépistage du risque de dénutrition — L’évaluation de la dénutrition — Le dépistage du risque de complications liées à la dénutrition — L’évaluation de l’efficacité de la renutrition.

 

Le dépistage du risque de dénutrition

Sont à risque de dénutrition tous les patients dont les apports sont diminués et/ou dont les dépenses énergétiques sont augmentées.

Les personnes âgées sont particulièrement exposées car elles cumulent :

— Des altérations endogènes ; par exemple, la perte de perception des saveurs (surtout salée) et de l’odorat, une dépression de l’appétit (notamment liée à un statut pro-inflammatoire évoluant à bas bruit), des troubles de la déglutition, un mauvais état de la dentition, une polymédication, des pathologies intercurrentes, et des syndrômes démentiels et autres troubles neurologiques.

— Des facteurs environnementaux prédisposants tels que l’isolement, la dépression, le deuil, la pauvreté, la maltraitance, le changement des habitudes de vie tel que l’entrée en institution.

La base du dépistage du risque de dénutrition est l’interrogatoire alimentaire, lequel a fait l’objet de recommandations de l’HAS en 2006.

Afin d’estimer les risques, des outils ont été développés, par exemple Le Mini Nutritional Assessment test (MNA) adapté aux personnes âgées [13]. Il est totalement non invasif puisqu’il s’agit d’un questionnaire comportant dix-huit items et qui peut être complété en quinze minutes. Il en existe une version courte (six questions), aussi performante, réalisable en huit minutes ( short-form , MNA SF).

Il existe de nombreux autres questionnaires. Citons le

Malnutrition Universal Screening Tool (Must) qui associe l’IMC, la perte de poids, l’existence de pathologies aigues et l’évaluation des apports nutritionnels [14], et le NRS-2002 proche du précédent.

Un autre outil, particulièrement élégant, est le « test du réfrigérateur » mis au point par l’équipe mobile du CHU de Genève [15]. Une personne âgée dont le réfrigérateur est vide a probablement des difficultés d’accès à la nourriture (dépendance physique ou économique). Lorsque le réfrigérateur est convenablement rempli, mais de produits dont la date limite d’utilisation est dépassée, voire d’aliments avariés, il s’agit d’une perte d’appétit. Dans les deux cas, ces observations sont associées à une augmentation de l’hospitalisation dans les six mois et à un mauvais pronostic. Mais il faut noter que la réponse n’est pas la même dans les deux cas : elle est médicosociale dans le premier, médicale dans le second.

Évaluation de la dénutrition

Elle doit être pratiquée dans les 24 heures qui suivent l’admission à l’hôpital et répétée régulièrement.

Le poids et l’IMC, qui en dérive, ont le mérite d’être des mesures simples à réaliser mais sont souvent entachées d’erreur : par exemple, lorsqu’il existe un développement de la masse grasse au détriment de la masse maigre, en présence d’une ascite ou lorsqu’il est difficile de toiser le sujet, surtout lorsqu’il est âgé. Dans ce cas, la taille peut être extrapolée à partir de la distance talon-genou.

Au-delà de sa précision et de sa sensibilité médiocres, comme indiqué ci-dessus, ce n’était pas forcément une bonne idée de retenir l’IMC comme mesure de référence de l’état nutritionnel. En effet, réalisable et réalisée par le personnel soignant, elle n’est pas perçue par les praticiens comme étant un acte médical. Si l’évaluation de la dénutrition n’est pas médicale, la problématique et son traitement ne le sont pas non plus. Cet état d’esprit ne favorise pas la prise en charge de la dénutrition.

Il serait beaucoup plus cohérent, et finalement efficace, de recommander l’absorptiométrie biphotonique couplée à l’impédancemétrie bioélectrique. En effet, ces méthodes ont l’avantage de permettre une analyse compartimentale qui distingue masse maigre, masse grasse et eau. D’ailleurs, une étude de cohorte francophone, à laquelle nous avons participé [6], a bien montré que la masse maigre était le paramètre le plus discriminant pour diagnostiquer la dénutrition.

Un score est fréquemment utilisé en recherche, moins en pratique clinique. Il s’agit du SGA ( Subjective Global Nutritionnal Assessment ) qui prend en compte la perte de poids, les ingestas, les symptômes gastro-intestinaux et les signes cliniques de dénutrition [16].

Un paramètre biochimique mérite d’être retenu en raison de sa sensibilité : la concentration plasmatique en transthyrétine (TTR, ou préalbumine) signe une dénutrition lorsqu’elle est inférieure à 200 mg/l, une dénutrition sévère si elle est inférieure à 100 mg/l [7]. En revanche, la mesure de la Retinol Binding Protein (RBP), autre protéine marqueur de l’état nutritionnel de demi-vie courte, n’a pas d’intérêt car sa concentration est très dépendante de la fonction rénale comme nous l’avons montré chez le patient brûlé [17].

Finalement, comme nous l’avons souligné plus haut, l’important n’est pas la dénutrition elle-même, mais ses répercussions fonctionnelles. C’est pourquoi la mesure de la force musculaire (dynamométrie) mériterait d’être effectuée en parallèle des évaluations énumérées ci-dessus.

Dépistage du risque de complications liées à la dénutrition

L’outil le plus simple à utiliser est un score, le NRI (

Nutritional Risk Index ) qui combine le poids et l’albumine. Il permet de classer les malades selon qu’ils ne présentent pas de risque de complications liées à la dénutrition, un risque modéré ou un risque important de complications liées à la dénutrition.

Cet index a tout d’abord été validé chez des patients chirurgicaux [18] puis dans d’autres situations [19] avant que, de façon incompréhensible, il soit présenté, y compris dans le PNNS 2002 [20], comme un marqueur du risque de dénutrition et non du risque des complications liées à la dénutrition [19], ce qui n’est évidemment pas la même chose.

 

Plus récemment, une formule adaptée aux patients gériatriques a été développée par notre équipe [21] : le geriatric NRI (GNRI). Dans le GNRI, comparé au NRI, le poids idéal théorique (calculé par la formule de Lorentz) remplace le poids habituel.

En effet, les sujets âgés ont souvent du mal à préciser leur poids habituel.

De façon intéressante, l’informatique du service de Biochimie peut calculer automatiquement ces index dès lors que le service clinique fournit le poids et la taille du malade [7].

Le PINI ( Prognosis Inflammatory and Nutritional Index ) associe au numérateur deux marqueurs de l’inflammation (la C-reactive protein [CRP] et l’orosomucoïde) et, au dénominateur, deux de l’état nutritionnel (TTR et albumine [ALB]).

Il a été validé chez le malade dénutri chronique :

PINI = 1 à 20 : risque faible ou modéré de complications PINI = 21 à 30 : risque élevé PINI = > 30 : risque vital.

Cet index nous semble particulièrement puissant puisque ces deux types de paramètres ont une valeur pronostique indépendante. Ainsi, chez le patient brûlé [22] et lors d’une défaillance respiratoire aiguë [23], la simple détermination de la TTR permet de prédire une évolution défavorable. De même, la CRP est prédictive de la mortalité dans l’insuffisance respiratoire grave [24].

Enfin, il est possible d’utiliser des marqueurs métaboliques. Nous avons ainsi montré, il y a presque trente ans, que la diminution des acides aminés glucoformateurs (en particulier, l’alanine) était plus prononcée chez les brûlés qui ne survivaient pas à leur traumatisme que chez les survivants [25]. Ces résultats ont des implications pratiques importantes. En effet, nous avons montré avec Pierre Déchelotte [26] que l’administration d’alanyl-glutamine par voie intraveineuse réduisait significativement la prévalence des infections graves chez le malade de réanimation. Plusieurs méta-analyses récentes soulignent aussi l’intérêt médico-économique (diminution des complications infectieuses et de la durée de séjour à l’hôpital) de l’utilisation de ce peptide chez le patient chirurgical [27].

Évaluation de l’efficacité de la renutrition

Elle implique d’utiliser les marqueurs les plus sensibles possibles, puisqu’il s’agira de pouvoir apprécier des variations au jour le jour.

C’est ainsi que, dans ce cadre, les mesures morphométriques (poids, circonférence musculaire brachiale) ou biophysiques (absorptiométrie biphotonique, impédancemétrie) n’ont pas d’indication car leur sensibilité est médiocre : ces paramètres réagissent tardivement à une variation de l’état nutritionnel.

Seuls les dosages biologiques ont une sensibilité et une spécificité suffisantes chez les malades ne présentant pas de syndrome inflammatoire : la TTR est recommandée en raison de son temps de demi-vie très court [28]. Le dosage de la retinol binding protein (RBP) n’apporte rien de plus [28]. Dans ce contexte, l’albuminémie n’a aucun intérêt en raison de son temps de demi-vie long (vingt jours). Il faut souligner que la synthèse de ces protéines est sensible à l’inflammation qui diminue leur concentration indépendamment de l’état nutritionnel. Pour cette raison, un dosage de CRP doit donc impérativement être effectué en parallèle.

Chez les patients hypercataboliques, le bilan d’azote mériterait d’être plus largement utilisé, mais sa détermination impose un recueil parfait des urines La persistance d’un bilan azoté négatif signe l’inefficacité du programme de renutrition mis en œuvre.

Vers l’utilisation de biomarqueurs plus spécifiques

Dans certaines situations, il serait plus intéressant d’évaluer les conséquences de la dénutrition et l’efficacité de la renutrition à l’échelon d’un organe plutôt qu’au niveau du corps entier. Il en est ainsi du syndrome de grêle court. La citrulline présente la propriété unique d’être à la fois pratiquement absente de l’alimentation et d’être presque exclusivement produite par l’intestin (la citrulline produite dans l’uréogenèse reste confinée dans la mitochondrie des hépatocytes) [29, 30]. Ainsi, la concentration plasmatique de citrulline reflète la fonctionnalité intestinale comme nous l’avons bien montré dans le syndrome de grêle de court en collaboration avec l’équipe du Professeur Bernard Messing [31].

De plus, la citrullinémie est fortement corrélée à la possibilité de sevrage de la nutrition parentérale chez ces patients. Nous avons confirmé cette valeur pronostique dans la maladie coeliaque [32] et, chez les patients sidéens [33]. Ces travaux princeps ont été confirmés par de nombreuses autres équipes comme nous le décrivons dans une revue générale récente [34].

Quels enjeux

La dénutrition augmente la durée moyenne de séjour à l’hôpital, le nombre de complications, la tolérance à la chimiothérapie et la mortalité [3-5]. Par exemple, on sait que 20 à 30 % des malades cancéreux meurent des conséquences de leur dénutrition et non de leur maladie. En cas de dénutrition sévère, les complications infectieuses post-opératoires augmentent de 10 à 20 % et celles non infectieuses de plus de 40 %. La prévalence de l’escarre (qui est une complication largement imputable à la dénutrition) est de 6,6 % à l’AP-HP et même de 11 % dans les services de Soins de Suite et Réhabilitation. Le coût de la dénutrition est donc extrêmement important. En moyenne, l’existence d’une dénutrition majore le coût d’hospitalisation d’un patient de plus de 1 000 k. En face de celà, celui d’une renutrition bien conduite est faible. Le rapport bénéfice/coût est donc particulièrement élevé.

La prise en charge passe par la mise en place de Comités de Liaison Alimentation Nutrition (CLAN) dans chaque établissement hospitalier. Elle est rendue obligatoire par la loi. Pour être efficace, le CLAN doit être multidisciplinaire. Dans certains hôpitaux, il existe même des Unités Transversales de Nutrition (UTN).

Fig. 1. — Proposition d’arbre décisionnel simplifié pour le dépistage de la dénutrition et des risques de morbimortalité liés à la dénutrition. Adapté de la réf [19].

USI : unité de soins intensifs, REA : réanimation, IMC : indice de masse corporelle, MNA : Mini Nutritional Assessment, TTR : transthyrétinémie, CRP : Protéine réactive C, NRI : Nutritional Risk Index, GNRI : Geriatric Nutritional Risk Index.

L’UTN accueille dans ses lits des malades chez lesquels la pathologie cause de l’hospitalisation est contrôlée et qui ne posent plus que des problème nutritionnels : anorexie mentale, syndrome de grêle court sous nutrition artificielle, BPCO stabilisée etc.

Par ailleurs, d’un point de vue économique, il convient de valoriser la codification T2A en n’oubliant pas de coder la dénutrition (E44.1 : dénutrition protéinoénergétique légère comme complication ou morbidité associée [CMA] de niveau de sévérité 2 ; E44.0 comme CMA de niveau de sévérité 3, E43 dénutrition protéinoénergétique sévère comme CMA de niveau de sévérité 3).

 

Dans le cadre d’une approche médico-économique rationnelle, il nous semble que l’important n’est pas qu’un malade soit dénutri mais que sa dénutrition augmente sa morbi-mortalité.

Au-delà, il y a du sens à vouloir plutôt prévenir que guérir. Autrement dit, beaucoup de cas de dénutrition sont évitables et doivent dont être évités. Cela est possible par des mesures simples et non coûteuses.

En 2007, nous avions proposé [19] un arbre décisionnel visant à améliorer celui du PNNS 2002 [20]. La réflexion engagée lors de la rédaction du présent article conduit l’auteur à l’améliorer (figure 1).

CONCLUSION

La prise en charge de tout ce qui touche à l’état nutritionnel du malade hospitalisé (depuis le dépistage du risque de dénutrition jusqu’à l’évaluation de l’efficacité de la renutrition) est loin d’être optimale en France même si des progrès évidents ont été accomplis ces dernières années, sous l’impulsion du gouvernement français et de la Commission Européenne, laquelle considère maintenant la dénutrition hospitalière comme étant un problème majeur de santé publique. La prise en charge de la dénutrition souffre d’une approche simpliste de son diagnostic. Plus encore, il n’existe pas de « gold standard » dans le domaine. L’absorptiométrie biphotonique, disponible dans tous les CHU et de nombreux hôpitaux généraux mériterait d’être d’avantage utilisée.

REMERCIEMENTS

À mes maîtres : Dr. OG Ekindjian et Pr J. Agneray (Faculté de Pharmacie, Université Paris XI), et F. Nguyen Dinh et Dr J. Giboudeau (service de Biochimie A, Hôpital St Antoine). À mes maîtres en nutrition : Drs R. Saizy (Centre des Brûlés, St Antoine) et E. Lévy (Réanimation Chirurgicale, St Antoine). À mes collègues et collaborateurs :

JP De Bandt, C. Aussel, C. Moinard, C. Coudray-Lucas, N. Neveux. Pour son assistance secrétariale : Mme Rim Hammami. Cet article est dédié à la mémoire du Professeur Xavier Leverve, disparu bien trop tôt en novembre 2010.

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DISCUSSION

M. Patrice QUENEAU

Vous avez souligné que la dénutrition diminue la tolérance de la chimiothérapie anticancéreuse. Quelles sont les raisons et les mécanismes, dans le cas précis de la chimiothé- rapie anti-cancéreuse ? Pouvez-vous nous donner d’autres exemples où la dénutrition modifie conséquemment l’efficacité et la tolérance d’autres types de thérapeutiques médicales ?

 

La chimiothérapie, dans le cas le plus général, agresse toutes les cellules à division rapide, donc des cellules saines : entérocytes, cellules immunitaires etc. lors d’une dénutrition, la disponibilité en acides aminés est diminuée. Cela est particulièrement important pour la glutamine qui a une contribution majeure à la synthèse des bases puriques et pyrimidiques, indispensables aux processus de réparation et multiplication cellulaires. De façon plus générale, la dénutrition entraîne une diminution de la synthèse des protéines exportées par le foie, en particulier de l’albumine. Ainsi, les médicaments se liant fortement à ces protéines voient augmenter leur fraction libre active. Il s’ensuit des risques de surdosage.

M. François-Bernard MICHEL

Votre présentation est très instructive mais quelque peu surprenante car nous, chefs de service hospitalier, pensions que nos équipes d’esthéticiennes, de repas sur mesure, etc.

apportaient des garanties suffisantes de nutrition adaptée ?

Nos diététiciens hospitaliers sont excellents. Il faudrait sans doute que les médecins les écoutent un peu plus. La réciproque est également vraie. Bref, il faut promouvoir le travail en équipe. Par ailleurs, les diététiciens ne sont peut-être pas assez nombreux pour voir tous les malades dont l’état le justifie. Beaucoup (trop) de postes ont été supprimés.

M. Jacques HUREAU

La renutrition, la réhabilitation nutritionnelle des grands opérés digestifs, en particulier en cancérologie, avait été le souci majeur de Jean-Louis Lortat-Jacob lorsqu’il créa, il y a près de cinquante ans, le Centre médical de Forcilles. Il a été noté qu’à 20 /25 %, les renutris supportaient mieux les traitements agressifs que sont la radio et la chimiothérapie. La nutrition artificielle parentérale ou entérale conserve son adaptation personnalisée. Il en a été de même jusqu’à un passé récent de la nutrition orale normale par le bon travail d’équipe des médecins, diététiciennes et directeur de la restauration. Il y avait autant de menus que de malades ! Pour des raisons budgétaires, le service de restauration a été externalisé sans contrôle nutritionnel véritable : chute de la qualité. Ce fait n’est pas particulier au Centre de Forcilles. Ne devrait-on pas tenir compte de ce problème, qui est un problème de santé publique ?

La diminution de l’allocation financière à la restauration ne peut conduire qu’à une qualité médiocre, voire pire. De même, en maison de retraite, le coût des suppléments oraux est maintenant inclus dans un forfait global. Ils sont donc moins utilisés. Tout cela est parfaitement contre-productif car le coût de la dénutrition et de ses complications est autrement plus élevé que celui d’une nourriture de qualité et adaptée à l’état du malade. Nous avons formé les médecins ; nous devons sensibiliser les décideurs (les directeurs) à ce problème.

M. Claude-Pierre GIUDICELLI

Peut-on lutter contre l’origine de la dénutrition et en particulier la diminution de la sensation de faim des personnes âgées ?

On connaît de mieux en mieux la physiopathologie de la dénutrition de la personne âgée.

Il existe des façons simples de résoudre ce problème en institution : servir des plats appétissants dans un cadre agréable, voire même faire participer la personne âgée à la préparation du repas. Il faut éviter les régimes abusifs (sans sel, sans sucre, sans rien). À quatre-vingt dix ans, le problème n’est pas l’obésité et ses conséquences, mais la dénutrition.

M. Jacques MILLIEZ

Utilise-t-on encore la nutripompe du Docteur E. Lévy pour la renutrition des malades ?

Actuellement, la nutrition entérale est délivrée à partir de poches, soit à l’aide de micropompes, soit simplement par l’effet de la gravité. Le risque de contamination bactérienne est devenu ainsi très limité.

Mme Dominique LECOMTE

Observez-vous une augmentation des hospitalisations par dénutrition, notamment chez le sujet âgé ? Les morts dans le cadre de la dénutrition sont de plus en plus nombreux, actuellement, au domicile.

L’évolution des chiffres est en rapport avec la précarisation grandissante de la population. L’isolement social est également contributif à ce phénomène.

M. Charles-Joël MENKÈS

Dans le cadre de votre collaboration avec Catherine Cormier, avez-vous noté un retentissemnet sur la dénutrition chronique sur l’os, comme on a pu l’observer dans l’anorexie mentale des sujets jeunes ?

Notre collaboration sur ce sujet est trop récente pour que je puisse répondre sur la base de notre expérience personnelle. Il existe cependant de nombreuses études qui montrent la relation entre statut osseux et statut nutritionnel.

M. Claude DREUX

Les compléments alimentaires protéiques sont-ils toujours remboursés par les organismes sociaux ?

En institution, ce remboursement est intégré dans un forfait. En ville, dans le cadre de la nutrition à domicile, il existe une liste de maladies donnant droit à remboursement.

M. Jean-Luc de GENNES

Il faut ajouter, aux causes de dénutrution à l’hôpital énoncées au début de votre exposé, une cause omise à tort : l’extrême mauvaise qualité actuelle de l’alimentation standard hospitalière, devenue positivement immangeable. Alors que l’on donne des étoiles à nos meilleurs cuisiniers de France, ne faudrait-il pas donner dans les hôpitaux, en tous les cas, parisiens, des étoiles allant jusqu’à **** au caractère immangeable offert actuellement à tous les malades hospitalisés ? Au point que ce problème mériterait d’être étudié par des organismes bénévoles.

 

Certains services de diététique achètent dans le grand public des produits haut de gamme, par exemple des desserts lactés. Cette stratégie augmente l’appétence globale. Encore faut-il avoir l’argent pour le faire. La qualité des repas dans les hôpitaux fait l’objet d’audits internes et externes. La satisfaction des malades fait partie du score de performance de l’hôpital, du moins à l’Assistance Publique — Hôpitaux de Paris.

M. Pierre DELAVEAU

Que penser du trio qui va du régime sans sel à l’inappétence et finalement à la dénutrition ?

Le problème se pose surtout pour la personne âgée chez laquelle, en règle générale, la reconnaissance du goût salé est très émoussée. Par conséquent, ne pas saler la nourriture des personnes âgées renforce l’inappétence et favorise la dénutrition. Dans cette population, la restriction sodée doit être réservée aux cas médicalement justifiés.

M. Denys PELLERIN

Je souhaiterais remercier l’orateur d’avoir, dans son exposé, cité le nom de Claude Ricour qui fut, en France, l’un des promoteur des techniques de nutrition par voie parentérale. Qu’il me permette de rappeler brièvement ce que fût cette belle aventure d’il y a quarante ans, que j’ai souhaité récemment préserver de l’oubli (*).

 

En novembre 1968, lors d’une visite au Babies Hospital de la Columbia University à New York, mon ami Bob Santulli qui en était le chef de service, voulut bien me montrer l’un de ses petits opérés, alors âgé de six mois, l’un des premiers enfants totalement « nourri par voie cardiaque » selon la toute nouvelle méthode initiée par Durdrik, et m’inciter à travailler moi aussi dans cette voie. Dès mon retour, je m’en suis ouvert au professeur de pédiatrie, mon ami Pierre Royer et lui ai exprimé ma conviction que ce serait pour nous tous un progrès considérable de disposer d’une méthode de nutrition artificielle exclusive et prolongée, susceptible d’assurer une croissance normale chez les nouveaux-nés et nourrissons que nous pouvions désormais opérer de malformations digestives. En effet, nous nous heurtions de plus en plus souvent à des situations dans lesquelles toute alimentation orale était impossible, mais aussi aux limites des techniques de réanimation par voie intraveineuse, toujours insuffisantes et par ailleurs nécessairement transitoires. Pierre Royer voulut bien encourager mon projet qui ne pouvait se concevoir que dans le cadre privilégié de l’Hôpital des Enfants Malades. Il nous fallait établir un programme multidisciplinaire de recherche sur le thème de l’alimentation artificielle au long cours. Il me proposa de confier à son élève Claude Ricour, en fin de son clinicat, l’aspect médical et biochimique de ce programme, pour autant que je puisse intégrer ce médecin dans les effectifs chirurgicaux ! Après trois ans de travail sur un modèle expérimental porcin de grêle court la nutrition parentérale totale fut utilisée en clinique à partir de l’année 1971. Cela devait conduire à la création, au sein de l’hôpital des Enfants Malades, d’abord d’un secteur puis d’un service de gastro-entérologie pédiatrique avec une unité spécialisée de réanimation digestive de l’enfant. Claude Ricour en devint tout naturellement le Chef de Service. En 1978, mon interne, B. Jéhanin, faisait dans sa thèse le bilan technique de sept années d’utilisation de la méthode, soit 11 155 journées de nutrition parentérale par cathéter intra-cave chez l’enfant ! Les espoirs en cette méthode de nutrition, et le modalités de sa diffusion furent naturellement largement partagées et adaptées aux patients adultes et à leurs pathologies spécifiques. Au fil des années s’imposa * Pellerin D. Témoignages avant l’oubli — T. I Forts de sable. pp. 320-327 — La Bruyère Edit Paris 2010.

à nous l’évidence des limites de l’uitilsation de la méthode. A long terme, certaines conséquences pouvaient devenir insurmontables. De ce fait, il était devenu illusoire d’espérer assurer la nutrition et la croissance d’un enfant privé définitivement de tout ou partie de son intestine grêle. Cela nous conduisait inévitablement à la notion d’impasse, pour les enfants survivants à nos gestes, si nous n’étions pas en mesure de les faire bénéficier d’une transplantation intestinale. Claude Ricour, son très compétent collaborateur, Olivier Goulet, Yann Révillon et moi-même avons estimé qu’il n’était pas déraisonnable d’entreprendre un programme méthodique de recherche pouvant déboucher sur la transplantation intestinale chez l’enfant, à partir du modèle expérimental — le porcelet — que nous maîtrisions parfaitement. Un réel espoir s’ouvrit au-delà du 21 mars 1987, par la première survie d’un enfant transplanté par notre équipe.

La mise au point de la nutrition parentérale a effectivement été une grande aventure qui a permis de lever une impasse thérapeutique. Dans l’équipe du Pr. Claude Ricour, je souhaite aussi rendre hommage au Dr. Virginie Colomb qui fit et fait beaucoup au jour le jour. Par ailleurs, cette méthode impose des mélanges nutritifs sûrs et adaptés à chaque malade. A ce niveau, le Dr. Odile Corriol, du service de Pharmacie de l’hôpital Necker, joua un rôle clé. Pour être complet, précisons que la France fut aussi en pointe pour la nutrition parentérale chez l’adulte. Cela est à mettre au crédit des professeurs Joyeux et Solassol de Montpellier.

 

<p>* Service inter-hospitalier de Biochimie, Hôpital Cochin-Hôtel-Dieu, 27, rue du Faubourg SaintJacques — 75679 Paris cedex 14, Nutrition, EA 4466, Biologie expérimentale, métabolique et clinique, Faculté de Pharmacie — Université Paris Descartes ; e-mail : solange.ngon@cch.aphp.fr Tirés à part : Professeur Luc Cynober, même adresse Article reçu le 24 novembre 2010, accepté le 6 décembre 2010</p>

Bull. Acad. Natle Méd., 2011, 195, no 3, 645-660, séance du 1er mars 2011