Communication scientifique
Séance du 26 novembre 2002

Organismes génétiquement modifiés et santé

MOTS-CLÉS : biopharmacie.. malnutrition protéinocalorique. organisme génétiquement modifié. transgènes
Genetically modified organisms and Health
KEY-WORDS : biopharmaceutics.. genetically modified organisms. protein-energy, malnutrition. transgenes

Organismes génétiquement modifiés et santé

Genetically modified organisms and Health

Présentation

Alain RÉRAT *

Un organisme génétiquement modifié (OGM) est un organisme vivant dont le capital génétique a été transformé soit par addition d’un gène étranger, soit par modification de l’expression de l’un de ses gènes propres. Cette transformation touche toutes les cellules de l’organisme, y compris les cellules reproductrices ; elle est donc transmise à la descendance. Ces interventions sur le génome — le génie génétique — permettent d’obtenir, de façon rapide et précise, des améliorations des productions végétales et animales habituellement obtenues par des décennies d’utilisation des méthodes classiques de la génétique, sélection et croisement. Le génie génétique constitue ainsi un instrument puissant pour modifier les productions agricoles et agro-alimentaires, mais permet également l’ouverture de voies originales en thérapeutique.

Son champ d’application est actuellement très vaste et à l’origine de progrès spectaculaires et originaux, tant dans le domaine agronomique que dans celui de l’environnement, de l’alimentation et de la santé humaine et animale, dont la plupart relève pleinement des préoccupations de l’Académie nationale de médecine.

Ces innovations ont été analysées au cours d’une journée d’études que j’ai organisée en avril 2000 sous la responsabilité du Groupe de concertation entre Académies des Sciences de la Vie et de la Santé, qui doit en être très vivement remercié ici, car c’est à partir de cette analyse qu’a pu être initiée la présente séance. Les travaux de cette journée ont été publiés dans les Comptes Rendus de l’Académie d’Agriculture de France (2000, 86 , no 6, 170 p.). Permettez-moi une brève énumération des acquis dans ce domaine. La transgenèse végétale — actuellement appliquée aux plantes sur plus de cinquante millions d’hectares à travers le monde — conduit à un accroissement de la productivité des espèces cultivées en améliorant leurs performances agronomiques, à une diminution de la pollution environnementale grâce à l’allégement des traitements par des substances chimiques (herbicides, pesticides, fongicides) et enfin, potentiellement, à la production de molécules à forte * Membre de l’Académie nationale de médecine .

valeur ajoutée comme les médicaments. Chez l’animal, le champ d’application actuel est beaucoup plus réduit et concerne essentiellement la mise au point d’animaux modèles pour l’étude de maladies humaines, la préparation de protéines recombinantes à effet bénéfique pour la santé et, potentiellement, la préparation d’organes animaux en vue de leur transplantation à l’espèce humaine. Enfin, les modifications génétiques de divers micro-organismes (bactéries et levures) ont des applications dans les industries agroalimentaires avec des conséquences sur l’alimentation de l’homme, et dans l’industrie pharmaceutique avec la fabrication de protéines recombinantes. On peut ainsi constater l’extraordinaire éventail des possibilités offertes par ces nouvelles technologies issues du génie génétique et les progrès impressionnants qu’elles permettent d’espérer.

Parmi ces possibilités, vont être analysées aujourd’hui celles qui sont offertes dans le domaine de la santé humaine soit de façon indirecte par le biais de l’alimentation, soit de façon plus directe par la voie thérapeutique.

Pourquoi l’alimentation ? Celle-ci représente un des éléments principaux de notre milieu, facteur journalier dont dépendent notre état de santé et notre longévité.

Toute insuffisance ou tout excès alimentaire peut se traduire par des syndromes généraux ou spécifiques qu’il est nécessaire de prévenir ou de guérir. On sait ainsi qu’actuellement, plus de 800 millions d’êtres humains souffrent de malnutrition protéino-calorique dans les pays en développement, en raison d’un accès aléatoire aux aliments. En outre, dans les mêmes zones, des carences spécifiques se font sentir comme la carence en vitamine A qui touche plus de 130 millions d’individus, et de façon parfois gravissime puisque, chaque année, plus de 500 000 enfants sont atteints de cécité partielle ou totale. On peut aussi souligner la prévalence très élevée de l’anémie martiale, liée à l’insuffisance des apports alimentaires en fer, qui déborde largement les frontières des Pays en développement, atteignant plus de deux milliards d’individus dans toutes les zones géographiques.

Pour faire face à ces situations, liées en grande partie à l’accroissement démographique exponentiel du dernier siècle, l’homme s’est efforcé d’accroître la production agricole par l’augmentation de la productivité et par le défrichage de nouvelles terres. Cependant, en raison des pertes de surfaces arables dues à l’intense urbanisation et à la dégradation des sols, les voies classiques de stimulation de la productivité risquent très rapidement de se révéler insuffisantes. Ces voies sont connues et expriment tout l’éventail inventif des hommes : amélioration génétique des plantes ;

meilleure couverture de leurs besoins nutritifs grâce à l’apport judicieux d’engrais et d’eau ; élimination de leurs agents d’agression, prédateurs animaux et végétaux, par les pesticides (insecticides, fongicides, herbicides) ; optimisation du travail humain par la mécanisation. Néanmoins, du fait de la persistance de vastes populations sous-nutries ou carencées, voire de l’augmentation de leur nombre, le recours aux OGM peut être considéré comme un appoint considérable pour lutter contre la malnutrition dans le Monde. Ces OGM offrent en effet des perspectives quantitatives et qualitatives. Au plan quantitatif, le rendement à l’hectare peut être largement accru par la répression des prédateurs animaux et végétaux — qui sont à même de
détruire parfois près de cinquante pour cent des récoltes sur pied ou au cours de leur stockage —, et aussi à l’avenir, par l’accroissement de la résistance des plantes à des conditions de milieu défavorables (températures extrêmes, sécheresse, apports nutritifs insuffisants). Au plan qualitatif, la composition chimique des OGM peut être modifiée afin d’assurer la couverture équilibrée des besoins de l’homme, ou pour faire disparaître les substances toxiques ou allergéniques hébergées par la plante dont ils sont issus.

C’est cet aspect qualitatif, apporté par les OGM dits de deuxième génération, qui va être développé par les trois rapporteurs réunis dans la première partie de cette séance. Celle-ci sera ouverte par Yves Chupeau, directeur de recherches à l’INRA (Versailles) qui exposera comment l’alimentation peut être rééquilibrée à l’aide de produits végétaux dont la composition en principes nutritifs a été modifiée, ou dont les composés toxiques ont été éliminés, en mettant en œuvre les techniques du génie génétique. Par ailleurs, les risques éventuels des aliments provenant d’OGM seront traités dans deux rapports. Le Pr. Francine Casse, du laboratoire de Biochimie et Physiologie Moléculaires des Plantes à Montpellier, décrira l’évaluation et la gestion des risques potentiels, sous leurs aspects scientifiques et réglementaires. Ces risques sont ceux qui pourraient être liés à la présence d’acides nucléiques modifiés, à la production de protéines toxiques, à l’utilisation de gènes marqueurs de résistance aux antibiotiques, ou encore éventuellement induits par la persistance de résidus de pesticides chez les plantes résistantes. Ce rapport sera complété par celui du Pr D. Anne Moneret-Vautrin, du CHU de Nancy, notre collègue à l’ANM, qui évaluera le risque allergique des aliments transgéniques et analysera les stratégies de prévention à mettre en œuvre.

La deuxième partie de cette séance sera consacrée à des questions concernant directement la santé. Compte tenu de l’ampleur de cette thématique et de la brièveté du temps imparti, certains aspects n’en ont cependant pas été retenus. Tout d’abord, la thérapie génique, aux vastes perspectives révolutionnaires ne sera pas discutée car elle a fait récemment l’objet d’une très intéressante séance commune des Académies nationales de médecine et de pharmacie, suivie de recommandations. Par ailleurs, nous n’avons pas retenu le thème de la préparation d’organes animaux « humanisés » par transgenèse en vue de leur greffe à l’homme, car il mérite d’être exposé lors d’une séance particulière. L’avenir de ces techniques comparées aux autres possibilités (allogreffes, thérapie cellulaire) pourrait ainsi être discuté en analysant notamment les voies de suppression des mécanismes de rejet des xénogreffes, et la transmission éventuelle d’agents pathogènes (présence de rétrovirus neutralisables par transgenèse).

Nous avons ainsi choisi, dans la deuxième partie de cette séance, de débattre de l’utilisation des OGM en thérapeutique humaine dans deux rapports. Le Pr JeanHugues Trouvin, de l’AFSSAPS-Paris établira d’abord l’inventaire des divers types de protéines à usage biopharmaceutique produites par le génie génétique (protéines sanguines, vaccins, anticorps, hormones, enzymes, cytokines, facteurs de croissance) et analysera ensuite les avantages et les risques éventuels de ces molécules issues
d’OGM, la prévention de ces risques et la réglementation correspondante. Puis, le Dr. Loïc Faye, de la Faculté des Sciences de Rouen St Aignan, nous décrira l’extraordinaire potentiel représenté par les plantes comme filière de fabrication de ces molécules à usage thérapeutique, encore au stade du développement, en analysant particulièrement le cas des anticorps et leur « humanisation » par modification des mécanismes de glycosylation des protéines d’origine végétale.

Je remercie très vivement les divers rapporteurs qui ont répondu à notre demande et se sont pliés aux exigences de la publication en fournissant des contributions bien documentées dans les délais impartis. J’exprime également ma gratitude envers mes confrères des diverses Académies qui ont bien voulu se joindre à moi pour bâtir le programme de cette séance : MM. Ardaillou, Sraer et Tubiana de l’ANM, MM. Bohuon, Bourillet, Dreux et Uzan de l’ANP, M. Mounolou de l’AAF, et le Dr Larvor de l’AVF et président du groupe de concertation entre Académies des Sciences de la Vie et de la Santé. J’ai également sollicité le concours d’autres confrères pour participer aux recommandations finales du comité scientifique :

Mme Adolphe et MM. Galibert, Rico et Rosset de l’AMM, Cauderon de l’Académie des Sciences et Décor de l’AAF. Enfin, je tiens à remercier tout particulièrement le Pr Maurice Tubiana, président de l’ANM, qui m’a offert l’occasion d’organiser une séance sur des innovations faisant l’objet de critiques injustifiées qui, depuis trop longtemps, ont été laissées sans les réponses vigoureuses et argumentées que nous possédons. J’associerai bien sûr à ces remerciements le Pr Bohuon, président de l’ANP, qui a bien voulu accepter que soit traitée cette thématique à notre séance commune.

Bull. Acad. Natle Méd., 2002, 186, n° 8, 1359-1362, séance du 26 novembre 2002