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Séance du 14 novembre 2006

Périnatalité et parentalité

MOTS-CLÉS : relations parent-enfant.. soins périnatals
KEY-WORDS : parent-child relation.. perinatal care

Marie-Thérèse Hermange

Résumé

La fracture du lien social émane de critères économiques, mais aussi de la façon dont notre société entoure, soutient et « enveloppe » avant, pendant et après la naissance. Ainsi, dans ce temps majeur de l’attente et des tous premiers jours de l’accueil de l’enfant, temps où se construit un lien important entre le nourrisson et ses partenaires, il convient d’aider les parents à devenir et à être parents, et de mieux anticiper les situations à risques. Qu’en est-il aujourd’hui ? Si la France dispose d’une politique de périnatalité, celle-ci demeure perfectible et implique par conséquent la mise en place d’une politique de périnatalité développementale et sociale pour favoriser le lien familial, mais encore construire du lien social.

Summary

Breakdown of social structures is often due to economic factors, but it is also influenced by how society supports and envelops its next generation before, during and after birth. The period pending the arrival of a new baby, is critical for the future links between the infant and its parents, and it is our collective responsibility to help parents to prepare for parenthood, and to anticipate possible problems and dangers. What is the situation today ? France’s perinatality policy needs to be perfected in order to promote the family unit and thereby improve social relations as a whole.

Informationrelations parent-enfant., soins périnatalsPerinatal period and parenthoodparent-child relation., perinatal careMarie-Thérèse HermangeLa fracture du lien social émane de critères économiques, mais aussi de la façon dont notre société entoure, soutient et « enveloppe » avant, pendant et après la naissance. Ainsi, dans ce temps majeur de l’attente et des tous premiers jours de l’accueil de l’enfant, temps où se construit un lien important entre le nourrisson et ses partenaires, il convient d’aider les parents à devenir et à être parents, et de mieux anticiper les situations à risques. Qu’en est-il aujourd’hui ? Si la France dispose d’une politique de périnatalité, celle-ci demeure perfectible et implique par conséquent la mise en place d’une politique de périnatalité développementale et sociale pour favoriser le lien familial, mais encore construire du lien social.

Breakdown of social structures is often due to economic factors, but it is also influenced by how society supports and envelops its next generation before, during and after birth. The period pending the arrival of a new baby, is critical for the future links between the infant and its parents, and it is our collective responsibility to help parents to prepare for parenthood, and to anticipate possible problems and dangers. What is the situation today ? France’s perinatality policy needs to be perfected in order to promote the family unit and thereby improve social relations as a whole.

Accueillir l’enfant dans toutes ses dimensions nous oblige puisqu’à lui seul celui-ci n’a pas d’exigence, et à plus forte raison le bébé. Il est donc du devoir des adultes de susciter son épanouissement et ce, dès les premiers pas de son histoire . Tous les experts nous le disent . Or, au moment où, dans de nombreux domaines, toute décision est précédée d’une expertise, nous nous devons de convoquer celles et ceux qui ont saisi combien à travers l’itinéraire de la maternité va se jouer le développement de l’enfant et l’apprentissage de la parentalité. En effet, les spécialistes de la petite enfance attirent notre attention sur l’empreinte fondamentale des premières années en nous indiquant que si, dès la petite enfance, la figure des adultes représente insécurité, incertitude, inquiétude ou manque d’amour et de tendresse, naîtront alors chez l’enfant non seulement des sentiments de violence psychologique mais aussi des difficultés dans ses capacités d’apprentissage et de concentration. Que nous disent les spécialistes de la psychopathologie des bébés [1] ?

Konrad Lorenz a montré l’impact considérable des émotions et les troubles ressentis dès les premiers temps de la vie sur toute une existence ; John

Bowlby, père de la « théorie de l’attachement » réciproque de la mère à l’enfant, indique combien la carence de soins maternels peut avoir des conséquences difficiles sur le plan social ; Daniel Stern, qui a créé le concept de « l’accordage affectif », témoigne du fait que ce qui ne fait pas l’objet d’un partage des sentiments va entraîner des frustrations, lesquelles auront un retentissement sur le développement social de l’enfant ; Léon Kreisler a démontré combien les carences affectives chroniques peuvent être causes de troubles somatiques et d’inorganisation de la personnalité ; Serge Lebovici, avec le concept « d’interactions précoces », a montré combien toute infirmité de la relation dans l’enfance engendre une infirmité de la communication, de la confiance en soi, de son épanouissement et de son rapport à l’autre ;

René Spitz a expliqué combien l’enfant a besoin de relations affectives stables tout autant que de nourriture ; Donald Winnicott montre que si « l’environnement intérieur » de l’enfant fait défaut, il en résultera « une carence de l’amour primitif ». C’est l’environnement qui doit alors donner une occasion nouvelle à la relation au moi, afin de l’aider à réparer cette faille narcissique et à résoudre des conflits identitaires » [2]. Dans leur sillage, les Professeurs Gosle, Cyrulnik, Le Camus, Moro, Berger, Guedeney, David, Soulé, ont manifesté combien les processus d’attachement sont une des composantes du lien précoce.

C’est dire que lorsque l’enfant a intériorisé une image maternelle et parentale sécurisante, il développe un sentiment de confiance en lui et dans les autres qui lui permet de se construire en s’éloignant ultérieurement de ses parents pour mieux explorer le monde. Dans le cas contraire, le bébé va développer un attachement « insécure, désorganisé, désorienté », incapable d’utiliser un mode de contact cohérent. Cela se manifestera ultérieurement par un refus de dépendre de l’adulte même lorsqu’il est anxieux.

C’est pourquoi il est important d’aller au-delà d’une approche strictement organique du temps de la maternité, et de compléter le suivi médical de la grossesse — tel qu’il est conçu actuellement — pour mieux tenir compte de la dimension psychique de celle-ci.

C’est dans ce contexte, qu’il convient par une volonté politique de prêter une attention toute particulière à des situations de vulnérabilité qui peuvent advenir dès la naissance et fragiliser enfants et parents. C’est ce que nous examinerons après avoir analysé succinctement notre politique d’accueil du nouveau-né.

UNE POLITIQUE D’ACCUEIL DU NOUVEAU-NÉ À PARFAIRE

Chaque enfant né dans un cadre parental spécifique qui n’est superposable à aucun autre. Aussi, si tout doit être convoqué sur le plan technique et médical pour cette naissance, tout doit l’être pour ce projet parental avant comme après la naissance . Qu’en est-il aujourd’hui ? Nous l’analyserons tant au regard de notre politique périnatale que du danger qui menace lorsque la relation est perturbée.

Quand notre politique de périnatalité est à améliorer

Si depuis trente-cinq ans la France a élaboré plusieurs plans de périnatalité, il n’en reste pas moins vrai que l’objectif de la sécurité de la mère et de l’enfant à l’accouchement, comme la mise en place d’un suivi postnatal adapté à la mère et à l’enfant, nécessitent cependant une vigilance constante dans la recherche de l’amélioration de la qualité du suivi de la grossesse. Et ce d’autant que la santé de l’enfant, pendant la vie intra-utérine, conditionne largement son développement ultérieur .

 

Quand les indicateurs épidémiologiques parlent

Les indicateurs de mortalité périnatale montrent que si la France a réalisé de réels progrès depuis ces dernières décennies, il n’en demeure pas moins que les résultats obtenus ne la situent pas encore au rang des meilleurs. Ainsi la mortalité périnatale s’élevait-elle, en 2003, à 6,5 pour 1 000 (soit environ 4 800 décès par an ; sans oublier les 75 à 80 femmes qui décèdent des suites de leur grossesse chaque année). Autre constat : la mortalité maternelle reste peu évoquée, alors que le taux de décès ne place pas la France à un taux d’excellence (9 pour 100 000 naissances). A titre de comparaison, la Finlande et le Royaume-Uni sont à des taux voisins de 7 pour 100 000.

Quand l’organisation des soins est à perfectionner

Si l’organisation des soins en maternité a été très modifiée pour éviter les transferts des nouveaux-nés, deux constats doivent être faits :

La disparité dans l’organisation de l’offre des soins peut avoir des conséquences sur le niveau des soins car en cas de naissance de grand prématuré, les décès pré-partum sont multipliés par huit si l’accouchement a lieu dans une maternité de niveau II ou III, et par douze s’il a lieu dans une maternité de niveau I. Ainsi d’une bonne organisation des soins néonatals, peut dépendre, dans les cas extrêmes l’avenir du tout petit.

L’encadrement médical des structures obstétricales et néonatales et la démographie médicale dans ce secteur posent problème avec des conséquences non négligeables comme en témoigne l’Enquête nationale périnatale de 2003, rendue publique par le ministère de la Santé qui constate d’une part qu’ une augmentation du nombre de femmes n’ayant pas eu de consultation avec l’équipe responsable de l’accouchement, d’autre part qu’une augmentation du nombre de primipares n’ont pas eu de préparation à la naissance .

 

Quand la précarité empêche le suivi périnatal

Les femmes les plus démunies ont une grossesse moins bien suivie et les indicateurs de santé leur sont plus défavorables : 15 % ont eu moins de sept visites périnatales, contre 8 % pour les autres femmes. 24 % sont plus souvent hospitalisées, au lieu de 21 % ; 7,5 % de leurs enfants sont prématurés, contre 5,7 % ; le taux d’enfants ayant nécessité une hospitalisation particulière ou un transfert est également plus élevé pour ce groupe de femmes, 9,8 % au lieu de 7,4 % ; enfin, 36 % des femmes peu ou pas suivies n’ont pas de couverture sociale, pour 4 % des bien suivies.

Quand les suites de couche nécessitent un meilleur suivi

Si pendant le temps de la grossesse, mère et enfant sont scrutés par la sonde de l’échographe, une fois accomplis les actes strictement médicaux, les accouchées sortent généralement de l’hôpital en pleine montée de lait et de baby blues lequel peut se transformer en dépression post-partum, soit environ 10 à 15 % des 750 000 jeunes accouchées. Or, « les effets négatifs de la dépression maternelle sur le développement du bébé sont bien connus, et les enfants qui y sont exposés sont considérés comme une population à risque psychologique « [3] ».

 

Quand les comportements addictifs des femmes enceintes ont des incidences sur l’enfant

Le tabac et consommation d’alcool peuvent provoquer accouchements prématurés, retards de croissance du fœtus et troubles psychiques et comportementaux chez l’enfant. Quant aux drogues, la consommation de cannabis au cours de la grossesse a été associée, dans des études longitudinales, à des perturbations comportementales chez l’enfant, impulsivité accrue et à une diminution des capacités d’attention . Il a également été décrit une augmentation des troubles externalisés, en particulier chez les garçons dont la mère faisait usage de cocaïne pendant sa grossesse.

Dans tous les cas, il convient de prévenir les difficultés relationnelles pour éviter les drames ultérieurs. Mais auparavant, il importe de bien appréhender la dynamique des interactions entre le nourrisson et son environnement quand la relation est en danger. C’est ce que nous allons examiner maintenant.

Quand la relation est en danger

Le temps de la grossesse — « comme en géologie, à la jonction de deux plaques tectoniques de l’existence de la femme, celle de l’adolescence et celle de la maturité — est le siège de nombreuses éruptions, qu’il est du devoir des soignants sinon de prévenir, du moins de prédire, pour en atténuer les effets » [4]. Ainsi la grossesse peut-elle activer ou « réactiver des expériences douloureuses de rupture », induire « des schémas relationnels dysharmonieux » [5], et révéler des dysfonctionnements de la fonction parentale.

C’est dire qu’au confluent de plusieurs structures, le lieu même de la maternité et le temps de la maternité sont bien ceux qui peuvent permettre d’assurer une politique de santé globale de prévention du lien parental, dès le début du processus vital. Or, les maternités n’ont pas toujours pris conscience qu’elles représentent ce carrefour privilégié pour l’observation de ce lien parental. Sans doute parce que la médecine s’est de plus en plus technicisée. Sans doute aussi parce que « les situations de maltraitance ne font pas appel aux schémas de pensée classiques, ni aux pratiques que requièrent les situations médicales ordinaires. En effet, en ce qui concerne le diagnostic, il n’y a pas de marqueur, pas de symptômes spécifiques ; au niveau thérapeutique, pas de traitements valides ; au niveau préventif, la nécessité d’une action à long terme rend son efficacité beaucoup plus difficile à mesurer, que le résultat d’un vaccin « [6] ».

Pourtant les recherches doivent être prises en considération puisque toutes indiquent que, selon l’expression de Michel Soulé, « le travail préventif auprès des familles avant et aussitôt après la naissance apparaît essentiel dans toute politique de prévention précoce » [7], dans la mesure où il peut éviter des dépressions maternelles postnatales graves, comme des hospitalisations lourdes. Nous allons donc essayer de mieux saisir quels sont les repères théoriques dans la relation parents-nourrisson pour mieux comprendre ensuite, l’enjeu de cette relation et du danger qui menace lorsque celle-ci est perturbée très tôt.

 

Repères théoriques sur les interactions parents-nourisson

Les interactions définies comme l’ensemble des phénomènes dynamiques qui se déroulent dans le temps entre le nourrisson et ses différents partenaires sont de deux ordres, notamment au regard de la mère : d’une part, elles sont comportementales [8] , suivant la qualité des ajustements entre la mère et son bébé on parlera d’interaction harmonieuse ou dysharmonieuse ; d’autre part, elles sont fantasmagoriques [9] . C ’est ici que s’anime l’enfant imaginaire :

c’est là que prendront valeur les projections et les anticipations parentales à dominantes positives, mais aussi qui peuvent hélas être négatives. Le père a aussi un rôle dans ce processus d’interactions puisque, comme le dit Jean

Le Camus, « l’un n’est pas l’autre » [10], ce qui indique que le dialogue père-enfant est conçu comme plus particulièrement adapté à l’ouverture vers l’environnement.

Ainsi, à chaque étape du développement du nourrisson correspond un nouveau stade de la parentalité . Les parents doivent faire un effort consé- quent d’adaptation . Mais le premier développement est rapide. C’est dans ce contexte qu’une mère ou un père vulnérable, peut se désorganiser à certaines étapes de ce processus. Et quand la relation père-mère-bébé est désorganisée, les trois partenaires peuvent s’enfermer dans une spirale néfaste, laquelle réclame très tôt un accompagnement dans une optique de prévention. La naissance d’un enfant implique des remaniements psychologiques qui vont bouleverser le fonctionnement des parents. Ce processus de maturation de la personnalité est désormais désigné par le terme de parentalité , qui peut se définir comme l’ensemble des réaménagements psychiques et affectifs permettant à des adultes de devenir parents, c’est-à-dire de répondre aux besoins de leur(s) enfant(s) sur le plan corporel (soins nourriciers), affectif et psychique [11] . Grâce aux échanges avec ses parents, le bébé va passer de la parcellisation à l’organisation, sans omettre un aspect fondamental de son développement dès le stade in utero : sa mémoire.

Ainsi s’écrit « une histoire interactive où chaque unité successive incorpore les Unités précédentes ; des scénarios se construisent et sont mémorisés » [12].

Ces quelques repères théoriques font bien comprendre que ce sont dans les petits riens du quotidien que vont se construire les grands liens .

C’est ce bain d’humain qui va faire du bébé un petit homme, avec une vie psychique et affective riche et complexe . C’est dire que quel que soit son environnement, le bébé a besoin d’un lien qui l’humanise , d’une qualité et d’une continuité d’attention. Cette relation d’attachement confiante se caractérise par le sentiment de se sentir protégé et en sécurité en présence d’une personne spécifique, et par le désir de rétablir le contact et la proximité avec elle en son absence [13]. La construction de cet attachement s’élabore aussi dans le cadre de relations établies au sein des lieux d’accueil où vit l’enfant. Dans le cas où cette relation devient dysharmonieuse, les perturbations engendrent une pathologie du lien, et font peser sur l’enfant des risques durables pour son développement.

Quand le danger menace

Référence d’amour et de protection, la famille peut devenir l’univers clos et aliénant des tyrannies de l’intimité. Se manifestent alors des négligences et carences graves et souvent chroniques. Les familles carencées se définissent par : l’importance des carences sanitaires, éducatives et sociales au sein desquelles les enfants se développent ; l’absence d’organisation de la vie quotidienne et la fréquence des situations de cris et la discontinuité des soins parentaux [14] pouvant conduire à la privation des soins corporels, à une perturbation des rythmes temporels, à des troubles de croissance, mais aussi à des hospitalisations répétées ou à des placements au sein de l’ASE. Or, la souffrance des parents comme celle des enfants peut aussi entraîner celle des intervenants médicaux et sociaux qui s’occupent de ces enfants carencés .

 

A ne pas être parent de ces petits bébés, peut-on se mettre dans un état de disponibilité émotionnelle qui permette la rencontre, sans s’engouffrer dans les mêmes sentiments d’appartenance ? A trop s’attacher à un enfant, les auxiliaires, les assistantes maternelles s’épuisent et ne peuvent plus continuer leur métier. A se protéger de l’attachement, elles risquent la mécanisation, la dévitalisation du lien [15] . Les problèmes que rencontrent alors les soignants ne sont pas dus à leur incompétence mais reflètent en grande partie la souffrance de l’enfant.

Mais cette souffrance peut se traduire aussi au niveau de l’ensemble du système institutionnel de la protection de l’enfance . S’il n’est pas de notre propos, ici, d’analyser l’ensemble de notre système de protection de l’enfance , il convient de noter que la complexité de notre dispositif aboutit bien souvent à une absence de coordination. C’est ainsi que dans l’histoire de Pascal [16], il aura fallu huit longues années pour lui trouver un cadre de vie adapté après la mobilisation de dix sept intervenants. Or, si un certain nombre de facteurs avaient été pris en considération très en amont — problème de violence dans l’enfance de son père, problème d’alcoolisme et d’abus sexuel de la mère, elle-même placée en institution, incertitude sur la filiation de Pascal, dépression de la mère âgée de vingt ans lors de la grossesse — le cercle vicieux de souffrances de ce jeune garçon aurait pu, en grande partie, et à tout le moins, ne pas conduire à l’Aide sociale à l’enfance. C’est dire que cette logique institutionnelle conduit bien souvent à une prise en charge trop tardive, au point que la notion de prévention au sens de devancer est prise en considération qu’une fois que le danger, la maltraitance ont eu lieu. C’est ce qu’il convient de modifier par une politique de prévenance précoce . En matière de périnatalité, nous la nommerons politique de périnatalité développementale et sociale . Elle a pour vocation — dans une sorte de philosophie de l’alerte et de l’interrogation qui multiplie les points de vue et oblige à des nuances — de construire des micro solidarités à travers des lieux d’écoute, de médiation permettant d’aller vers une logique de reconnaissance des potentialités en termes de savoir et de compétences, tant de la part des professionnels que des parents .

Tel est le sens des propositions qui vont être faites et qui ont pour objectif, dès l’aube de la personnalité, de favoriser le lien familial, mais aussi de construire du lien social, rejoignant ainsi la sagesse du proverbe hindou : « L a nation marche sur les pieds fragiles de ses petits enfants ».

 

UNE POLITIQUE DE PÉRINATALITE DÉVELOPPEMENTALE A CONSTRUIRE

Autour des trois temps de la naissance — le temps de l’attente, celui de la naissance proprement dite, le temps de l’accueil enfin —, nous formulerons des propositions concrètes pour initier une telle politique.

Celle-ci implique trois préalables : mieux former les professionnels ; mettre en œuvre les moyens pour acccompagner les politiques énoncées ; mieux évaluer.

Le temps de l’attente

Pendant ces neufs mois, à travers l’itinéraire de la maternité, le lieu de la maternité qui est celui vers lequel père et mère vont tourner leur regard, doit être pris en considération dans sa dimension organique et développementale . C’est, dans ce contexte que nous proposons :

de systématiser l’entretien du quatrième mois : dans le cadre du plan périnatalité 2005-2007, cet examen permet d’appréhender tout problème psycho-social et, le cas échéant, d’envisager l’orientation vers un psychothérapeute afin de trouver soutien et écoute. Or aujourd’hui il n’est pas automatiquement réalisé. Il convient donc de le proposer systématiquement.

— de renforcer la collaboration entre les équipes de PMI et les structures hospitalières : en installant une structure départementale de PMI dans chaque maternité, cela permettrait : de repérer les risques médicosociaux afin d’adapter le type de prise en charge des parents et des nouveaux-nés ; d’organiser en réseau la prise en charge de la grossesse et du suivi post-partum de la mère et du nouveau-né, selon les facteurs de vulnérabilité médicale ; d’assurer le même accès aux soins quelle que soit la couverture sociale pour garantir la prise en charge des femmes non assurées sociales ; d’orienter les mères vers les dispositifs municipaux et ou départementaux susceptibles, avant, pendant et après la grossesse, et d’offrir un accompagnement .

de développer des staffs de parentalité au sein des maternités : à l’instar des staffs médicaux, il est proposé d’instituer dans chaque maternité un staff de parentalité réunissant autour de l’obstétricien tous les acteurs de l’hôpital et hors hôpital. Celui-ci aurait pour mission d’évaluer, dès le stade ante-natal , les situations présentant des facteurs de risque et de proposer, suite à une délibération collective , une orientation et un soutien adapté pour les parents avant la survenue d’un risque éventuel.

de développer les consultations de tabacologie, d’addictologie et d’alcoologie dans les maternités : les campagnes de prévention nationales doivent s’accompagner de consultations spécifiques au sein des maternités. En outre, il pourrait être proposé à chaque femme lors d’une consultation de gynéco-obstétrique, de remplir un questionnaire concernant son statut tabacologique, addictologique et sa consommation d’alcool puis lui remettre une plaquette sur les méfaits de ces substances.

Le temps de la naissance

Il est le temps du passage de l’enfant imaginaire à l’enfant réel, un temps de rencontre privilégié qui nécessite soins médicaux, mais aussi soins affectifs de la part de tous .

C’est dans cet esprit, que nous proposons :

d’enrichir et développer le concept des hôpitaux amis des bébés : s’il convient de noter que la politique des maisons de naissance a été expérimentée déjà chez nos voisins européens, c’est en Suède que toutes les maternités sont certifiées « Hôpitaux amis des bébés ». Ce label international créé en 1992 est attribué aux hôpitaux (19 000 dans le monde) qui favorisent le respect des besoins et des rythmes du nouveau-né dans des conditions douces et l’allaitement . C’est dans cet objectif que les CHU de Strasbourg et de Nantes travaillent à la création de tels espaces. Mais une telle politique ne doit pas occulter les graves problèmes médicaux auxquels peuvent être confrontés mère et enfant pendant le temps de la grossesse. Aussi conviendrait-il d’enrichir le concept des hôpitaux amis des bébés avec sa double dimension d’accueil et de progrès médical. En ce sens notre pays pourrait être à l’initiative d’une démarche auprès de l’Unicef, et lancer une grande campagne de labellisation des hôpitaux amis des bébés avec cette double dimension d’accueil et de progrès médical.

de créer des « maisons des bébés et des parents » dans chaque maternité : conçues, sur le principe des maisons vertes de Françoise

DOLTO, comme des lieux d’accueil, hors de toute prescription médicale, elles s’apparentent à des lieux d’accompagnement ouverts à tous, avant, pendant et après l’accouchement où les parents peuvent trouver conseils et réponses à leurs questions. En présence d’une équipe, composée d’une sage-femme, d’une puéricultrice de PMI et d’une psychologue, ces maisons ont également pour vocation d’être un espace de parole, d’échange et d’information pour les jeunes parents . Les centres périnatals de proximité proposés dans le Plan périnatalité 2005-2007 sont conçus dans cet esprit.

d’accroître le nombre des unités mère-enfant : pour pallier aux effets négatifs de la dépression maternelle, nous proposons de développer au sein de nos hôpitaux les unités mères-enfant qui traitent à la fois la désorganisation psychiatrique de la mère et les premiers stades du développement psycho-affectif du bébé. L’hospitalisation dure en moyenne trois mois, de façon à éviter toute rechute.

de soutenir les parents qui ont un enfant différent des autres : dans le cadre de la loi du 11 février 2005 relative au handicap, il conviendrait qu’au sein de chaque maison départementale du handicap une cellule d’écoute, d’information et de suivi assortie d’un numéro vert puisse dispenser aux parents toutes les informations sur le handicap et aussi qu’un livret d’accueil répertorie les organismes et les dispositifs externes.

 

Le temps de l’accompagnement

Accompagner introduit l’idée d’un partage : « être avec » ; d’une action commune : « faire avec » et non pas « faire à la place de ».

C’est dans cet esprit que pour éviter le passage à certaines situations de risques nous proposons :

de savoir exprimer par des mots la confiance, l’accueil, le soin, la nourriture : aujourd’hui, la naissance est vécue comme une maladie tant elle est médicalisée. Il conviendrait de guider et de rassurer les parents durant cette période où ils réalisent qu’ils deviennent responsables d’une autre vie. Ainsi, nous préconisons que soient distribués dans toutes les maternités : un petit livre pour dire le jaillissement d’une nouvelle vie non pas de l’enfant rêvé mais de l’enfant à aimer, à comprendre, à connaître ; un livret intitulé « Etre parents » pour expliquer les évolutions de l’enfant dès le premier âge de la vie ; un carnet de suivi alimentaire de l’enfant de sa naissance à trois ans. Destiné aux parents, il serait très utile pour les médecins afin d’établir et confirmer leurs conseils nutritionnels ou médicaux.

de créer des réseaux de suivi, de soins et de soutien à domicile : ce dispositif qui a pour vocation d’offrir une aide sur mesure à domicile a aussi pour objectif d’aider aux tâches ménagères, de prévenir la dépression post partum, les dysfonctionnements du lien mère-enfant et les problèmes médico-sociaux avant qu’ils ne deviennent des pathologies lourdes. Cette proposition s’appuie non seulement sur l’article L212-2 du Code de la santé publique qui dispose que les services de PMI doivent organiser « des consultations post-natales et des actions de prévention médico-sociales à domicile pour les femmes enceintes et les enfants de moins de six ans », mais aussi sur des expériences conduites chez nos voisins européens.

de créer des unités de soins mobiles parents- bébés : les unités de soins à domicile s’adressent aux familles à fort potentiel psycho-pathologique se caractérisant généralement par une absence de soins. Le soutien à domicile permet de mettre la thérapie dans le quotidien.

de développer davantage le dispositif femme-relais : les réglementations ne sont pas toujours accessibles aux familles étrangères et cela peut conduire à des difficultés humaines et juridiques. Des dispositifs de femmes-relais, médiatrices entre professionnels et familles étrangères, permettraient d’accompagner et de rompre l’isolement des femmes, de décoder des pratiques liées à d’autres cultures et de faciliter le dialogue avec les professionnels.

de promouvoir d’autres relais d’accueil de la petite enfance : face à des situations de vulnérabilité, il est préconisé de : développer des crèches préventives pour éviter un placement et accueillir des enfants et des parents en situation temporaire difficile dans une structure innovante, relevant à la fois de la politique d’accueil de la petite enfance et de l’ASE ;

développer des jardins d’enfants thérapeutiques pour accueillir les enfants présentant des difficultés psychologiques. Ils offriraient « simultané- ment aux familles la possibilité de vivre différentes expériences thérapeutiques », et donc d’être un « lieu de vie où parents et personnels soignants ont l’opportunité d’échanger leurs observations, leurs questionnements et les petits riens qui font leur quotidien » ; favoriser des formules de parrainage pour des enfants confiés à l’ASE ; et modifier les financements pour permettre l’accueil des pères au sein des centres maternels.

d’instituer des « staffs de parentalité » dans toutes les structures dédiées à la petite enfance : comme le rappelle Catherine Dolto, « ce plaidoyer pour une réelle prise en compte de la fragilité émotionnelle du bébé devrait se prolonger pendant toutes les années de la petite enfance ».

Ainsi, des staffs de parentalité pourraient voir le jour partout où les enfants sont accueillis : crèches, écoles … Notre pays se doterait d’une politique de prévenance de l’enfance intervenant en soutien des parents mais impliquant un véritable changement d’état d’esprit et supposant l’adhésion des décideurs politiques et des professionnels.

de lancer des assises nationales de la périnatalité : pour favoriser une prise de conscience nationale, la Commission nationale de la naissance (qui met en œuvre le plan périnatalité 2005-2007) pourrait organiser des

Assises nationales de la périnatalité. Mais il conviendrait aussi que le débat obstétrique/périnatalité ait lieu au niveau départemental.

CONCLUSION

Trois observations simples doivent être formulées :

— Faire le pari de l’enfant dès la naissance c’est faire le pari d’une politique familiale ambitieuse et équilibrée tant il est vrai qu’investir dans l’enfance, dans la naissance, c’est investir dans l’avenir.

— C’est aussi passer d’une thérapie de l’échec à une logique de préve- nance , laquelle nécessite vision à long terme et démarche de reliance entre les différents intervenants.

Enfin, c’est comprendre qu’un seul regard d’amour posé sur un enfant dès sa naissance vaut plus que toutes déclarations, et dispositifs, si du moins il est capable aussi de les inspirer. Il gagnerait à être pris en considération comme premier principe de nos actions et interventions pour le bien-être de nos enfants. Tel est l’esprit des recommandations faites à travers cette politique de périnalité développementale.

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Psychopathologie du bébé . Paris, PUF édit., 1989.

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[5] DELOUR M. — Conférence de consensus. Prise en charge de la femme enceinte et du nouveau-né selon leur degré de risque. Journal de gynécologie obstétrique et biologique de la reproduction , Paris, Masson édit., décembre 1998, p. 140.

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[10] LE CAMUS J. — Pères et bébés , Paris, L’Harmattan édit., 1995.

[11] LAMOUR M., BARRACO M. —

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[13] LIBERMAN, PAWL. — Clinical applications of attachment theory.

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[14] LAMOUR M., BARRACO M. —

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[15] LAMOUR M., BARRACO M. — Souffrances autour du berceau . Gaëtan Morin édit., 1998, p. 126.

[16] GABEL M., JESUS F., MANCIAUX M. — Maltraitance institutionnelle . Paris, Fleurus édit., 1998.

 

* Sénateur de Paris, Palais du Luxembourg, 15 rue de Vaugirard, 75291 Paris cedex 06. Tirés à part : Madame le Sénateur Marie-Thérèse HERMANGE, même adresse. Article reçu le 27 juin 2006, accepté le 9 octobre 2006.

 

Bull. Acad. Natle Méd., 2006, 190, no 8, 1761-1773, séance du 14 novembre 2006