Communication scientifique
Séance du 26 février 2008

Peut-on parler de sa mort avec un enfant malade ? L’apport d’un conte

MOTS-CLÉS : enfant.. mort. traitement palliatif
How to discuss death with a dying child : can a story help ?
KEY-WORDS : child.. death. palliative care

Anne Auvrignon, Guy Leverger, Géraud Lasfargues

Résumé

Faut-il et peut-on évoquer avec un enfant en phase palliative sa propre mort ? Comment en parler ? Une étude suédoise récente concluant à un effet bénéfique pour les parents qui ont pu parler à leur enfant de leur mort imminente, soulève la question de la place des soignants pour aider les parents dans cette démarche. Un conte a récemment été écrit par la mère d’un enfant suivi dans notre service, quarante-huit heures avant le décès de son fils. Ce récit évoque de nombreuses questions récurrentes soulevées par les familles et les enfants en fin de vie : la peur de l’inconnu, la peur d’être remplacé(e), le caractère inéluctable du départ, la tristesse, l’inquiétude de l’oubli et de l’après… Depuis 2004, ce conte a été remis à plusieurs familles dans notre service, avant le décès de leur enfant. Afin d’en évaluer l’impact et de savoir si la remise d’un document favorisant le dialogue avec l’enfant mourant devait être poursuivie, nous avons adressé un questionnaire aux treize premières familles. La lecture du document a été vécue le plus souvent comme positive et aidant le dialogue avec l’enfant. Les résultats de notre travail permettent de penser qu’il faut soutenir les familles qui souhaitent initier ce dialogue. Cette démarche soulève de nombreuses questions et doit s’intégrer dans une réflexion globale d’accompagnement. C’est ainsi que nous avons favorisé la publication de ce texte sous la forme d’un livre illustré pour enfant intitulé « Falikou », paru en octobre 2006.

Summary

Is it necessary — and possible — to discuss death with a terminally ill child ? How should one approach the subject ? A recent Swedish study demonstrates the benefits for parents who discuss with their child his or her imminent death, and examines the ways in which caregivers can help such parents. The mother of one child treated in our unit recently wrote a story 48 hours before her child’s death. The story served to broach a number of questions often raised by dying children and their families : fear of the unknown, of being replaced, the inevitability of death, grief, and fear of being forgotten… Since 2004, the story has been given to several families with dying children in our unit. In order to evaluate the story’s impact on families and to determine whether a document which stimulates dialogue should continue to be given to parents, we asked the first thirteen to fill out a questionnaire. The results confirmed that the story was experienced as something positive and that it helped parents to talk with their children. The results of our study lead us to conclude that the medical profession should lend its full support to families who wish to engage in this dialogue with their children. This study also raises many questions and should be part of a global accompaniment strategy. With our support, an illustrated story book called Falikou was published in October 2006.

Le nombre de décès d’enfants a diminué de près de 90 % depuis cinquante ans. En France c’est devenu un évènement « rare » avec 7 229 décès chez les enfants et adolescents âgés de moins de vingt ans, en 2001 pour une population de quinze millions de personnes dans cette tranche d’âge [1]. La principale cause de mortalité, en dehors de la période néonatale, est représentée par les « traumatismes et empoisonnements » (accidents de tout type et suicides), avec environ 2 000 décès, puis les « tumeurs » (tout type de tumeurs et leucémies), avec un peu plus de 500 décès, soit 8 % de l’ensemble [1]. Les cancers touchent plus volontiers les jeunes enfants. Ainsi dans la tranche de zéro à quinze ans, 45 % des cancers s’observent avant l’âge de quatre ans [2] et plus de 50 % des enfants ont moins de neuf ans au moment du décès [3].

L’information médicale aux enfants malades s’est considérablement développée au cours des décennies récentes ; le partage des connaissances avec l’enfant en fait un véritable partenaire de son traitement [4]. Cependant, comment parler avec son enfant de sa propre mort dont sont conscients la majorité des enfants. Récemment un conte a été écrit par la mère d’un enfant, quarante-huit heures avant le décès de son fils. Il a été proposé dans notre service aux parents d’enfants en fin de vie pour qu’il soit lu à leur enfant. Les résultats de l’évaluation de cette pratique [5] qui s’est développée par l’illustration et l’impression du livre Falikou , et notre expérience nous conduisent ici à développer notre réflexion sur un sujet difficile : peut-on parler de sa mort avec un enfant malade ?

LES ENFANTS SONT-ILS CONSCIENTS QU’ILS VONT MOURIR ?

On entend bien souvent dire « il est trop petit pour comprendre… les enfants ne se rendent pas compte… » ; ces propos sont basés sur les échelles de l’intégration du concept de mort chez l’enfant en fonction de son âge, que des études psychologiques scindent en trois étapes. Vers deux-trois ans, l’enfant commence à intégrer la mort dans ses jeux. Il s’agit d’une notion abstraite (souvent symbolisée par l’immobilité) et d’un évènement considéré comme réversible. Vers cinq-six ans, l’enfant commence à prendre conscience du caractère irréversible de la mort. Dès l’âge de huit-neuf ans, sa perception de la mort devient à peu près semblable à celle de l’adulte.

Cependant, de nombreux parents rapportent des propos d’enfants parfois très jeunes qui témoignent de leur juste perception de la mort. Au-delà de son âge, la conscience qu’un enfant a de la mort dépend aussi de ses conditions de vie, de sa maturité, de son environnement, et surtout de son propre état de santé. En effet, qu’en est-il de la perception de la mort chez l’enfant malade, confronté à la maladie grave ? On peut rapporter, les nombreux témoignages des soignants des services de cancérologie confrontés à ces phrases d’enfants : « comment je vais faire pour reconnaître papy et mamy au ciel, puisque je ne les ai pas connus ici ? » ou bien « tu sais, je vais bientôt partir au pays de Peter Pan », phrases qui nous laissent souvent sans voix…Les témoignages de parents sont eux aussi nombreux de même que les récits d’enfants rapportés par de nombreux psychologues ou psychiatres. Ainsi Ginette Raimbault dans L’enfant et la mort [6] publié pour la première fois en 1975, rapporte son expérience auprès d’enfants atteints de maladies rénales chroniques aboutissant au décès. Elle nous rappelle que l’enfant ne pourra parler que s’il rencontre une personne « capable de le rejoindre » dans ses pensées, alors que s’il rencontre silence ou mensonge, il se taira. Elle note aussi que presque tous les enfants, quel que soit leur âge, ont une connaissance claire de leur mort à venir, car appartenant à leur destin logique d’enfants malades et hospitalisés. Elisabeth Kubler-Ross [7] rapporte dans les années 1980, dans plusieurs ouvrages, des propos d’enfants malades ou des messages d’enfants bien portants ayant une pré- conscience d’un événement dramatique les concernant, ces messages étant exprimés parfois sous formes de langage symbolique (dessins de papillons, de voyage…). Elle affirme, par ces exemples, qu’un enfant même très jeune peut percevoir et exprimer sa mort si on veut ou si on peut l’entendre. Plus récemment, Daniel Oppenheim [8] relate dans le chapitre L’enfant face à sa mort , le cheminement progressif d’un enfant de neuf ans qui prépare son décès, se détachant progressivement de ses centres d’intérêts en laissant des messages témoignant de sa vie. Il déclare qu’il sait qu’il va mourir en ces termes : « On ne me guérira pas ; quand papa mourra un jour, il me rejoindra ». Citons aussi un ouvrage récent écrit sous l’égide de la Fondation de France [9], dans lequel une institutrice nous rapporte les questions d’une petite fille originaire de la Réunion et soignée en France sans espoir de guérison, qui lui
demande : « les poissons rouges, quand ils meurent ils vont à la Réunion ou ils restent en France ? ». Enfin, peut-on oublier Oscar et la Dame Rose d’Eric Emmanuel Schmitt [10], roman grand public, pièce de théâtre à succès et sonnant tellement juste pour les soignants ? Oscar nous montre la conscience qu’il a de sa mort, interrogeant les autres, n’obtenant de réponses que de la dame en rose « Pourquoi veux-tu qu’on te le dise si tu le sais, Oscar ? ». Il ressent aussi cette souffrance des soignants, l’évitant, mal à l’aise, se sentant un « mauvais malade, sa greffe ayant déçu ».

LA DÉMARCHE PALLIATIVE

Le service d’hématologie oncologie pédiatrique de l’Hôpital Armand Trousseau à Paris reçoit chaque année environ cent-dix nouveaux enfants atteints de leucémie, lymphome ou tumeur maligne et nous avons à déplorer vingt-cinq à trente décès.

La prise en charge des enfants en fin de vie a donné lieu dans notre service depuis plusieurs années à une démarche palliative et participative de l’ensemble de l’équipe médicale et paramédicale. En effet, depuis 2000, un groupe de travail sur les soins palliatifs a été mis en place et organise des réunions régulières, environ toutes les six semaines, d’informations et de discussions auxquelles participent l’ensemble des médecins et personnel soignant, assistantes sociales, psychologues, institutrices, représentants du culte…, personnel des services d’hospitalisation à domicile.

L’objectif est d’informer et d’échanger autour des enfants en phase palliative et de proposer vis-à-vis d’eux et de leurs parents des projets cohérents et connus de tous.

LE CONTE FALIKOU

Récemment, une mère qui avait perçu que son enfant était conscient de sa mort à venir, a souhaité pouvoir en parler avec lui. Comme en témoignent d’autres parents, elle craignait que son fils n’ose parler, avec la peur de faire souffrir ses proches, de les faire pleurer. Elle décide d’écrire un texte qui puisse ouvrir ce « dialogue impossible », sans mentir à son fils. Elle ne souhaite pas le brusquer car il a du mal à communiquer et décide de ne pas utiliser les mots « mort » et « mourir », tout en acceptant d’en parler si son fils l’interrogeait. Elle écrit ce conte quarante-huit heures avant son décès et nous le remet, en nous autorisant à l’utiliser. Il a été proposé initialement à treize familles avant le décès de leurs enfants. Cette démarche qui soulève de nombreuses questions s’intègre dans une réflexion globale sur l’accompagnement de l’enfant avant sa mort et de sa famille.

ÉVALUATION DE L’UTILISATION DU CONTE

Nous avons souhaité évaluer le vécu de ces treize familles soit vingt-quatre parents (deux familles monoparentales) à qui le texte non illustré avait été remis ; treize nous ont répondu et concernaient huit enfants, âgés en médiane de huit ans au moment du décès (deux-treize ans et demi). Le ressenti rapporté à la remise du texte a été variable : de la tristesse (7/13), de la compréhension (5/13), de la colère (3/13), de l’inquiétude (2/13), ou autre (3/13 : « de l’aide pour dire certaines choses à ma fille », « de l’émotion », « de l’aide »),. Les sentiments éprouvés à la lecture du texte ont été : de la tristesse presque toujours (12/13), de la vérité (4/13), de la solitude (2/13), de la colère (2/13), de la sérénité (2/13), de l’angoisse (2/13), de la « complicité » (1/13). Neuf parents affirment que leur enfant était conscient qu’il allait mourir et que cinq enfants l’avaient exprimés de manière directe. Cependant, seuls quatre ont lu le texte à trois enfants, âgés de deux, trois et six ans. La réaction de l’enfant notée par le parent a été une écoute silencieuse pour un (« elle a intériorisé ses réactions, elle a enregistré les messages mais n’a rien dit dans un premier temps »), un autre parent note : « il s’est retrouvé dans cette histoire et a demandé si c’était lui Falikou et s’il allait faire comme lui », un autre parle d’un enfant très jeune mais paraissant apaisé. En lisant ce texte, un parent sur quatre a eu le sentiment d’aider son enfant (et lui-même), les trois autres ont trouvé que c’était difficile. Parmi les neuf parents n’ayant pas lu le texte à leur enfant, quatre ne l’ont pas fait par manque de temps, deux estimaient que leur enfant était prêt. Au total, la grande majorité des parents considèrent que ce texte a été une aide pour eux et huit disent que la remise de ce texte les a aidés à mettre les mots sur ce qu’ils voulaient dire à leur enfant. De plus, quatre parents pensent que le texte a été une aide pour leur enfant, trois pensent que non, un ne sait pas (cinq non répondus). Le texte a par ailleurs été lu dans deux familles à des frères et sœurs et par d’autres membres de la famille (oncles, tantes, grand-mère, marraine). Tous ont exprimé à la lecture du texte de la tristesse et des pleurs, un s’est dit apaisé. L’envoi du questionnaire a quant à lui été vécu comme utile (9/13), douloureux (5/13), difficile (2/13), apaisant (2/13).

Enfin, les parents notaient qu’un tel texte devait être proposé à toutes les familles dont l’enfant est en phase palliative (8/13), qu’il devrait facilement se trouver en librairie enfantine (5/13) et être remis à toutes les familles dont un enfant est suivi pour maladie grave (4/13).

DISCUSSION

Dans la littérature médicale, on trouve quelques travaux témoignant de cette perception par l’enfant de sa mort. En 1993, Goldman [11] notait à travers une étude auprès de trente et une familles, que les enfants de plus de quatre ans parlaient de leur propre mort et qu’une aide devait venir des soignants pour accompagner les
familles dans cette démarche. Il concluait à la difficulté au-delà de la théorie, d’instaurer en pratique une discussion aidante pour l’enfant. Plus récemment, Ulrika Kreicsberg [3], dans une étude réalisée en Suède, à partir du témoignage de 429 parents ayant perdu un enfant, nous apprend que 54 % d’entre eux avaient perçu que leur enfant était conscient de sa mort et que 34 % d’entre eux avaient pu en parler avec lui, 16 % si le décès était survenu avant l’âge de cinq ans, 36 % entre cinq et huit ans et 50 % à partir de neuf ans.

Les recommandations de la SIOP (Société Internationale d’Oncologie Pédiatrique) parues en 1999 [12], insistent sur la décision du passage en phase palliative qui doit être connue par toute l’équipe et sur le fait que l’enfant doit être impliqué dans cette décision en fonction de son niveau de compréhension possible. Ruprecht Nitschke [13], avait adressé une réponse à la suite de ces recommandations, rappelant à ceux qui pensent que dire la mort prochaine empêche de vivre en brisant l’espoir, que cet espoir doit être orienté non plus vers la guérison mais déplacé vers d’autres objectifs qui peuvent être scolaires, ludiques (voyages…), favorisant ainsi la qualité de vie le plus longtemps possible. Celui-ci a par ailleurs rapporté [14] l’expérience du centre d’oncologie-hématologie Jimmy Everest dans l’Oklahoma, aux États-Unis, dans lesquels ont été réalisés depuis 1974 des entretiens formels entre médecins et familles puis avec les enfants de plus de six ans, pour les informer clairement de l’échec des traitements, de leur mort prochaine et du choix éventuel qui leur était fait entre un traitement investigationnel en milieu hospitalier ou des soins de support seuls. En dix ans, soixante dix-huit familles avec des enfants de six à vingt et un ans (médiane = treize ans) ont ainsi été inclus dans cette étude ; cinq parents ont refusé ; vingt-six enfants ont choisi le traitement expérimental, trente-six les soins de support, deux n’ont pu choisir et deux ont laissé leur parents faire ce choix ; deux enfants en bon état général n’ont pas compris le message et ont rapidement oublié l’entretien. Seul un enfant qui n’avait aucune idée de sa mort prochaine a été horrifié à l’issue de l’entretien.

Certains témoignages soulignent la nécessité mais aussi les difficultés d’un dialogue sur la mort à venir entre parents, enfant et fratrie [15-16]. U.Kreicbergs [3] note en introduction de son article, l’existence de « preuves évidentes d’un bénéfice pour l’enfant gravement malade de pouvoir parler de sa mort, mais d’un manque réel d’informations sur la façon dont les parents peuvent le vivre ». Dans cette étude les parents les plus enclins à parler de la mort étaient des femmes et des sujets croyants.

Parmi les parents ayant parlé de la mort à leur enfant, aucun ne le regrettait alors qu’ils étaient 27 % parmi ceux n’ayant pas parlé. Ce sentiment de regret était majoré chez les parents qui avaient perçu que leur enfant était conscient de sa mort prochaine. Ainsi, ce travail confirme le bénéfice probable pour les parents de parler à l’enfant de sa mort imminente et conclut en affirmant qu’il est de la responsabilité des soignants de favoriser ce dialogue.

L’analyse de notre questionnaire confirme que les enfants sont conscients de leur mort prochaine, qu’ils en informent leurs parents et que le fait de pouvoir dialoguer en famille autour de cette mort est certes difficile mais peut être bénéfique (apai-
sant…). La remise d’un texte facilitant ou initiant ce dialogue autour du départ de l’enfant est elle aussi vécue de manière positive. Notre méthodologie est bien sûr critiquable puisque ce document n’a pas été remis de manière systématique. On peut aussi noter que le texte a peu été lu directement aux enfants alors que de nombreux parents pensent que ce texte devrait se trouver en librairie enfantine ; l’absence d’illustration est possiblement une explication à ce faible taux de lecture directe.

D’autre part, les enfants de notre étude étaient jeunes, à une phase évoluée de leur maladie et pour certains avec une limitation physique à la lecture autonome. De plus, nous ne pouvons évaluer le vécu par les adolescents d’un tel texte et ne connaissons pas le point de vue des onze parents n’ayant pas répondu, soit en désaccord avec le texte ou déstabilisés par une telle enquête dans la suite d’un deuil récent, le questionnaire ayant été adressé dans un délai médian court après le décès.

Ce souci de ne pas réactiver une douleur est clairement un obstacle pour les soignants à mener ce type d’études qui sont cependant souvent vécues comme positives. Ces résultats ont conforté notre expérience, notre ressenti et sont en accord avec les propos précédemment rapportés de certains spécialistes en psychologie de l’enfant. Ceci, nous a encouragé à faire illustrer et à publier le conte en accord avec son auteur qui a participé à toutes les démarches entreprises. Le livre Falikou [17] est sorti en septembre 2006 aux Éditions Le Buveur d’Encre. Il a été envoyé à quatre cent-cinquante services de pédiatrie, à des CMP et des centres de soins de suite. De nombreux pédiatres nous ont, en retour, adressé des témoignages, des remerciements, nous confirmant l’aide que pourra leur apporter ce livre dans leur pratique. Aujourd’hui, ce livre est remis dans notre service quasi systématiquement aux familles, le plus souvent par le médecin référent. Un garçon de onze ans, en phase terminale, a récemment déclaré à sa lecture : « je me sens comme le petit garçon » et ses parents nous l’ont décrit comme apaisé. Ainsi, au-delà des parents, notre travail et les témoignages autour de Falikou montrent un bénéfice probable pour l’enfant d’une telle démarche favorisant le partage de cette information souvent indicible et l’écoute de l’enfant.

CONCLUSION

Il parait acquis à travers les témoignages, les récits, la littérature et notre expérience que les enfants sont conscients de leur mort prochaine et l’expriment directement ou non, par peur de faire souffrir leurs proches. Les parents sont souvent démunis face à ce questionnement et des aides doivent leur être proposées pour entamer un tel dialogue. La remise de documents pourrait être une aide, sous réserve d’être réalisée dans une démarche d’accompagnement avec une réflexion préalable de service.

Falikou écrit sous forme de métaphore, donne la liberté à l’enfant de s’interroger ou non sur sa mort. La métaphore permet aussi une mise à distance des émotions et une absence de violence verbale (par maladresse) toujours possible dans une telle situation. Le livre Falikou nous paraît pouvoir être un support intéressant pour les
parents et soignants, dans une littérature enfantine peu riche, pour ceux souhaitant initier un dialogue avec l’enfant mourant. Nous pensons de plus qu’il peut intéresser un plus large public, d’enfants soient bien portants, soient atteints de maladies chroniques ou mortelles.

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— Comment parler de la mort à un enfant en fin de vie : un conte peut-il être une aide.

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[14] NITSCHKE R., MEYER W.H., SEXAUER. C.L., PARKHURST J.B., FOSTER P., HUSZTI H. — Care of terminally ill children with cancer. Med. Pediatr. Oncol. , 2000, 34 , 268-70.

[15] WOLFE L. — Should parents speak with dying child about impending death ?

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[16] HILDEN J.M., WATTERSON J., CHASTEK J. — Tell the children.

J. Clin. Oncol., 2000, 18 , 3193-95.

[17] LOEDEC C., JORG — Falikou. (Édition Le Buveur d’Encre, Édit.), 2006.

DISCUSSION

M. Bernard SALLE

La mort de l’enfant ne se voit pas que dans des services d’oncologie pédiatrique ; ce texte peut-il servir dans des services de pédiatrie où décèdent des enfants atteints de maladie congénitale. A quel âge soumettez-vous ce texte et jusqu’à quel âge ?

J’ai présenté ce travail et Falikou au Centre de La Roche Guyon qui accueille des enfants porteurs de poly-handicaps. Les soignants ont exprimé leur intérêt et même la possibilité de l’utiliser pour ces enfants chez lesquels ils ont appris à évaluer les réactions par une communication non verbale. Des parents, de très jeunes enfants suivis dans le service, ont lu Falikou et nous ont dit que cela avait permis un moment de partage avec l’enfant. Pour les plus grands, nous avons été étonnés de voir que Falikou pouvait dénouer parfois des situations de silence. Nous avons eu récemment un jeune homme de dix-sept ans hospitalisé pendant plusieurs semaines avant son décès, autour duquel une veille mortuaire silencieuse s’était installée. Il était mutique, triste et angoissé. Un membre de l’équipe de l’aumônerie a pu proposer Falikou ; le père l’a traduit en kabyle à la mère et ils ont décidé de le lire en famille à l’adolescent. Ils ont pleuré ensemble mais l’équipe a décrit ensuite un adolescent plus serein qui s’exprimait. Il est décédé quarante-huit heures après. Enfin, j’ai été étonnée de recevoir de nombreuses demandes d’exemplaires par des unités de soins palliatifs prenant en charge des adultes, ce qui montrerait qu’il n’y a peut être pas d’âge pour proposer Falikou mais simplement la volonté d’ouvrir un dialogue avec celui ou celle qui va mourir.

M. Roger NORDMANN

Ce remarquable conte peut-il être utilisé chez des enfants ayant des handicaps neurocognitifs sévères ou des maladies neurodégénératives ?

Cela rejoint un peu la question précédente et j’ai effectivement reçu des témoignages et demandes d’exemplaires en provenance de centres prenant en charge des enfants porteurs de telles pathologies.

M. Denys PELLERIN

Depuis plusieurs années, la télévision diffuse, à l’intention des enfants, des images et des jeux où la mort est constamment présente. Dans notre expérience, déjà ancienne, de chirurgien pédiatre aux côtés d’Odile Schweisguth, les enfants que nous accompagnions alors n’avaient aucune ‘‘ image de la mort ’’. Quelle place donnez-vous aujourd’hui, dans votre accompagnement, à l’avalanche des images télévisées de la mort, si familières à nos jeunes.

J’ai le sentiment que les enfants différencient bien ce qui est du domaine du visuel et du jeu, avec ces personnages qui ont plusieurs vies par exemple dans les jeux vidéos, de ce qui leur arrive. La mort audio-visiuelle est comme « virtuelle » alors que la maladie avec son risque de décès les touche. Nous n’utilisons pas ces images pour nous aider dans l’accompagnement.

M. Christian NEZELOF

Dans l’approche de la mort d’un enfant, quel est l’apport de la religion ou des religions qui ouvrent la porte à de nombreuses espérances ?

Nous constatons que de moins en moins de familles ont une pratique religieuse. Pour celles qui en ont, il y a possibilité de donner un sens à ce qui se passe et nous le respectons.

Nous avons d’ailleurs une représentante du culte qui accompagne les familles dans leur foi quelle qu’elle soit. Par exemple des baptêmes ont eu lieu dans le service. Ceci contribue de manière plus large à la quête spirituelle des familles.

M. Pierre CANLORBE

Le contact avec la famille, les réceptions du conte par elle et l’enfant diffèrent-elles selon leur croyance religieuse ou leur absence de toute croyance ?

Falikou, n’ayant aucune connotation religieuse doit pouvoir être proposé quelle que soit la religion du patient. Son message est dans le domaine des questions existentielles où chacun peut se retrouver et non dans le domaine du spirituel. Falikou aborde d’ailleurs ce qui se passe avant la mort et non l’après en dehors de la mémoire qui reste.

M. Jacques HUREAU « Le plus grand luxe de notre existence est de ne pas savoir combien de temps il nous reste à vivre ». C’est une opinion d’espoir d’un adulte bien portant. L’enfant bien portant ne se pose pas habituellement de question sur le terme de sa mort. L’enfant malade grave est, par contre, conscient de sa mort possible. C’est une perte d’espoir. Quelle quantité d’information fournissez-vous à l’enfant quand, au terme (inéluctable) de son décès, il pose ou évoque la question ?

Si un enfant nous interroge, après lui avoir demandé pourquoi il pose cette question, je pense qu’il est possible de lui dire la vérité en accord avec les parents et sans donner de temps, mais dire que la mort fait partie du possible. Nous informons les enfants à chaque étape de leur maladie, le diagnostic, la rechute. Nous avons en mémoire avec Guy Leverger un jeune garçon qui devait être greffé et qui avait demandé s’il pouvait mourir pendant sa greffe. Nous lui avions donné des explications très techniques sur la greffe, les complications et à la fin de l’entretien, il a dit « merci, mais vous n’avez pas répondu à la question, est ce que je peux mourir ? ». Monsieur Leverger lui avait alors dit que cela était possible mais rare ; il est décédé brutalement un mois après sa greffe et je pense que nous avons eu raison de l’informer de la sorte.

M. Jacques-Louis BINET

Pourquoi n’avez- vous pas ajouter à vos références de présentation le texte d’EricEmmanuel Schmidt ‘‘ Oscar et la Dame Rose ’’ ? Dans les services d’hématologie d’adultes, nous avions l’habitude de garder les patients jusqu’à la fin et de ne pas fuir les derniers moments de la maladie. Existe-t-il, à Trousseau, un service de soins palliatifs ?

J’avais cité ce livre dans mon travail de mémoire mais certains de mes collègues sont critiques en particulier sur la place que l’auteur donne aux soignants qui sont fuyants et n’assument pas leur rôle d’accompagnement laissant ce travail à la Dame Rose. Je pense cependant que bon nombre de passages de ce livre sont révélateurs des questionnements que peuvent avoir les enfants en fin de vie. En pédiatrie, il n’existe pas de services de soins palliatifs mais des chambres aménagées permettant par exemple d’accueillir dans de bonnes conditions le père et la mère de l’enfant.

M. Jean-Luc de GENNES

Dans nos services d’adultes, nous avions, pour tous nos malades menacés de mort rapide, des religieux représentants officiels des différentes croyances. N’y a-t-il pas, dans les services de pédiatrie, des représentants équivalents ?

Nous avons une équipe d’aumônerie qui voit les familles et ce quelques soit la religion ou l’absence de religion. Les représentants du culte apportent ainsi une aide importante dans l’accompagnement religieux mais aussi spirituel par la qualité de leur écoute bienveillante.

M. Géraud LASFARGUES

Le mot ‘‘ mort ’’ n’est pas cité dans le conte. Est-ce un défaut ou un atout ? Je me réjouis que l’Académie ait accepté cette lecture inhabituelle car elle montre la spécificité de l’Académie et son rôle en matière de santé et sa vision humaniste de l’homme.

Je vous remercie de cette question car c’est une critique qui a parfois été faite à ce texte.

C’est un ouvrage qui n’a pas pour objectif d’assener une vérité à l’enfant ou au patient.

Ce texte a pour objectif de rendre le dialogue possible sur un sujet effrayant et difficile. Si l’enfant le souhaite, il pourra poser ces questions. Un jeune garçon de onze ans, avait juste dit à ses parents, je me sens comme Falikou. Certaines familles pleurent simplement ensemble sans mot mais témoignent de l’aide ainsi apportée à leur enfant, ce qui est le message de l’auteur : « je sais que tu vas mourir et je suis là auprès de toi ». L’absence du mot mort est donc pour moi un atout.


* Service d’hématologie oncologie pédiatrique, Hôpital Armand Trousseau, 26 avenue du Docteur Arnold Netter, 75012 Paris. Tirés-à-part : Docteur Anne AUVRIGNON, même adresse. Article reçu le 2 octobre 2007, accepté le 28 janvier 2008.

Bull. Acad. Natle Méd., 2008, 192, no 2, 393-403, séance du 26 février 2008