Communication scientifique
Séance du 3 mai 2011

Présentation

Pierre Rondot *

 

Séance dédiée aux dystonies

PRÉSENTATION

Pierre RONDOT *

La dystonie n’est apparue dans l’histoire de la Neurologie qu’assez tardivement.

Oppenheim en 1911 en a rapporté les premières observations cliniques, sous le nom de « dystonia musculorum deformans », elles concernaient des enfants juifs roumains. Ainsi dès ces premières publications, l’origine génétique de la dystonie était soulignée dans certains cas. Mais la fréquence de ce syndrome qui vient compliquer de nombreuses autres affections neurologiques, comme on l’observe pour la spasticité, est restée longtemps méconnue. Il faut attendre en France 1926 et la thèse de Thévenard et al (1949) pour que paraissent les premiers ouvrages bien documentés sur ce sujet grâce à André Thomas.

On peut d’ailleurs s’étonner que, bien que cet auteur ait été l’assistant de Déjerine, celui-ci n’ait fait aucune référence au nom de « dystonie » dans le répertoire de la « Séméiologie des affections neurologiques » (1914), qui pourtant sera pendant des années la véritable bible de la neurologie. Le décès prématuré de cet auteur a empêché son assistant de poursuivre une carrière universitaire retardant ainsi l’enseignement de la dystonie en neurologie de l’adulte.

Il ne s’agissait pas d’une lacune propre à la France car aussi bien en Allemagne qu’en Angleterre, ce syndrome était mal connu, ce qui a permis à un auteur britannique contemporain de se considérer comme un promoteur en regroupant dans les dystonies localisées des affections telles que la crampe de l’écrivain ou le torticolis spasmodique. Comme souvent, le fait de publier en langue anglaise a donné crédit à la prétention précédente. Une meilleure culture de la langue germanique et française lui aurait permis aussi de suivre la mise en garde de Oppenheim retenant le mot de « dystonie » pour désigner le trouble moteur qu’il décrivait et mettant en garde contre un classement inadéquat parmi les troubles du mouvement, l’athétose, en particulier En effet, la dystonie n’est pas un mouvement anormal mais un trouble postural accompagnant et suivant le mouvement, tout en persistant à l’état de repos dans les formes sévères. Elle est due à l’exagération d’une réaction réflexe mal connue bien * Membre de l’Académie nationale de médecine, e-mail : rondot.pierre@wanadoo.fr que décrite dès 1880 par Westphal sous le nom de

Verkürzung Reaktion puis par

Sherrington (1909) sous le nom de shortening reaction. Mais ces auteurs n’ont pas précisé dans quelles affections neurologiques, on observait l’exagération de cette réaction. Plus tard, Foix et Thévenard (1923) ont rapporté l’exagération de cette réaction en omettant dans leur première publication de la rattacher à la Verkürzung Reaktion de Westphall. C’était au cours de la maladie de Parkinson que cette anomalie leur était apparue la plus nette. En fait-il s’agit là d’une composante dystonique, surajoutée à la rigidité parkinsonienne. La dystonie était mal connue à cette époque, aussi ont-ils dénommé leur réaction « réflexe postural anticipatoire ». Un examen électromyographique leur aurait montré que le qualificatif « anticipatoire » n’était pas approprié car cette réaction est en fait l’aboutissant d’un phénomène qui débute dès l’initiation du mouvement et qui jouera le rôle d’un maintien postural en gardant le muscle passivement raccourci, l’absence de contraction volontaire faisant apparaî- tre cette réaction plus nettement, une fois le mouvement terminé.

siègent les lésions à l’origine de ce syndrome ?

Ni les encéphalites, ni les traumatismes néonataux, que la dystonie vient souvent compliquer ne peuvent répondre à la question précédente du fait de la diffusion de leurs lésions.

Comme dans bien d’autres affections neurologiques, les éclaircissements sont obtenus à partir de l’étude des cas provoqués par des lésions vasculaires. Sans doute cette origine n’est-elle pas fréquente. Néanmoins, il y a quelques années, nous avions pu en rassembler plusieurs dizaines de cas dans un ouvrage consacré à ce syndrome [7].

Dans quarante cas pour lesquels les lésions de la dystonie ont pu être localisées, nous les avons observées : dans le striatum [1], le pallidum [6], le thalamus [7]. Dans plusieurs de ces localisations, à la dystonie étaient associés des mouvements anormaux, myoclonies, tremblements, athétose. Il en ressort que la dystonie est le plus souvent en rapport avec des lésions des noyaux gris centraux.

Les infections du système nerveux central , encéphalites, méningites, sida peuvent aussi, quand ils ont une localisation dans les noyaux gris, provoquer des syndromes dystoniques.

Les intoxications qu’elles soient aiguës comme les anoxies par inhalation d’oxyde de carbone, ou chroniques, ingestion de manganèse et surtout absorption de neuroleptiques sont à l’origine de dystonies plus ou moins prolongées.

Les formes d’origine dysmétabolique ont un intérêt particulier, certaines étant accessibles à un traitement.

C’est le cas des formes dopa-sensibles dont nous avons rapporté les premiers cas chez deux frères en 1971. Il s’agissait de formes récessives, particulièrement graves ;

le premier enfant qui nous avait été confié n’avait conservé intacte que la mobilité oculaire. Son médecin me l’avait adressé en désespoir de cause, devant l’échec de tout traitement.

 

Nous avons été frappés par la présence d’un léger tremblement des mains chez cet enfant de cinq ans et par une hypertonie des quatre membres. Nous avions commencé à utiliser la dopa dans la maladie de Parkinson et, malgré les réticences des conseillers du laboratoire pharmaceutique concernant la prescription de ce produit, chez un enfant, car il aurait provoqué des fractures spontanées multiples chez des animaux jeunes en laboratoire, et devant la gravité de l’évolution, nous nous sommes autorisés à faire un essai que personne n’avait encore tenté. Nous avons eu, en une semaine, la joie de constater la disparition progressive de tous les signes et l’apparition de mouvements choréiques, comme nous avions pu l’observer chez des parkinsoniens.

Les recherches ont pu nous démontrer qu’il s’agissait d’un déficit en tyrosine hydroxylase [8]. Depuis trente ans ces deux garçons se portent bien, sous traitement continu qui, à l’inverse de ce qui est constaté chez les parkinsoniens, a pu être poursuivi avec une seule prise quotidienne. Quelques mois plus tard, Segawa publiait des cas analogues mais dominants, beaucoup plus bénins et à la suite d’une réunion où des collègues américains ont été conviés, il a réussi à faire mettre son nom sur ce syndrome. Il m’est resté la grande satisfaction d’être arrivé assez tôt pour sauver deux vies.

D’autres troubles métaboliques peuvent provoquer des dystonies :

— les gangliosidoses dont nous avons rapporté un cas [7].

— la maladie de Wilson ; les formes juvéniles de mitochondriopathie.

— la maladie de Leigh (augmentation de la lactacidémie à l’effort due à une mutation du gêne de l’ATPase [6].

D’autres étiologies vous seront vraisemblablement signalées par les présentateurs.

Traitement

Il varie selon l’origine de la dystonie. Le seul qui soit très efficace dans les formes dopa-sensibles est la l-dopa. Les doses sont modérées et les prises peuvent, après quelques semaines, être réduites de plusieurs à une seule quotidienne. En cas de survenue de mouvements choréiformes, la diminution des doses peut suffire pour faire disparaître les mouvements anormaux tout en maintenant l’efficacité thérapeutique.

Les anticholinergiques n’ont qu’une action modérée mais utile dans les formes discrètes.

Les injections de toxine botulique sont une indication dans certaines formes localisées, tout particulièrement dans le torticolis spasmodique.

Les stimulations cérébrales profondes ont été préconisées par quelques équipes ; les résultats sont très inférieurs à ceux obtenus dans la maladie de Parkinson.

 

Une rééducation bien conduite est un appoint important au traitement et permet souvent la reprise d’une vie sociale active.

Les différents articles qui vont suivre vont être développés par les présentateurs.

BIBLIOGRAPHIE [1] Castaigne P., Rondot P., Ribadeau-Dumas J.L. et al . — Affection extrapyramidale évoluant chez deux frères : effets remarquables du traitement par la l-dopa.

Rev Neurol, 1971, 124 , 162-6.

[2] Dejerine J. — Sémiologie des affections du système nerveux. Masson édit., Paris, 1914.

Destarac Torticolis et spasmes fonctionnels. Rev Neurol , 1901, 9 , 591-7.

[3] Foix C.H., Thévenard A. — Les réflexes de posture.

Rev Neurol, 1923, 30 , 449-68.

[4] Oppenheim H. — Über eine eigenartige Krampfkrankheite des kindiscen und jugendischen Alters (Dysbasia lordotica progressiva. Dystonia Musculorum Deformans). Neorol. Cbl. , 1911, 30 , 1090-107.

[5] Rondot P. — The shadow of movement.

J. Neurol , 1991, 238 , 411-9.

[6] Rondot P., Bathien N., Tempier P. et al. — Topographie des lésions des dystonies secondaires.

 

Bull Acad Natle Med., 2001, 185 , 103-17.

[7] Rondot P. — Les dystonies. Masson. Ed. Paris. 2003.

[8] Rondot P, Wevers R.A. — Dystonie Dopa-sensible. Forme récessive. Mutation du gène de la tyrosine-hydroxylase. Bull. Acad. Natle Med ., 1999, 183 , 639-47.

[9] Sherrington C. J. — On plastic tonus and proprioceptive reflexes.

Quat. J. Exp. Physiol. 1909, 11 , 109-56.

[10] Thévenard A. — Les dystonies d’attitude. Thèse 1926. Doin, Paris.

[11] Thomas A, de Ajuriaguerra J. — Étude sémiologique du tonus musculaire. Flammarion. Ed.

Paris. 1949.

[12] Westphall C. — Über eine Art paradoxer Muskelcontractio,. Archiv Psychiatr Nervenk , 1880, 10 , 213-8.

 

Bull. Acad. Natle Méd., 2011, 195, nos 4 et 5, 917-920, séance du 3 mai 2011