Discours
Séance du 13 mai 2008

Présentation du rapport annuel 2007 du Médiateur de la République

Monsieur Jean-Pierre Delevoye

 

Débat d’actualité

Présentation du Rapport annuel 2007 du Médiateur de la République

Monsieur Jean-Paul DELEVOYE J’ai basé mon action sur trois missions qui me sont confiées par la loi de 1973, à savoir le règlement des litiges avec le secteur public, les propositions de réformes et la promotion et la défense des Droits de l’Homme, avec le souci de n’être ni procureur de l’administration, ni avocat des administrés, ni premier appel, ni dernier recours.

La loi m’a confié la capacité d’utiliser un certain nombre de pouvoirs : la possibilité de demander des études, l’inspection, l’injonction, la sanction, et la proposition de réforme pour adapter le droit à l’évolution de la société.

Quels sont les moyens mis à ma disposition ? Une centaine de collaborateurs à Paris ; deux cent soixante-quinze délégués sur le terrain, répartis au sein de trois cent soixante quinze points d’accueil sur l’ensemble du territoire, dont plus de la moitié en zones sensibles ; quatre-vingt-quinze délégués rattachés auprès de chaque maison départementale du handicap ; trente-cinq délégués dans les prisons, couvrant vingt six mille détenus, avec comme objectif d’atteindre 100 % de la population carcérale d’ici à 2010. J’installe des délégués de moins en moins dans les lieux de pouvoirs et de plus en plus dans les lieux d’accès au droit.

L’institution a traité soixante-cinq mille soixante dix-sept dossiers, soit 3,6 % d’augmentation. Depuis quatre ans, nous avons traité 20 % de dossiers en plus, à effectifs constants. Nous sommes passés d’un délai pour un accusé de réception de quatre mois à moins de trois semaines et avons gagné deux mois sur le traitement moyen des dossiers. Chaque personnel est directement concerné par la stratégie de l’institution et chaque économie de moyen suggérée par le personnel est reconvertie dans des investissements augmentant l’efficacité du personnel, en mettant en place un comité de participation et d’intéressement. Nous avons réalisé plus de deux cent vingt mille euros d’économies que nous avons réaffectés dans la formation et les moyens informatiques. J’ai instauré un système de responsabilisation, de motivation avec un travail d’adhésion autour des valeurs de l’Institution.

Sur le terrain, les délégués ont traité cinquante-huit mille trois cent soixante et un dossiers à l’institution. Ce sont des saisines directes (sans passer par un parlementaire). Lorsque vous avez un problème, vous essayez d’accéder à un service pour trouver de l’aide ; si vous ajoutez un filtre, les gens ne comprennent pas. Nous régularisons donc les dossiers qui ne sont pas transmis par les parlementaires. En effet, ma priorité concerne le traitement du dossier qui nous est donné, et non le respect des procédures. D’ailleurs l’un des sujets sur lesquels nous devrions réfléchir est la conduite de nos administrations : aujourd’hui, avec le principe de précaution, on demande au système administratif de respecter davantage les procédures que les usagers. Enfin, nous avons reçu dix-neuf mille appels téléphoniques et trois mille six cents courriels de réclamation.

Sur ce graphique, le jaune correspond aux dossiers traités sur le terrain par les délégués et le vert à ceux traités sur le plan national. On atteint presque 13 % de dossiers relatifs au domaine fiscal à l’échelle locale et nationale. Nous voyons le nombre de dossiers diminuer. En ce qui concerne les litiges sociaux, on constate qu’ils sont particulièrement nombreux sur le terrain : 32 % en moyenne ; dans certains départements, ils représentent plus de 40 % des litiges. Nous voyons d’ailleurs diminuer les dossiers à caractère fiscal et augmenter les dossiers à caractère social.

Pour le secteur justice, c’est l’inverse. Nous avons plus de dossiers à l’échelon national, notamment, concernant la problématique des étrangers. Je rappelle que toute personne physique ou morale se trouvant sur le territoire français peut saisir le Médiateur de la République. Nous sommes donc sollicités par des personnes en situation irrégulière qui ont des problèmes avec l’administration.

Nous traitons aussi dans notre secteur « affaires générales » des problèmes de contravention ou d’urbanisme. Un point préoccupant : nous voyons augmenter de façon considérable les dossiers d’urbanisme en rapport avec les collectivités locales.

Les demandes irrecevables sont, pour moi, un indicateur de réformes. J’y suis très attentif. Mon questionnement permanent est : si l’application de la loi est parfaitement légale et conforme aux textes, cette application est-elle juste ? Quand j’estime qu’il y a des iniquités, je pose cette question au législateur. Je travaille en synergie avec l’ensemble des institutions, la cour de justice européenne de Luxembourg et la cour européenne des Droits de l’Homme, l’ensemble de celles et ceux qui forment la société civile, syndicats, associations, médiateurs étrangers.

J’ai construit mon rapport annuel autour de trois thématiques :

— Au cœur de la société, — Acteurs des réformes — Prospectives Concernant les problématiques de société, j’alerte le législateur sur le fait qu’il est pré- férable que le politique précède le droit. Or on observe que c’est souvent le juge qui lance les débats de société sur des sujets où le législateur aurait déjà dû s’exprimer.

Aujourd’hui, la famille se compose davantage de liens d’affection partagée que de liens juridiques. Le système marital n’est plus basé sur la communauté juridique du mariage, mais sur des problématiques de concubinage. Or, ces comportements nou- veaux ne sont pas toujours en adéquation avec les textes juridiques qui les soustendent. Ce sujet est compliqué. L’année dernière, avec la Cour de cassation nous avons pu obtenir qu’en cas de divorce et de garde alternée, les allocations familiales ne soient plus versées à un allocataire unique, mais aux deux parents dans le cadre d’une résidence alternée.

D’autres sujets de politique publique correspondent à des situations comportementales nouvelles qui soulèvent des problèmes inédits. Par exemple, de plus en plus de gens sont en difficulté pour faire face, seuls, au montant de leur loyer. Ils trouvent alors un colocataire. Or, les allocations familiales considèrent celui-ci comme un concubin, donc, diminuent les allocations logement de la personne.

Nos systèmes fiscaux ou d’aides sociales sont basés sur une communauté collective et non pas sur l’individu. Notre système administratif respecte les procédures d’allocations et d’aides, mais n’analyse peut-être pas suffisamment les évolutions de notre société, qui ne correspondent plus à la nature des aides pour lesquelles elles étaient génératrices.

Auparavant, nous étions tous, les uns et les autres, assez concernés par la contrainte que pouvaient représenter le mariage et la responsabilisation parentale. Aujourd’hui — ce n’est pas une condamnation, mais une constatation — chacun cherche à regarder quel est parfois le moyen de fuir sa responsabilité. On préfère vivre avec quelqu’un sans contraintes juridiques pour pouvoir mieux s’en séparer. Des enfants, à dix-huit ans, sont éjectés de leur famille parce qu’ils n’apportent plus d’allocations familiales.

Des personnes âgées sont dans des maisons de retraite, mais leurs descendants ne veulent pas assumer les frais parce qu’ils estiment en avoir fait assez !

On le voit, paradoxalement, toutes les aides sociales modifient un certain nombre de comportements, c’est pourquoi il me paraît nécessaire de mener une réflexion sur les bases d’une société solide, d’un vivre ensemble et d’une éducation civique de la solidarité.

Aujourd’hui, notre société est de plus en plus complexe sur le plan du droit. Les moyens d’accès à l’information sont si nombreux que l’on ne sait plus où trouver la bonne information. Nous avons mis en exemple la notion d’exemplarité. Si l’on veut réconcilier l’administration et l’administré, il faut un respect réciproque. Pour cela, il faut au moins cultiver une vertu, l’exemplarité, et imposer à l’autre ce que l’on doit s’appliquer à soi-même. A l’évidence, dans le droit à l’information, le fonctionnaire est moins bien traité que d’autres. D’autant plus si l’on évoque la situation des retraites : lorsqu’un agent de la fonction publique demande dans quelles conditions il va prendre sa retraite, par exemple au mois de mars, on lui fournit un certain nombre d’indications. Mais, lorsqu’il reçoit sa pension de retraite au mois de septembre, bien souvent, elle n’a rien à voir avec les indications qui lui avaient été fournies, avec parfois trois ou quatre cents euros de moins par rapport à ce qui avait été indiqué. Et lorsque l’agent souhaite revenir sur sa décision, cela n’est pas toujours possible !

Le minimum, dans le secteur public, doit être ce que l’on exige dans le secteur privé.

Quand l’on prend un engagement qui implique une décision lourde de conséquences pour un individu, si les éléments qu’on lui a communiqués pour prendre sa décision ne sont pas stables, les conséquences ne doivent pas se répercuter uniquement sur l’individu en question. Elles doivent être partagées.

Il en est de même pour la question des recours. Dans une entreprise, l’industriel est très attentif aux moyens dont dispose sa clientèle pour exercer un recours et aux moyens de le traiter. J’ai demandé au Conseil d’Etat ainsi qu’au législateur de lancer une réflexion. Nous avons une jurisprudence du Conseil d’Etat qui est très claire. Elle considère que l’administration a toujours raison ! Je n’entends pas le contester. Mais nous avons aujourd’hui une société qui n’accepte plus l’arbitraire.

Une décision administrative est arbitraire, parce que souvent dénuée d’explications et, alors, la possibilité de recours s’avère être un vrai parcours du combattant. Pour certaines décisions, le silence vaut approbation. Pour d’autres, le silence vaut rejet.

Pour certaines décisions, le délai pour un accord est de deux mois. Pour d’autres, au bout de deux mois, le silence vous donne l’interdiction de contester. J’ai donc demandé au Conseil d’Etat et au législateur de réfléchir à une analyse de l’ensemble des méthodes de contentieux et de recours afin de trouver des procédures plus simples de contestation et de traitement des recours.

C’est d’autant plus important que nous devrions respecter davantage l’équilibre des parties ; nous pourrions mener une réflexion sur les contraintes qu’impose parfois l’administration fiscale, qui exige du contribuable un délai de réponse de deux mois, et qui, elle, ne s’impose aucun délai de réponse. Il faut tenir compte que le délai des contentieuxadministratifsestunfacteurderalentissementdelacompétitivitéd’uncertain nombre d’entreprises. En Angleterre, la moyenne de traitement des décisions administratives est d’un an contre quatre ans en France. Les trois années supplémentaires, dans les bilans de provisions pour risques, sont autant de retard à l’investissement, autant de préjudice pour les salariés, etc. Et, lorsque vous recevez quatre ans plus tard, quatre années d’indemnisation d’un seul coup, paradoxalement, vous obtenez une augmentation de revenus conséquente qui entraîne une fiscalité qui est préjudiciable.

Le législateur a souhaité mettre en place des déductions fiscales pour améliorer les isolations dans les bâtiments afin de combattre les problèmes du réchauffement climatique. Il a décidé que l’on pouvait déduire les investissements en matière d’isolation de ses impôts. Cela intéresse naturellement les artisans. Mais il existe par exemple une ambiguïté pour savoir si la porte à double isolation pour laquelle on pouvait avoir un crédit d’impôts est à double battant ou à double paroi. Personne n’avait prévu cela. L’administration fiscale s’est elle-même arrogée le droit, sans en référer aux politiques, que seule la porte à double paroi pouvait bénéficier du crédit d’impôts.

Cela a engendré un problème pour beaucoup d’artisans qui, de bonne foi, ont investi dans des équipements en pensant qu’une déduction fiscale était possible. Cela a été remis en cause par une circulaire, l’administration ayant fait interpréter la décision politique.

 

J’ai donc demandé que l’on révise les procédures parlementaires et que, lorsqu’une interrogation se pose sur la volonté du politique, le politique soit à nouveau consulté. Je suis de ceux qui pensent que le politique doit précéder le droit, car dans cette affaire, lorsqu’il y a débat, on se dirige vers le juge. C’est le juge qui, paradoxalement, dit ce que doit être la politique.

En matière d’éolienne, ce ne sont pas au final les préfets qui délivrent le permis de construire de l’éolienne, mais le juge. En effet, le préfet est systématiquement attaqué s’il donne un avis favorable ou défavorable. C’est bien la jurisprudence qui décide si le permis est valable ou non.

L’articulation entre le juge et le politique n’est donc pas conforme à l’esprit que je me fais de la République.

Deuxième élément, il convient de voir si, très concrètement, l’objectif politique, dans son application, ne se retourne pas contre lui-même.

J’ai pris l’exemple du Cesu, formidable avancée, qui touche six cent cinquante mille personnes, qui a permis bien souvent de sortir de la clandestinité nombre d’employés, l’expérience démontre toutefois que ces derniers peuvent être désavantagés, notamment en matière d’assurance maladie, et se trouver moins bien protégés en cas d’arrêt de travail que ne le sont les autres salariés ou les chômeurs. Les conditions posées actuellement pour l’ouverture du droit aux indemnités journaliè- res de la Sécurité sociale ainsi que les modalités de calcul du montant des indemnités journalières de Sécurité sociale peuvent en effet pénaliser les salariés relevant du Cesu. Il convient notamment d’observer que ces emplois sont souvent de nature précaire, à temps partiel avec, parfois, des variations importantes de temps de travail selon les périodes.

Bien souvent, ces emplois impliquent en outre plusieurs employeurs. Enfin, il arrive régulièrement que, sur une période de trois mois, les deux cents heures nécessaires à l’ouverture de droits aux indemnités ne soient pas réunies…

Concernant le recours subrogatoire des caisses de sécurité sociale et la protection des victimes, nous avons obtenu cette réforme. Le rapport Dintilhac représente une très grande avancée. Aujourd’hui, le juge indemnise les victimes sur un socle de préjudices qui cantonnent la capacité de recouvrement des caisses de sécurité sociale.

Nous avons alerté la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (Cnil). Je ne suis jamais inquiet d’un fichier, mais de son utilisation. Suite à une étude faite avec le Cnrs dans deux départements, nous nous sommes rendus compte que 16 % de personnes éligibles aux droits (RMIste) ne demandaient pas leurs droits, notamment la Cmu, souvent par méconnaissance.

L’absence ou la volonté de cloisonner les fichiers et de ne pas les mettre en convergence pose des problèmes redoutables. L’année dernière, je vous ai livré cette expérience d’un homme qui avait soixante-six femmes et cent onze enfants parce que les connections des tribunaux de grande instance n’étaient pas faites sur le plan informatique, elles se cantonnaient à la délivrance de l’état civil au territoire des tribunaux. Nous sommes dans l’équilibre entre les contraintes collectives et les libertés individuelles.

Concernant la politique du handicap, avec mes délégués auprès des maisons départementales du handicap, nous avons fait une enquête sur l’application de la loi. Les départements ont réduit considérablement les délais classiques des Cotorep. C’est une très grande avancée.

Trois analyses peuvent être faites à l’égard de la loi.

Premièrement, les modalités de mise à disposition du personnel d’Etat vers les départements n’ont pas été bien faites. Cela a créé une instabilité dans les départements. Dans certains d’entre eux, plus de la moitié du personnel ont refusé leur transfert. Ainsi, les départements se sont retrouvés avec les dossiers sans les compé- tences.

Deuxièmement, un travail est à faire sur les textes de la loi qui, quelquefois, pour certains d’entre eux, selon leur interprétation, peuvent amener certaines contradictions.

Par ailleurs, quelque chose me paraît aujourd’hui devoir être au cœur de notre réflexion dans le traitement des contentieux. J’ai découvert la situation du tribunal des contentieux de l’incapacité : les magistrats travaillent presque bénévolement, dans des conditions qui ne sont pas à la hauteur du traitement des contentieux des personnes handicapées.

Troisièmement, nous avons alerté les ministres concernés sur le fait qu’il existe aujourd’hui un grand nombre de paradoxes entre le handicap par rapport au retour au travail. Il s’agit d’effets collatéraux de politiques publiques qui ne sont pas suffisamment analysés. Paradoxalement, ils répondent à une très belle exigence en termes de caractère politique, mais leur conséquence est le contraire de ce que le politique souhaitait.

Nous avons aussi mis en avant la notion d’exemplarité que j’évoquais tout à l’heure.

Aujourd’hui, nous ne sommes pas assez attentifs aux capacités d’accueil et d’écoute.

Nos concitoyens sont de plus en plus perdus. Nul n’est censé ignorer la loi, ce qui permet de sanctionner, mais tout le monde l’ignore. Plus notre société sera complexe, plus il va falloir l’apaiser en offrant des capacités d’écoute et d’accueil de proximité.

Or, l’approche très cloisonnée de l’administration fait qu’elle se réfugie souvent derrière des plates-formes téléphoniques, avec beaucoup de temps d’attente. Cela devient crispant et extrêmement préoccupant. Une partie de notre population est complètement désemparée et ne comprend pas. Elle finit par s’énerver et dire :

« Puisque c’est comme cela, je ne respecte pas la loi, je me débrouille ». Lorsque je mets des délégués dans les prisons, la présence du délégué et l’accès au droit a permis de réduire de 30 à 40 % les faits de violence. Quelqu’un qui veut une réponse et qui est désemparé a tendance à hausser le ton.

 

Dans la relation de confiance entre administration et administrés, l’accueil devient une fonction primordiale.

Par ailleurs, la Lolf va imposer aux administrations les conséquences financières des contentieux qu’elle va générer.

Et un certain nombre de séminaires internes dans les administrations consistent donc à dire aujourd’hui : ‘‘ ne prenez pas de risques, notamment en matière de contentieux ’’. Aujourd’hui, de plus en plus de décisions administratives ménagent la chèvre et le chou à un moment où l’on a besoin, au contraire, d’avoir une administration qui s’engage, qui aide celui qui investit, celui qui construit, celui qui doit prendre une décision. C’est un sujet auquel nous sommes très attentifs.

Venons en à la précarité dans l’éducation nationale.

J’ai mis le doigt sur ce sujet car, dans l’éducation nationale, il existe un problème évident de remplacement des enseignants. Il y avait à l’époque ce que l’on appelait les Tzr, les titulaires de zone de remplacement dans les collèges et les lycées.

Un décret était paru sur les vacataires, qui sont limités à deux cents heures, mais aujourd’hui, ce décret est détourné puisque, lorsqu’un professeur est absent, on prend un vacataire. Cependant, quand il a fait deux cents heures, on le supprime et on en prend un autre de sorte que, dans la classe, on peut avoir trois vacataires pour une même année scolaire. On peut l’envoyer dans trois collèges différents sans tenir compte de ses frais et temps de déplacement. De plus, bien souvent, ils sont payés avec quatre mois de retard. C’est absolument anormal.

Le ministre de l’Education nationale est parfaitement sensible à ce sujet, et je l’ai dit également aux syndicats : « au moment où, dans le secteur privé, on est en train de réfléchir avec les syndicats et les partenaires sociaux sur la flexisécurité, il faut réfléchir, dans le secteur public à maintenir la continuité du service public sans titulariser tout le monde, mais sans mettre les gens en précarité ou les mettre dans des situations qu’aucun employeur privé ne pourrait se permettre ? ».

Aujourd’hui, plutôt que d’être dans des situations de confrontation entre partenaires sociaux et gouvernement, nous pourrions essayer de réfléchir à une meilleure gestion des ressources humaines. C’est un des sujets qui, aujourd’hui, est absolument préoccupant. Au moment où nous sommes en train de réfléchir à l’intérêt de l’éducation, comment imaginer qu’un professeur qui n’est pas stabilisé dans sa situation puisse avoir une motivation maximale pour l’éducation de nos enfants ?

Sur les propositions, nous avons obtenu un certain nombre de choses. Nous avons pu obtenir que, devant les tribunaux, on puisse être représenté par son concubin ou son partenaire de Pacs.

Vont suivre l’énumération de nos propositions de réforme :

• Loi de simplification du droit — Représentation devant les tribunaux par le concubin ou le partenaire de Pacs — L’opposition administrative en cas d’amende majorée • Loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 — Coordination du régime des travailleurs indépendants et du régime général de la Sécurité Sociale — Simplification et harmonisation de l’accès aux prestations familiales soumises à condition de ressources • Loi de finances pour 2008 — Droit à la décharge de solidarité du couple Nous avons aussi pu obtenir de grandes avancées en matière d’assurance vie — c’était un grand combat de l’année dernière —, avec un sujet intéressant sur le thème des contrats en déshérence. Immédiatement, la Fédération française des assurances nous a interpellés en demandant « de quoi vous mêlez-vous » ?. Deux grandes compagnies d’assurance nous ont dit : « Vous avez raison, vis-à-vis de nos clients, nous sommes là pour couvrir les risques. Lorsqu’ils surviennent, nous devons les gérer ».

Aujourd’hui, tout le monde est d’accord avec la proposition de réforme, le législateur a mis en place une obligation de recherche des contrats en déshérence pour les assureurs. Il faut savoir que c’est grâce à une compagnie d’assurance qui avait elle-même pris l’initiative de lancer une enquête sur des contrats anciens dans sa compagnie que nous avons avancé.

Un certain nombre de dossiers ont ainsi pu être sortis de ce système.

Nous avons aussi évoqué des sujets plus compliqués, plus délicats, pour lesquels, aujourd’hui, le politique est extrêmement prudent : la notion de parents d’enfants nés sans vie.

De quoi s’agit-il ?

Il s’agit tout simplement d’une situation qui existe depuis très longtemps. Une circulaire ministérielle fondée sur l’Organisation Mondiale de la Santé, fixe la notion de viabilité à vingt-deux semaines d’aménorrhée ou à cinq cent grammes de l’embryon. C’est une situation qui convenait à tout le monde : aux parents, aux médecins, aux officiers d’état civil.

Des parents ayant eu une interruption de grossesse avant les vingt-deux semaines, avec un enfant mort-né, sont allés voir leur officier d’état civil en disant : « Je veux une déclaration d’un enfant sans vie ». L’officier d’état civil, s’appuyant sur la circulaire, a refusé. Ils sont allés en première instance, ont été battus ; en cour d’appel, ils ont été battus. Ils sont allés en cour de cassation qui, a cassé le jugement.

« Le juge n’avait pas le droit de refuser au motif que cette circulaire n’avait aucun fondement juridique, il faut un décret ».

Ce qui veut dire qu’aujourd’hui nous sommes dans une instabilité juridique la plus totale. Il ne s’agit en aucun cas de remettre en cause le statut du fœtus, ni de remettre en cause le droit de l’avortement. Mais, quelle que soit la durée de vie du fœtus ou la durée de la grossesse, il suffit d’un certificat médical pour déterminer la viabilité. Il suffit que le médecin dise « enfant vivant viable » ou « mort-né » pour que cela ait des conséquences radicalement différentes.

Nous sommes ici dans une instabilité totale puisque, pour les officiers d’état civil, la prescription est que, lorsque votre enfant est né, vous avez trois jours pour le déclarer. Mais, lorsque votre enfant est sans vie, il n’y a pas de prescription. Les officiers d’état civil ne savent plus à quel saint se vouer.

Je suis de ceux qui pensent que, même si vous avez vécu un tel drame il y a vingt-cinq ans, vous devriez avoir le droit aujourd’hui de demander à l’officier d’état civil d’inscrire votre enfant dans le livret de famille.

Les médecins souhaiteraient donc réfléchir à ce sujet, mais le législateur n’ose pas ouvrir la boîte de Pandore parce que l’on pense que cela va remettre en cause le droit à l’avortement, or ce n’est pas le cas.

La simplification consisterait à donner une force juridique à la circulaire. Ce qui n’interdit pas de réfléchir à l’augmentation des droits d’enfants nés sans vie en dessous des vingt-deux semaines d’aménorrhée pour permettre à la famille de faire son deuil.

Le problème a d’autres conséquences très pratiques :

Avant les vingt-deux semaines, si vous perdez l’embryon, vous êtes en congé maladie. Au-delà de vingt-deux semaines, vous êtes en congé maternité.

J’avais pu obtenir du Premier ministre que l’on puisse accorder des congés paternité aux hommes accompagnant leur femme qui avaient mis au monde un enfant mort-né au-delà des vingt-deux semaines ou un enfant vivant né viable, mais décédé.

Aujourd’hui, on se situe dans une situation extrêmement préjudiciable. On ne veut pas ouvrir un débat politique. On laisse toute une série d’acteurs médicaux, officiers d’état civil, maires et parents dans une situation inextricable sur le plan juridique.

Nous demandons qu’une décision soit prise. Le Sénat a décidé de s’emparer du sujet et je sais qu’à l’Assemblée nationale, un certain nombre de personnes sont en train d’y réfléchir.

Ce genre de situation implique que l’on doit concilier le droit et l’humanité, dans un cas où les gens dans une grande douleur ne comprennent pas qu’on leur refuse cet accompagnement.

Sur l’éviction du conjoint violent, nous avons pu obtenir que la victime reste dans le logement du conjoint violent. C’est vrai lorsque vous êtes mariés. Lorsque vous êtes concubin ou pacsé, si c’est à l’auteur de violence qu’appartient le bail, cela devient compliqué. Pour la victime, il y a inéquité.

Nous avons pu obtenir la réforme des tutelles. Nous attendons l’application en 2009 des décrets pour les problèmes départementaux. Nous sommes attentifs à la façon dont tout cela sera mis en œuvre.

 

Sur le droit au juge en matière de contestation des contraventions routières, vous connaissez mon combat. Ma conviction est que le corps social est prêt à accepter des politiques rigoureuses à condition qu’il soit écouté dans ses réclamations ou dans ses contestations. Or, aujourd’hui, il n’y a pas l’équilibre des parties. Beaucoup de personnes viennent me voir en disant : « J’ai payé mon amende, je conteste ». Non.

Il ne fallait pas payer. Le fait de payer vous interdit l’accès au juge. C’est contraire à la convention des droits de l’Homme.

Nous avons aussi un débat concernant les retraits de permis. Vous êtes condamné à six mois de suspension de permis par le tribunal, et parfois, vous mettrez un an pour retrouver votre permis. Les gens ne comprennent pas que la suspension administrative ne soit pas fusionnée avec la suspension judiciaire. C’est un sujet peut-être mineur, mais crispant.

Sur l’amiante, nous avons alerté le législateur et le ministre Xavier Bertrand qui a mis en place une commission d’étude avec Jean Le Garrec. Mon positionnement, en tant que médiateur est : à situation identique, traitement identique.

Si vous êtes travailleur sur un chantier, exposé à l’amiante, dans une entreprise qui est reconnue sur les listes des établissements cotisant pour l’Acaata, vous pouvez bénéficier d’une retraite anticipée, en revanche si l’entreprise qui vous emploie est sous-traitante et qu’elle n’est pas sur les listes, vous travaillez sur le même chantier avec le même risque et les mêmes conséquences, mais vous n’avez pas le droit à la même couverture. C’est incompréhensible.

Si vous changez de régime, parce que vous décidez de changer de métier et que votre nouveau régime n’est pas éligible à l’Acaata vous n’y avez pas droit. Nous avons demandé à ce que l’individu soit mis au cœur du système.

Sur les minima sociaux et le Grenelle de l’insertion, j’ai beaucoup travaillé avec Martin Hirsch. Il faut réfléchir à une harmonisation des conditions de ressources pour les minima sociaux, l’Aah et le minimum vieillesse.

Sur la mobilité européenne, j’ai déjà évoqué ce point. A l’heure de la future présidence européenne, la suppression des barrières juridiques pour la circulation des marchandises est un fait, celle des personnes l’est moins.

Nous réfléchissons également sur l’expertise judiciaire médicale. C’est une question très complexe. Aujourd’hui, tout décideur, quel qu’il soit (maire, chef d’entreprise, médecin, magistrat) va devoir prendre des décisions dans des domaines dans lesquels il sera de moins en moins compétent.

La qualité de la décision sera fonction de la capacité du décideur d’arbitrer au vu des différentes expertises qui lui seront soumises. La compétence de celles et ceux qui contribuent à la décision va devenir aussi importante que la compétence du décideur.

En ce qui concerne l’expertise judiciaire médicale, il a de véritables problèmes :

l’absence de contradictoire d’une part et le coût des expertises. Aujourd’hui, certains tribunaux hésitent à financer des expertises médico-légales pour des enquêtes pour des raisons de contraintes budgétaires. Ce sont des sujets sur lesquels nous avons mis en place un groupe de travail.

Don du corps à la science, c’est un sujet qui est apparu lors d’une enquête sur le terrain. Lorsque vous donnez votre corps à la science, il arrive, dans un certain nombre de cas, que celui qui reçoit votre corps facture à vos héritiers des frais.

Autrement dit, le don du corps à la science est payant !

En matière de protection du droit des consommateurs, j’ai alerté le Président de la République, le Premier Ministre, ainsi que le législateur sur les problèmes de contentieux entre les opérateurs et des utilisateurs de téléphonie mobile.

On en revient finalement au même débat que pour les administrations. Plus elles sont importantes, plus elles vont faire du traitement de masse, plus les conséquences individuelles seront difficiles à supporter.

Comment trouver l’équilibre entre la puissance du collectif et la fragilité de l’individu ?

S’agissant des délégués dans les prisons, nous avons maintenant un recul de trois ans. 30 % des réclamations seulement concernent l’administration pénitentiaire.

Notre ambition : changer le regard de la société sur le détenu.

Nous avons donc fait des propositions, dans le cadre de la future loi pénitentiaire, sur la modification des procédures administratives concernant les détenus étrangers.

Nous avons beaucoup d’étrangers détenus pour des trafics de drogue. Ils sont maintenus en France pour des problèmes de récupération d’amendes dues aux douanes. Nous pourrions parfaitement imaginer un rapprochement familial en concertation avec les pays européens.

Au titre de mon droit d’inspection, j’ai visité à deux reprises l’infirmerie psychiatrique de la préfecture de police de Paris, où j’ai pu déceler une capacité d’expertise intéressante pour la prévention d’urgence des phénomènes de violence.

Sur la coopération internationale et les droits de l’Homme, à l’initiative du bureau du Commissaire aux Droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, nous menons actuellement une réflexion en vue d’améliorer le suivi de l’exécution des arrêts de la Cour de Strasbourg.

Nous avons réuni à Paris, avec un représentant de l’O, le CPT (comité de prévention de la torture), le commissaire européen des droits de l’Homme, environ quarante ombudsmans pour réfléchir aux solutions mises en place dans le pays pour contrôler les lieux privatifs de liberté. C’est une démarche tout à fait intéressante. Si cela vous intéresse, je pourrais vous donner les conclusions de ce rapport.

Concernant la médiation sur le monde francophone, à Bamako, nous avons réuni l’ensemble des médiateurs francophones pour travailler dans trois directions : le droit des enfants, le contrôleur extérieur des lieux privatifs de liberté, le rôle que peuvent avoir les ombudsmans dans la bonne gouvernance administrative.

 

A Rabat, nous avons mis sur pied un centre de formation pour les médiateurs du bassin méditerranéen. Les 8, 9 et 10 novembre 2007, à Rabat, pendant trois jours, nous avons réuni dix-neuf médiateurs et ombudsmans du bassin méditerranéen. Il s’agissait de réfléchir à la façon dont, lorsque les pays rentrent en conflit, les institutions qui portent la problématique des droits de l’Homme peuvent être au-dessus de ces contraintes, débattre et discuter.

Nous avons pris acte de nous réunir au second semestre 2008 sous la présidence française européenne, en réfléchissant cette fois à la notion de la relativité du droit et des droits de l’Homme, et au problème de la laïcité.

Quelles perspectives pour 2008 ?

Devant la Commission Balladur, nous avons plaidé pour un ombudsman à la française et un défenseur des droits fondamentaux. Nous sommes très attentifs à ce que le projet de loi proposera.

Nous allons faire une convention, au printemps 2008, avec l’ensemble de mes collaborateurs, afin de faire le point sur les iniquités que nous observons sur le terrain.

Je vous remercie de votre attention.

 

Bull. Acad. Natle Méd., 2008, 192, no 5, 861-872, séance du 13 mai 2008