Résumé
La consommation du tabac a beaucoup diminué en France depuis deux décennies, notamment depuis 2002, néanmoins elle reste très élevée et la Direction générale de la santé a demandé à l’Académie nationale de médecine d’évaluer des actions susceptibles de la réduire. L’augmentation du prix de tabac apparaît comme la méthode la plus urgente à mettre en œuvre et la plus efficace, puisque l’absence de diminution de la vente depuis 2004 apparaît liée à la stabilité du prix. La réglementation du transport de tabac à travers les frontières entre les pays de l’UE apparaît nécessaire, étant donné les grandes différences du prix et des taxes selon le pays. Cependant l’analyse de la situation actuelle montre qu’il faut aussi lutter contre des différents moyens de publicité occulte mis en œuvre par l’industrie du tabac, notamment à travers les films et la télévision, rendre moins séduisant les paquets des cigarettes, mettre en œuvre les articles 5 et 13 de la convention de l’OMS notamment dans le domaine de la santé publique et de l’éducation. La proportion élevée des femmes enceintes qui fument (22 %) est particulièrement préoccupante en raison des conséquences sur le nouveau-né. Elle nécessite des actions vigoureuses, notamment dans l’organisation des services d’obstétrique et * Membre de l’Académie nationale de médecine. ** Constitué de : Gérard DUBOIS, Catherine HILL, Karine GALLOPEL-MORVAN, Serge KARSENTY, Roger NORDMANN, Maurice TUBIANA (Président), Cyr VOISIN. Les membres du groupe remercient vivement Pierre ARWIDSON et Pascal MÉLIHAN-CHEININ pour leur aide et avis, Philippe JEAMMET (Prof. de Pédopsychiatrie) pour les documents sur la maturation du cerveau et J. SIMON et Pierre ROUZAUD pour une fructueuse discussion concernant le rôle du médecin généraliste. des maternités avec mesure systématique de taux de CO dans l’air exhalé par les femmes enceintes. Il faut noter que le personnel soignant, en particulier médecin, sage femme et infirmière fumant en public, donnent un mauvais exemple. Il faut renforcer leur formation et leur rappeler leurs responsabilités. L’éducation pour la santé à l’école mérite des initiatives et des expérimentations. Un plan cancer est prévu et son contenu fait actuellement l’objet de discussion. Cette contribution souligne la nécessité de tenir compte dans la stratégie de prévention des récents et importants progrès concernant la cancérogenèse et les mécanismes de défense à l’échelle de la cellule et du tissu. Les relations entre alimentation et cancer nécessitent en particulier un effort de recherche important.
Summary
Tobacco consumption in France has decreased markedly during the past two decades but remains far too high. The French health ministry asked the French Academy of Medicine to review anti-smoking measures. An increase in the price of cigarettes appears to be the most effective way of reducing sales in the short term. In view of the large differences in cigarette prices and taxes among EU member states, regulation of cross-border transportation should be reappraised. Disguised tobacco advertising appears to be effective and should be combated. In particular, TV series and movies are sometimes exploited to give the impression that smoking is a ‘‘ normal ’’ behavior. Tobacco packaging should be made less attractive. Articles 5 and 13 of the WHO convention on tobacco should be strictly implemented. In France, one major problem is the high proportion of pregnant women who smoke (22 %), as smoking has harmful consequences for the newborn. Obstetric departments and maternity wards should be reorganized to routinely assay the CO concentration in the air exhaled by pregnant women. Physicians, matrons and nurses should be better informed of the impact of tobacco on health and be reminded of their responsibility when they smoke in front of patients. New approaches to health education at school should be designed and evaluated.
INTRODUCTION
L’Académie nationale de médecine a été saisie, en mai 2008, par la Direction générale de la santé qui lui a demandé son avis sur la lutte contre le tabagisme.
Elle a créé un groupe de travail qui s’est réuni neuf fois et a procédé à de larges consultations, notamment de membres de la DGS et de l’INPES.
Position du problème
Le tabagisme est dans tous les pays développés, et la plupart des pays en développement, la principale cause de cancer, de mortalité évitable et de mortalité avant 65 ans. La lutte contre le tabagisme est donc dans tous les pays la première priorité de santé publique. En France, la lutte contre le tabagisme au niveau de l’État a commencé en 1975 (Loi Veil, 1976), soit une vingtaine d’années après le Royaume-Uni, mais avant beaucoup de pays européens.
Figure 1. — Évolution des ventes de cigarettes manufacturées et de l’indice du prix du tabac Évolution de la consommation du tabac en France
L’évolution de la consommation peut être mesurée par la vente de tabac. La figure 1 montre l’évolution des ventes de cigarettes rapportées à la population de quinze ans et plus. Ces données de ventes donnent une mesure correcte de la consommation globale de la population, aux achats transfrontaliers et à la contrebande près. Les achats transfrontaliers représentent environ 15 % de la consommation actuelle et la contrebande est peu importante. En même temps que la consommation de cigarettes, il faut surveiller la consommation des autres produits du tabac, anciens comme le tabac à rouler, ou nouveaux comme le tabac dans les pipes à eau.
Un second indicateur est la proportion de fumeurs. Des données déclaratives permettent d’étudier la consommation de tabac par sexe et par âge. Le pourcentage de fumeurs parmi les hommes de 18 à 75 ans a été presque divisé par deux en trente ans, passant de plus de 60 % au milieu des années 70 à 35 % en 2004. Chez les femmes, le pourcentage de fumeuses régulières a commencé à augmenter après 1968 au moment de l’entrée dans l’âge adulte des filles du baby-boom des années 45-50. L’augmentation a continué jusqu’au début des années quatre-vingt dix, et tend à diminuer faiblement depuis (Baromètre Santé 2005). Chez les jeunes, on a observé une diminution très nette du pourcentage de fumeurs.
La meilleure façon de juger de l’impact du tabagisme est l’incidence du cancer du poumon. Chez les hommes, celle-ci a augmenté jusqu’en 1995, elle diminue nettement depuis et la diminution est plus importante chez les hommes de 40 ans que chez les hommes plus âgés. Chez les femmes, l’incidence et la mortalité par cancer du poumon augmentent depuis 1980 et l’augmentation est spectaculaire depuis 2001. On peut espérer une stabilisation, puis une baisse de l’incidence de ce cancer. Cependant, malgré ces facteurs encourageants, la mortalité due au tabac reste à un niveau très élevé avec environ 60 000 décès par an dont plus de la moitié par cancer. Le progrès est notable, mais reste insuffisant. De nouvelles façons de fumer et de nouveaux produits sont régulièrement introduits. Il faut les surveiller.
De plus, la mortalité par cancer du poumon est trois fois plus grande chez les ouvriers que chez les cadres. Pour le cancer de l’œsophage, elle est dix fois plus grande. Le tabagisme, comme l’alcoolisme, frappent surtout les plus démunis, les moins instruits.
Conclusion : des progrès ont été faits, ils sont indiscutables mais insuffisants.
Comparaison du tabagisme en France et dans les autres pays
Dans la région Europe de l’OMS qui comprend cinquante-deux états, la prévalence moyenne du tabagisme est de 29 %. En 2007, l’OMS Europe avait recommandé de réduire cette prévalence en dessous de 20 %. Avec environ 30 % de fumeurs en 2005, la France est encore loin de cette cible. La France compte 25 % de fumeurs quotidiens, et beaucoup de pays font mieux en Europe comme la Suède qui compte 16 % de fumeurs quotidiens, l’Islande (20 %), la Suisse (22 %) et la Finlande (23 %). De façon générale, le tabagisme a diminué dans tous les pays et généralement plus rapidement qu’en France.
Ainsi, aux États-Unis où le tabagisme était particulièrement grave (440 000 décès imputés au tabac par an), à la suite des efforts qui y ont été faits, le taux de fumeurs est aujourd’hui chez les hommes et les femmes nettement plus bas qu’en France (voir tableau, annexe 5).
Conclusions : nous prenons du retard par rapport à la plupart des autres pays.
Cela semble dû à deux facteurs : — dans notre pays beaucoup de jeunes, surtout parmi les moins instruits, donnent la priorité au plaisir immédiat sur la santé à long terme, la mortalité par accident et par suicide est également très élevée en France (voir annexe 5) ; — la politique gouvernementale a manqué de cohérence et de continuité.
Rôle du prix
Influence sur la consommation de tabac
La Loi Veil a interrompu l’augmentation de la consommation de tabac et a changé l’attitude de la population, rendant possible des mesures plus agres- sives dont l’augmentation du prix du tabac qui était impensable en 1975. La Loi Evin, en 1991, en excluant le tabac de l’indice des prix a permis des hausses importantes qui ont fait baisser la consommation. L’évolution de cette consommation montre une corrélation étroite avec l’évolution du prix du tabac : la baisse de consommation est rapide après une forte augmentation du prix (périodes 1991-1997 et 2002-2004) et quand le prix augmente peu il y a un ralentissement de la baisse (période : 1997-2002) ou stabilisation (2004-2008).
Les autres mesures, même si elles ont changé l’attitude de la population, ont moins d’impact sur les ventes.
Au total, en France (ce n’est pas le cas dans tous les pays), la méthode la plus efficace pour faire baisser rapidement les ventes est la hausse du prix à condition qu’elle soit au moins de 10 % à chaque fois et qu’elle soit réitérée.
Comment augmenter les prix ?
La politique des prix est l’élément crucial de la stratégie anti-tabagisme de l’État ; il ne faut pas la laisser entre les mains des fabricants qui savent procéder à des augmentations, modulées selon les marques, sans faire baisser les ventes, comme cela s’est passé en 2006.
L’harmonisation des prix dans l’UE est un objectif à très long terme, car il sera long et difficile d’y parvenir. La politique fiscale française est l’arme majeure. La France est le pays de l’UE qui donne le plus de poids aux taxes proportionnelles et la moindre aux taxes fixes, alors que ces dernières ont l’avantage de donner à l’État l’initiative au lieu de la laisser aux fabricants.
En conclusion : l’augmentation du prix est urgente, elle doit être massive et réitérée pour améliorer une situation qui est actuellement défavorable par rapport aux autres pays. Il serait contraire à l’intérêt public de ne pas la faire, d’autant qu’une partie de l’argent collecté pourrait être affecté à la santé, en particulier à la lutte contre le tabagisme et les addictions. Une stratégie globale peut, tout en faisant baisser la consommation, rapporter de l’argent à l’État et permettre le développement de recherches dans le domaine capital des addictions.
Contrer les publicités occultes des marques du tabac
L’article 13 de la convention cadre de l’OMS interdit toute publicité, promotion et parrainage en faveur du tabac. La loi Evin interdit la publicité en France, mais cette interdiction a suscité le développement d’une publicité indirecte très efficace orchestrée par l’industrie du tabac.
Le paquet de tabac et les cigarettes bonbons
Le paquet est un important agent publicitaire. La présentation du paquet de tabac, la couleur, le logo jouent un rôle important. Ainsi des paquets de cigarettes « bonbons » au goût de chocolat, de fraise… sont apparus récemment incitant les jeunes à fumer.
Les données scientifiques montrent que l’objectif doit être une neutralisation des paquets. Ces paquets dits génériques seraient tous d’une même couleur, sans logo avec simplement le nom de la marque en caractères standardisés.
Cette présentation uniforme de tous les paquets de cigarettes permettrait aussi d’identifier immédiatement les paquets provenant d’un autre pays. Cependant, pour des raisons politiques et juridiques, cet objectif risque d’être long à atteindre.
D’ici là, il faut réduire l’effet incitatif des paquets grâce aux avertissements sanitaires qui doivent être en images plutôt que textuels, apposés sur les deux faces du paquet de cigarettes, occuper une surface supérieure à 50 % du paquet et être placés en haut du paquet et non en bas comme actuellement. De plus, la vente sous le comptoir des produits du tabac doit être envisagée par la France, comme cela se fait dans d’autres pays (Irlande, Australie, etc.) La publicité sur le lieu de vente
Conformément à l’article 13 de la Convention Cadre de l’OMS, il faut interdire totalement toutes les formes de publicités des marques du tabac sur les lieux de vente. La loi Evin autorise la présence d’affiches de format 60/80 cm chez les buralistes, mais les industriels du tabac ne respectent pas ce format.
Les relations publiques et le mécénat
En vertu de l’article 5.3. de la Convention Cadre de l’OMS, la politique de santé publique ne doit pas être influencée par les intérêts commerciaux de l’industrie du tabac, il faut donc interdire toute implication de l’industrie du tabac dans les domaines de la santé et de l’éducation et tout cofinancement public — industrie du tabac. Le soutien actuel de l’institut du Cerveau et de la Moelle épinière par un industriel du tabac est un exemple flagrant d’infraction à cette règle.
Le cinéma et la télévision
Les films et la télévision apparaissent comme le plus puissant agent de promotion du tabac depuis l’interdiction de la publicité. Certains films sont de véritables bandes publicitaires pour le tabac. Il est anormal qu’en France où les films sont en partie financés par l’État, c’est-à-dire par l’ensemble de la population, on laisse cette publicité insidieuse se faire en toute impunité. Il faut proposer au Conseil Supérieur de l’Audiovisuel de créer un sigle spécifique qui apparaîtrait sur les films trop enfumés pour alerter les parents et protéger les enfants, et faire diffuser un message antitabac avant la diffusion d’un film à la télévision, au cinéma et sur les DVD dès lors que des marques et produits du tabac y apparaissent. Il faut également mettre en garde les producteurs et réalisateurs de films sur le fait que la présence des marques et des produits du tabac dans les films incite les jeunes à fumer et introduire des règles de bonne conduite. Tout financement direct ou indirect de la production de film ou d’émission de télévision par l’industrie du tabac doit être proscrite. Voir un acteur fumer est une promotion très efficace du tabac car cela montre que fumer est un acte normal et fréquent, alors qu’il faut au contraire donner du fumeur l’image d’un faible qui ne résiste pas aux tentations et s’est enfermé dans un esclavage coûteux socialement et financièrement.
Les magazines
Les magazines constituent aussi une vitrine efficace pour la publicité occulte, simplement en multipliant les photos de personnalités ou de mannequins cigarette à la main. Un code de bonne conduite avec un engagement écrit de le respecter doit être proposé à l’ensemble des medias. Le public n’est pas favorable à la publicité en faveur du tabac. Les rédacteurs en chef savent que l’accusation d’une collusion avec les fabricants de cigarettes serait un très mauvais point pour les lecteurs et lectrices, même si ceux-ci fument.
Internet
La propagande pour le tabac est omniprésente sur Internet ce qui pose problème car 57 % des jeunes Français surfent sur le net chaque jour (Espad 2007). A titre d’illustration, des voitures sponsorisées par des marques de tabac sont visibles sur des sites spécialisés dans les Grands Prix de Formule 1. Afin de réduire la présence des marques et produits du tabac sur Internet, il est indispensable de sensibiliser les fournisseurs d’accès et hébergeurs de sites au problème du tabac. Il faut aussi que les acteurs de la santé ne se limitent pas à des sites Internet pédagogiques mais utilisent toutes les possibilités interactives de communication en diffusant des messages antitabac sur des sites sociaux comme Facebook ou MySpace ou en mettant en place des campagnes de marketing viral.
Conclusion
L’ensemble des outils publicitaires utilisés par l’industrie entretient une image positive du tabac et limite l’impact et la portée des politiques antitabac. Il est donc essentiel de faire respecter la loi Evin et l’article 13 de la Convention Cadre de l’OMS, de sanctionner les publicités illicites, de lancer des campa- gnes de prévention régulières et efficaces dans les média (article 12 de la Convention Cadre de l’OMS) et de dénoncer la manipulation de l’opinion par les industriels du tabac. Une stratégie contre la publicité du tabac sur Internet doit être d’urgence élaborée et mise en œuvre.
Tabac et grossesse
Situation actuelle
En France, aujourd’hui, encore un enfant sur cinq est exposé in utero au tabagisme de sa mère (Baromètre-Santé 2005). D’après « European perinatal health report » (2008), la France était en 2004 le pays ayant la plus grande proportion de fumeuses parmi les femmes enceintes (au troisième trimestre :
22 % versus 6 % en Suède, et versus 17 % pendant toute la grossesse au Royaume-Uni et 11 % en Allemagne). L’exposition au tabac in utero augmente le risque d’avortement spontané, de grossesse extra-utérine, d’accouchement prématuré et d’hypotrophie. Or, celle-ci est un facteur de vulnérabilité. Le tabagisme des parents augmente les risques de mort subite du nourrisson et d’infection broncho-pulmonaire. La France est le pays d’Europe avec la mortalité fœtale la plus élevée (9 pour 1000, supérieure d’un tiers à celle observée en Russie et le triple de celle observée en Suède et en Finlande). La proportion de nouveau-nés de moins de 1000 g a été multipliée par trois depuis 1990, or un poids faible est souvent associé à des séquelles nerveuses et intellectuelles sérieuses. De plus, la France est le pays européen (voir European perinatal health report, 2008) où la proportion de nouveau-nés avec un poids compris entre 1500 et 2500 g est le plus élevé (supérieur de 83 % à celle observée en Suède) Ces constatations illustrent la gravité de la situation actuelle sur le plan sanitaire, social et financier, malgré les améliorations récentes ; en effet, d’après le Baromètre-Santé (INPES) la proportion de fumeuses parmi les femmes enceintes est passée de 28 % à 20 % entre 2000 et 2004. Ces chiffres sont vraisemblablement sous-estimés car ils sont fondés sur les déclarations des femmes enceintes, or celles-ci manquent de fiabilité comme l’ont montré les dosages de CO dans l’air exhalé.
Dans les maternités, il faut compléter systématiquement l’interrogatoire des futures mères sur leur tabagisme par un dosage du monoxyde de carbone (CO) dans l’air expiré, car ce dosage objective le niveau de tabagisme auquel la femme enceinte a été exposée. Le taux de CO dans l’air expiré est fortement corrélé au poids à la naissance, à la durée de la gestation, donc à la vulnérabilité du nouveau-né, au périmètre crânien qui est un indicateur du développement cérébral et aux troubles du rythme cardiaque du fœtus. Il accroît les risques au moment de l’accouchement, période où le fœtus à particulièrement besoin d’être correctement oxygéné pour supporter son pas- sage de l’utérus maternel à la vie aérienne extra-utérine. Ultérieurement, chez le nourrisson qui a été intoxiqué in utero, on observe une augmentation du risque d’infection respiratoire.
Mesures préconisées
Il faut continuer l’effort initié après la conférence de consensus de 2004 : la charte proposée n’a été signée que par 55 % des maternités et elle n’est pas complètement respectée. Il faut impliquer les services de Protection Maternelle et Infantile (PMI) et tous les autres professionnels de santé concernés par la périnatalité dans le dépistage et la prise en charge du tabagisme des femmes enceintes.
L’absence de toute présence de tabac dans les maternités doit être régulièrement vérifiée. Dans toutes les maternités, le dosage du CO dans l’air expiré par la femme enceinte, et si possible par son conjoint, doit être effectué à chaque visite prénatale. S’il est élevé, la femme enceinte doit être adressée à une consultation d’arrêt du tabac. La Sécurité Sociale devrait prendre en charge les substituts nicotiniques pendant la grossesse et pendant l’allaitement. Par ailleurs, il est nécessaire d’organiser une éducation parentale dans les maternités avec distribution de documents standards et suivi personnalisé si besoin.
Un rapport annuel sur la mise en œuvre de ces recommandations est indispensable, pour vérifier que les moyens sont adéquats et suivre les résultats. La notation des établissements hospitaliers doit prendre en compte le respect de la Charte dans les maternités et les résultats obtenus. En plus de la responsabilité personnelle des chefs de service, celle des directeurs d’établissement et des présidents de Commission Médicale d’Établissement doivent être engagées dans le fonctionnement des maternités.
Rôle d’exemple
Toute personne qui fume en public se transforme en panneau publicitaire pour le tabac en donnant envie de fumer et en banalisant cet acte. Ce geste est particulièrement nocif chez ceux qui servent de modèles : les parents, les membres des professions de santé, les enseignants. Malheureusement, la France est l’un des pays où l’on fume le plus en public. Il est préoccupant que la proportion de médecins fumant soit particulièrement élevée en France par rapport aux pays qui réussissent dans la lutte contre le tabagisme (moins de 8 % de médecins fumeurs dans ces pays). La proportion de fumeurs parmi les étudiants en médecine, est souvent proche de celle des autres jeunes, et varie considérablement d’une université à l’autre, ce qui suggère l’influence du milieu et montre que des progrès sont possibles. Il faut se donner comme objectif un pourcentage inférieur à 3 %, comme observé dans de très nombreux pays (États-Unis, Suède, etc.). La déplorable situation actuelle est liée à l’insuffi- sance de formation et de perception des responsabilités. On peut, par ailleurs, se demander s’il est éthique de laisser les médecins qui fument en public continuer à exercer, l’avis du conseil de l’ordre sur ce point doit être sollicité.
Établissements de soins
Les mesures suivantes sont nécessaires :
— Veiller au respect strict de l’interdiction de fumer — Aucune tolérance n’est admissible.
— Rappeler au personnel soignant sa responsabilité : le tabac et l’alcool sont les principales causes de décès évitables, ils causent plus de 100 000 décès/an et sont un facteur majeur d’inégalité sociale.
— La part qu’on donne aux addictions dans l’enseignement médical est trop restreinte et devrait être augmentée. Un document devrait être proposé à cette fin.
— Il faut améliorer la formation initiale et continue des médecins, notamment des généralistes, dans le domaine du tabagisme et accroître leur compé- tence en introduisant la prévention du tabagisme (et de l’alcool) dans la formation continue.
— Le projet de plan Cancer 2009 propose une consultation tous les trois ans par les médecins généralistes afin de vérifier la mise en œuvre du dépistage des cancers du sein, du col de l’utérus et du côlon. Cette proposition mérite d’être mise en œuvre, cependant le dépistage du cancer du sein se fait a un rythme biennal et le rythme pour le frottis cervico-vaginal est de quatre ans dans la plupart des pays européens. Il paraîtrait donc préférable d’instituer une consultation par les généralistes tous les quatre ans, mais il faut que cette consultation porte aussi sur la prévention avec interrogatoires et conseils concernant le tabac et l’alcool.
— Pour les étudiants en médecine : l’enseignement des effets nocifs du tabagisme doit être plus précoce et plus percutant, il doit être fait dans le cadre d’un enseignement sur les addictions et se situer au PCEM1 (avant le concours afin d’avoir un impact plus fort et de toucher un auditoire plus large). A la fin des études, il faut enseigner l’aspect pratique de la prévention et de l’arrêt.
— Enseignement des sages-femmes : dans la lutte contre le tabagisme des femmes enceintes, les sages-femmes devraient avoir un rôle crucial. Or, un tiers d’entre elles fument déjà durant leur formation 1 1. C. GOMEZ, M. DELCROIX, B. DAUTZENBERG, Enquête nationale sur les habitudes de consommation de tabac, chicha et cannabis chez 3463 étudiants sages-femmes en 2008, Sevrage Tabagique Pratique, Mars 2009, no 23,1.
— Leur formation, en ce qui concerne le tabagisme et ses méfaits sanitaires sur le fœtus, est très insuffisante. Il faut donner plus de place à ce thème dans l’enseignement et le contrôle des connaissances.
— École d’infirmières : le problème est le même. Dans ce cas aussi, un effort est indispensable. Son effet sera très important car les Instituts de Formation en Soins Infirmiers rassemblent 50 000 étudiants, et qu’il y a presque 500 000 infirmiers en France.
Établissements scolaires — Le strict respect de la loi est indispensable dans les établissements scolaires, ce qui ne semble pas être le cas dans certaines régions académiques.
— La formation des enseignants (dans les IUFM et/ou les universités) devrait inclure un module de santé publique donnant une juste place aux addictions puisque celles-ci sont à l’origine d’environ la moitié des morts prématurées évitables chez les hommes et s’acquièrent entre 12 et 18 ans, donc pendant la période où les jeunes fréquentent des établissements scolaires.
— En prenant modèle sur ce qui est fait dans « La main à la pâte », il faudrait proposer des documents simples destinés aux enseignants des écoles élémentaires, soulignant le rôle de l’exemplarité et donnant des informations sur les mécanismes de la maturation du cerveau (avant six ans) et sur les modifications induites dans le fonctionnement du cerveau par les addictions.
— Ce qui a été accompli dans les collèges de la Région Nord-Pas-de-Calais montre que les enseignants peuvent accueillir favorablement des initiatives dans ce domaine et acceptent volontiers d’enseigner ces matières.
Éducation à la santé à l’école
L’étude de l’efficacité de l’enseignement concernant le tabagisme est un domaine majeur qui doit être développé.
Étude de l’efficacité
Même si l’efficacité à court terme d’un enseignement uniquement scolaire est dans la plupart des enquêtes assez faible, quelques études suggèrent qu’il peut être efficace, notamment s’il est effectué dans le cadre d’actions communautaires multimodales (rapport D. Thomas). Cependant, il faut mieux définir ce concept d’action multimodale.
L’espoir de l’efficacité d’une formation donnée dès le plus jeune âge est stimulé par ce qui a été observé concerne l’influence des parents sur le tabagisme des enfants. La probabilité pour un enfant de fumer varie de plus du simple au double selon que ses parents fument ou non (14 % contre 37 %). Cependant, le mécanisme par lequel s’effectue cette influence est mal connu. Est-ce simplement un effet d’exemplarité ? C’est concevable, mais des données montrent que le rôle de l’attitude des parents s’observe même quand ils fument : l’attitude de l’enfant change selon que les parents prennent clairement position contre le tabac ou sont permissifs. Il semble que l’impact des parents soit lié à la précocité. On connaît depuis Piaget les étapes de la maturation du cerveau au cours de la prime enfance. Les progrès récents des neurosciences, et en particulier de la neuroimagerie, ont permis de suivre l’évolution du fonctionnement cérébral depuis les premières semaines de la vie et ont montré l’extraordinaire précocité avec laquelle se mettent en place les structures cérébrales. Elles ont montré une grande malléabilité jusqu’à six ans. C’est pendant la première enfance que se constituent les réseaux neuronaux qui gouverneront les attitudes du petit enfant, puis de l’adolescent et de l’adulte, notamment l’apprentissage et l’apparition d’inhibition (interdits).
Si l’on comprenait mieux les mécanismes de l’influence parentale, ceci permettrait de systématiser les actions au cours de la prime enfance. On pourrait agir plus efficacement. Rappelons que l’âge au début du tabagisme (11,5 ans pour ceux qui ont commencé à fumer avant 15 ans) a un très grand impact sanitaire. Ceux qui ont commencé à fumer tard ont, parvenus à l’âge adulte, une addiction moins forte et un arrêt plus facile. Retarder de quelques années, le début du tabagisme est donc important.
L’attitude, non seulement de l’entourage immédiat, mais de tous les adultes a un rôle important sur le petit enfant (avant six ans) et l’enfant. Il est, à la lumière de ces travaux, clair qu’on ne peut pas à partir des recherches effectuées chez les enfant de plus de six ans tirer des conclusions quant à l’efficacité chez les enfants plus jeunes. Il ne faut pas opposer éducation à l’école et rôle des parents et de l’entourage. Vivre dans des quartiers ou des régions où l’on fume peu en public diminue l’initiation au tabagisme et accroît l’arrêt du tabagisme pour les adolescents. Il faut chercher comment associer ces différentes approches, comment les conjuguer. L’influence des camarades et du niveau de tabagisme dans les collèges et lycées est très grande, néanmoins il y a place pour des messages positifs et l’introduction de règles de conduite chez les très jeunes enfants (même s’ils ne concernent pas directement le tabac mais plutôt l’influence que chacun peut avoir sur sa santé).
Éducation et tabagisme
Les attitudes et les comportements humains ne sont pas déterminés par des raisonnements logiques. On ne choisit pas une profession ou son conjoint à la suite d’un raisonnement logique ; les émotions, les souvenirs, les sentiments subconscients, l’existence ou non de règles intérieures (gendarme intérieur, surmoi, mécanismes d’auto régulation et de contrôle) jouent un rôle important.
Néanmoins, l’éducation et la connaissance peuvent consolider et rationaliser une tendance à refuser les drogues et peuvent apporter à ceux qui hésitent un argument supplémentaire pour ne pas fumer.
Chez les hommes, dans tous les pays, on observe que plus le niveau d’instruction est élevé, plus le tabagisme est faible. Cette observation montre que le niveau d’instruction générale, de rationalité, de confiance en soi, réduit le tabagisme et que l’instruction générale est sans doute la meilleure arme contre le tabagisme. Aux États-Unis, l’objectif actuel est d’amener à terme les moins instruits au niveau où en sont actuellement les plus instruits, soit environ 8 % de fumeurs. À côté de l’éducation à la santé, il faut donc développer la confiance en soi, le sentiment que chacun est maître de son destin, l’attachement pour la vie et l’envie de vivre en bonne santé.
Chez les femmes, l’influence du niveau d’instruction est beaucoup plus faible.
Chez elles, il semble que plus le niveau d’instruction est élevé, plus elles masculinisent leurs comportements, donc fument plus et réagissent comme les hommes.
Recherche
Les thèmes de recherche sont, on le voit, multiples mais, dans tous les cas, ces recherches doivent être menées avec rigueur, en suivant un protocole précis, avec assurance de qualité, surveillance extérieure et suivi suffisamment long.
Les essais randomisés sont difficiles dans ce domaine, mais on peut avec certaines précautions comparer des villes ou régions où selon qu’elles ont été ou non exposées à cette action préventive. Il faut aussi tenir compte du rapport coût/efficacité. Il apparaît que des recherches sont hautement souhaitables dans ce domaine. Il existe des régions comme le Nord-Pas de Calais où, à la fois, la proportion de fumeurs est très élevée et où il existe une volonté d’action.
Il faut étudier dans ces régions la possibilité d’action globale (école, parents, entourage) avec évaluation rigoureuse des effets obtenus. La situation actuelle, en raison des incertitudes qui subsistent, est particulièrement propice à de telles recherches et les fonds pourraient provenir d’une partie des sommes recueillies grâce à l’augmentation des taxes.
CONCLUSION
Il faut rappeler que l’article 5 de l’accord Cadre – OMS prévoit de s’assurer que les personnalités politiques et plus généralement tous ceux ayant une influence sur le public (journalistes, producteurs de film ou d’émission à la télévision, universitaires, etc.) sont indépendants de l’industrie du tabac. En conformité avec cette règle, il faut exiger une déclaration sur l’honneur de toutes ces personnalités sur l’absence de tout lien avec cette industrie.
Une des difficultés en France est que les gouvernements et les responsables des départements ministériels ont une existence relativement brève, les orientations changent, souvent de 180° en quelques mois (par exemple, après un ministre de la santé s’opposant à toute mesure anti-tabac en 1981-82, son successeur a eu une position opposée). La stratégie de lutte, notamment les prix, est dictée par des objectifs qui ne sont pas uniquement sanitaires, mais aussi politiques, voire électoralistes. Il faut remettre au premier plan la santé.
Il faut rappeler avec force que : l’éthique exige que les objectifs de santé doivent avoir une très forte priorité et qu’une stratégie, quelle qu’elle soit, ne peut être efficace que si elle est proposée dans le cadre d’un plan à long terme.
Il faut mettre fin à des déclarations non suivies d’actions et agir en profondeur si l’on veut que la France revienne, comme elle l’a été, au premier rang des pays qui luttent contre le tabac. Cela ne peut être obtenu que par une stratégie stable et à long terme dans laquelle la politique des prix, l’organisation des maternités, la formation du personnel de santé et des enseignants, les efforts pour modifier l’image du tabac forment un tout cohérent et pérenne. De plus l’expérience montre qu’on ne peut pas dissocier la lutte contre le tabac de celle contre les autres comportements à risque, ni celle-ci du niveau d’éducation et d’instruction ainsi que de la capacité de se projeter dans le futur. On ne peut renoncer à des plaisirs immédiats pour des bénéfices sanitaires aléatoires et lointains que si l’on a confiance en soi et en l’avenir, bref si l’on a envie de vivre.
Cependant, tout en préparant une stratégie ambitieuse à long terme, il ne faut pas retarder des mesures indispensables et urgentes, au première rang desquelles se trouvent l’augmentation du prix, le respect de la loi Evin, l’amélioration du fonctionnement des maternités et la formation du personnel de santé.
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L’Académie, saisie dans sa séance du mardi 9 juin 2009, a adopté le texte de ce rapport à l’unanimité.
ANNEXE I
Plan cancer
Bull. Acad. Natle Méd., 2009, 193, no 6, 1371-1385, séance du 9 juin 2009