Communication scientifique
Séance du 7 novembre 2006

Phobie scolaire ou refus scolaire : un concept discuté

MOTS-CLÉS : absenteisme. adolescent. angoisse de separation. enfant. psychopathologie. therapie cognitive. troubles anxieux. troubles phobiques
School phobia or school refusal : controversial concepts
KEY-WORDS : absenteism. adolescent. anxiety disorders. anxiety, separation. child. cognitive therapy. phobic disorders. psychopathology

Marie-Christine Mouren, Richard Delorme

Résumé

Le concept de ‘‘ phobie scolaire ’’, longtemps associé aux troubles anxieux, surtout à l’angoisse de séparation chez l’enfant et l’adolescent, tend à s’élargir aujourd’hui, en englobant d’autres troubles sous-jacents comme les conduites antisociales et des comportements tels l’école buissonnière qui, autrefois, en constituaient le diagnostic différentiel. Le terme de refus scolaire est utilisé préférentiellement dans la littérature actuelle, en congruence avec l’observation de jeunes patients et de familles de plus en plus complexes. Le but de ce travail est de faire le point des principaux aspects cliniques, psychopathologiques et thérapeutiques du refus scolaire afin de sensibiliser les professionnels de la santé de l’enfant à sa détection précoce et à la mise en place d’un projet de soins axé sur le retour le plus rapide possible à l’école, deux variables conditionnant le pronostic.

ABSTRACT

For some time the concept of ‘‘ school phobia ’’ has been associated with anxiety disorders in children and adolescents, and especially with separation anxiety. The scope of this concept is now being broadened to include other underlying disorders such as antisocial disorders and behaviors such as school truancy, which were previously among the differential diagnoses. The term ‘‘ school refusal ’’ is now preferred in the literature, being more in line with reports of increasingly complex patient and family situations. This article reviews the main clinical, psychopathological and therapeutic dimensions of school refusal. The aims are to increase child-health professionals’ awareness of this disorder and to describe a treatment plan centered on school attendance. Indeed, early detection and appropriate treatment can considerably improve these children’s outcome.


HISTORIQUE, ÉVOLUTION DES IDÉES

C’est à partir de l’étude des « fugues d’écoliers » que Broadwin [1] repère en 1932 un groupe d’enfants présentant un tableau atypique, nommé « phobie scolaire » par

Johnson et coll . en 1941 [2]. Une controverse se développe alors à propos de ce terme jugé inapproprié dans la mesure où il met trop l’accent sur l’école.

Johnson [3], reviendra d’elle-même en 1957 sur sa position initiale en déclarant « la phobie scolaire est mal nommée, il s’agit plutôt d’une angoisse de séparation par rapport aux figures principales d’attachement ». Cette conception a été adoptée, en 1994, dans les versions successives de la classification américaine, dite DSM-IV [4] :

la phobie scolaire n’est pas considérée comme une catégorie diagnostique à part entière mais simplement citée comme complication du trouble angoisse de séparation. Pour autant, la position américaine n’a pas fait l’unanimité, suscitant d’autres propositions de dénomination du trouble.

C’est ainsi que le terme refus scolaire anxieux , proposé par Hersov [5] en 1960, a été repris par nous-mêmes [6], soulignant la variété et la primauté des mécanismes anxieux en jeu dans le trouble.

Aujourd’hui, le concept initial de phobie scolaire s’élargit encore en englobant le classique diagnostic différentiel d’école buissonnière associé au trouble des conduites antisociales. Le terme général de « refus scolaire » tend à supplanter, dans la littérature internationale, ceux précédemment utilisés (phobie scolaire, refus scolaire anxieux) : il indique l’implication possible de différents troubles psychopathologiques internalisés ou externalisés, y compris en association chez un même enfant.

Cette difficulté à bien cerner la phobie (ou le refus scolaire ) rend compte des discussions, voire polémiques subsistant à ce jour chez les psychiatres d’enfants ainsi que de la variété des définitions proposées. Elle rend compte de l’hétérogénéité des travaux effectués et de leurs résultats, en fonction de la conception plus ou moins large du concept adopté.

Nous choisirons la définition de Kearney et Silverman [7] pour sa neutralité : enfants qui refusent d’aller à l’école ou d’y rester toute la journée .

ÉPIDÉMIOLOGIE

La prévalence du refus scolaire rapportée en population générale des enfants scolarisés en primaire et au collège varie aux alentours de 2 % ; en population clinique, elle est de 5 % selon les mêmes sources. L’incidence du trouble dans les échantillons cliniques serait en augmentation, sans interprétation univoque de cette constatation.

L’étude du sex ratio montre un répartition égale entre garçons et filles. Les pics de fréquence du trouble se situent, selon Hersov [8], entre cinq et sept ans (correspon-
dant au début de la scolarité primaire), vers onze ans (entrée au collège) et à partir de quatorze ans : cette donnée est corroborée par l’ensemble des auteurs. Le refus scolaire se voit plus fréquemment dans la préadolescence que dans l’enfance. Ni le niveau socio-économique, ni le rang dans la fratrie, ne jouent un rôle dans la survenue du trouble.

Un point important concerne l’identification des adultes les mieux placés pour repérer le refus scolaire d’un enfant à son début. Les parents ne sont pas toujours clairvoyants, le dépistage étant surtout l’affaire de l’école (chefs d’établissements, conseiller d’éducation, assistante sociale, infirmière scolaire). Les sujets en difficulté sont adressés fréquemment en première intention aux médecins généralistes, d’où l’importance de leur sensibilisation au refus scolaire.

DESCRIPTION CLINIQUE DU REFUS SCOLAIRE

Le tableau varie largement dans sa présentation clinique. La variété de refus scolaire la mieux décrite étant le refus scolaire anxieux, c’est elle que nous choisirons comme ‘‘ forme type ’’.

Le mode de début peut être brutal (ceci chez les plus jeunes enfants) ou progressif (dans la seconde enfance et l’adolescence) : l’absentéisme est alors sporadique, discontinu, électif pour certaines matières (mathématiques, sports) ou dans des situations d’évaluation, avec de nombreux passages à l’infirmerie pour des allégations somatiques (douleurs abdominales, céphalées). Dans ce dernier cas, la situation peut longtemps passer inaperçue. Elle connaît des fluctuations, s’allégeant à l’approche des vacances et s’aggravant après des périodes d’interruption scolaire.

Les parents signalent parfois des facteurs précipitants, qu’ils soient liés à l’école (changements d’établissement ou de cycle scolaire), à la vie familiale (divorce, déménagement) ou à l’enfant lui-même (maladie somatique).

Le tableau du refus scolaire peut être décrit du côté de l’enfant et du côté de la famille.

Au moment de la confrontation à la situation anxiogène (par exemple, le départ pour l’école), l’enfant est débordé par des émotions incontrôlables : il crie, hurle, supplie, menace de se suicider ou de fuguer, refuse de se préparer, se débat… il se plaint de maux divers, mis parfois en avant pour justifier son impossibilité d’aller à l’école. L’ensemble de cette symptomatologie évoque une véritable attaque de panique, en réponse à un facteur déclenchant. Plus rarement, il exprime tout haut les craintes qu’il éprouve. Certains font semblant de se rendre à l’école pour tromper les parents mais font demi-tour et retournent chez eux clandestinement. En dehors de la confrontation avec la situation stressante, l’enfant réitère ses promesses de retour à l’école, surtout si quelques jours de répit lui sont octroyés. Il réclame au début, du travail scolaire au domicile, puis abandonne petit à petit tout effort intellectuel, sort peu et s’isole, par crainte de questions, de reproches et de moqueries de ses camarades. Les troubles du sommeil et les plaintes somatiques restent marquées (fatigue, douleurs abdominales). Les bénéfices secondaires accordés par les parents pour
distraire l’enfant (libre accès à la télévision, aux jeux videos et à internet, achat d’animaux de compagnie) renforcent le trouble, de même que l’abandon des habitudes de vie quotidienne (décalage des heures des repas, du lever et du coucher, tenue vestimentaire négliglée). Les exigences de l’enfant deviennent de plus en plus fortes vis-à-vis des parents qu’ils harcèlent, tyrannisent et asservissent.

L’attitude de la famille est un facteur essentiel de la perennité ou non du trouble. Des parents cohérents, fermes et en alliance avec les thérapeutes s’avèrent rassurants pour l’enfant. En revanche, les familles ambivalentes, tolérantes à l’extrème, qui savent, cèdent et entérinent , deviennent des alliés tacites de l’enfant dans sa déscolarisation.

La cognition des sujets avec un refus scolaire a donné lieu a peu de travaux. Le qualificatif de ‘‘ bons élèves ’’ a longtemps prévalu, ce que dément le travail de Naylor et coll . [9]. Il porte sur un groupe de vingt-sept adolescents d’âge moyen (14,5 fi 1,2 ans) hospitalisés pour des troubles psychopathologiques divers compliqués de refus scolaire, appariés pour l’âge, le sexe et le diagnostic primaire, à un groupe de vingt-sept patients souffrant de troubles psychiatriques mais sans refus scolaire.

Si les deux échantillons ne diffèrent pas au WISC-R, sur le score global et le QI Performance, les sujets en refus scolaire montrent une diminution significative du QI Verbal et une altération significative des apprentissages (lecture, langage écrit, mathématiques) ainsi que du langage oral. On peut imaginer la démoralisation suscitée par ces difficultés chroniques marquant la scolarité de ces enfants.

Les conséquences du refus scolaire sont d’autant plus délétères que celui-ci survient tardivement (après onze ans), chez un adolescent proche de la fin de l’obligation scolaire, avec un cursus chaotique et de faibles compétences académiques. Le diagnostic peut être retardé par la recherche de causes organiques avec explorations somatiques multiples et iatrogènes. Les évictions scolaires cautionnées par les certificats médicaux des médecins traitants ou les inscriptions au CNED contribuent aussi à la pérennisation de la situation.

TROUBLES PSYCHOPATHOLOGIQUES ET REFUS SCOLAIRE

Nombre de troubles psychopathologiques sous-tendent le refus scolaire, y compris chez un même enfant. L’accent a d’abord été mis sur le rôle des difficultés intrapsychiques dans le refus scolaire (angoisse de séparation, phobie simple ou sociale), puis sur le ‘‘ poids ’’ des facteurs objectifs ayant trait à l’école (pression scolaire, enseignant rejetant, harcèlement). Aujourd’hui, les comportements d’absentéisme et d’école buisssonnière sont réintégrés au sein des refus scolaires, au lieu d’être considérés comme des diagnostics différentiels.

Les troubles anxieux sont les plus fréquents et les mieux étudiés [10]. L’angoisse de séparation, dépendance pathologique à la mère, touche surtout les enfants (7-8 ans) mais peut perdurer. La phobie simple (peur d’un camarade, des toilettes, d’une
alarme, du feu, de la cantine…) survient plus tardivement (12-13 ans), alors que la phobie sociale (peur excessive de la critique et des moqueries des enseignants et des camarades) est l’apanage des adolescents (14-15 ans). D’autres troubles anxieux sont associés au refus scolaire : trouble panique (peur de faire une attaque de panique à l’école), anxiété généralisée (crainte des évaluations, anxiété de performance), syndrome de stress post-traumatique.

Dans un échantillon de soixante enfants et d’adolescents de 5 à 18 ans, hospitalisés à l’hôpital Robert Debré entre 1985 et 1995, pour ‘‘ phobie scolaire ’’, cinquante et un répondaient aux critères de ‘‘ refus scolaire anxieux ’’ avec comme diagnostic principal, le trouble angoisse de séparation (n=25), la phobie sociale (n=16) et la phobie simple (n=10) regroupés en troubles phobiques. L’objectif de ce travail, préalable à une étude d’aggrégation familiale exposée plus loin, était de comparer les deux groupes ‘‘ anxieux ’’ et ‘‘ phobiques ’’. En accord avec les publications de la littérature, le sous-groupe angoisse de séparation montrait un âge de début des troubles significativement plus précoce, une durée d’évolution plus prolongée, un plus jeune âge du père et de la mère que le sous-groupe ‘‘ troubles phobiques ’’. En revanche, ni le sexe de l’enfant, ni son âge au moment de l’hospitalisation, ni le nombre ou le type de troubles comorbides, ne variaient significativement [11].

La prévalence des troubles de l’humeur varie considérablement dans la littérature (entre 13 et 20 %), de même que les catégories de dépression en cause (dépression majeure, dysthymie, trouble de l’adaptation avec humeur dépressive). La dépression constitue parfois le trouble principal à l’origine du refus scolaire mais fréquemment, elle est comorbide aux troubles anxieux [12].

Les troubles du comportement s’accompagnent souvent d’absentèisme scolaire. Sans angoisse apparente, ni culpabilité, l’adolescent s’arrange pour cacher ses absences à ses parents en déambulant toute la journée seul ou en bande avec laquelle il commet des actes antisociaux (vols, vandalisme, agressions contre les personnes) ou consomme des substances psychoactives. Le désintérêt pour la scolarité est total et, en général, irréversible. A un degré de moindre gravité, le trouble oppositionnel avec provocations (refus de tout ordre, recherche des limites, colères, harcèlement des parents) coexiste chez 9 à 20 % des enfants anxieux en refus scolaire [12], aggravant le tableau clinique et complexifiant le traitement.

En définitive, l’importance des troubles psychopathologiques apparaît clairement chez les sujets en refus scolaire, ainsi que leur comorbidité. Ces troubles suivent une progression développementale : les troubles anxieux purs seraient plus fréquents chez les enfants et les pré-adolescents, les troubles des conduites antisociales avec l’école buissonnière, plus représentés chez les adolescents. On insiste aujourd’hui sur la fréquence et la gravité des formes mixtes (troubles anxieux et troubles du comportement) et sur le rôle ‘‘ traumatique ’’ de certains environnements scolaires, lieux de violences de tous ordres, justifiant que l’enfant s’en éloigne et se mette à l’abri.

DEVENIR A LONG TERME

Peu d’études de devenir à long terme du refus scolaire ont été rapportées dans la littérature. La plus connue est celle de Flakierska Praquin et al . [13], effectuée sur registre de cas en Suède, ayant abouti à la sélection d’un échantillon de trente-cinq refus scolaire anxieux de 7 à 12 ans, traités en hospitalisation ou en ambulatoire à la clinique psychiatrique de l’enfant de Göteborg dans les années soixante : tous remplissaient les critères d’un trouble angoisse de séparation. Ce groupe a été comparé à un échantillon apparié de trente-cinq enfants traités pour des troubles psychiatriques divers mais non phobiques scolaires et à trente-cinq enfants de la population générale. Leur devenir a été étudié vers l’âge de 34 ans. Les résultats mettaient l’accent sur le groupe des refus scolaires anxieux comme significativement plus ‘‘ consommateur ’’ de soins psychiatriques à l’âge adulte que le groupe ‘‘ population générale ’’ (mais non l’autre groupe). De plus, ce groupe index habitait davantage chez ses parents, et avait moins d’enfants que les deux autres groupes de comparaison, ce qui renvoie à la persistance probable du trouble angoisse de séparation à l’âge adulte et aux relations de dépendance avec l’entourage qu’ils entretiennent longtemps.

Cependant, cette étude pilote sur une population ciblée de refus scolaire (les refus scolaires par angoisse de séparation) ne reflète probablement pas le devenir des formes sous-tendues par d’autres troubles, y compris les formes mixtes : celui-ci pourrait s’avérer encore plus péjoratif, au plan de l’insertion socio-professionnelle et de l’adaptation en général.

ROLE DES FACTEURS FAMILIAUX

La famille peut être étudiée sous deux aspects : celui d’un fonctionnement problé- matique, contribuant au refus scolaire ou celui d’une aggrégation familiale de troubles sous-tendant le refus, témoignant d’une vulnérabilité génétique possible.

Plusieurs types de familles ont été décrites dans les refus scolaires [14, 15] : les familles ‘‘ empêtrées ’’, les familles en conflit, les familles isolées, les familles détachées…, en fonction du type d’interactions entre les membres. Des instruments d’évaluation connus de la dynamique familiale ont été appliqués à des populations de refus scolaire avec des résultats laissant entrevoir le rôle contributif des dysfonctionnements familiaux et l’importance d’une approche de thérapie familiale dans certains cas.

L’étude des troubles mentaux des ascendants des refus scolaires anxieux a donné lieu à plusieurs résultats témoignant de l’aggrégation familiale des troubles anxieux chez les parents et les frères et sœurs [16], puis chez les mères seulement [17].

L’originalité de notre étude personnelle effectuée en 1999 et déjà citée [11, 18] se situe dans l’examen séparé des mères et des pères, de deux groupes d’enfants et
d’adolescents souffrant de refus scolaire anxieux : vingt-cinq remplissaient les critères de l’angoisse de séparation (groupe A), vingt-six les critères des troubles phobiques (groupe B). Nos résultats montraient la forte prévalence des troubles anxieux et dépressifs chez les mères et les pères des refus scolaires anxieux et révélaient des différences significatives dans l’aggrégation paternelle et maternelle des troubles, en considérant les deux sous-groupes d’enfants. Plus concrètement, nous avons mis en évidence une augmentation significative des risques de trouble panique et/ou agoraphobie chez les mères et pères du groupe A, ce qui confirme l’hypothèse développementale des liens entre angoisse de séparation dans l’enfance et trouble panique/agoraphobie chez l’adulte [19]. Parallèlement, des taux significativement élevés de ‘‘ phobies ’’ (sociale et simple) combinées, étaient retrouvés, sur la vie entière, chez les mères et les pères des enfants phobiques (tableaux 1 et 2). Notre travail a donc contribué à valider la distinction entre les deux sous-types de refus scolaires anxieux, en démontrant une aggrégation différente des troubles anxieux chez les parents des enfants avec une angoisse de séparation par rapport à ceux des phobiques.

THERAPEUTIQUE

Le traitement du refus scolaire est, à plusieurs titres, multimodal. Son objectif premier vise le retour à l’école, ce qui implique un partenariat avec les enseignants et une alliance thérapeutique avec la famille et les thérapeutes. Mais le traitement s’applique aussi aux troubles psychiques de l’enfant, à la psychopathologie familiale et aux difficultés cognitives lorsqu’elles existent. Le traitement est donc adapté à chaque cas.

Il s’applique en ambulatoire pour des refus de début récent. En revanche, la gravité de certaines comorbidités (dépression avec idées suicidaires), l’inadéquation parentale, peuvent conduire à une hospitalisation temps plein ou de jour en milieu spécialisé (service de pédopsychiatrie).

Concernant les méthodes appliquées, la littérature fait une large place à la thérapie cognitivo-comportementale en individuel : il s’agit de l’exposition graduelle au stimulus anxiogène que représente l’école. Ce retour progressif nécessite une collaboration étroite entre la famille, les thérapeutes, un enseignant désigné et l’enfant, pour établir un plan de rescolarisation par étape dans une période donnée (en général, un mois). Si la rescolarisation s’avère impossible, une mise en internat (normal ou thérapeutique) est parfois la seule solution pour la reprise du cursus scolaire. L’efficacité de la psychothérapie cognitivo-comportementale a été démontrée par rapport à la mise en liste d’attente, mais non par rapport aux psychothérapies de soutien [20, 21].

Une étude récente effectuée par Heyne et al . [22] visait à évaluer, dans un groupe d’enfants et d’adolescents de 7 à 14 ans, l’efficacité de trois modalités de prise en charge impliquant soit l’enfant seul, soit à la fois l’enfant, les parents et les ensei-

TABLEAU 1. — Pourcentage sur la vie entière des troubles anxieux et dépressifs chez les mères des enfants en refus scolaire (N=51) TABLEAU 2. — Pourcentage sur la vie entière des troubles anxieux et dépressifs chez les pères des enfants en refus scolaire (n=46)
gnants (approche combinée), soit les parents ou les enseignants seuls. Contrairement aux attentes, les bénéfices apportés par les traitements combinés, plus coûteux et complexes à organiser, n’apparaissaient pas significatifs. Ceci conduit les auteurs à mettre en avant des approches « simplifiées », centrées sur l’enfant où l’exposition (retour progressif à l’école) constitue le « pivot » du traitement.

Les traitements pharmacologiques ont été aussi utilisés chez les enfants avec un refus scolaire anxieux. Il s’agit essentiellement des antidépresseurs tricycliques, ayant fait l’objet de quatre études contrôlées contre placebo en double aveugle, avec des résultats contradictoires [23-26] en raison de méthodologies différentes. Les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérononine n’ont pas donné lieu à des études contrôlées dans cette indication.

On peut tenter de préciser les indications de ces différentes méthodes en fonction des variétés de refus scolaire. Par exemple, les refus scolaires accompagnés de phobies sociales ou d’angoisse de séparation (les plus nombreux) seront orientés vers des psychothérapies individuelles (techniques comportementales ou autres) isolées ou en conjonction avec celles de leurs parents. Dans les refus scolaires des jeunes enfants, le traitement se focalisera sur les parents seuls. Le refus scolaire avec comorbidité dépressive, invitera à une approche psychothérapique de l’enfant avec discussion de l’adjonction d’un traitement pharmacologique antidépresseur. Le refus scolaire « mixte » constitue la forme où une stratégie thérapeutique « combinée », visant l’enfant et les parents s’avère indispensable.

CONCLUSION

Le concept de refus scolaire apparaît aujourd’hui le reflet d’une mutation, touchant à la psychopathologie mais aussi à l’évolution de la société. Concernant surtout autrefois de jeunes enfants dépendants et nostalgiques de leurs mères, elle touche de plus en plus d’adolescents en révolte contre l’école et les responsabilités d’adulte qu’elle annonce, mais aussi victimes de la pression et de la violence scolaire. Pour les pédopsychiatres, les recherches doivent se poursuivre sur les traitements à long terme, la psychopathologie parentale et les formes de l’adolescent, en relation avec les médecins généralistes et en continuité avec les psychiatres d’adultes.

BIBLIOGRAPHIE [1] BROADWIN I.T. — A contribution of the study of truancy.

Am. J. Orthopsychiatry , 1932, 2 , 253-259.

[2] JOHNSON A.M., FALSTEIN E.J., SZUREK S.A., SVENDSEN M. — School Phobia. Am. J. Orthop- sychiatry, 1941, 11 , 702-711.

[3] JOHNSON A.M. — School Phobia : discussion.

Am. J. Orthopsychiatry 1957, 27 , 307-309.

[4] Manuel Diagnostic et Statistique des Troubles Mentaux. — DSM-IV, Editions Masson 1994.

[5] HERSOV L.A. — Refusal to go School. J. Child Psychol. Psychiatry , 1960, 1, 137-145.

[6] MOUREN-SIMEONI M.C., VILA G., VERA L. — Troubles anxieux de l’enfant et de l’adolescent.

Edition Maloine, 1993.

[7] KEARNEY C.A., SILVERMAN W.K. — The evolution and reconciliation of taxonomic strategies for school refusal behavior. Clin.Psychol. Sci. Pract., 1996, 3 , 339-354.

[8] HERSOV L.A. — School refusal in child and adolescent psychiatry, modern approaches. 2e

Edition Blackwell Scientific. Publications, 1985.

[9] NAYLOR M.W., STASKOWSKI M., KENNEY M.C., KING C.A. — Language Disorders and learning disabilities in school. Refusing adolescents. J. Am. Acad. Child of Adolesc. Psychiatry, 1994, 33 , 9, 1331-1337.

[10] LAST C.G., STRAUSS C.C. — School refusal in anxiety disordered children and adolescents.

J.

Am. Acad. of Child Adolesc. Psychiatry, 1990, 29 , 1, 31-35.

[11] CABROL S. — Approche clinique et familiale du refus scolaire anxieux : résultats d’une étude d’agrégation familiale chez 51 proposants. Thèse pour le Doctorat en Médecine, 1996. Université Paris Ouest.

[12] HEYNE D., KING N.J., TONGE B.J., COOPER H. — School refusal, epidemiology et management.

Pediatr. Drugs, 2001, 3 , 719-732.

[13] FLAKIERSKA-PRAQUIN N., LINDSTROM M., GILBERG C. — School phobia with separation anxiety disorders : a comparative 20 to 29 year follow up study of 35 school refusers. Comprehensive Psychiatry , 1997, 38 , 1, 17-22.

[14] BERNSTEIN G.A., BORCHARDT C.M. — School refusal : family constellation and family functioning. J. Anx. Disord,. 1996, 10 , 1-19.

[15] KEARNEY C.A., SILVERMAN W.K. — Family environnement of youngsters with school refusal behavior : a synopsis with implications for assessment and treatment. Am. J. Fam. Ther. 1995, 23 , 59-72.

[16] GITTELMAN-KLEIN R. — Psychiatric characteristics of the relatives of school phobic children.

In

Mental Health in Children, Sankar DVS Ed. New-York PJD Publications , 1975.

[17] LAST C.G., FRANCIS G., HERSEN M., KAZDIN A.E., STRAUSS C.C. — Separation anxiety and school Phobia : a comparison using DSM-III criteria. Am. J. Psychiatr, 1987, 144 , 653-657.

[18] MARTIN C. CABROL S., BOUVARD M.P., LEPINE J.P., MOUREN-SIMEONI M.C. — Anxiety and depressive disorders in fathers and mothers of anxious school-refusing children. J. Am. Acad. of Child Adolesc. Psychiatry , 1999, 38 , 7, 916-922.

[19] GITTELMAN R., KLEIN D.F. — Relationship between separation anxiety and panic and agoraphobia disorders. Psychopathology, 1984, 17 , 56-65.

[20] KING N.J., TONGE B.J., HEYNE D. et al . — Cognitive-Behavioral treatment of school refusing chilren.

J. Am. Acad. of Child Adolesc. Psychiatry , 1998, 37 , 395-403.

[21] LAST C., HANSEN C., FRANCO N. — Cognitive-Behavioral treatment of school phobia.

J. Am.

Acad. of Child Adolesc. Psychiatry , 1998, 37 , 4, 404-411.

[22] HEYNE D., KING N.J., TONGE B.J. et al . — Evaluation of child therapy and caregiver training in the treatment of school refusal.

J. Am. Acad. of Child Adolesc. Psychiatry , 2002, 41 , 6, 687-695.

[23] BERNEY T., KOLVIN I., BHATE S.R . et al . — School phobia : a therapeutic trial with clomipramine and short-term outcome.

Br. J. Psychiatry, 1981, 138 , 110-118.

[24] BERNSTEIN G.A., GARFINKEL B.D., BORCHARDT C.M. — Comparative studies of pharmacotherapy for school refusal. J. Am. Acad. of Child Adolesc. Psychiatry , 1990, 29 , 773-781.

[25] GITTELMAN-KLEIN R., KLEIN D.F. — School phobia : diagnostic considerations in the light of imipramine effect. J. Nerv. Ment. Dis. , 1973, 156 , 199-212.

[26] KLEIN R., KOPLEWICZ H.S., KANNER A. — Imipramine Treatment of children with separation anxiety disorders. J. Am. Acad. Child Adolesc. Psychiatry , 1992, 31 , 21-28.

DISCUSSION

M. Roger NORDMANN

N’y a-t-il pas un risque que la situation particulière que vous avez décrite au Japon ne s’étende à la France ? A l’heure actuelle, les études épidémiologiques montrent que les écoliers français passent plus de temps devant la télévision qu’à l’école. Il est évidemment plus plaisant pour eux de se consacrer à la télévision ou l’internet plutôt qu’à une école souvent destructurée et où la sécurité est parfois incertaine. Pour limiter le refus scolaire, ne convient-il pas de mieux mettre en garde les parents contre le risque que représente le temps consacré par leurs enfants à la télévision et l’internet ?

Dans nos sociétés, les média représentent le pouvoir le plus puissant, le plus insidieux et le moins contrôlable exercé sur les enfants et les adolescents. Leur influence est subtile, cumulative et prolongée. Or, les parents n’en perçoivent généralement pas l’impact. Il est pourtant démontré, dans de nombreuses publications de la littérature (en majorité anglo-saxonnes), le rôle néfaste de la télévision sur le comportement sexuel, les risques de grossesse précoce, les troubles du comportement alimentaire, la consommation de tabac, d’alcool, et de drogues, ainsi que les comportements agressifs en lien avec la violence véhiculée. En définitive, la télévision peut être vécue comme récréative mais elle n’est ni éducative, ni prosociale.

M. Henri LÔO

N’existe-t-il pas des refus scolaires, en quelque sorte ‘‘ acquis ’’ après l’expérience scolaire, par difficultés d’apprentissage, liés à des déficits sensoriels, et surtout aux troubles de la latéralisation responsables de dyslexie, de dysorthographie ou de dyscalculie ? N’y a-t-il pas quelquefois, derrière un refus scolaire, un épisode dépressif caractérisé ou une dépressivité ?

Enfin, des études à long terme ont-elles pu préciser le devenir de ces enfants : troubles anxieux, comportements antisociaux, schizophrénie, etc. ?

Vous posez trois questions distinctes dont je vous remercie car faute de temps, je n’ai pas abordé ces différents points. Effectivement, les enfants en refus scolaire ne sont pas toujours de ‘‘ bons élèves ’’ comme cela a été décrit. Nombre d’entre eux souffrent de troubles d’apprentissage (dyslexie-dysorthographie, dyspraxie, dyscalculie), parfois non diagnostiqués donc non traités, responsables de difficultés scolaires chroniques. Le dépistage de ces éventuels troubles et leur prise en compte dans la stratégie thérapeutique du refus scolaire doivent être envisagés pour chaque cas. Quant à la dépression (isolée ou comorbide aux troubles anxieux), elle sous-tend un nombre variable de cas de refus scolaire (13 à 20 %), sous forme de dépression majeure ou de dysthymie. Sa présence constitue un facteur aggravant le pronostic. Les étude à long terme des refus scolaires
sont peu nombreuses, déjà anciennes (1997) et portant exclusivement sur des échantillons homogènes de refus scolaires anxieux par angoisse de séparation, non représentatifs de la variété actuelle des troubles. Ces études, faites sur des registres de cas en Suède, ne donnent que des renseignements indirects sur l’état psychopathologique des sujets devenus adultes (l’angoisse de séparation semblait toujours présente), mais fournit peu de renseignements sur le niveau d’études ou l’insertion professionnelle des sujets. De telles études catamnestiques restent donc à entreprendre.

M. Jean-François ALLILAIRE

On peut citer, toujours au Japon, les phénomènes des O-TAKU (signifie ‘‘ à la maison ’’), adolescents et jeunes adultes qui refusent de sortir de leur chambre où ils se livrent à des activités de la stimulation virtuelle par la télévision ou l’internet, collectionnent souvent les poupées qui sont leurs interlocuteurs et souffre-douleur privilégiés, développant pour le monde virtuel une appétence quasiment autistique. Il s’agit bien souvent de formes ‘‘ dépassées ’’ du problème précédent pour lesquelles prédominent les troubles phobiques graves, les maladies dépressives plus ou moins chronicisées, mais surtout les troubles psychotiques qu’il eût été judicieux de prévenir, dépister et traiter à leur début plutôt que de les laisser s’enkyster. Ce phénomène n’est bien sûr pas exclusivement japonais mais existe de façon moins sociologiquement visible dans nos contrées. Il pose le problème de la résignation fréquente de l’entourage à subir ces situations plutôt qu’à déclencher la mise en route d’une prise en charge thérapeutique.

Il est raisonnable de penser que nombre de ces jeunes reclus japonais présentent des troubles psychopathologiques non diagnostiqués, favorisés ou aggravés par les stress sociaux. Le problème, pour les psychiatres japonais, est de les amener à consulter, ce à quoi ils se refusent.

M. Jacques BATTIN

On pourrait rétorquer à votre excellent exposé que le refus scolaire n’est pas forcément pathologique. Des gens de talent ont détesté l’école, comme Semmelweiss auquel Céline a consacré sa thèse de médecine. Mais actuellement, les malades de l’école posent un problème de santé publique et de sécurité. Plus on investit dan le budget de l’éducation, plus celle-ci va mal. On nous annonce une réforme de l’IUFM. Ne pensez-vous pas qu’il faut rendre l’école plus attractive car elle entre en compétition avec les moyens audiovisuels ?

Le problème de la sécurité des établissements, de leur taille, de l’engagement des proviseurs et des professeurs, est devenu crucial pour l’investissement de la scolarité par les enfants. Ces variables ‘‘ externes ’’ de violence scolaire mais aussi de pressions parentales inappropriées, viennent s’ajouter aux vulnérabilités individuelles des enfants, pour ‘‘ rendre compte ’’ du refus scolaire.

M. Marc GENTILINI

Quel est le taux de suicide chez ces adolescents phobiques ou refusant délibérément l’école ?

A ma connaissance, le taux de suicides ou de tentatives de suicide des enfants et des adolescents en refus scolaire, n’a pas une prévalence si élevée qu’elle soit mentionnée
dans la littérature. Elle dépend surtout de la présence d’une dépression dont on sait qu’elle favorise les passages à l’acte suicidaire (pour mémoire, chez les enfants et adolescents déprimés, les idées suicidaires sont présentes dans 60 % des cas et les tentatives de suicide, dans 40 % des cas).


* Service de Psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent, Hôpital Robert Debré, Paris, 75019. Tirés à part : Professeur Marie-Christine MOUREN, même adresse Article reçu le 27 mars 2006, accepté le 2 octobre 2006

Bull. Acad. Natle Méd., 2006, 190, no 8, 1629-1641, séance du 7 novembre 2006