Communication scientifique
Séance du 14 janvier 2003

Plaquettes et thrombose artérielle

MOTS-CLÉS : artériopathies obliterantes. fibrinolytiques. paroi vasculaire. plaquettes. recepteur purinergique p2. thrombine.
Platelets and arterial thrombosis
KEY-WORDS : arterial occlusive diseases. blood platelets. fibrinolytic agents.. muscle, smooth, vascular. receptors, purinergic p2. thrombin

J.P.Cazenave, C. Gachet, F. Lanza, M-L.Wiesel

Résumé

Les mécanismes pathologiques de la formation d’une thrombose artérielle ressemblent à ceux de l’hémostase physiologique. Les thromboses artérielles surviennent à la suite d’une lésion de la paroi du vaisseau, rupture d’une plaque d’athérosclérose riche en lipides, protéines adhésives et facteur tissulaire ou après une angioplastie qui expose la matrice sous-endothéliale thrombogène. Les plaquettes jouent un rôle capital dans la formation du thrombus artériel par l’intermédiaire de l’ADP qu’elles sécrètent et de la thrombine qui se forme à leur surface activée. Les thromboses artérielles qui compliquent fréquemment les lésions d’athérosclérose entraînent des événements ischémiques aigus qui sont des urgences thérapeutiques nécessitant l’administration de médicaments antithrombotiques inhibant les fonctions plaquettaires et la thrombine.

Summary

The pathological mechanisms involved in arterial thrombus formation are similar to the mechanisms involved in physiological hemostasis. Arterial thrombosis is initiated following lesion of the vessel wall, either through rupture of an atherosclerotic plaque containing lipids, adhesive proteins and tissue factor or after angioplasty exposing the thrombogenic subendothelial matrix. Platelets play a major role in arterial thrombus formation through ADP secretion and thrombin generation on their activated surface. Arterial thrombosis is a frequent complication of atherosclerotic lesions and leads to acute ischemic events. These events are therapeutic emergencies which require administration of antithrombotic drugs inhibiting platelet functions and thrombin.

INTRODUCTION

Les plaquettes sanguines sont des petits fragments cytoplasmiques anucléés de mégacaryocytes qui circulent 8 à 10 jours dans le sang sous forme discoïde lorsqu’elles ne sont pas activées. Les plaquettes activées changent de forme pour devenir échinocytaires lorsqu’elles adhèrent à la surface lésée et thrombogène d’un vaisseau, sécrètent le contenu de leurs granules, agrègent entre elles et modifient l’organisation phospholipidique de leur membrane pour faciliter la génération de thrombine à leur surface. Ces processus biologiques sont très finement régulés, en particulier par l’activité biologique des cellules endothéliales qui tapissent la face interne du système cardiovasculaire.

Ces fonctions plaquettaires de base, secondaires à l’activation au niveau d’une lésion vasculaire, sont mises en jeu de façon critique dans des phénomènes physiologiques et pathologiques. Les plaquettes jouent un rôle essentiel dans l’hémostase primaire qui assure l’intégrité vasculaire et l’arrêt des hémorragies au niveau de petits vaisseaux de la microcirculation. L’hémostase primaire est un processus physiologique essentiel au maintien de l’homéostasie, ainsi que la première étape du processus de réparation tissulaire ou cicatrisation. A l’état pathologique, les mêmes mécanismes d’activation des plaquettes sont mis en jeu dans les artères à fort débit, lors de la rupture d’une plaque d’athérosclérose, lors d’une lésion mécanique secondaire à une angioplastie, lors d’une lésion infectieuse ou immunologique de la paroi et aboutissent à une thrombose artérielle. Le rôle des plaquettes dans la thrombose veineuse, où le ralentissement du flux sanguin et la génération de thrombine dominent, semble beaucoup moins important que dans la thrombose artérielle.

Les plaquettes jouent également un rôle dans de nombreux autres processus pathologiques comme l’inflammation, l’athérosclérose, l’angiogenèse et la dissémination des métastases cancéreuses.

La connaissance des mécanismes d’activation des plaquettes apparaît comme un préalable utile, sinon indispensable, à la mise au point et à l’utilisation en thérapeutique humaine des médicaments antithrombotiques qui inhibent les fonctions plaquettaires [1].

RÔLE DES PLAQUETTES DANS LA THROMBOSE ARTÉRIELLE

Au cours des trente dernières années, les progrès de la biologie moléculaire ont permis d’élucider les observations cliniques antérieures et remarquables de maladies héréditaires de l’hémostase dues à des défauts des glycoprotéines membranaires impliquées en tant que récepteurs de protéines adhésives du plasma, à des anomalies des récepteurs d’activation et à des anomalies des systèmes de transduction et de régulation des signaux. Plus récemment, le développement de modèles animaux, en
particulier en ciblant des gènes à invalider ou par transgenèse chez la souris, a permis de confirmer les connaissances sur les fonctions plaquettaires acquises chez l’homme, de découvrir de nouveaux gènes impliqués et aussi d’identifier de nouvelles cibles pour des médicaments antiplaquettaires à visée antithrombotique.

Les mécanismes de base de la formation d’une thrombose artérielle ressemblent à ceux de l’hémostase, mais la masse fibrino-plaquettaire est anormale par sa localisation intravasculaire et sa croissance rapide [2]. Depuis Virchow en 1856, on sait que le déclenchement, la localisation, l’extension et la fragmentation embolique d’une thrombose résultent de l’interaction de facteurs hémodynamiques et rhéologiques, d’altérations de la paroi vasculaire et de l’activation pathologique des plaquettes et de la coagulation.

Les thromboses artérielles sont secondaires à l’exposition de lésions pariétales vasculaires qui sont normalement cachées aux plaquettes et au sang circulant par un revêtement endothélial intact et thromborésistant. L’amplitude de la réponse plaquettaire d’adhésion au vaisseau lésé et d’activation dépend de plusieurs facteurs :

— profondeur de la lésion du vaisseau pouvant atteindre la média après une angioplastie ou après rupture d’une plaque d’athérome contenant du cholestérol et des lipides, des fibres de collagène, du facteur tissulaire et des protéines adhésives ;

— débit circulatoire et diamètre vasculaire contrôlés par la réaction vasomotrice déclenchée par la lésion ;

— hématocrite et forces de cisaillement favorisant l’interaction des plaquettes avec la paroi lésée.

Très schématiquement, on peut ainsi décrire la formation d’une thrombose artérielle (Fig.1). La lésion vasculaire artérielle de l’endothélium, comme celle qui fait suite à une angioplastie, expose la matrice sous-endothéliale qui contient des protéines matricielles adhésives pour les plaquettes, dont le collagène est le plus thrombogène.

Le facteur de Willebrand (FvW) est adsorbé au collagène. Le FvW sous-endothélial immobilisé provient de trois sources : synthèse par l’endothélium, adsorption à partir du plasma et sécrétion par les granules α des plaquettes. Les plaquettes sanguines adhèrent au sous-endothélium par l’intermédiaire du complexe membranaire glycoprotéique GP Ib-V-IX qui sert de récepteur au FvW lorsque les forces de cisaillement à la paroi artérielle sont élevées [3]. Dans ces conditions, les plaquettes par l’intermédiaire de la GPIbα s’arrêtent, capturées de manière réversible, puis se fixent fermement au FvW adsorbé au collagène, s’étalent, puis s’activent (Fig. 1A).

Cette activation et cette adhésion irréversible sont favorisées par l’interaction des plaquettes avec le collagène par l’intermédiaire de deux récepteurs au collagène, l’intégrine α (GPIa-IIa) et la GPVI [4]. L’interaction de la GPVI avec le collagène 2β1 génère des signaux d’activation qui agissent en synergie avec ceux générés par le complexe GPIb-V-IX fixé au FvW et vont activer l’intégrine α (GPIIb-IIIa) qui IIbβ3 se fixe au fibrinogène et à la vitronectine de la matrice sous-endothéliale et l’inté- grine α qui se fixe au collagène par un site distinct de celui sur la GPVI. Les 2β1

FIG. 1. — Schéma des étapes de formation d’une thrombose artérielle.

plaquettes qui adhèrent au sous-endothélium sont activées et parallèlement l’exposition de facteur tissulaire vasculaire entraîne la fixation de facteur VIIa et l’initiation de la coagulation avec formation rapide de traces de thrombine. L’activation des plaquettes adhérentes entraîne la synthèse de thromboxane A2 (TXA2) à partir de l’hydrolyse de l’acide arachidonique des phospholipides membranaires et la sécrétion du contenu des granules plaquettaires, en particulier de l’adénosine 5′-diphosphate (ADP) et de la sérotonine (5-HT) des granules denses. L’ADP et le TXA2 libérés se fixent sur leurs récepteurs au niveau des plaquettes discoïdes circulantes qui changent de forme pour devenir échinocytaires et vont agréger aux plaquettes adhérentes et entre elles. L’agrégation plaquettaire est la conséquence directe de l’activation des plaquettes recrutées dans la circulation par les agonistes, ADP, 5-HT, TXA2 et thrombine, qui modifient la conformation de la GP IIb-IIIa et lui permettent de fixer le fibrinogène qui sert de pont adhésif entre deux plaquettes
(Fig.1 A). Les traces de thrombine formées au niveau de la paroi vasculaire lésée (complexe facteur tissulaire et facteur VIIa) et à la surface procoagulante de l’amas plaquettaire (formation des complexes catalytiques tenase et prothrombinase au niveau de la phosphatidylsérine négativement chargée) accroissent le thrombus plaquettaire en recrutant d’autres plaquettes et renforcent sa stabilité en l’emprisonnant dans un réseau de fibrine. Le thrombus fibrino-plaquettaire est consolidé, emprisonne des érythrocytes dans ses mailles et attire des polynucléaires neutrophiles qui diminuent l’activité plaquettaire. La présence du thrombus déclenche la sécrétion de l’activateur tissulaire du plasminogène par les cellules endothéliales voisines et initie la fibrinolyse, entraînant la digestion de la fibrine par la plasmine et favorisant la fragmentation du thrombus (Fig. 1 B). Les forces hémodynamiques artérielles contribuent à la formation et aussi à la fragmentation embolique du thrombus mural constitué. Les cellules endothéliales voisines de la lésion vasculaire vont mettre en œuvre des moyens de défense puissants qui limitent l’activation et l’agrégation plaquettaire en produisant de la prostacycline, du monoxyde d’azote (NO) et en dégradant les nucléotides adényliques par une apyrase, l’ectoenzyme CD39 [5].

LIGANDS ET RÉCEPTEURS PLAQUETTAIRES

Le développement d’une thrombose artérielle secondaire à une lésion vasculaire exposant la matrice sous-endothéliale ou secondaire à la rupture d’une plaque d’athérosclérose expose les plaquettes du sang circulant à une grande variété de ligands solubles ou insolubles qui peuvent les stimuler ou les inhiber. Ces molécules se fixent à des récepteurs membranaires à la surface des plaquettes (Fig. 2). Les protéines adhésives solubles ou insolubles se fixent aux récepteurs d’adhésion des plaquettes dont les plus importants sont :

— l’intégrine α (GPIIb-IIIa) qui après avoir changé de conformation fixe le IIbβ3 fibrinogène et permet l’agrégation des plaquettes [6] ;

— le complexe GPIb-V-IX de la famille des protéines riches en leucine qui se fixe au FvW adsorbé au collagène sous-endothélial lorsque les forces de cisaillement à la paroi sont élevées [3] ;

— l’intégrine α qui se lie aux fibres du collagène sous-endothélial et facilite la 2β1 fixation ultérieure au récepteur GPVI d’activation par le collagène. La GPVI fait partie des récepteurs de la superfamille des immunoglobulines dont les voies de signalisation sont couplées à la chaîne γ du récepteur Fc et aux tyrosine-kinases [4].

Parmi les agonistes solubles qui activent les plaquettes, on distingue ceux qui se fixent à des récepteurs glycoprotéiques à 7 domaines transmembranaires couplés à la stimulation d’une phospholipase Cβ (PLCβ) via Gαq comme l’ADP, la thrombine, le TXA et la 5-HT et ceux couplés à l’inhibition de l’adénylcyclase via G comme 2 αi2

FIG. 2 — Schéma général des ligands et récepteurs de l’activation des fonctions plaquettaires.

l’ADP et l’adrénaline. In vivo , l’ADP et la thrombine sont les agonistes solubles les plus importants dans la formation des thromboses artérielles.

Les nucléotides adényliques ADP et ATP

L’ADP joue un rôle capital dans l’activation et l’agrégation directe des plaquettes et dans la potentialisation de l’effet des autres agonistes comme le TXA , l’adrénaline 2 et la thrombine à faible concentration. Les nucléotides adényliques ADP et ATP sont libérés dans la circulation par les globules rouges lésés et les cellules endothé- liales de la paroi athéroscléreuse et plus spécifiquement sécrétés par les plaquettes activées où ils sont stockés dans les granules denses à de très fortes concentrations.

L’ATP et l’ADP sont également de puissants agents vasomoteurs [7]. Deux récepteurs purinergiques, P2Y et P2Y sont responsables simultanément de l’activation 1 12 et nécessaires à une agrégation normale à l’ADP [8]. Le récepteur P2Y , couplé à la 1 stimulation de la PLCβ via Gαq, est responsable de la mobilisation des stocks internes de calcium, du changement de forme des plaquettes et d’une agrégation transitoire à l’ADP. Le récepteur P2Y , couplé à l’inhibition de l’adénylcyclase via 12 Gαi et à l’activation de la PI-3 kinase, est responsable de l’amplification des 2 réponses et de la stabilisation de l’agrégation [9]. L’utilisation de souris transgénique P2Y -/- [10-12] et P2Y -/- [13] a permis de mettre en évidence l’importance de ces 1 12 deux récepteurs dans le développement des thromboses in vivo .

Pour des récepteurs P2Y et P2Y , l’ADP est un agoniste spécifique et l’ATP un 1 12 antagoniste. En revanche, le récepteur P2X est un canal ionique dont l’agoniste est 1 l’ATP. Il permet le passage très rapide du Ca2+ externe dans le cytoplasme des plaquettes [14, 15]. L’utilisation de souris P2X -/- a révélé un rôle important et 1
méconnu de ce récepteur dans la thrombose in vivo des petites artères [B. Hechler, communication personnelle].

La thrombine

La thrombine, l’enzyme centrale de la coagulation, est le plus puissant des activateurs des plaquettes. Son rôle important est méconnu dans la physiopathologie des thromboses artérielles. La rupture d’une plaque d’athérosclérose secondaire à des facteurs locaux et systémiques entraîne une lésion de la paroi, une libération du contenu de la plaque riche en facteur tissulaire, lipides et collagène, une vasoconstriction et une thrombose artérielle aiguë secondaire à la génération de thrombine et à l’activation des plaquettes [16]. L’initiation très rapide de la génération de traces de thrombine par le complexe facteur tissulaire-facteur VIIa a comme première consé- quence l’activation des plaquettes. La thrombine formée se fixe à la surface de la membrane plaquettaire sur la GPIbα avec une forte affinité [3]. De plus, la thrombine hydrolyse spécifiquement la GPV, libérant dans le plasma un fragment soluble GPVf de 69 kDa, qui est un marqueur plasmatique de l’activation des plaquettes 1 par la thrombine [17, 18]. La GPV soluble est augmentée chez les malades souffrant de complications thrombotiques de l’athérosclérose [19]. Mais surtout, la plaquette humaine est activée par la thrombine qui se fixe à deux récepteurs appelés PAR 1 et PAR 4 ( Protease Activated Receptor ) qui sont couplés à des protéines de type Gαq et

G [20]. Le récepteur de haute affinité PAR 1 est activé par de faibles concentra12/13 tions de thrombine qui se fixe et hydrolyse la partie aminoterminale de l’exodomaine du récepteur. Le nouveau peptide aminoterminal démasqué se fixe sur le corps de PAR 1 et déclenche le signal de transduction transmembranaire qui aboutit à la libération des stocks internes de Ca2+. Le mécanisme d’autoactivation de PAR 4 est identique, mais aux fortes concentrations de thrombine. L’activation des plaquettes par la thrombine est renforcée par l’ADP sécrétée par les granules denses. De plus, la thrombine et le collagène exposés lors de la rupture de la plaque entraînent l’externalisation membranaire de la phosphatidylsérine et l’apparition d’une activité procoagulante à la surface du thrombus plaquettaire et la génération de nouvelles molécules de thrombine [21]. Simultanément, la thrombine transforme le fibrinogène en un réseau de fibrine polymérisée qui emprisonne le thrombus plaquettaire.

L’activation du facteur XIII par la thrombine forme un réseau covalent de fibrine qui stabilise le thrombus et rend moins efficace sa dissolution par la fibrinolyse. Les effets thrombogènes puissants de la thrombine sont contrôlés par une série d’inhibiteurs plasmatiques et endothéliaux qui comprennent l’antithrombine, la thrombomoduline, la protéine C et la protéine S [22].

ANTIPLAQUETTAIRES ET THROMBOSE ARTÉRIELLE

Les plaquettes jouent un rôle majeur dans la survenue des thromboses artérielles là où le flux sanguin est élevé. Il est donc logique d’envisager une approche pharma-
cologique pour inhiber les multiples voies d’activation des plaquettes et ainsi inhiber leur fonction et leur participation au développement des thromboses [23].

Les principaux médicaments antiplaquettaires actuellement utilisés en clinique dans la prévention des complications thromboemboliques de la maladie artérielle liée à l’athérosclérose cardiaque, cérébrale et des membres inférieurs sont :

— l’aspirine [24] qui inhibe la cyclooxygénase et empêche la formation de TXA2 ;

— les thiénopyridines (ticlopidine, clopidogrel) [25] qui inhibent la fixation d’ADP au récepteur P2Y des plaquettes et donc l’agrégation plaquettaire induite par 12 l’ADP ;

— les antagonistes de la GPIIb-IIIa (abciximab, eptifibatide, tirofiban) [26] qui inhibent la fixation du fibrinogène et donc l’agrégation induite par tous les agonistes ;

— les associations d’antiplaquettaires qui inhibent plusieurs voies d’activation :

aspirine-ticlopidine ou clopidogrel, aspirine-dipyridamole, aspirine-abciximabclopidogrel.

Grâce aux méthodes nouvelles de la biochimie des protéines, de la biologie moléculaire, de la synthèse organique et de la modélisation sur ordinateur de nouveaux médicaments voient le jour en recherche et développement. Ces médicaments sont dirigés contre les récepteurs de l’ADP, P2Y [27] et P2Y , le récepteur TP du TXA , 1 12 2 la GP IIb-IIIa avec des inhibiteurs synthétiques actifs par voie orale, la fixation du facteur FvW à la GP Ibα et les récepteurs du collagène.

Par ailleurs, les effets de la thrombine sur les plaquettes apparaissent de plus en plus déterminants dans la thrombose artérielle. L’utilisation d’inhibiteurs directs de la thrombine [29] comme l’hirudine, l’hirulog, l’argatroban et plus récemment d’inhibiteurs par voie orale comme le ximélagatran semble utile au traitement des thromboses artérielles. Du reste, l’inhibition pharmacologique des récepteurs d’activation des plaquettes P2Y par le clopidogrel ou GPIIb-IIIa par l’abciximab [28] réduit 12 également l’activité procoagulante des plaquettes et la génération de thrombine.

Ces nombreuses molécules en développement apparaissent prometteuses, seuls les essais cliniques permettront d’évaluer leur efficacité dans la prévention des thromboses artérielles et le bénéfice thérapeutique par rapport au risque hémorragique de substances pharmacologiques puissantes de plus en plus spécifiques des fonctions plaquettaires.

CONCLUSIONS

Les thromboses artérielles surviennent à la suite d’une lésion de la paroi vasculaire le plus souvent après rupture d’une plaque d’athérosclérose ou après une angioplastie qui expose la matrice sous-endothéliale thrombogène. Les plaquettes vont adhé- rer à la zone lésée, s’activer et libérer de l’ADP qui joue un rôle important dans la formation du thrombus. La thrombine rapidement formée lors de la rupture de la
plaque a un rôle majeur dans l’extension de la thrombose. Les événements ischémiques aigus sont donc des urgences thérapeutiques qui sont de plus en plus traités, du fait de la multiplicité des voies d’activation plaquettaire, par des associations thérapeutiques visant à inhiber les effets de l’ADP, de la thrombine, du TXA sur les 2 récepteurs de l’activation des plaquettes ou d’empêcher la fixation du fibrinogène à la GPIIb-IIIa et ainsi inhiber l’agrégation.

REMERCIEMENTS

Les auteurs remercient l’EFS-Alsace, l’INSERM et l’ARMESA pour leur soutien constant. Nos remerciements vont également à Madame Claudine Helbourg pour l’aide éditoriale à ce manuscrit et au Docteur Boris Aleil pour les figures.

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DISCUSSION

M. Pierre GODEAU

A côté des médicaments spécifiquement antithrombotiques, divers médicaments ayant d’autres usages agissent sur les plaquettes. Pour nous limiter à un seul exemple : la pénicilline à fortes doses et la ristocétine antibiotique aujourd’hui retiré du commerce inhibent la fonction plaquettaire, facilitant éventuellement des accidents hémorragiques. Où en est la réflexion dans ce domaine ?

Les antibiotiques de la famille des pénicillines et des céphalosporines sont, à fortes doses, de puissants inhibiteurs de l’agrégation plaquettaire induite par l’ADP, le TXA , le 2 collagène ou la thrombine à faible concentration. Ces antibiotiques se fixent de manière covalente et non spécifique aux récepteurs glycoprotéiques de ces agonistes et du fibrinogène. Ce n’est que dans des circonstances cliniques particulières (nouveau-né, endocardite d’Osler, insuffisance rénale) que les concentrations sanguines élevées de ces antibiotiques peuvent entraîner des anomalies plaquettaires responsables d’accidents hémorragiques cutanéo-muqueux. Quant à la ristocétine, elle se fixe au facteur de Willebrand qui peut alors agglutiner les plaquettes, ce qui entraîne chez l’homme une thrombopénie aiguë sévère. C’est pour cette raison que la ristocétine a été retirée du commerce.

M. Claude DREUX

La sérotonine associée à l’ADP et à l’ATP dans les granules denses plaquettaires joue-t-elle un rôle dans la formation du thrombus ? Effet potentiel des molécules inhibant le transport de la sérotonine en agissant sur ses récepteurs.

La sérotonine du sang circulant est presque totalement transportée par les plaquettes, stockée dans les granules denses avec les nuclétotides adényliques ADP et ATP. La membrane plasmique des plaquettes contient deux types de récepteurs sérotoninergiques, un récepteur de transport inhibé par l’imipramine et un récepteur couplé à Gq qui permet l’agrégation plaquettaire. En outre, la sérotonine potentialise l’effet des autres agonistes, comme l’ADP, sur l’agrégation et la sécrétion des plaquettes. C’est également un puissant vasoconstricteur coronarien ou des vaisseaux cérébraux. La sérotonine joue donc un rôle important dans les interactions des plaquettes et des vaisseaux et constitue une cible thérapeutique d’intérêt.

M. Jean-Noël FIESSINGER

La thrombine a un rôle important dans la thrombose artérielle. Peut-on penser que les inhibiteurs de la thrombine vont prendre une place majeure dans le traitement de la thrombose artérielle ?

La thrombine est le plus puissant activateur des plaquettes en agissant sur des récepteurs spécifiques PAR-1 et PAR-4. Les médicaments qui inhibent la formation de TXA2 comme l’aspirine ou les inhibiteurs du récepteur P2Y de l’ADP comme le clopidogrel 12
sont sans effet sur l’activation et l’agrégation plaquettaire par la thrombine. Lors d’une thrombose artérielle, la thrombine est précocement générée. Elle clive spécifiquement la GPV plaquettaire indiquant sa participation à la formation du thrombus plaquettaire.

L’effet spécifique de la thrombine sur les plaquettes peut être prévenu soit en inhibant le récepteur de la thrombine PAR-1, soit en inhibant directement la thrombine par l’hirudine ou par un inhibiteur compétitif direct de la thrombine actif par voie orale. Ces nouveaux médicaments de synthèse actifs par voie orale sont vraisemblablement destinés à prendre une place majeure, en association à d’autres antithrombotiques, dans le traitement de la thrombose artérielle.


* Etablissement Français du Sang-Alsace, INSERM U.311, BP 36, 10 rue Spielmann — 67065 Strasbourg cedex. Tirés-à-part : Professeur Jean-Pierre CAZENAVE, à l’adresse ci-dessus. Article reçu le 29 novembre 2002, accepté le 2 décembre 2002.

Bull. Acad. Natle Méd., 2003, 187, n° 1, 35-46, séance du 14 janvier 2003