Autre
Séance du 16 juin 2009

Pollution atmosphérique liée aux transports : quels impacts sur les maladies respiratoires allergiques ?

MOTS-CLÉS : asthme. hypersensibilite. maladies des bronches. particules solides
Traffic-related pollutants and their impact on allergic respiratory diseases
KEY-WORDS : asthma. bronchial diseases. hypersensitivity. particulate matter

Michel Aubier

Résumé

On assiste depuis plusieurs décennies à une recrudescence des maladies allergiques, notamment les dermatites atopiques, les rhinites allergiques et l’asthme. L’influence de facteurs environnementaux naturels et anthropiques a été évoquée et de nombreux travaux épidé- miologiques ont été depuis réalisés. Le rôle de la pollution atmosphérique a été ainsi précisé. L’intérêt est actuellement porté sur les relations existant entre les particules urbaines et la recrudescence des symptômes respiratoires. Ces particules sont générées en grande partie par la circulation automobile, notamment les véhicules diesels. Les particules générées par ces moteurs à combustion incomplète ont un diamètre de l’ordre du micron ce qui leur permet d’atteindre les voies aériennes inférieures jusqu’au compartiment alvéolaire où elles peuvent séjourner pendant plusieurs mois. De nombreuses études expérimentales ont caractérisé les effets biologiques des particules diesels (PD). Il faut se garder d’extrapoler les résultats de ces expériences à l’exposition humaine en milieu urbain dans la mesure ou les conditions expérimentales ne reflètent que très approximativement la réalité. Elles apportent cependant des éléments de réflexion indispensables à la compréhension des mécanismes pouvant rendre compte des données épidémiologiques. Nous nous intéresserons exclusivement aux données concernant la réponse immuno-allergique à l’exposition aux particules diesels..

Summary

There is good evidence that urban air pollutants, and particularly diesel exhaust particles (DP), contribute to the increasing prevalence of asthma and allergic rhinitis. Diesel exhaust particles act as adjuvants in the immune response and may aggravate allergic inflammation. This was first suggested by epidemiological studies and has now been largely confirmed by numerous experimental studies in animals and humans. We review the different underlying mechanisms, including effects on cytokine and chemokine production and immune cell activation. We also discuss the metabolic and cellular activation pathways followed by polycyclic aromatic hydrocarbons and allergens, and their interaction with diesel particles, which act in synergy in this immune response, resulting in IgE production and triggering allergic inflammation.

INTRODUCTION

L’incidence et la prévalence des maladies allergiques ont considérablement augmentées ces quarante dernières années dans la plupart des pays industrialisés. L’augmentation de l’asthme et des manifestations allergiques doit être imputée aux facteurs qui ont changé considérablement dans les dernières décennies, c’est-à-dire les facteurs individuels (susceptibilité) et environnementaux, puisque aucune variation du patrimoine génétique n’a pu se produire en si peu de temps. L’exposition chronique aux particules de la pollution atmosphérique, produites en grande partie par la circulation automobile, est l’un des facteurs incriminés dans l’augmentation de la prévalence des maladies allergiques respiratoires [1, 2].

Les études épidémiologiques conduites dans différents pays ont démontré une forte association entre le niveau des émissions liées au trafic des véhicules à moteur et l’augmentation des symptômes d’asthme et de rhinite allergique [3]. Parmi les émissions des véhicules à moteur, les effets des particules diesel ont été particulièrement étudiés.

De nombreuses études expérimentales ont caractérisé les effets biologiques des particules diesels (PD). S’il faut se garder d’extrapoler les résultats de ces expériences à l’exposition humaine en milieu urbain dans la mesure où les conditions expérimentales ne reflètent que très approximativement la réalité, elles apportent cependant des éléments de réflexion indispensables à la compréhension des mécanismes pouvant rendre compte des données épidémiologiques.

Nous nous intéresserons essentiellement aux données concernant les relations entre les maladies allergiques respiratoires, en particulier l’asthme, et l’exposition aux PD.

LES POLLUANTS ATMOSPHERIQUES

Les polluants atmosphériques peuvent être classés en fonction de leur source de production, leur composition chimique, leur taille et leur mode de diffusion dans l’environnement. Les polluants directement émis dans l’atmosphère sont dits primaires alors que les polluants formés à partir de réactions chimiques avec d’autres polluants ou des gaz atmosphériques sont dits secondaires. Les polluants particulaires en suspension, générés en grande partie par la circulation automobile, notamment les véhicules diesel, sont classés en trois catégories selon leur diamètre aéro- dynamique moyen. Les particules ultrafines de diamètre aérodynamique moyen inférieur à 0,1 μm sont les plus abondantes et leurs effets sur la santé sont peu connus [1]. Les polluants atmosphériques les plus abondants en milieu urbain sont les particules diesel, les oxydes d’azote et l’ozone.

Les PD représentent environ 40 % de la pollution particulaire urbaine. Elles sont issues des moteurs de type diesel, dont le régime diffusionnel à combustion incomplète génère des suies sous forme de microsphères de carbone agrégées les unes aux autres avec un diamètre aérodynamique moyen de 100 nm. La grande surface d’exposition qu’elles présentent permet à de nombreuses molécules issues de la combustion incomplète d’y être adsorbées, au premier rang desquelles on trouve les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), des sulfates et des métaux lourds.

Leur petite taille ainsi que leur caractère hydrophobe leur permet d’atteindre facilement le compartiment alvéolaire des poumons où elles peuvent séjourner pendant plusieurs mois.

LES ÉTUDES ÉPIDÉMIOLOGIQUES

L’absence de biomarqueur fiable du niveau d’exposition aux particules diesel (taille des particules, teneur en HAP…) explique que la plupart des études épidémiologiques comparent des populations plus ou moins proches de zones de fort trafic routier. Plusieurs études ont montré que la proximité de ce trafic était un facteur de risque associé à l’asthme et à l’atopie [2, 4-6]. Ainsi, des études au Japon, en Grande-Bretagne, en Allemagne et en Suède ont démontré que vivre dans des sites pollués augmente la fréquence de l’allergie. Le rôle des polluants atmosphériques dans la genèse des maladies allergiques, et particulièrement de l’asthme, est soupçonné car l’augmentation de la fréquence de ces maladies a coïncidé, au cours des dernières décennies, avec l’augmentation de certains polluants émis par les transports et notamment les particules diesel (PD).

Néanmoins, si la pollution de l’air a été largement incriminée dans l’augmentation de la prévalence de l’asthme et des manifestations cliniques d’allergies, la cause de cette augmentation n’est pas réellement déterminée [7]. La fréquence de l’asthme dans les pays « propres » du Nord de l’Europe et dans les pays pollués d’Europe de l’Est indique même que la pollution de l’air serait plutôt un facteur aggravant qu’un facteur causal direct. En effet, deux questions se posent, en ce qui concerne les relations entre l’asthme et la pollution atmosphérique liée aux transports : la pollution peut-elle jouer un rôle dans l’augmentation de la prévalence de la maladie récemment observée dans la plupart des pays industrialisés ? La pollution peut-elle provoquer ou aggraver les symptômes respiratoires et/ou une altération de la fonction pulmonaire chez les asthmatiques ?

S’il n’est pas possible de répondre de façon définitive à la première question, les résultats d’études récentes permettent d’apporter une réponse à la seconde. Les effets à court terme des particules sur la morbidité liée à l’asthme ont été mis en évidence par de nombreuses études épidémiologiques portant sur des données agrégées ou de type individuel. Ces effets, qui se manifestent pour des concentrations relativement faibles < 50 μg/m3 ont été résumés [8]. Il a été estimé qu’une augmentation de 10 μg/m3 de PM augmente la survenue de crises d’asthme, la 10 prise de broncho-dilatateurs et les hospitalisations pour asthme. Les particules diesel, comme d’autres particules fines, peuvent être responsables de phénomènes d’irritation bronchique qui peuvent entraîner une réponse inflammatoire et une hyperréactivité bronchique (HRB) qui sont les caractéristiques fondamentales de la maladie asthmatique. Or plusieurs études récentes sur les effets à long terme de la pollution atmosphérique ont montré que la prévalence de l’HRB était plus élevée chez les sujets vivant en zone polluée que chez ceux vivant dans des zones moins polluées. Ces résultats sont retrouvés pour les particules ainsi que pour d’autres indicateurs de pollution comme le SO ou l’ozone. A l’inverse, d’autres études ne 2 montrent pas de différence vis-à-vis de l’HRB selon le lieu de résidence. L’effet potentiel le plus important du NO vis-à-vis de l’asthme allergique est l’augmenta2 tion de la réponse broncho-constrictive à des allergènes inhalés après exposition au NO seul ou associé et ceci à des concentrations couramment rencontrées [9].

2 Les études sur les effets de l’exposition au long cours à la pollution urbaine sont plus rares et plus difficiles à mener, mais devraient permettre d’aborder le problème de l’éventuel rôle de la pollution vis-à-vis de l’augmentation de prévalence de la maladie. Une étude menée chez les adventistes californiens a montré que l’incidence de l’asthme était significativement augmentée (RR : 1,74) pour les personnes ayant été exposées plus de mille heures à plus de 200 μg/m3 de particules totales [10]. En Italie, a été comparée la prévalence des symptômes respiratoires entre une zone rurale et trois zones urbaines, dont deux pour lesquelles la pollution était surtout due au trafic automobile. Dans ces deux zones, les symptômes liés à l’asthme étaient plus fréquents en zone urbaine qu’en zone rurale après ajustement sur tous les facteurs de confusion personnels [11]. Von Mutius et al [12] en comparant des populations génétiquement proches, vivant dans des zones géographiques différentes (Allemagne de l’Ouest et Allemagne de l’Est), a montré que si la prévalence des bronchites était plus élevée en Allemagne de l’Est (Leipzig), où la pollution acidoparticulaire est plus élevée, la prévalence de l’asthme et de l’atopie était plus élevée à Munich où le trafic automobile est plus important, et où le ‘‘ style de vie occidentale ’’ semble favoriser l’apparition d’allergies. A l’heure actuelle, les résultats d’études épidémiologiques sur les relations entre pollution atmosphérique, notamment celle liée aux transports, et maladies allergiques sont donc conflictuels. C’est la raison pour laquelle l’Organisation Mondiale de la Santé a conclu avec précautions en 2003 que la pollution liée aux transports pouvait augmenter le risque de développement de l’allergie et exacerber les symptômes, en particulier chez lez sujets susceptibles, de nombreuses questions restant encore non résolues.

Deux études récentes confortent cependant le rôle délétère sur le long terme d’une exposition de fond à des polluants issus des transports routiers chez des enfants

Fig. 1. — Effets de particules diesel (PD) sur les cellules et inflammatoires impliquées dans les 3 étapes de la réaction inflammatoire allergique. CPA (cellule présentatrice d’antigène), LB (lymphocyte B), Masto (mastocyte), Eos (éosinophile).

allergiques et des adultes asthmatiques [14]. Chez ces derniers, une diminution de la fonction respiratoire était observée chez les sujets dont le domicile était proche d’une grande voie de circulation.

LES ÉTUDES EXPÉRIMENTALES

Les effets spécifiques des particules diesel sur les maladies allergiques respiratoires ont été analysés chez l’animal, in vitro et in vivo chez l’homme. Les principaux résultats suggèrent un effet adjuvant des particules diesel sur le développement et l’intensité des réponses inflammatoires allergiques.

Les PD induisent une réaction inflammatoire bronchique

Les études in vitro montrent que les particules diesel peuvent agir sur de nombreux types cellulaires [2, 15] (figure 1). Les particules diesel favorisent la production de médiateurs proinflammatoires par les cellules épithéliales respiratoires, les cellules inflammatoires et immunitaires, et interviennent à différentes étapes de la cascade allergique. Ainsi, les HAP dérivés des particules diesel augmentent la production d’IgE par les lymphocytes B humains cultivés en présence d’IL-4 et d’anticorps anti CD40 [16]. Les particules diesel majorent l’adhésion des polynucléaires éosinophiles humains aux cellules épithéliales nasales et induisent leur dégranulation [2]. Il existe un effet synergique des particules diesel avec l’allergène pour stimuler la production d’IL-8, de RANTES et de TNF-α par les cellules mononucléées sanguines périphé- riques de sujets allergiques [17]. L’exposition de cellules épithéliales bronchiques de sujets asthmatiques à de faibles doses de particules diesel augmentent la production d’IL-8, de GM-CSF et de RANTES alors que de fortes doses sont nécessaires pour induire une augmentation significative de ces médiateurs par les cellules épithéliales bronchiques des sujets non asthmatiques [2]. Le rôle des hydrocarbures aromatiques polycycliques dans l’induction de la sécrétion de GM-CSF par les cellules épithé- liales bronchiques exposées à des PD semble majeur [18].

L’effet biologique marquant observé après contact entre particules et monocytes est l’induction d’un chimiotactisme pour les neutrophiles et les éosinophiles [17]. De plus, les particules agissent de façon synergique avec l’allergène sur les cellules de patients allergiques suggérant que les particules puissent amplifier la réaction inflammatoire initiée par un allergène. En effet, l’exposition de monocytes de sujets asthmatiques à des PD et Derp1 (allergène majeur d’acariens) induit un chimiotactisme vis-à-vis des lymphocytes TH-2 suggérant que les PD amplifient la réponse allergique [19].

Chez l’homme, l’instillation nasale de PD chez des volontaires sains provoque l’augmentation de la production de cytokines pro Th2, caractéristiques de la réponse allergique, mais également pro Th1, associées à l’hypersensibilité retardée.

Chez les sujets allergiques, la production se fait essentiellement au profit des cytokines pro Th2.Ainsi, chez des sujets présentant une hypersensibilité à l’ambroisie ( Amb a I ), exposés à l’antigène en présence de PDi, on observe une modification du profil des cytokines produites par les cellules issues des lavages nasaux : — augmentation des ARNm des cytokines de type Th2 (IL4, IL5, IL6, IL10, IL13), 2) baisse des ARNm des cytokines de type Th1 (IL2, IFNγ). La synthèse d’IL4 était observée quatre heures après l’exposition, pour atteindre un maximum à dix-huit heures, contemporain de la détection d’une majorité de lymphocytes T de type Th2 dans le liquide de lavage nasal [20]. L’afflux des différentes cellules composant l’infiltrat inflammatoire (polynucléaires neutrophiles, éosinophiles, monocytes et lymphocytes) accompagnait l’augmentation des concentrations locales de différentes chimiokines comme RANTES, MCP-3 et MIP-1α.

Une approche « thérapeutique » a été étudiée en traitant des sujets exposés aux PDi + Amb a I par un anti-inflammatoire pendant une semaine. La synthèse d’IgE et les

ARNm des cytokines n’était pas inhibée au niveau de la muqueuse nasale à l’inverse d’une exposition à l’allergène seul [21]. Ceci tend à prouver que ce ne sont vraisemblablement pas les mêmes voies qui sont impliquées dans la réponse inflammatoire.

 

Interactions PD et allergènes

Chez, l’homme sain, l’exposition à des PD par voie nasale, induit après vingt-quatre heures une augmentation dose dépendante des concentrations des IgE totales, des IgG4 et des cellules sécrétant les IgE.

Les expérimentations animales mettent en évidence que les PDi exercent une activité adjuvante sur la production d’IgE (animal sensibilisé à un allergène et injection simultanée de l’allergène et des PDi) et ceci quelle que soit la voie d’administration utilisée. En effet, la présence combinée de PDi associée à un allergène entraîne, d’une part, localement une augmentation des cytokines de type Th2, caractéristiques de la réponse allergique, rendant compte de l’infiltrat à prédominance éosinophile observé au niveau de la muqueuse respiratoire, et d’autre part une réponse systémique IgE-spécifique [21].

De nombreux arguments basés sur les résultats des études d’exposition chez l’homme suggèrent que les particules diesel favorisent les réponses de type allergique. Lors de tests de provocation nasale allergénique chez les sujets allergiques, les taux d’IgE spécifiques antiallergéniques sont vingt à cinquante fois plus élevés chez les sujets exposés à l’allergène en présence de particules diesel que chez les sujets exposés à l’allergène seul. Alors que l’exposition aux particules diesel seules stimule la production de nombreux types de cytokines, l’exposition combinée particules diesel — allergènes induit l’expression d’un profil de cytokines de type TH2 et entraîne la diminution de l’expression de l’IFN-γ, cytokine de type TH1 [1, 2]. Les concentrations d’histamine nasale après test de provocation allergénique sont multipliées par trois lorsque l’allergène est administré en présence de particules diesel [1, 2]. D’autres travaux ont montré l’implication des particules diesel dans l’induction de sensibilisation primaire à l’allergène (figure 2) [1, 22]. Chez des sujets atopiques, l’exposition nasale répétée à un antigène connu pour son grand caractère immunogène, l’hémocyanine de mollusque KLH (Keyhole Limpet Hemocyanin), induit la production locale d’IgG et d’IgA anti-KLH mais pas d’IgE. En revanche, l’exposition préliminaire aux particules diesel avant chaque exposition nasale au KLH, induit la production locale d’IgE anti-KLH chez 60 % des sujets. La réexposition secondaire de ces sujets « répondeurs » au KLH plusieurs mois après l’exposition primaire entraîne des symptômes de rhinite et la production d’IgE anti-KLH.

MÉCANISMES D’ACTION DES POLLUANTS DANS LES MALADIES ALLERGIQUES RESPIRATOIRES

Les différentes études d’exposition contrôlée aux polluants et plus particulièrement aux PD, montrent que l’homme n’est pas allergique à la pollution, stricto sensu, dans la mesure où il ne développe pas de réponse immunitaire spécifique. Dans ces conditions, le but des travaux expérimentaux est de mieux comprendre les interactions entre polluants atmosphériques et muqueuses respiratoires. Ces interactions peuvent en effet modifier la réponse immunitaire acquise et favoriser le développe- ment de pathologies de type allergique par exemple. On distingue habituellement l’effet irritant lié à l’exposition aiguë aux polluants de leur effet à plus ou moins long terme sur le système immunitaire. Ces effets ne sont pas forcément indépendants dans la mesure où les mécanismes d’irritation ont un retentissement plus important chez les sujets présentant une maladie respiratoire sous-jacente, qu’elle soit allergique ou non.

L’asthme est une maladie inflammatoire chronique des bronches qui met en jeu des réponses lymphocytaires de type TH2 et de nombreux types de cellules. Alors que le rôle des cytokines proinflammatoires, des chimiokines et des médiateurs des polynucléaires éosinophiles dans les réponses inflammatoires observées dans l’asthme et la rhinite allergique a été largement exploré [23], le rôle clé des oxydants n’est reconnu que de manière plus récente [1]. L’effet du stress oxydant sur la genèse de l’inflammation semble jouer un rôle important dans les effets adverses des polluants sur la santé. Li et al ont récemment décrit un modèle dans lequel des doses croissantes de particules de la pollution atmosphérique, puissants inducteurs du stress oxydant, entraînent une réaction de protection puis une agression cellulaire [24]. Le stress oxydant induit des voies de signalisation sensibles au statut redox (mitogen-activated protein kinase [MAP kinase] et cascade du nuclear factor κ B [NFκB]) qui activent l’expression de cytokines proinflammatoires, de chimiokines et de récepteurs de molécules d’adhésion. Cette activation intervient grâce à la mise en jeu de séquences stimulatrices se situant dans la région promotrice des gènes (genetic response elements) [24]. Selon le modèle de Li et al , à un niveau faible de stress oxydant, les particules de la pollution atmosphérique induisent des réponses protectrices par l’activation d’un promoteur de gène antioxydant (antioxidant response element : ARE). L’activation de l’ARE nécessite l’expression et la translocation du facteur de transcription NFE2p45-related factor-2 (Nrf-2) dans le noyau. Nrf-2 interagit avec l’ARE pour induire l’expression d’antioxydants (heme-oxygenase) et d’enzymes de phase II du métabolisme des xénobiotiques (glutathion-Stransferases, NADPH quinone oxydoreductase). Ces enzymes ont des effets cytoprotecteurs, antioxydants et detoxifiants. Si cette barrière de protection est dépassée, une nouvelle escalade du stress oxydant conduit à l’activation de la voie MAP kinase/ NFκB et à des effets proinflammatoires [25]. Au plus haut degré de stress oxydant, les perturbations de la fonction mitochondriale aboutissent à l’apoptose de la cellule ou à la nécrose. Ce modèle de hiérarchisation du stress oxydant prédit qu’une défaillance du système de défense antioxydant pourrait favoriser l’inflammation des voies aériennes induite par les particules et accroître la susceptibilité à développer une maladie asthmatique [1, 26, 27]. Cette hypothèse permettrait d’expliquer l’existence de groupes de sujets à haut risque d’asthme lors de l’exposition à des polluants atmosphériques comparés aux sujets présentant de bonnes défenses antioxydantes. Plusieurs équipes ont démontré que les sujets présentant des variants non fonctionnels des gènes d’enzymes de phase II sont plus sensibles aux effets adjuvants « proallergiques » des particules diesel et de l’ozone [1, 28, 29].

Ces études illustrent l’importance des gènes d’enzymes de phase II dans la régula- tion des réponses inflammatoires aux polluants. Plus récemment, Wan J et al [30] ont montré que l’induction d’une enzyme de phase II, la NADPH quinone oxydoreductase (NQO1), bloquait la surproduction d’IgE synthétisées par des lymphocytes B exposés aux particules diesel. Ces résultats pourraient permettre d’envisager de nouvelles stratégies thérapeutiques préventives grâce à la surexpression d’enzymes de phase II. D’autres études ont montré que la production de cytokines proinflammatoires par des cellules épithéliales bronchiques humaines stimulées par les particules diesel pouvait être inhibée par un prétraitement antioxydant [1, 2].

D’autres mécanismes concernant le rôle des polluants dans l’induction des allergies respiratoires ne seront pas discutés ici, tels que : l’irritation de la muqueuse respiratoire et l’altération de la clairance mucociliaire pouvant faciliter la pénétration des allergènes inhalés dans les voies aériennes et leur présentation aux cellules du système immunitaire [31]. Les polluants atmosphériques pourraient également modifier les propriétés allergéniques des particules transportant les pneumallergènes.

CONCLUSION

Alors que les premières études épidémiologiques mettaient en évidence de simples associations, les données scientifiques récentes apportent des éléments de réponse sur le rôle des polluants atmosphériques et leurs mécanismes d’action dans les maladies allergiques respiratoires.

Les polluants peuvent favoriser ou aggraver les mécanismes physiopathologiques à l’origine de l’asthme ou de la rhinite allergique. Les avancées les plus importantes ont été réalisées pour la pollution particulaire, liée principalement aux émissions des véhicules à moteur Diesel.

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DISCUSSION

M. François-Bernard MICHEL

Pouvez-vous nous préciser l’importance relative des phénomènes spécifiques dûs aux particules Diesel et les phénomènes non spécifiques, c’est-à-dire, un peu caricaturalement, asthme ou bronchite chronique ?

Ceci dépend du type de particules. Pour les particules Diesel de multiples études expérimentales chez l’animal et chez l’homme ont démontré qu’elles augmentaient la réaction inflammatoire allergique et se comportaient comme un adjuvant de cette réaction. Pour les autres types de particules, par exemple les particules métalliques, les effets proinflammatoires sont différents. Par exemple pour les particules du métro parisien, nous avons montré qu’elles induisaient la sécrétion de TNF alpha et de métalloprotéases par les cellules épithéliales bronchiques et les macrophages et qu’elles pourraient être impliquées dans des pathologies comme la BPCO.

 

M. Pierre BANZET

Quelle est l’incidence des progrès réalisés sur les filtres à particules sur les effets délètères pulmonaires attribués aux moteurs Diesel ?

Les filtres à particules ne sont pas efficaces sur les particules ultra fines qui pénètrent profondément dans l’appareil respiratoire. Les effets spécifiques de ces particules ne sont pas très bien étudiés à ce jour et il est donc difficile de répondre précisément à votre question. Néanmoins, ces filtres sont efficaces sur les particules de 10 à 2,5 microns.

M. Jacques ROCHEMAURE

Les mécanismes évoqués sont-ils également valables si l’on étudie la pollution par l’ozone ou par le N02 ?

Ces mécanismes sont également valables pour le NO2 et l’ozone. Il a été montré chez l’asthmatique qu’une pré exposition à l’ozone avant un challenge allergénique aux pollens augmentent la réaction inflammatoire bronchique et l’hyperréactivité non spécifique.

M. Maurice TUBIANA

Les rôles respectifs, de la pollution et du tabagisme positif (induit par les parents) dans l’asthme infantile, sont très discutés. Avez-vous comparé les stress oxydatifs provoqués par ces deux facteurs ?

Nous avons comparé le stress oxydatif induit par le tabagisme actif ou passif à celui induit par des particules de la pollution atmosphérique directement. Nous avons cependant montré sur des cellules épithéliales bronchiques in vitro des effets additifs sur la sécrétion de médiateurs inflammatoires.

M. Pierre GODEAU

Si l’augmentation de fréquence de l’asthme est bien démontrée, n’y-a-t-il pas un facteur confondant lié à une meilleure utilisation des tests de diagnostic ? Le rôle néfaste des particules Diesel est bien démontré par votre exposé, mais est-il limité à la maladie asthmatique ou n’est-il pas également en jeu dans toutes les bronchopathies chroniques dyspnéisantes ? La baisse du VEMS dans les populations vivant à proximité des voies de grande circulation est évidemment non spécifique de l’asthme mais commune aux autres pathologies bronchiques.

Il est très vraisemblable que les particules jouent également un rôle dans la genèse ou l’aggravation des BPCO. La plupart des études sur les effets délétères des particules ont été réalisées chez l’asthmatique. Ceci évite la plupart du temps les effets confondants du tabagisme dont les effets délétères chez les BPCO sont largement supérieurs à ceux engendrés par les particules.

 

M. Jean-Daniel SRAER

Pourquoi avoir choisi comme marqueur le GM CSF ? Quelle est la taille des particules de Diesel ?

Le GM-CSF a été choisi car il joue un rôle important dans l’activation et la migration des cellule dendritiques présentatrices d’antigène dans la muqueuse bronchique . D’autres cytokines ont été étudiées et leur sécrétion par les cellules épithéliales est également augmentée par les particules Diesel. La taille des particules est de un micron.

M. Jean-Pierre NICOLAS

Deux hypothèses sont actuellement évoquées pour expliquer les causes de l’augmentation de la fréquence des allergies : la pollution que vous venez d’évoquer (exemple de l’automobile avec les gaz d’échappement, mais également l’abrazion des freins et des pneus) et l’amélioration des conditions d’hygiène, le système immunitaire de l’enfant ne trouvant plus d’entraî- nement dans un environnement aseptisé. Que pensez-vous du rôle respectif de ces deux hypothèses ?

L’hypothèse hygiéniste que vous citez est proposée pour expliquer l’augmentation de la prévalence de l’asthme dans les pays industrialisés. Il est difficile de faire la part qui revient à cette hypothèse et à la pollution. L’augmentation de la prévalence de l’asthme est multifactorielle et la part qui revient aux différents facteurs impliqués est difficile à déterminer.

Mme Denise-Anne MONERET-VAUTRIN

Outre les effets des polluants que vous avez décrits (irritation épithéliale, effet adjuvant sur la réponse Th2), peut-on montrer dans des modèles expérimentaux d’exposition aux polluants chez des animaux non sensibilisés, une inflammation bronchique démontrable (par exemple) par la mesure de C NO ? Les concentrations de polluants testés expérimentalement sont-elles comparables aux taux d’exposition éventuelles rencontrés par la population ?

Une inflammation liée aux polluants a été largement démontrée chez l’homme par le NO exhalé, l’expectoration induite ou sur des biopsies bronchiques obtenues lors de fibroscopie. Ceci a été observé lors d’expositions humaines contrôlées pour des concentrations de polluants comparables à des expositions rencontrées par la population.

 

<p>* Pneumologie A, Hôpital Bichat — Inserm U700, Faculté de médecine Bichat, 46, rue Henri Huchard 75018 Paris, e-mail : michel.aubier@bch.aphp.fr Tirés à part : Professeur Michel Aubier, même adresse Article reçu le 26 mai 2009, accepté le 15 juin 2009</p>

Bull. Acad. Natle Méd., 2009, 193, no 6, 1303-1315, séance du 16 juin 2009