Communication scientifique
Séance du 24 avril 2012

Mise en condition de survie des blessés en opération extérieure : procédure et expérience à partir du terrain afghan

MOTS-CLÉS : guerre. intervention de sauvetage. médecine militaire. réanimation.
Conditions for the survival of combat casualties in overseas operations : procedure and experience from the Afghan out-of-hospital theater
KEY-WORDS : military medicine. rescue work. resuscitation.. war

Bruno Palmier *

Résumé

Les conflits récents ont amené le service de santé des armées français à préciser la mise en condition de survie des blessés de guerre en opération extérieure. La majorité d’entre eux est victime de blessures par explosion et un contrôle précoce de l’hémorragie est le moyen principal d’améliorer la survie. Une procédure appelée « Sauvetage au Combat » est enseignée pour la mise en condition de survie de ces blessés. Elle est appliquée depuis quelques années sur le terrain afghan.

Summary

Recent conflicts have led the French Army Health Service to specify the setting condition for the survival of combat casualties in overseas operations. The majority of them are victims of explosion injuries, and an early and effective control of bleeding is the primary means of improving survival. A procedure called ‘‘ Combat Rescue ’’ is taught. This chronological procedure favours external haemostasis and led to specific equipment, in particular a tourniquet and a haemostatic bandage of high efficiency. It is applied in recent years on the Afghan out-of-hospital theatre. A very front medical presence, which is systematic during evacuations, is a feature of the French Army Health Service operations support.

INTRODUCTION

Le sujet sera limité à la médecine de guerre à l’Avant, qui commence avec le relevage du blessé, sa mise en condition de survie sur le terrain et son évacuation vers une unité médicochirurgicale.

La nature des conflits a évolué depuis les vingt dernières années

Les conflits dits de haute intensité, ont été peu à peu remplacés par des conflits dits de basse intensité au cours desquels les attaques ne sont plus forcément frontales.

Les cibles sont à la fois militaires et civiles. Les conflits sont devenus « asymétriques », une force constituée faisant face à un ennemi en principe inférieur, mais menant une guérilla urbaine ou rurale, les ennemis étant mêlés aux civils avec des armes dites non conventionnelles.

Ce changement de nature est devenu net après la guerre du Golfe.

Les français y ont été confrontés à Sarajevo et en ex Yougoslavie entre 1992 et 1996, les américains pendant le raid de Mogadishu en 1993, les israéliens depuis 2002 et en particulier pendant la deuxième guerre du Liban en 2006, et il existe un nombre important de données américaines et britanniques depuis 2003 en Irak et en Afghanistan.

Les lésions les plus fréquentes sont celles par éclats et explosions : déjà majoritaires pendant la guerre du VietNam (70 %), elles sont estimées à 79 % en Irak et Afghanistan [1]. Les autres lésions sont celles par balles et dans les conflits strictement urbains (Sarajevo, Mogadishu) on observe des fréquences égales de lésions par balles et de lésions par éclats.

Les éclats ou explosions sont certes entraînés par des armes conventionnelles comme mines, obus ou grenades, mais les agents lésionnels actuels les plus fréquents sont des engins explosifs improvisés (IED), 30 % dès 2003 en Irak [2]. L’imagination pour confectionner ces dispositifs explosifs n’a pas de limite : contenants de toutes sortes (bouteilles, bonbonnes), contenus les plus traumatiques possibles (clous, verre, morceaux de pneus armés), positionnement à toute hauteur, déclenchement à la pression ou à distance (téléphone portable).

Les véhicules blindés légers lorsqu’ils sont engagés sont la cible de mines et d’obus pénétrants ; les servants de ces engins sont parfois victimes de lésions multiples impressionnantes associant à des degrés divers des lésions par éclats (amputations, fractures et polycriblage), un blast auditif, des brûlures des membres, des brûlures des voies respiratoires et une inhalation de fumées (« Anti-Tank Missile Syndrome »).

Les lésions concernent majoritairement les membres (55 %)

La fréquence de l’atteinte du thorax et de l’abdomen chez les militaires a diminué à cause du port des effets de protection individuelle (EDPI) (figure 1a), respective- ment 13 et 12 % au VietNam contre 6 et 7 % dans les conflits plus récents [1]. Chez les civils (sans EDPI) lors des évènements de Sarajevo, la fréquence respective des atteintes du thorax et de l’abdomen s’élevait à 20 et 26 %, alors qu’elle était inférieure à 5 % chez les militaires français bien équipés [3].

De quoi meurt-on à l’Avant ?

Immédiatement et dans les 10 à 15 minutes de plaie cérébrale, d’exsanguination, de pneumothorax compressif, d’asphyxie.

Toute réflexion sur le soutien médical dans ce contexte est basée sur la notion de « morts évitables » : 15 à 20 % dans les séries bien étudiées (exhaustivité des données + autopsie).

Ce qui domine est la mort évitable par HÉMORRAGIE : 83 à 87 % des cas, moitié hémorragie des membres, moitié hémorragie non compressible du tronc [4].

Les challenges du soutien médical dans ces circonstances sont donc :

— d’apprendre des gestes salvateurs réflexes, à réaliser au plus vite et donc au plus près, par les combattants eux-mêmes et les auxiliaires sanitaires lorsqu’ils arrivent ; ces gestes peuvent éviter la mort dans les minutes, — de permettre l’accès à une solution chirurgicale dans les deux heures par une mise en condition de survie médicalisée.

DOCTRINE FRANCAISE DE LA MISE EN CONDITION DE SURVIE DU BLESSÉ DE GUERRE : LE SAUVETAGE AU COMBAT (SC)

Les grands principes de la doctrine française du soutien médical du blessé de guerre sont contenus dans un document OTAN intitulé « Concept de soutien médical des opérations » [5]. On distingue ainsi le soutien médical de rôle 1, celui assuré par le médecin d’unité et son personnel, celui de la médecine de l’Avant, le soutien médical de rôle 2 qui s’exerce dans l’antenne chirurgicale la plus proche, réalisant parfois une véritable chirurgie de l’Avant, le soutien médical de rôle 3 , dans un hôpital médicochirurgical plus important (HMC) comme il existe en Afghanistan sur le site de KAIA (pour Kaboul International Airport).

Sur le plan purement technique, la mise en condition de survie du blessé de guerre est déclinée dans un document appelé « Sauvetage au Combat » (SC), élaboré de façon collaborative sous l’égide de la chaire d’anesthésie réanimation et urgences appliquées aux armées. Ce document, à la fois technique et pédagogique, est édité sous le timbre de l’École du Val de Grâce (EVDG) [6]. Une version actualisée devrait paraître courant 2012.

Le SC est enseigné (formation initiale, formation continue, formation des formateurs) dans les 6 CITERA (Centres d’Instruction aux Techniques de Réanimation à l’Avant), intégrés dans différents Hôpitaux d’Instruction des Armées.

La médecine de l’Avant représente la première étape de la Médecine de Guerre, elle est réalisée par les médecins d’unité, leurs infirmiers et auxiliaires sanitaires, elle a pour objectif de mettre en conditions de survie le blessé de guerre et de le confier à l’étape suivante aux anesthésistes et aux chirurgiens (première unité médicochirurgicale opérationnelle).

Le SC est un standard de soins dont il existe trois objectifs, qui sont par ordre de priorité : la survie du blessé de guerre, la maîtrise de l’exposition du personnel engagé et la poursuite de la mission opérationnelle.

Les actions du SC comportent trois niveaux de soins successifs et complémentaires.

Le SC de niveau 1

Seuls sont réalisés des gestes salvateurs compatibles avec les dangers du combat, notamment le feu ennemi. Il est mis en œuvre dans les toutes premières minutes suivant la blessure par tout militaire engagé proche de la victime ou par le blessé lui-même.

Le SC de niveau 2

Sont réalisés des gestes complémentaires à ceux du SC1, toujours compatibles avec le contexte opérationnel, par des personnels de santé (auxiliaire sanitaire, infirmier, médecin) ayant reçu une formation spécifique.

Le SC de niveau 3

Il s’agit de réaliser des gestes de réanimation plus difficiles, complémentaires de ceux du SC1 et SC2 et leur mise en œuvre concerne essentiellement les médecins et certains infirmiers, tous ayant reçu une formation spécifique.

La description qui suit illustre le concept actuel de « Damage Control Resuscitation », dans sa phase initiale préhospitalière ou « Damage Control Ground Zero » [7].

Déroulement programmé d’un sauvetage au combat

Quatre étapes chronologiques sont réalistes à décrire.

SOUS LE FEU

Le combattant blessé doit savoir se mettre à l’abri et mettre en œuvre lui-même les moyens de contrôler ses hémorragies. C’est le temps fondamental de l’extraction sous le feu qui est un acte de combat réalisable instinctivement par opportunité, sur ordre, ou de façon différée et préparée. Le seul geste salvateur à pratiquer dans cette phase est la pose d’un garrot, garrot dit « tactique », parce qu’il sert à stopper l’hémorragie pendant cette phase plus ou moins longue d’extraction vers un abri. Ce geste doit être réalisé par le combattant lui-même (SC1), son camarade le plus proche (SC1), par tout personnel de santé présent (qu’il soit qualifié SC2 ou SC3) et tout militaire au combat doit avoir un ou deux garrots sur lui.

Le garrot actuel de la dotation (SOFTT—) (figures 1 b et 1 c) est assez facile à poser, peut être posé avec une seule main, son efficacité est réglable et son verrouillage est fiable. La formation sur la pose du garrot est un des enseignements majeurs du SC1.

L’hémorragie non accessible au garrot sera comprimée (pansement et compression manuelle si possible).

Prendre le temps d’immobiliser un rachis, de réaliser une ouverture des voies aériennes supérieures ou de faire un massage cardiaque externe est jugé dangereux sous le feu.

Á L’ABRI, au NID de BLESSÉS

Le nid de blessés est le premier endroit à l’abri (simple mur par exemple).

Le contrôle de l’hémorragie est reconsidéré, complété et d’autres gestes de survie sont réalisés.

Selon le contexte tactique, les combattants sont désarmés (les blessés ennemis, ceux qui sont inconscients ou qui présentent un trouble du comportement) et l’armement est sécurisé.

Arrêter les hémorragies

Point de Compression et Garrot. Une hémorragie abondante relève de la pose d’un garrot qui favorise la survie si cette pose intervient avant l’apparition d’un choc, comme devant un arrachement ou un quasi arrachement de membre. Un second garrot peut être nécessaire, en particulier au niveau des cuisses. Un garrot pneumatique peut être plus efficace.

La lettre T (pour « Tourniquet ») et l’heure de pose du garrot doivent être annotées sur le blessé et sur sa fiche médicale d’évacuation (Fiche Médicale à l’Avant ou FMA).

Conversion d’un garrot tactique. Tout garrot posé sous le feu le temps de l’extraction doit être réévalué dès que le blessé est à l’abri.

Il existe des conditions dans lesquelles il ne sera pas desserré : contexte tactique non maîtrisé, surveillance immédiate incertaine, amputation traumatique, pansement relais semblant difficile à réaliser, blessé inconscient, garrot posé depuis plus de quatre heures, délai d’accès à une formation médicochirurgicale inférieur à une heure.

La conversion consiste à confectionner le pansement relais, à desserrer le garrot tout en le laissant en place et à surveiller attentivement pendant au moins vingt minutes.

Si la reprise du saignement conduit à resserrer le garrot, il sera laissé ainsi jusqu’à la première formation chirurgicale.

Pansement compressif. Le pansement en dotation dans la trousse individuelle du combattant est celui dit « israélien ». D’autres existent en complément, comme le ® pansement OLAES Modular Bandage , plus large et plus compressif. Ces dispositifs permettent le packing des plaies délabrantes.

Pansement hémostatique. Le pansement hémostatique actuel en dotation est une ® bande de gaze imprégnée de kaolin (Quikclot Combat Gauze ) (figure 1 d). Il est adaptable aux petites cavités comme aux plaies de plus grande surface. Il doit être appliqué avec une compression manuelle de trois à cinq minutes puis recouvert d’un pansement compressif simple. Il est bien entendu inclus dans le packing des plaies hémorragiques dites jonctionnelles (plis inguinaux, fesses, périnée, creux axillaires, base du cou). Une plaie du cuir chevelu peut bénéficier de la pose d’un pansement hémostatique et compressif.

Stabilisation pelvienne. L’hémorragie par traumatisme fermé du bassin ou plaie abdomino-pelvi-fessière peut être limitée par une contention pelvienne. Elle doit être réalisée à hauteur des grands trochanters, soit avec la ceinture de contention pelvienne de la dotation, soit avec un moyen de fortune comme une simple écharpe.

Hémostase des fosses nasales. Dans certains traumatismes maxillo-faciaux, l’hémorragie échappe aux méchages classiques et l’on doit avoir recours à des sondes à ballonnet, comme une banale sonde de Foley.

Maintenir les voies aériennes supérieures (VAS) ouvertes

Deux situations schématiques sont envisagées :

Obstruction des VAS. La bouche est désobstruée au doigt ganté. La position spontanée de confort respiratoire est respectée et le blessé n’est jamais allongé sur le dos. Le blessé inconscient est placé sur le côté (PLS) de façon à favoriser l’écoulement sanguin bucco-nasal vers l’extérieur. La mâchoire inférieure est subluxée.

La persistance de signes asphyxiques par obstruction des VAS doit conduire à pratiquer une CONIOTOMIE percutanée, avec le kit Mini Trach 2® de la dotation (canule de 4 mm de diamètre interne, sans ballonnet) (figure 1 i) ; c’est un geste du niveau SC2.

Blessé inconscient sans obstruction des VAS. Mise en PLS, pose d’une canule de

Guédel et subluxation de la mâchoire inférieure sont les mesures d’attente recommandées.

Rechercher un trouble de ventilation et assurer une ventilation suffisante

Les effets de protection individuelle doivent être retirés et les vêtements découpés aux ciseaux pour examiner le thorax.

Pneumothorax suffocant. Les signes de détresse respiratoire et de détresse hémodynamique sont enseignés au niveau SC2.

La stratégie de l’exsufflation d’urgence obéit à un protocole.

— Exsufflation à l’aiguille avec un cathéter veineux périphérique 14G par voie anté- rieure en première intention, puis par voie axillaire en seconde intention (toujours dans le cadran supéro-externe, à l’extérieur de la ligne médio-claviculaire et au dessus de la ligne bi-mamelonnaire) ; ce geste est du niveau SC2.

— Thoracostomie au doigt (bistouri, pince de Kelly, valve d’Ascherman® et/ou pansement 3 côtés sur 4) en cas d’échec des exsufflations à l’aiguille (figure 1 e) ;

ce geste est du niveau SC3.

Plaie du thorax (soufflante ou non)

En l’absence de détresse respiratoire, toute plaie du thorax doit être couverte par un pansement non occlusif, de type 3 côtés sur 4, et la surveillance s’attache à détecter la survenue d’un pneumothorax suffocant.

Quand une détresse respiratoire est manifeste, la stratégie est la suivante :

— Éliminer un pneumothorax suffocant et au besoin l’exsuffler — La détresse respiratoire persiste malgré la stratégie d’exsufflation et il faut drainer le thorax : thoracostomie au doigt (bistouri, pince de Kelly, valve d’Ascherman® et/ou pansement 3 côtés sur 4) (figure 1 f) — La détresse respiratoire persiste malgré le drainage qui semble fonctionnel : il faut assister la ventilation. Oxygénothérapie et Intubation Orotrachéale (IOT) sont les techniques de référence, mais ne sont pas toujours réalisables au Nid de Blessés et le blessé intubé représente à ce stade de l’évacuation une grande contrainte logistique.

Ce geste d’IOT, du niveau SC3, doit rester exceptionnel.

L’alternative retenue à l’IOT est la coniotomie chirurgicale réalisée sous anesthésie locale (canule de 6 mm de diamètre interne, avec ballonnet).

Placer un accès vasculaire

Ce geste est envisagé précocement car la vasoconstriction périphérique et l’hypothermie vont rendre sa réalisation plus difficile avec le temps. Ce geste est du niveau SC2.

Voie veineuse périphérique en première intention. Un cathéter 18G est suffisant, posé là où il est possible de le faire, solidement fixé. Un remplissage vasculaire n’est pas utile chez le blessé conscient non choqué (pouls radial bien perçu). Ce cathéter est obturé et reste à disposition.

Perfusion intra-Osseuse. C’est l’alternative de première intention chez un blessé choqué (pouls radial filant ou non perçu). Les dispositifs en dotation sont manuels ® ® (Trocart de Mallarmé , Aiguille de Jamshidi ) ou automatiques (Bone Injector ® ® Gun , EZIO ) (figures 1ˆ g et 1 h).

La voie veineuse centrale n’a aucun intérêt à ce stade de la prise en charge.

Quand et comment faire un remplissage vasculaire ?

Instauration et surveillance du remplissage vasculaire sont du niveau SC2.

Les indications formelles sont le trouble de conscience, l’absence de perception du pouls radial (PAS < 70 mm Hg) et la perception d’un pouls radial filant (PAS entre 70 et 90 mm Hg). L’altération de l’état de conscience (traumatisé crânien avec plaie ou embarrure par exemple) doit toujours être réévaluée à pouls radial bien frappé (PAS ≥ 90 mm Hg).

Il est appliqué une stratégie de remplissage vasculaire à faible volume, avec recours précoce à une amine vasopressive (l’Adrénaline est ici retenue), et administration précoce d’acide tranexamique.

Le premier soluté est du Sérum Salé Hypertonique à 7,5 %, 250 ml en 10 minutes.

En l’absence de restauration du pouls radial, un second soluté est perfusé : un Hydroxy Ethyl Amidon (HEA), 500 ml en 30 minutes et de l’Adrénaline est titrée en même temps : 1 mg/ml ramené à 10 ml de sérum physiologique, injecté ml par ml.

Les réinjections et la modulation du débit d’HEA sont fonction des objectifs à obtenir, pouls radial et conscience.

Sont bien entendu recherchés et traités une reprise d’hémorragie externe, la survenue d’un pneumothorax compressif.

L’acide tranexamique doit être administré dans les 3 premières heures après un traumatisme, et en pratique nous l’utilisons après l’échec du premier soluté de remplissage, en même temps que le second soluté et le début de titration de l’adrénaline : 1 g (2 ampoules) dilué dans 100 ml de sérum physiologique en 10 minutes.

Prévenir l’hypothermie

C’est une préoccupation constante de la mise en condition de survie, et il faut y penser après chaque étape gestuelle : isoler du sol, ne découvrir que le minimum nécessaire à l’examen, aux gestes et à la surveillance, replacer dès que possible les EDPI, couverture de survie simple ou triple couche, tout autre moyen de protection.

AU POINT de RASSEMBLEMENT des BLESSÉS (PRB)

Le Nid de Blessés peut devenir le PRB s’il est tactiquement le lieu le plus sûr pour accueillir tous les blessé et permettre leur mise en condition définitive pour l’évacuation tactique.

Ce qui est réalisé doit rester simple. Plusieurs blessés peuvent être à prendre en charge.

On ne dispose pas encore forcément de tout le matériel nécessaire.

Réévaluer et rechercher d’autres lésions

On réévalue et on complète les gestes réalisées au Nid de Blessés.

Atteinte oculaire : pansement binoculaire non compressif.

Lésions cutanées : examen systématique en retournant le blessé, découpe des vêtements si nécessaire (ciseaux de la dotation), recherche soigneuse des points d’entrée et de sortie des projectiles.

Suture du scalp : points en croix avec du fil (0) de la dotation ou agrafes.

Immobiliser et assurer une analgésie

Positions antalgiques , par exemple MI fléchis pour relâcher les muscles abdominaux.

Immobilisation des fractures avec vérification des pouls lors des manœuvres de traction.

L’immobilisation participe à l’analgésie : attelle, écharpe, ceinture pelvienne en dotation, dispositif KEDTM en dotation, collier cervical chez un blessé inconscient en cas de chute de grande hauteur ou d’accident dans un blindé (explosion, retournement).

Analgésie

La morphine est le produit de référence et tout combattant dispose d’une syrette de 10 mg, à administrer par voie sous-cutanée, (geste du niveau SC1). Une deuxième syrette peut être injectée au bout de 30 minutes (geste du niveau SC1) et une troisième encore 30 minutes plus tard (geste du niveau SC2) si le pouls radial est bien frappé et en l’absence de trouble de conscience. L’administration titrée de morphine IV est un geste du niveau SC3.

L’enseignement du niveau SC3 comprend l’utilisation de la kétamine à visée analgésique et la réalisation d’un Bloc Ilio Fascial à la lidocaïne 1 % non adrénalinée.

Réaliser une asepsie, les pansements et l’antibiothérapie

Le nettoyage des plaies se fait à l’eau claire, un soluté stérile n’étant pas nécessaire.

L’emballage utilisera des pansements de taille adaptée.

Il est recommandé d’utiliser des pansements humides pour la couverture des éviscérations et des brûlures.

L’antibiotique retenu est l’Augmentin®, 2g IV, une fois, systématiquement pour toute plaie ou toute fracture ouverte ; il doit être administré le plus précocement possible dès que l’équipe est à l’abri du feu. En cas d’allergie connue aux pénicillines (nécessité d’identifier les allergiques avant la projection), il sera administré clindamycine et gentamicine dès la première formation médicochirurgicale.

Mettre en posture d’attente

PLS pour les blessés inconscients, demi-assise pour les blessés dyspnéiques, Couchée

MI surélevés semi fléchis pour les blessés choqués et les blessés de l’abdomen.

Les EDPI doivent toujours être replacés.

Réévaluer, documenter, surveiller

Il faut inlassablement rechercher un saignement extériorisé, rechercher le pouls radial, vérifier les VAS et la respiration, rester en contact avec les blessés (conscience, explication des soins).

Boire est possible.

La documentation concerne le Garrot (T), la Morphine (M), et tous les éléments à remplir impérativement sur la Fiche Médicale à l’Avant (FMA) en vigueur sur le théâtre des opérations.

Surveiller c’est répéter la recherche d’une hémorragie, d’une obstruction des VAS, d’un pneumothorax compressif, c’est garder le contact avec le blessé et rechercher la perception du pouls radial.

Rester en liaison, rendre compte, préparer l’évacuation

Il faut que l’équipe santé reste en liaison avec le chef de groupe.

Il faut rédiger le message d’évacuation, dit MÉDÉVAC, en vigueur sur le théâtre.

Il faut préparer le transfert vers le vecteur (VAB ou hélicoptère) en s’assurant toujours et avec rigueur des mêmes préalables : hémorragies contrôlées, VAS libres, pas de pneumothorax suffocant, pouls radial perçu, abords vasculaire et aérien sécurisés.

Il faut enfin respecter les procédures et les consignes de balisage du point où poser l’hélicoptère ainsi que les consignes du responsable d’embarquement.

DANS LE VECTEUR D’ÉVACUATION

La phase d’accès au vecteur est souvent critique : conditions d’accès, préparation de la zone, progression vers le vecteur, passage des consignes, il existe peu de place pour l’improvisation.

Matériels disponibles dans le vecteur

Le matériel présent quelque soit le vecteur permet à l’équipe médicale de réaliser un niveau de soins SC3 (monitorage, oxygénothérapie, intubation, ventilation, drainage thoracique).

Derniers préalables avant le transfert dans le vecteur

Aucune détresse ne doit retarder l’évacuation médicale vers le chirurgien dans la mesure où tous les gestes du sauvetage au combat ont été réalisés.

Un soin particulier sera apporté à la sécurisation des dispositifs mis en place, en particulier abord des voies aériennes et des voies vasculaires.

Surveillance

Elle est à la fois VISUELLE, TACTILE et VERBALE avec utilisation d’un tableau blanc, réalisant un contact permanent visuel et verbal avec le blessé, les doigts sur le pouls radial.

L’accompagnant auxiliaire sanitaire ou infirmier (niveaux de soins SC2) a des consignes claires : pouvoir arrêter une hémorragie (et on dispose dans le vecteur du garrot pneumatique de type EMT), maintenir les VAS ouvertes, assurer une ventilation suffisante, vérifier l’accès vasculaire, pouvoir en replacer un autre, surveiller et poursuivre le remplissage vasculaire et l’administration d’adrénaline, assurer l’analgésie, prévenir l’hypothermie.

Rester en liaison avec le chef de bord

L’accompagnant doit être au courant de la progression du vecteur et adapter sa surveillance.

Documenter ce qui est fait

La fiche médicale de l’Avant doit être complétée en fonction des évènements et permet d’assurer une transmission de données pertinente à l’équipe médicochirurgicale. Elle sera plus tard un document clé du débriefing des opérations.

Remarque Pédagogique

Afin de faciliter l’enseignement du SC dans les CITERA, en particulier le niveau SC2 destiné à des auxiliaires sanitaires et des infirmiers, peu familiarisés avec la pathologie traumatique grave et encore moins avec celle des blessures de guerre, nous avons décidé pour dérouler cette procédure chronologique du SC, d’utiliser un acronyme aux vertus mnémotechniques : le SAFE-MARCHE-RYAN. Tout ce qui sauve le blessé dans les premières minutes y figure et ce moyen de mémorisation est adapté à l’enseignement des trois niveaux de SC.

SAFE e st applicable d’emblée : Savoir répliquer par les armes, Appréhender ce qui se passe, se mettre en lieu sûr avec le blessé, Évaluer si le blessé saigne, s’étouffe et s’il est conscient. MARCHE reprend les points principaux de la mise en condition de survie : hémorragie Massive, obstruction des VAS, Respiration compromise, Choc, Hypothermie, Évacuation. RYAN permet de penser à Réévaluer les blessés, à penser aux Yeux, à l’Analgésie, à Nettoyer les plaies.

DOCTRINE FRANCAISE DE LA MISE EN CONDITION DE SURVIE DU BLESSÉ DE GUERRE : ASPECTS TACTIQUES

La doctrine française peut être illustrée par le déploiement actuel de deux Sous Groupements Tactiques InterArmes (SGTIA) en Afghanistan.

Le dispositif militaire français engagé (environ 3 600 personnels) opère au sein de la Task Force La Fayette, qui constitue l’une des sept brigades de combat du Commandement Régional Est (district de Surobi et province de Kapisa à l’est et au nord-est de Kaboul).

Cette Force a son état major installé à Nijrab et elle comprend deux SGTIA (Kapisa et Surobi), Un bataillon logistique basé à Kaboul et un bataillon d’hélicoptères basé sur l’aéroport (KAIA) permettant d’amener directement les blessés sur l’HMC (rôle 3).

Le SGTIA peut être décrit avec quatre composantes de combattants :

L’équipe (n = 3), premier pion de toute manœuvre où seul le niveau de soins SC1 s’applique — Le groupe (n = 10, commandé par un sergent), plus petit échelon de commandement et plus petite unité de combat pouvant être isolée sous le feu et qui comprend un auxiliaire sanitaire référent SC2 — La section (n = 40 à 50, commandée par un lieutenant), le premier échelon tactique dont l’engagement va faire se constituer le Nid de Blessés. La section comprend quatre à cinq auxiliaires sanitaires SC2 et pour le Nid de Blessés un binôme de travail infirmier (parfois médecin) / auxiliaire sanitaire SC2 — Le groupement tactique (quatre à cinq sections, commandé par un capitaine), c’est la place du Poste de Secours armé par un médecin, deux infirmiers et cinq auxiliaires sanitaires SC2. Selon les circonstances, le Nid de Blessés devient PRB ou un PRB est constitué dans un endroit tactiquement plus pertinent (ce peut être le Poste de Secours du groupement), dans tous les cas le médecin et son personnel y assurent le Sauvetage au Combat.

L’évacuation sanitaire sur KAIA est appelée MÉDÉVAC tactique (l’évacuation aérienne sur la Métropole est appelée MÉDÉVAC stratégique).

Cette évacuation est médicalisée. Un message (dit « 9 LINE ») est adressé au régulateur à l’état major à Nijrab. Les hélicoptères sont activés et une équipe (médecin + infirmier) est prête en permanence. Trois hélicoptères sont dédiés à ce travail (deux de type Caracal et un de type Puma) ; ils permettent de transporter quatre blessés couchés dont deux blessés graves. Il existe toujours un hélicoptère d’escorte. L’HMC de KAIA est joint en vingt à trente minutes.

Au plus fort des évacuations, 104 blessés ont ainsi été transportés en août 2011.

L’année 2011 a été la plus meurtrière pour les soldats français : 26 décès, 98 blessés graves (traumatisés crâniens et faciaux, traumatisés du tronc et délabrements des membres inférieurs pour la majorité), 197 blessés mineurs (dont lésions orthopédiques et blessures psychiques).

Tous ont été rapatriés sur la métropole.

Il apparaît que nous positionnons notre soutien santé différemment de la majorité des armées étrangères (américaine, israélienne et britannique pour l’essentiel). Dans celles-ci, il est opté a priori pour une paramédicalisation exclusive de l’Avant et les évacuations tactiques ne sont pas médicalisées. Le premier intervenant est le « combat medic », personnel formé en neuf semaines aux spécificités du blessé de guerre, avec un « combat medic » pour quarante combattants.

En comparaison et à formation équivalente, le personnel SC2 français est présent dès le groupe tactique qui comporte dix combattants. Surtout, le service de santé des armées français positionne ses médecins d’unité plus en avant que les services de santé alliés. Ils interviennent souvent dès le Nid de Blessés et toujours au PRB ; le soutien d’une section (quarante à cinquante combattants) est assuré dans toute la mesure du possible par un binôme infirmier-médecin.

La plus value apportée par cette présence médicale est précieuse quand plusieurs blessés graves sont à gérer avant évacuation. Par ailleurs, les MÉDÉVAC tactiques françaises sont systématiquement médicalisées.

Toutefois, certaines expériences étrangères récentes ont bousculé le paradigme de la « paramédicalisation » exclusive.

Expérience américaine en Irak, bataille de Falloujah, 2003/2004 [8] ; opération de sécurisation des habitations, un médecin, un paramedics et deux medics pour quatre vingt-dix soldats, un ambulance blindée à un bloc d’immeubles, chirurgie accessible dans l’heure, huit morts, quatre vingt-dix blessés, cent cinquante évacuations, un seul mort avant chirurgie, — Expérience américaine en Irak, Camp Eagle Study , 2004/2005 [9] ; étude testant l’emploi de médecins urgentistes et de medics surentraînés aux gestes de survie et à l’emploi de PSL avant chirurgie, trois cent dix-huit blessés, amélioration de la survie avant chirurgie qui passe de 15 à 35 %, — Expérience israélienne pendant la deuxième guerre du Liban en août 2006 [10] ;

plus de cent cinquante morts et plus de trois mille huit-cents blessés, militaires et civils, prise en charge initiale réalisée par un médecin dans 60 % des cas, premiers soins réalisés dans 51 % des cas dans les trente minutes, toutes les évacuations sanitaires ont été médicalisées, — Expérience britannique de Camp Bastion en Afghanistan, 2010/2011 [11] ; utilisation d’un hélicoptère gros porteur pour évacuer directement de la proche zone de combat sur une structure médicochirurgicale, avec à son bord un urgentiste ou un anesthésiste, du personnel qualifié et des PSL (réanimation « en route »), gain de survie inattendu de 15 %.

Bien qu’isolées et exploitant une certaine supériorité tactique, comme la maîtrise des airs, ces expériences témoignent néanmoins du bien fondé de réfléchir chaque fois que possible à positionner les médecins et les compétences plus en avant, parce que la survie des combattants en est améliorée.

CONCLUSION

Depuis cinq ans, le service de santé des armées français s’est adapté au changement de nature des conflits et le terrain afghan a vu une nouvelle application de notre conception de la médicalisation de l’Avant. Quelles compétences techniques retenir et enseigner à tous les échelons du soutien médical, du combattant au médecin ? Le Sauvetage au Combat répond à cette question. Où doivent être positionnés les médecins le long de la chaîne de survie ? Le médecin est à l’Avant chaque fois que possible et si ce n’est pas possible, des gestes médicalisés délégués à des personnels formés sont réalisés au bon endroit, dans le seul but d’améliorer la survie des blessés.

BIBLIOGRAPHIE [1] Champion H.R., Bellamy R.F., Roberts C.P. et al. — A profile of combat injury.

[2] J. Trauma. — Inj. Infect. Crit. Care, 2003, 54, S13-S19.

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N. Engl. J.

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GLOSSAIRE

CITERA : Centre d’Instruction aux Techniques de Réanimation à l’Avant EDPI : Effets de Protection Individuelle EVDG : École du Val-de-Grâce FMA : Fiche Médicale de l’Avant HMC : Hôpital Médicochirurgical IED : Improvised Explosive Device MÉDÉVAC : Évacuation médicale PRB : Point de Rassemblement des Blessés SC : Sauvetage au Combat SGTIA : Sous Groupement Tactique Inter Armes

<p>* Anesthésie-Réanimation d’urgences, Hôpital d’Instruction des Armées, Sainte-Anne — 83041 Toulon cedex ; e-mail : bruno.palmier@free.fr Tirés-à-part : Professeur Bruno Palmier, même adresse Article reçu le 29 mars 2012, accepté le 23 avril 2012</p>

Bull. Acad. Natle Méd., 2012, 196, nos 4-5, 893-907, séance du 24 avril 2012