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Séance du 9 décembre 2003

Pathologie nosocomiale : incidences médico-légales en pratique chirurgicale

Nosocomial pathology : medico-legal incidences in chirurgical practices
KEY-WORDS : cross infection.. expert testimony. legislation, medical. liability, legal

Pierre Vayre

InformationNosocomial pathology : medico-legal incidences in chirurgical practicescross infection., expert testimony, legislation, medical, liability, legalPierre Vayre

The nosocomial pathology concept includes all the complications taking place while performing a prevention diagnosis or during a medical treatment, proved in relation with the treatment but independent from the original pathology and its course. This notion is acknowledged in the 2002-303 law which concerns the ‘‘ medical accidents, iatrogenous disease and nosocomial infections ‘‘ which aetiology and damages are being assessed in the same way byregistered medicalexperts at country level. Public and administrative liability relies on the proof of a prejudicial mistake. This mistake being a failure to comply with commitments and means to identify and limit potential risks as weil as to limit access to the proved damage while complying with best practice rules and regulations in force. The security chain can be altered less by human failure (20 %) than by a bad system organisation (80 %). Security management is severy one’s concern among the medical team, the forensic mistake being a risk management failure.

 

INFORMATION

Pathologie nosocomiale :

Incidences médico-légales en pratique chirurgicale

Nosocomial pathology :

medico-legal incidences in chirurgical practices

Pierre VAYRE RESUMÉ

Le concept de pathologie nosocomiale regroupe toutes les complications apparues au cours ou au décours des actes de prévention, de diagnostic ou de soin, démontrées en rapport avec cet acte mais indépendantes de la pathologie initiale et de son évolution. Cette notion est admise dans la loi 2002-303 qui concerne les ‘‘ accidents médicaux, affections iatrogènes et infections nosocomiales ’’ dont l’étiologie et les préjudices sont évalués de la même façon par des experts spécialisés inscrits sur une liste nationale. La responsabilité civile et administrative repose sur la démonstration d’une faute dommageable. Celle-ci est un manquement à une obligation de moyens tant pour identifier et limiter le risque potentiel que pour réduire le passage au sinistre confirmé, en respectant les règles de bonne pratique et les réglementations en vigueur. La chaîne de sécurité peut être altérée moins par défaillance humaine (20 %) que par mauvaise organisation du système (80 %). La gestion sécuritaire concerne tous les membres de l’équipe, la faute médico-légale étant un défaut de gestion de risque.

 

M OTS CLÉS : TÉMOIGNAGE EXPERT. LÉGISLATION MÉDICALE. RESPONSABILITÉ LÉGALE.

INFECTION HOSPITALIÈRE.

 

Dans son titre IV Chapitre II, la loi 2002-303 est caractérisée par le regroupement des risques sanitaires dans un module unique des trois rubriques : accident médical, affection iatrogène et infection nosocomiale. Le législateur traite ces trois évènements dans le même esprit d’assurer un système de santé de bonne qualité, fiable et sécurisé. De même, il envisage l’indemnisation du préjudice de façon commune pour les trois variétés. Pour apprécier la responsabilité et définir le dommage le législateur instaure des commissions régionales de conciliation et indemnisation (CRCI) qui émettent leur avis après consultation ‘‘ d’experts spécialisés en accident médical, affection iatrogène et infection nosocomiale ’’, dont la liste nationale est établie par la ‘‘ Commission nationale des accidents médicaux ’’ (CNAM). Il apparaît dès lors qu’il s’agit d’une reconnaissance implicite de la notion globale de pathologie nosocomiale admise depuis longtemps en milieu expertal. C’est l’expression médicale du risque sanitaire des juristes. Elle regroupe toutes les complications de toute nature apparues au cours ou au décours d’un acte médico-chirurgical de prévention, de diagnostic ou de soin à titre individuel, tant au domicile qu’en ambulatoire où hospitalisation. Cette complication doit être démontrée en rapport avec cet acte mais indépendamment de la pathologie initiale du patient et de son évolution. L’affirmation de ce nouveau concept est justifiée par les faits anatomo-cliniques et physiopathologiques, comme par les données éthiques, étymologiques, nosologiques, sémantiques. Issu des racines grecques (nosos = maladie et comein = soigner) le terme nosocomial englobe donc tout phénomène en rapport avec des soins contrairement à l’erreur de E.Littré qui ne prend en compte que l’infectiologie hospitalière.

ROLE DE L’EXPERT

Appliquant la loi 2002-303 du 04 mars 2002, ‘‘ les experts inscrits sur la liste nationale ’’ auront pour rôle d’informer la Commission régionale de conciliation et d’invalidité (CRCI) sur le mécanisme de passage d’un risque potentiel à un sinistre selon deux orientations : soit une faute de l’équipe soignante ou de l’établissement de santé qui met en jeu la responsabilité civile couverte par une assurance professionnelle obligatoire, soit un aléa sans faute démontré qui relève de la solidarité nationale. Il est donc évident que la problématique est essentiellement de définir les critères caractérisant la faute qui soient unanimement admis et utilisés, ce qui in abstracto, permettra de dire s’il s’agit d’un aléa en l’absence de faute identifiée.

 

L’expert est un praticien analysant le comportement d’un autre praticien et/ou d’une équipe soignante, voire d’un établissement, dans le cas précis soumis à sa sagacité. Cette analyse est exclusivement technique. Il en découle une conclusion technique comparativement au comportement habituel de la majorité des praticiens dans ce cas particulier et au moment des faits, selon le paradigme d’une équipe consciencieuse, habile, compétente et expérimentée. Cette méthodologie n’est pas nouvelle, elle se résumait dans la formule classique : ‘‘ conforme aux règles de l’art et aux données acquises de la science dans le contexte et au moment des faits ’’. Dérivé du latin, ‘‘ ad quaerere ’’, les acquis sont des ‘‘ sommes ’’ éprouvées par l’expérience et sanctionnées par des résultats heureux avec une évolution permanente entre prudence et créativité. Ils traduisent la quête incessante inaugurée par Hippocrate, d’après Alain Rey [8].

Ces termes n’ont pas jusqu’à ce jour posé de problème d’interprétation pour les experts et les médecins conseils. La nouvelle loi risque d’engendrer des ambiguïtés en affirmant le devoir de mettre à la disposition de l’usager un système de prévention, de diagnostic et de soins offrant toutes les garanties de sécurité, de la meilleure qualité possible correspondant bien aux besoins du cas particulier [1, 2, 3, 5]. Selon l’article L 1110-5 du titre II chapitre I ‘‘ toute personne a, compte tenu de son état de santé et de l’urgence de l’intervention que celui-ci requiert le droit de recevoir les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l’efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire au regard des connaissances médicales avérées. Les actes de prévention, d’investigation ou de soins ne doivent pas en l’état des connaissances médicales, lui faire courir des risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté ’’ . Cet article occupe une place centrale dans la définition des droits des patients et par retour, évidemment, des obligations des professionnels de santé. Cette nouvelle formulation en termes inhabituels risque de créer des difficultés d’interprétation médico-légale dans la pertinence du choix de l’acte. Comment définir les connaissances médicales avérées et les risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté ?

 

DÉFINITION DE LA FAUTE MÉDICO-LÉGALE PAR LE CHIRURGIEN EXPERT

Il y a faute lorsqu’une complication indépendante du processus pathologique initial et de son évolution est survenue à l’occasion d’un acte de prévention, de diagnostic ou de soins. Il est alors démontré qu’un ou plusieurs facteurs d’indication, de réalisation, de surveillance n’a pas été en accord avec ce qui est admis, validé et recommandé par la majorité des membres de la communauté chirurgicale lors de la période concernée. Cette interprétation de la faute médico-légale correspond à la définition du dictionnaire : ‘‘ manquement aux règles d’une science, d’un art ’’. Elle implique une corrélation d’action ou d’abstention contrairement au terme ‘‘ erreur ’’ défini dans le même dictionnaire ‘‘ contraire à la vérité, opinion fausse, méprise ’’, ce qui n’induit ni causalité ni conséquence. Il s’agit en fait de l’opposition entre droit positif (celui des textes que le magistrat doit faire respecter) et la philosophie voire le comportement humain dans ses actes.

La responsabilité civile professionnelle repose sur une obligation de moyens connus et disponibles au moment des faits dont les avantages et inconvénients, c’est à dire les risques potentiels, doivent être préalablement expliqués au patient pour les trois temps : pré, per et post-opératoire. Le devoir d’information initial et au cours de l’évolution est spécifiquement inscrit dans la loi. Un défaut d’information est constitutif de faute, au moins au titre de ‘‘ perte de chance ’’ de pouvoir refuser un risque annoncé. Cette carence est une cause majeure de condamnation. Il est indispensable de :

— dire ce que l’on fait, faire ce que l’on dit — écrire ce que l’on a fait, ce que l’on a dit.

L’instauration de normes techniques démontrées scientifiquement et statistiquement adaptées aux circonstances, admises et recommandées par consensus au moment des faits, constitue la base de documentation utilisable par les experts, pour garantir une unité de raisonnement dans l’analyse et la conclusion de leurs exposés techniques.

Il en est de même pour l’organisation des moyens de prévention, de diagnostic et de soin relevant des recommandations des groupes corporatifs, sociétés savantes, académies et des réglementations officielles, dont le non-respect conduit à la notion de faute .

Le but essentiel est à l’évidence d’assurer un système de santé fiable, de la meilleure qualité possible et dans des conditions maxima de sécurité. L’obligation de résultat n’est pas possible en pratique chirurgicale, mais l’obligation de moyens de sécurité est logique. Elle a pour corollaire que le chirurgien et l’équipe soignante, chacun dans son domaine, soit notoire, compétent, expérimenté. Cette appréciation qualitative est évidemment un point déterminant pour la conclusion des experts. La réalisation d’un excellent dossier ‘‘ formalisé ’’, selon la loi doit assurer la compréhension de la tactique chirurgicale, la chronologie des évènements avec contrôle et traçabilité pour assurer transparence et crédibilité de la preuve d’une formation continue des équipes et de l’adaptation du matériel.

L’évolution naturelle du concept de gestion sécuritaire concernant les risques potentiels a conduit à quatre notions fondamentales, qui retiennent l’attention des experts :

— La pratique d’audit interne pour tout fait anormal.

— Le contrôle du fonctionnement des systèmes de vigilance notamment de la cellule opérationnelle d’hygiène et de lutte contre l’infection (CLIN).

— Les variantes des primes et contrats d’assurance civile professionnelle [4-6].

— L’accréditation de l’établissement.

 

Lorsque toutes ces conditions sont favorables en principe, l’expert ne trouve pas d’argument de faute. Il s’agit de la remise à l’honneur de deux adages classiques :

‘‘ primum non nocere ’’ et ‘‘ errare humanum est, perseverare diabolicum ’’.

 

LA CORRELATION FAUTE/DOMMAGE

L’insécurité moderne est due bien souvent au dérapage de techniques très performantes mais dangereuses si elles ne sont pas maîtrisées [12]. Ayant démontré une faute de l’équipe soignante et /ou de l’Etablissement, l’expert doit estimer le dommage inhérent à cette faute. Ce rapport de causalité doit être certain, direct et déterminant (>50 %). Une faute sans préjudice n’est pas de la compétente de la CRCI, qui est un système d’arbitrage extra-juridictionnel. Un préjudice par faute doit être indemnisé par l’assurance professionnelle des praticiens et/ou de l’Etablissement. Un préjudice sans faute démontrée relève de l’ONIAM si la gravité est suffisante, définie dans un décret d’application du 4 avril 2003 qui a été codifié (Code de la Santé). Mis à part un pourcentage de décès mal défini, la majorité des cas de pathologie nosocomiale entraîne un préjudice faible non pris en charge par l’ONIAM, ce qui risque d’entraîner une dérive pro-indemnitaire, identique à celle qui pré-existait à la loi 2002.303.

Le dispositif de la nouvelle loi permet d’apprécier hors juridiction, qu’il s’agisse de responsabilité civile ou administrative, toute anomalie consécutive aux actes médicaux. Le législateur prévoit les trois rubriques accidents médicaux, affections iatrogènes et affections nosocomiales pour lesquelles sont sollicités les mêmes experts inscrits sur la même liste spécialisée, qui doivent donc appliquer les mêmes concepts d’indemnisation lors des conséquences néfastes, qu’il s’agisse d’un accident technique chirurgical [2], d’un dysfonctionnement médicamenteux [7] ou d’altération infectieuse [11].

L’estimation du risque nosocomial justifie l’étude pilote prospective de la « Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques » en février 2003. La fréquence du risque grave varie de 10 à 15 % alors qu’il est évitable dans environ 50 % des cas. La chirurgie et les actes invasifs sont à l’origine de 50 à 70 % des faits indésirables. « Le Centre national de l’expertise hospitalière (CNEH) créé en 1974 en collaboration avec « l’Institut de management du risque » (IMR) de Bordeaux et le département de santé publique du CHU. Bichat de Paris organisent des formations de gestion coordonnée des risques et proposent une assistance juridique.

 

LES PRINCIPALES VARIÉTÉS DE FAUTE CHIRURGICALE

Fautes d’indication

Elles sont caractérisées par :

— Le manque d’utilisation d’un examen considéré plus adapté pour une attitude décisionnelle, notamment en urgence : tomo-densitométrie pour syndrome abdominal douloureux, pseudo-occlusif et fébrile à la recherche d’un foyer septique ou lors d’un syndrome fébrile, post-opératoire après une prothèse totale de hanche, crase sanguine au cours d’un syndrome hémorragique postopératoire sous traitement anti-coagulant — La réalisation d’un type d’opération dont les risques connus sont disproportionnés par rapport au processus pathologique et à l’état physiologique du sujet — La décision d’une opération qui n’est ni utile ni nécessaire, notamment en chirurgie esthétique.

Fautes de surveillance apres l’acte

C’est la cause la plus fréquente et la plus grave des revendications concernant les actes chirurgicaux ‘‘ banalisés ’’. Tous les membres de l’équipe sont concernés solidairement et leur mésentente pour rejeter la responsabilité en cascade est du plus mauvais goût conduisant en règle à la démonstration d’une organisation défectueuse de l’équipe et de l’établissement. La conséquence est la sous estimation du risque avec non respect d’une attitude décisionnelle en urgence cause de retard thérapeutique préjudiciable. Dans de telles conditions, l’expert est enclin à évoquer une faute plutôt qu’un aléa.

Fautes techniques opératoires

Elles sont très rarement démontrables lorsque le compte rendu opératoire est bien fait, ce qui pourrait ‘‘ servir une mauvaise cause ’’, mais le rôle de l’expert est alors capital si l’interrogatoire direct des praticiens montrent leur valeur technique et leur bonne foi.

En chirurgie conventionnelle abdominale, j’en ai observé trois exemples :

— Un kyste biliaire sous hépatique par plaie méconnue d’un canal hépatique paramédian droit implanté sur le col vésiculaire en l’absence de cholangiographie per-opératoire — Une hystérectomie difficile de réintervention pour endométriose avec section et ligature d’un uretère pelvien, complication méconnue par l’opérateur et découverte secondairement à la réintervention pour collection infectée — Une fistule recto-vaginale au 7ème jour d’une résection recto-sigmoidienne avec suture mécanique colo-rectale ; l’étude anatomo-pathologique de la collerette de résection a montré l’existence de deux types de muqueuse, l’une rectale, l’autre vaginale.

La chirurgie abdominale par voie laparoscopique a été à l’origine d’accidents spécifiques rapidement divulgués (1990-1997) :

— les complications du capnopéritoine — les plaies des gros vaisseaux abdominaux (aorte, veine cave) avec hémopéritoine massif, spécifique de l’implantation des trocarts — les brûlures électriques des viscères par diffusion du courant monopolaire.

Ces diverses lésions ont pratiquement disparu avec la mise en conformité du matériel et l’adaptation des tactiques opératoires, dont la non observance est fautive . La cure de hernie hiatale et les anneaux oesophagiens de restriction chez les obèses sont grevés de complications dont nous avons observé 5 cas de plaies oesophagiennes, 2 cas de nécrose segmentaire de la grosse tubérosité et 1 cas d’ascension trans-hiatale de l’estomac.

Les lésions de la voie biliaire principale lors des cholécystectomies, après une inquié- tante fréquence vers 1996 représentent actuellement un pourcentage de risque certes non négligeable, mais du même ordre que celui de la chirurgie conventionnelle.

Tous les actes opératoires peuvent être compliqués. Par principe l’opérateur est tenu pour responsable comme l’a souligné Y. Lambert-Faivre évoquant la maladresse et l’inattention en opposition au paradigme du bon chirurgien. (Le droit du dommage corporel Dalloz édit. 1990). P. Sargos a rappelé que le chirurgien est tenu à l’exactitude de son geste dont le non respect entraîne la notion de faute, sauf si la disposition anatomique rendait la blessure inévitable [9].

Une complication jusqu’alors méconnue met à l’épreuve le bon sens de l’expert, comme ce fut le cas dans l’affaire Gomez (paraplégie lors d’une opération de Luqué pour scoliose rachidienne), qui fut à l’origine d’un arrêt particulier concernant les thérapeutiques nouvelles dont toutes les conséquences ne sont pas encore complè- tement connues (Cour administative de Lyon 21-12-1990).

L’AFFECTION IATROGENE

Les assureurs s’intéressent à la lutte contre la ‘‘ iaotrogénie ’’ (définie en 1998 par la Conférence nationale de santé comme pathologie d’origine médicale). L’assureur identifie, analyse, mesure les risques qu’il assure et à ce titre il peut devenir source d’informations complémentaires pour le Comité de gestion des risques.

À l’hôpital, le patient entre dans un système complexe de chaîne de prévention, de diagnostic et de soins nécessitant une adaptation individuelle dont la sécurisation est plus délicate que celles des chaînes industrielles [1]. Les maillons essentiels du système sont évidemment humains c’est-à-dire ceux qui sont le plus exposés à la défaillance lors notamment des surcharges de travail. Comme l’a montré l’étude L.H. Aaiken et col. en 2002 : l’augmentation de la mortalité est en corrélation avec l’augmentation du nombre de malades par infirmier (7 % en moyenne par patient supplémentaire). Dans une étude de projection très récente P. Queneau [7] a montré que pour dix services d’accueil des urgences pendant deux semaines en deux périodes (juin et décembre 1999) parmi les 1562 patients ayant pris au moins un médicament la semaine précédente, 328 (21 %) avaient un effet indésirable.

Les médicaments incriminés étaient surtout des psychotropes (20,5 %), des médicaments cardio-vasculaires (15,4 %), des diurétiques (11,7 %), des antiinflammatoires non stéroidiens (13,9 %). Pour 106 cas, l’effet indésirable était évitable puisqu’il était dû à un mauvais usage (37,9 %). Ceci doit conduire à informer à l’avance les patients sur les risques, à déclarer les accidents au centre de pharmacovigilance, à inciter les praticiens à une meilleure maîtrise de leurs prescriptions.

La iatrogénie médicamenteuse représente 3,9 % des motifs d’hospitalisation et 20 % des hospitalisations en gériatrie. C’est la cinquième cause de mortalité, dont l’origine est un défaut de prescription dans 30 % des cas [7].

L’INFECTION NOSOCOMIALE

Il ne s’agit pas de toute infection au cours des soins médicaux mais de l’infection transmise par des soins médicaux.

Les textes réglementaires et les moyens de lutte contre les infections dites nosocomiales sont parfaitement connus [11] :

— le concept européen est clair depuis la recommandation 20 adoptée par le Conseil des ministres du Conseil de l’Europe le 25 octobre 1984. En France, sa mise en œuvre a été soutenue par l’avis de l’Académie nationale de médecine du 14 mars 1991, suivie de nombreux textes réglementaires dont les plus récents sont les 100 recommandations pour la surveillance et la prévention des infections nosocomiales (2e édition 1999), les circulaires DGS/DHOS/E2 no 65 du 29 décembre 2000 et DGS/5C/DHOS/E2/2001/138 du 14 mars 2001 — les Comités de lutte contre les infections nosocomiales (CLIN) ont été créés par décret du 6 mai 1988 pour organisation et surveillance de la protection à la fois des patients et des personnels. La cellule permanente d’hygiène est l’organe effecteur du CLIN en relation avec l’unité hospitalière (UHLIN). Il y a deux types de structures : le Comité technique national des infections nosocomiales (CTNIN) : cinq centres de coordination inter-régionaux (CCLIN).

Pour homogénéiser l’action des divers CLIN, de nombreux référentiels sont diffusés (architecture, fragilité des patients, mode de contamination, données bactériologi- ques et immunologiques). Le point déterminant de la lutte est l’application minutieuse des règles d’hygiène pour éviter le ‘‘ self-service ’’ des micro-organismes (lavage des mains du personnel, isolement d’une section à risque, nettoyage quotidien des matériels et des locaux, usage de vêtements à usage unique et de matériel jetable).

Le contrôle de la qualité des prestations doit fiabiliser tous les maillons de la chaîne de prévention et par son pouvoir d’accréditation l’ANAES doit avoir un rôle incitatif, mais il faut savoir que malheureusement l’acharnement dans la rigueur n’annule pas à coup sûr le risque infectieux, qui peut brusquement se manifester de façon ironique comme lors de l’ouverture de l’Hôpital Européen GeorgesPompidou. Le fait d’une accréditation est ‘‘ un bon point ’’, faisant présumer la qualité de la prestation mais n’est pas en soi un argument décisionnel de ‘‘ blanchiment de principe ’’. Le dysfonctionnement d’un CLIN met en cause son organisation qui retentit sur la chaîne de soins, c’est-à-dire que le ‘‘ système est responsable ’’ in solidum et non pas l’équipe médico-chirurgicale prise isolement. La notion de système de soins doit désormais être dominante puisque la pratique médicochirurgicale s’effectue actuellement en ambiance pluri-disciplinaire.

La conception juridique ‘‘ uniciste ’’ d’une responsabilité de principe apparaît illogique sinon inique pour les membres de la communauté scientifique qui soulignent les étiologies multiples dont beaucoup échappent à l’action médicale tant de prévention que de thérapeutique, sans parler de l’infection endogène qui ne peut être imputée à quiconque. La notion d’indemnisation systématique sans faute prouvée étonne par sa contradiction avec l’article 6 alinéa 2 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme qui veut que toute personne ait droit à un procès équitable et soit présumée innocente jusqu’à la preuve du contraire. Il convient en outre de rappeler qu’en matière d’infection nosocomiale la cause est souvent pluri-factorielle et que la relation légalement nécessaire de ‘‘ causalité directe certaine et déterminante ‘‘ entre étiologie et conséquences néfastes, est rarement démontrée.

Si l’on envisage un contexte épistémologique, il est évident qu’une erreur étymologique a entraîné une faute sémantique responsable d’une injustice.

Dans deux communiqués officiels du 19 juin 2001 et du 5 février 2002, l’Académie nationale de médecine par la voix de son président Gabriel Blancher, au nom d’un groupe de travail, souligne le rôle d’une expertise technique par un collège pluridisciplinaire (clinicien, infectiologue, hygiéniste, architecte, spécialiste de santé publique). Seul ce rapport circonstancié dans le cas précis étudié doit pouvoir orienter le jugement du magistrat. Le risque de dérive pro-indemnitaire abusive est bien exprimé par J. Hureau [2].

Si les moyens nécessaires et suffisants connus au moment des faits ont été correctement réalisés pour s’opposer à l’infection, pourquoi ne pas admettre le risque par aléa qui n’est jamais nul ? Ce serait la déduction logique du regroupement des faits des diverses variétés de ‘‘ pathologie nosocomiale ’’.

 

A l’opposé, si le rapport d’expertise démontre un manque à une obligation de moyen dans l’un ou plusieurs des maillons de la chaîne de soins, il est évident que la classique notion de faute entraîne la culpabilité et justifie la réparation du préjudice par infection au titre de la responsabilité civile ou administrative.

CONCLUSION

La notion de pathologie nosocomiale apparaît donc logique. Elle met en exergue des réalités objectives anatomo-cliniques et physio pathologiques concernant trois groupes de faits ayant en commun leurs facteurs étiologiques, évolutifs et thérapeutiques dont la connaissance permet dans une large mesure la prévention commune par gestion sécuritaire de ses risques sanitaires. Pour ces trois circonstances [accident médical, affection iatrogène et infection dite nosocomiale] le fait d’être en rapport avec un acte médico-chirurgical n’implique pas ipso facto une faute médicolégale, car le risque aléatoire existe. Le terme ‘‘ pathologie nosocomiale ’’ est un terme médical à part entière et non pas un concept médico-juridique à partir de textes réglementaires récents.

Entité nosologique et sémantique avérée, la pathologie nosocomiale est d’étiologie pluri-factorielle mais ses conséquences sont stéréotypées posant le problème de la fiabilité et de la sécurité des actes exécutés. Le dommage constaté par avis d’experts spécialisés relève soit d’une faute médico-légale démontrée concernant les assureurs de la responsabilité civile ou administrative, soit d’un aléa sans faute relevant de la solidarité nationale représentée par l’ONIAM. Quelle que soit la variété, elle doit être considérée identiquement pour sa prévention, sa thérapeutique et l’indemnisation du préjudice. C’est l’espoir annoncé par la loi 2002-303 à condition de ‘‘ médicaliser ’’ les CRCI, d’homogénéiser la méthodologie des expertises et de définir au mieux les confins aléa faute [10, 12].

‘‘ On ne subit pas l’avenir, on le construit ’’ G. Bernanos.

 

BIBLIOGRAPHIE [1] DAVID G. — Faire bon usage de l’erreur médicale.

Bull. Acad. Natle Méd ., 2003, 187 , 1, 129.

[2] HUREAU J., DE FONTBRESSIN P. — Le droit de la responsabilité médicale. Les nouveaux enjeux.

Bull. Acad. Natle Méd ., 2003, 187 , 1, 161.

[3] JOURDAIN P., LAUDE A., PENNEAU J., PERCHY-SIMON S. — Le nouveau droit des malades.

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[4] LANGLOIS J. — Tempête sur l’assurance.

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[5] PANSIER J. — Présentation de la loi du 30 décembre 2002 sur la responsabilité médicale.

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[6] PANSIER J. — L’obligation d’assurance des professionnels et des Etablissements.

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[7] QUENEAU P. et al. — Iatrogénie médicamenteuse observée dans les SAU français. Etude prospective de APNET et proposition de mesures préventives.

Bull. Acad. Natle Méd ., 2003, 187 , 4, 647.

[8] REY A. —

Bull. Ordre des Médecins , 2003, 15 , 13.

[9] SARGOS P. — Obligation de moyen et obligation de résultats du médecin.

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[10] VAYRE F., VAYRE L., VAYRE P. — Les confins du dommage par aléa et par faute : grille pour expertise technique en responsabilité médicale. Gazette du Palais, 2000, 82-83, 13-15.

[11] VAYRE P. — Les infections dites nosocomiales : un défi à la raison.

Annales de chirurgie , 2002, 127 , 4, 250-251.

[12] VAYRE P., VANNINEUSE A. — Le risque annoncé de la pratique chirurgicale.

Springer-Verlag

Edit ., 2003.

* Membre de l’Académie nationale de médecine, chirurgien honoraire de l’hôpital La PitiéSalpétrière, 16 rue Bonaparte — 75272 Paris cedex 06. Tirés-à-part : Professeur Pierre VAYRE à l’adresse ci-dessus. Article reçu le 4 juin 2003, accepté le 13 octobre 2003.

 

Bull. Acad. Natle Méd., 2003, 187, no 9, 1695-1705, séance du 9 décembre 2003