Summary
Éloge de Pierre Lefebvre (1923-2009)
Claude-Pierre GIUDICELLI *
Monsieur le Président, Monsieur le Secrétaire perpétuel, Monsieur le Médecin général inspecteur directeur de l’École du Val de Grâce, Chères Consœurs, Chers Confrères, Chère Madame, Mesdames, Messieurs, Prononcer l’éloge du médecin général inspecteur Pierre Lefebvre est pour moi un devoir filial.
Je fus son assistant en 1970 et depuis cette époque, son attention aussi bienveillante que vigilante ne me fit jamais défaut. C’est à son action, soutenue par le Professeur Charles Laverdant, que je dois l’honneur de siéger parmi vous, en occupant le fauteuil qui fut le sien.
Deux traits caractéristiques émanent de la biographie du médecin général Lefebvre : c’est d’abord l’officier et le médecin, c’est ensuite l’historien et l’homme de lettres.
Il est né le 29 novembre 1923, à Boulogne-sur-Mer, dans le Pas-de-Calais au sein d’une famille d’officiers. Son père était pharmacien-colonel des troupes de marine et un de ses oncles, médecin militaire, était mort au Champ d’honneur au cours de la Première Guerre mondiale. Nous pouvons voir là l’origine de sa vocation médicale et militaire. Sa première enfance se passe en Guyane où son père est affecté et il profite du voyage en bateau pour apprendre à lire.
Sa vocation militaire est renforcée par une scolarité au Prytanée militaire de La Flèche où, comme ses deux frères, il effectuera toutes ses études secondaires. Pour cet établissement prestigieux il conservera, comme son ancien, notre regretté confrère Hughes Gounelle de Pontanel, un très fidèle attachement, déclarant avec conviction « être Brution c’est avoir la mystique du Prytanée ». La fidélité de Pierre
Lefebvre s’élève jusqu’au mysticisme. Il acceptera avec enthousiasme de contribuer à la cohésion du groupe des élèves présents et anciens, en participant fidèlement aux manifestations marquantes de l’établissement. Président d’une cérémonie de distribution des prix, il a pu déclarer ainsi dans son discours : « … de la Flèche, je connais toutes les rues, toutes les venelles. Je suis flèchois comme je suis Brution ». Brution est l’appellation traditionnelle des élèves de cette école, véritable titre porté avec fierté et pourtant issu d’un sobriquet très ancien, datant des années 1808-1820. A cette époque, les élèves du Prytanée, soumis à une rude discipline militaire passaient huit à neuf ans sans jamais sortir de l’école. Aussi quand ils allaient ensuite à Saint-Cyr ne possédaient-ils pas les bonnes manières des enfants de la noblesse. Ils vivaient entre eux, très solidaires et se regroupaient pour rosser ceux qui les importunaient.
Le Prytanée fut alors comparé à Brutium, petite ville du fin fond de la botte de l’ancienne Italie dont les habitants privés de toute relation avec le monde extérieur, vivaient à l’état sauvage. L’expression « Ils sont de Brutium » a fait place à « Ce sont des brutions ! ».
Adolescent au moment de la Deuxième Guerre mondiale, Pierre Lefebvre est profondément marqué par le comportement de son frère Philippe, héros et martyr de la Résistance. Il conservera d’ailleurs pour lui, sa vie durant, un véritable culte admiratif et respectueux. À tel point que, profondément attristé et même révolté par le fait que ce frère ait été oublié pour une promotion si justifiée au grade de Commandeur de la Légion d’honneur, le médecin général Lefebvre protestait en ne portant plus les insignes de cette décoration qu’il avait pourtant lui-même particulièrement méritée.
L’exemple de ce frère est important. Le jeune Pierre Lefebvre est impatient de participer aux événements. Brancardier au moment des bombardements de la ville d’Angers, il se porte avec courage et dévouement au secours des victimes, méritant une lettre de félicitations du ministre de l’Intérieur. Il avait commencé ses études en 1942, à l’École de médecine et de pharmacie d’Angers, mais, fidèle à la tradition familiale, il les interrompit pour s’engager, le 22 août 1944, dans le 1er régiment de Hussards et participer aux combats de la poche de Saint-Nazaire. Tandis que les Alliés, après avoir libéré l’ouest de la France, privilégiaient la poursuite de l’offensive vers l’Allemagne, laissant subsister des poches de résistance allemande, Hitler avait donné l’ordre à ses troupes de défendre jusqu’au dernier homme ces forteresses susceptibles de devenir des points d’appui dans l’éventualité d’une nouvelle offensive si des armes secrètes avaient pu être lancées. Ce théâtre d’opérations connut donc de durs combats de retardement de la part des forces allemandes qui purent aligner jusqu’à 28 000 combattants, de sorte que Saint-Nazaire ne fut libéré que le 11 mai 1945, soit neuf mois après Nantes et même trois jours après la reddition de l’armée allemande à Berlin !
Dès la fin de la guerre, Pierre Lefebvre est admis à l’École du Service de santé des armées de Lyon, mais c’est à Paris, qu’en 1949, il soutient sa thèse. Elle porte sur un sujet de thérapeutique : l’étude clinique de la conessine, un alcaloïde stéroïdique extrait d’une apocynacée, la Conessie ou Kurchi, plante de la médecine traditionnelle ayurvédique, réputée en Inde dans le traitement de maladies parasitaires dont la dysenterie amibienne. Ce médicament avait d’ailleurs, la même année, été l’objet d’un travail de pharmacognosie et de pharmacologie sous l’autorité de deux membres de notre Compagnie, Maurice Janot et Raymond Cavier.
Le doctorat en médecine confère à Pierre Lefebvre le grade de médecin lieutenant.
Son caractère chevaleresque se manifeste alors par le choix d’une première affectation à l’École de l’Arme blindée cavalerie de Saumur où il s’adonne avec fougue et talent à l’équitation. Mais ce passage brillant dans la célèbre école sera éphémère, car de durs combats ont lieu en Indochine et le corps expéditionnaire réclame des forces vives.
Le voilà donc appelé à servir au loin pour participer aux opérations du Centre Annam avec le 9e Tabor marocain. Une citation à l’ordre de la division exalte son dévouement inlassable au cours des combats de Pho Trach le 26 août 1952 : « … alors que le Tabor menait un combat très vif, a donné un bel exemple de conscience professionnelle et de mépris du danger en se portant au secours de blessés, en terrain découvert, sous un feu nourri et ajusté de l’adversaire ». Cette citation comporte l’attribution de la Croix de guerre des théâtres d’opération extérieurs avec étoile d’argent. Nous le retrouvons ensuite dans le secteur de Saïgon Cholon, chef du service de pathologie infectieuse de l’hôpital de Choquan et de la léproserie de Pétrus Ky. Lors des dernières opérations militaires, il organise un hôpital de campagne et débarque avec cette formation à Qui Nhon dans le Centre Annam.
Il est revenu en France, en août 1954, malade, épuisé et profondément attristé par le déroulement funeste des événements. Mais c’est en Indochine qu’il a eu le bonheur de rencontrer Monique De Cock qui deviendra Madame Lefebvre.
Lors de son retour, on lui confie la direction des groupements médicaux atomique et chimique à la Section technique de l’armée. Vous voyez là, une illustration des affectations variées, parfois surprenantes, que peuvent recevoir les médecins militaires avant de pouvoir être chargés de responsabilités hospitalières. Cette affectation fut néanmoins précieuse pour faire face à une situation inattendue. Au cours d’une campagne d’expérimentation dans le sud-oranais, survient une manœuvre néfaste :
par avion, est fait un dramatique épandage de tabun, l’un de ces redoutables poisons organophosphorés qui inhibent les choline-estérases. Que faire en extrême urgence pour neutraliser les effets incapacitants du gaz de guerre ? Sans attendre un ordre supérieur, qui aurait provoqué un retard peut-être fatal aux victimes, le médecin capitaine Lefebvre prend l’initiative de traiter les intoxiqués avec de la classique atropine, mais à une dose supérieure à celle habituellement recommandée. Grâce à ce traitement, il n’y aura aucun décès chez les intoxiqués. A tel point qu’après étude du rapport du médecin-capitaine seront adoptées les seringues auto-injectables, dites syrettes, de 2 mg d’atropine qui dotent maintenant les trousses d’urgence pour gazés.
En 1956, Pierre Lefebvre se présente à l’assistanat de médecine générale, épreuve alors obligatoire avant toute orientation vers une spécialité et fondement indispensable à une culture médicale solide. Reçu au concours, c’est la neuro-psychiatrie qu’il choisit dans le cadre de l’hôpital du Val-de-Grâce. La carrière hospitalière paraît alors toute tracée. Devenu spécialiste des hôpitaux trois ans plus tard, il crée et dirige le Centre de neuropsychiatrie de l’hôpital des armées de Bourges. Entre temps, en 1960, il a pré- senté avec succès le concours civil de médecin des hôpitaux psychiatriques.
Mais le médecin général Lefebvre fait partie de cette génération d’officiers qui a participé aux trois conflits successifs que la France a connus au cours du xxe siècle.
Le voici partant pour l’Algérie, en 1961, consultant de psychiatrie du Corps d’armée de Constantine, puis de celui d’Alger, il exerce en même temps les fonctions de chef de service dans les hôpitaux de ces deux villes. A Constantine, il a l’honneur d’occuper le bureau d’Alphonse Laveran, prix Nobel de médecine pour la découverte du plasmodium. Il aura la grande fierté de rapporter en France deux microscopes ayant appartenu à notre illustre ancien. A propos de cette période il a écrit :
« Devant la plaque commémorant l’immortelle découverte , nous vécûmes avec nostalgie les derniers jours de l’Algérie française ». Après réflexion, il fut décidé de laisser en place cette célèbre plaque, lors de la fermeture de l’hôpital de Constantine, le 1er mars 1963, après 122 ans de service, Malgré ces pénibles circonstances, c’est à Alger qu’il commence à préparer le concours d’agrégation pour répondre à sa vocation pédagogique. C’est en 1966, qu’il est reçu Professeur agrégé et le Val-de-Grâce restera sa maison pendant vingt ans, suscitant un attachement profond qui se maintiendra solidement jusqu’à la fin de ses jours. Attachement empreint de noblesse et de discrétion, illustré par cette confidence qu’il me fit quelques années plus tard de ne désirer retourner au Val que pour le servir. Servir, un verbe dont la noblesse a été sans cesse exaltée et illustrée par Pierre Lefebvre.
En 1973 il est élu professeur titulaire de la Chaire de psychiatrie et hygiène mentale de l’École d’application du Service de santé pour l’Armée de Terre, au Val-de-Grâce, enseignement qu’il dirigera jusqu’en 1977, date à laquelle des fonctions administratives lui sont confiées avec, en particulier, la charge de rédacteur en chef de la revue Médecine et Armées .
Appartenant à une des dernières générations de neuro-psychiatres, il a accepté, lors de la partition de la spécialité, la responsabilité du Service de neurologie. C’est là que j’ai eu le bonheur d’être son assistant.
Profondément clinicien, le Professeur Lefebvre avait une préférence avouée pour la neurologie. Ses qualités pédagogiques suscitaient l’admiration de ses élèves devant son analyse séméiologique qui, avant l’ère de l’imagerie cérébrale, conduisait à un diagnostic lésionnel précis. Il avait le don des formules didactiques. C’est ainsi qu’à propos d’un patient au verbe saccadé et monocorde, il disait qu’il avait perdu « la chanson du langage ». De celui qui exprimait rapidement des pensées successives sans lien logique, il disait qu’il était « capricant ». Au cours des examens cliniques méticuleux, tous ses gestes étaient empreints d’un réel respect pour les malades. Son profond humanisme se manifestait dans de multiples détails. C’est ainsi qu’il n’aimait pas nous entendre parler de l’interrogatoire d’un malade souhaitant que ce terme soit remplacé par l’entretien. « On interroge un prisonnier, on s’entretient avec un malade » précisait-il. Avec tout son personnel il était d’une courtoisie exemplaire, parfois surprenante.
C’était un patron bienveillant comme le prouvent deux épisodes de nos relations.
Assistant de garde, un dimanche après-midi, j’avais accueilli un malade de psychiatrie et, malgré mon incompétence, je m’étais efforcé de dégager les traits caractéristiques de son affection. À ma grande déception, le lendemain, le patient s’était échappé de l’hôpital. Au lieu de m’adresser les reproches auxquels je m’attendais, mon Maître m’a rassuré en déclarant simplement que la fugue était une manifestation de la maladie. J’ai ressenti cette profonde bienveillance dans une autre circonstance alors qu’il était Directeur de l’École du Val-de-Grâce et moi jeune professeur agrégé. Je me suis permis de lui demander d’annuler l’envoi en mission d’un de mes assistants dont je voulais affiner la formation. Sans que je puisse en deviner les raisons, mon Maître, contrarié par mes propos, est devenu très pâle et a interrompu un interminable silence en me disant simplement « Au revoir Giudicelli ». Conscient d’avoir commis un impair, je suis reparti penaud. Quelle ne fut pas ma surprise d’apprendre, quelques jours plus tard, le succès de ma requête !
Les travaux scientifiques du Professeur Lefebvre sont aussi nombreux qu’éclectiques. Ils sont bien sûr dominés par la neurologie et la psychiatrie mais on y rencontre aussi des publications de médecine interne ainsi que de pathologies infectieuses et parasitaire, issues de ses campagnes de guerre, en particulier sur l’amibiase, la lèpre et le tétanos.
En neurologie, nous citerons les encéphalites virales, l’épilepsie, la myasthénie, les affections dégénératives d’origine familiale. Les syndromes parkinsoniens, en particulier les formes d’origine iatrogène, celles associées à d’autres manifestations neurologiques ont provoqué son vif intérêt que l’on retrouve à propos des aspects atypiques de la sclérose latérale amyotrophique et de la poliomyélite antérieure chronique. De la sclérose en plaque, il a rapporté un aspect original caractérisé par une mutité paroxystique. Il a décrit le retentissement thymique des hallucinoses visuelles secondaires à des métastases temporales et à un méningiome sus-tentoriel postérieur. À propos des paralysies après morsure de tiques, il a insisté sur la possibilité de survenue d’atteintes centrales. En pathologie périphérique, il a réuni de nombreuses observations de névrite amyotrophique douloureuse de l’épaule bien connue des médecins militaires depuis la description initiale de Personnage et Turner dans l’Armée des Indes. Il s’est aussi attaché à discerner les déficits neurologiques pseudo-périphériques d’origine centrale. Trois films ont illustré son enseignement : l’encéphalite myoclonique bismuthique, les dyskinésies volitionnelles et d’attitude, le syndrome apraxo-agnosique après un coma prolongé.
Son étude sur les mécanismes neuro-anatomiques de la douleur, complétée par celle du vécu douloureux, constitue un lien entre la neurologie et la psychiatrie, domaine dans lequel nous retrouvons un aussi vaste panorama. L’originalité de la relation médecin-malade en milieu militaire a beaucoup préoccupé le Professeur Lefebvre en raison d’une part, de l’absence pour le patient du libre choix du médecin et d’autre part, du rôle particulier que joue celui-ci au combat. Les troubles du comportement observés dans les armées, le suicide, l’alcoolisme, les conduites toxicophiles ont retenu son attention. Mais c’est surtout la psychiatrie de guerre qui l’a passionné et l’analyse de 1 280 observations recueillies au cours du conflit algérien lui a permis d’étudier les réactions pathologiques devant le péril, apportant un regard nouveau sur les comportements inappropriés qui ont pu faire l’objet d’interprétations erronées de la part du commandement. Dans le livre « Univers de la psychologie » il a rédigé deux chapîtres sur : « La guerre et la psychopathologie de guerre ».
Sa notoriété l’a fait choisir pour siéger dans de nombreuses instances officielles :
Commission des maladies mentales du Conseil permanent d’hygiène sociale, Commission interministérielle des stupéfiants, Conseil d’administration de l’Institut de recherches thérapeutique et pharmacologique clinique de l’université René Descartes, Comité des travaux historiques et scientifiques au ministère de l’Education nationale, Commission consultative de l’Institution nationale des Invalides.
Il a d’ailleurs, après son départ des armées, en 1985, poursuivi une activité clinique de consultant dans cette Institution. C’est ainsi qu’il a pu déclarer, avec fierté, qu’il avait vécu sous trois coupoles : celles du Prytanée, du Val-de-Grâce et des Invalides.
Après avoir été un maître prestigieux, il sera, en 1980, dans la dernière phase de sa carrière militaire, un des plus grands directeurs de l’École du Val-de-Grâce. Il est alors animé par le souci constant d’inculquer aux élèves la noblesse qui s’attache à la double mission de médecin et d’officier. Dans un discours d’accueil aux nouveaux élèves, en novembre 1981, ses recommandations sont claires : « Ayez du panache ! Ne vous abandonnez jamais au laisser-aller qui, loin d’être une affirmation de soi, ne ferait que vous abaisser. Restez des aristocrates ! ». Une autre année dans des circonstances identiques, il leur conseille sans ambages d’observer la règle de Saint-Benoît « ora et labora ».
C’est le moment pour nous d’exalter ses talents d’homme de lettre et d’historien.
Cette vocation est ancienne. Elle repose sur une certitude qu’il affirme en écrivant :
« … la science s’appuie sur le temps et plonge ses racines dans l’histoire ». Ses qualités d’historien se manifestaient déjà lors de ses leçons cliniques toujours précédées d’une intéressante évocation de l’œuvre des prédécesseurs. J’ai conservé le souvenir de cette citation de Charcot, en préambule à la leçon sur la maladie qu’il a décrite :
« Qu’il est triste d’avoir donné son nom à une telle maladie ! ».
Le médecin général Lefebvre est alors saisi par une nouvelle passion, celle du monument du Val-de-Grâce dont il a décrit : « L’harmonieux mélange de rigueur classique et d’élégance baroque, qui concrétise le symbole toujours vivant de travail, de dévouement, de charité ».
L’étendue et la précision de ses connaissances historiques le conduisent à partager l’intimité des personnages qui restent associés à cette belle architecture. Il crée le Mémorial de France au Val-de-Grâce, société historique qui s’intéresse exclusivement au couvent bénédictin depuis 1611, avec Pierre de Bérulle et les Oratoriens, jusqu’à 1793, date de la dévolution des bâtiments abbatiaux aux armées par la Constituante. Chaque année selon le vœu d’Anne d’Autriche, le Mémorial a fait célébrer une messe solennelle de fondation. Il a fait renaître la mémoire des Mères abbesses et a organisé deux colloques : à l’occasion du 350e anniversaire de la mort de Louis XIII en 1643 et lors du 350e anniversaire de la pose de la première pierre de l’église du Val-de-Grâce par le jeune roi Louis XIV, le 1er avril 1645. La tradition veut d’ailleurs qu’une médaille en bronze, reproduisant celle, en or, scellée en cette occasion par le jeune roi, soit remise aux professeurs titulaires d’une chaire au Val-de- Grâce à la fin de leur période d’enseignement.
C’est avec un réel talent littéraire que le médecin général Lefebvre rédige de nombreux travaux sur l’histoire de l’Abbaye parmi lesquels nous citerons le livre « L’abbaye royale des origines à la Révolution » ainsi que plusieurs chapitres dans des ouvrages collectifs : «
Une visite du Val-de-Grâce dans Le Val-de-Grâce, enseignement et culture » , « La statuaire au Val-de-Grâce » et « Les urnes funéraires du
Val-de-Grâce » dans « Trésors d’art sacré au XVIIe siècle à l’ombre du Val-de-
Grâce ». Il a en particulier, à l’intention des visiteurs, décrit avec talent et précision les merveilles de l’architecture de l’Église votive dans un petit livre intitulé «
NotreDame du Val-de-Grâce ». « Temple magnifique » disait-il, qui fut élevé en remerciement de la naissance d’un dauphin après 22 ans d’un mariage infécond. Il était pour lui « … le plus pur joyau de l’architecture monastique du Grand Siècle ». Ce petit livre a été traduit en anglais et en allemand et son auteur a même espéré pouvoir réaliser une version en langue arabe tant était grand l’intérêt qu’il accordait au Maghreb en raison de son séjour en Algérie et aussi des relations privilégiées qu’il entretenait avec Sa Majesté Hassan II, roi du Maroc. C’est à ce monarque que nous devons d’ailleurs la restauration de la chapelle Sainte Scholastique qu’Anne d’Autriche avait choisie pour en faire son oratoire au sein de l’église. On peut maintenant admirer les paysages peints initialement par Alphonse Dufresnoy en évocation de l’Espagne natale de la Reine.
La thèse de pharmacie de son fils Albert sur « Les jardins du Val-de-Grâce. Origines historiques, aménagements anciens et récents » a été pour le général une occasion supplémentaire d’illustrer la mémoire du couvent . À propos de ces jardins, il est intéressant de rapporter son refus catégorique à l’installation d’un tennis après lequel il a précisé, avec humour, qu’il aurait accepté un jeu de paume.
Il s’intéresse aussi à l’histoire du Service de santé dont il écrit le tome III de « L’histoire de la Médecine aux armées » ainsi que « L’histoire du Val-de-Grâce » , «
Le Val-de-Grâce deux siècles de médecine militaire ». Il participe à plusieurs ouvrages collectifs rédigeant des chapitres sur «
Les grandes figures de la médecine militaire », « les chirurgiens des armées de la République et de l’Empire », « Percy et Dominique Larrey chirurgiens de l’Empire », « Le service de santé dans les armées de l’Ancien Régime à la veille de la Révolution », « L’apport de la France à la médecine méditerranéenne ».
Son activité d’historien ne se limite pas au Val-de-Grâce. En avril 1996, à l’occasion des célébrations du quatrième centenaire de la naissance de Descartes, il a participé au colloque universitaire de La Flèche sur la formation de Descartes en prononçant une conférence intitulée « Dans quelle mesure Descartes influença-t-il la médecine de son temps ? ». Devant l’Académie nationale de médecine, il a présenté une lecture sur «
Georges Duhamel médecin aux armées » . Il est l’auteur de nombreuses biographies : «
Frédéric Broussais (1772-1838) : sa personnalité, son œuvre », à l’occasion d’un colloque organisé pour le 150e anniversaire de sa mort , « Esquirol et son œuvre » lors de la célébration du 150e anniversaire de la loi du 30 juin 1838 .
Surtout sa passion pour la maison qu’il dirige n’est pas purement intellectuelle. Elle se concrétise par son rôle dans la renaissance du musée et de la bibliothèque ainsi que dans l’initiation des travaux de restauration des parties classées du Val-deGrâce. La chute d’une des ailes d’une statue de Buyster représentant un archange, située sur le dôme de la chapelle du Saint-Sacrement, a concrétisé le grand péril dans lequel se trouvait alors le monument. Dès lors, le médecin général Lefebvre, qui cite volontiers cette phrase de Colbert à Louis XIV « Rien ne marque davantage la grandeur de l’esprit que les bâtiments », ne ménage aucun effort pour obtenir la restauration de l’édifice. Aussi devenu président de la commission mixte des ministères de la Défense et de la Culture a-t-il engagé les travaux de restauration qui ont été poursuivis et achevés par le Professeur Laverdant et par un de ses élèves favoris le médecin général Bazot.
Il lui fallut autant d’acharnement pour obtenir le transfert des cendres de Dominique Larrey du cimetière du Père Lachaise jusqu’au tombeau des Gouverneurs aux Invalides. L’illustre chirugien de toutes les campagnes napoléoniennes, mort le 25 juillet 1842, avait émis le vœu testamentaire d’être enterré aux Invalides dont il avait été le chirurgien en chef de 1830 à 1836. Ce désir fut contrarié par l’inimitié du Maréchal Soult et il fallut attendre le 15 décembre 1992 pour qu’il s’accomplît au cours d’une solennelle cérémonie militaire.
Parallèlement, pendant cette période, le médecin général Lefebvre, soucieux du rayonnement du Val-de-Grâce, instaure de multiples actions culturelles et scientifiques. Il fait donner de nombreux concerts dans l’église et il est opportun de préciser à ce propos qu’il avait lui-même longtemps pratiqué le violon avec un certain talent.
Il a introduit dans notre église le Chœur grégorien qui exalte la piété au cours des cérémonies religieuses. Avec les doyens Floriant Delbarre et Georges Crémer, les Professeurs Claude Laroche, Henri Bricaire et Claude Aaron il fonde les journées scientifiques Val-de-Grâce-Cochin.
Il a été président de nombreuses sociétés : la Société médicale des Hôpitaux de Paris, la Société médico-psychologique, la Société française de médecine des armées, la Société d’histoire de la médecine. À la tribune de la médicale des hôpitaux qui siégeait alors tous les vendredis en fin d’après-midi, le Professeur Lefebvre nous a offert l’honneur d’entendre, lors des séances inaugurales, des conférenciers aussi prestigieux que Maurice Druon et le Révérend Père Carré. Il avait avec ces deux personnalités des relations privilégiées. Il n’est pas indiscret de souligner à propos du Père Carré, la haute spiritualité chrétienne de mon Maître. Je lui suis reconnaissant de m’avoir confié la santé de cet éminent Dominicain dont j’ai ainsi eu le bonheur de devenir l’ami. Avec notre confrère regretté, André Cornet, le professeur Lefebvre a participé à la renaissance de la Société d’histoire de la médecine. A cette tribune il a présenté vingt et une communications parmi lesquelles nous citerons : « L’individualisation par Targowla du syndrome d’hypermnésie émotionnelle paroxystique tardive chez les déportés », « La psychophysiologie des passions d’après Descartes. Sa survivance dans la pensée philosophique contemporaine », « La lutte contre le paludisme en Algérie au cours de la conquête : François Clément Maillot (1989 ) » et « Le
Service de santé militaire à la veille de la Campagne de France en 1940 ».
Son élection à l’Académie nationale de médecine, le 10 novembre 1992, couronnant sa belle carrière lui a offert de nombreux pôles d’intérêt. Membre de la section de médecine sociale et membres libres, il a participé très activement à de nombreuses Commissions, s’intéressant particulièrement à la psychiatrie, à l’hygiène mentale ainsi qu’aux handicaps. Par son assiduité il a prouvé son réel attachement à notre Compagnie où son comportement pondéré était très apprécié. Au moment où j’évoque le souvenir de mon Maître, me reviennent en mémoire les nombreux éloges qu’il a prononcés à cette tribune, avec talent et souvent émotion, provoquant mon admiration.
Homme bienveillant, toujours aimable, sensible aux arguments, le Professeur Lefebvre inspirait la confiance, suscitait la confidence et donnait des conseils judicieux. Très ferme dans ses convictions, énergique et résolu, animé par un sens profond du devoir, il savait cependant se montrer compréhensif devant les difficultés de ses interlocuteurs.
Je conserve un souvenir très vif de l’accueil chaleureux et généreux qu’avec Madame Lefebvre il réservait à ses amis lors de leurs visites dans leur appartement de la rue des Bernardins.
Le médecin général Lefebvre était Officier de la Légion d’honneur, Commandeur de l’Ordre national du mérite, Commandeur des Palmes académiques.
Il est décédé le 13 novembre 2009 dans sa 85e année. Auprès de son cercueil dans l’église du Val-de-Grâce qu’il a tant aimée, j’ai pu dire que le médecin général Lefebvre, homme de cœur, homme de grande culture, était un seigneur dont avaient témoigné à tous instants sa droiture, sa générosité, sa fidélité associées à une grande élégance et à une profonde courtoisie. Homme de bien, âme ardente et généreuse, il a su incarner les vertus du Service de santé des armées.
Que Madame Lefebvre, ses enfants Albert et Béatrice, ses trois petits-enfants, veuillent bien trouver ici le témoignage de notre reconnaissance pour l’œuvre accomplie par le médecin général inspecteur Lefebvre. Elle est la source de notre indéfectible souvenir.