Résumé
Plus que toute autre circonstance, les urgences vitales nécessitent une prise en charge rapide et appropriée. L’implication du public est bien souvent un déterminant essentiel du pronostic. En effet, la victime, elle-même, son entourage, ou un simple témoin spectateur fortuit, s’il a la bonne réaction peut potentialiser l’intervention des Services d’Urgences. La mort subite de l’adulte est l’un des domaines où l’implication du public a été mise le plus en exergue. En partant de cet exemple, l’objectif de cet article est d’analyser la possibilité d’extension de cette implication à d’autres urgences vitales et de décrire les effets qu’ils induisent dans le domaine de la santé publique et même de la société.
Summary
More than any other circumstances, life-threatening emergencies require rapid and appropriate management. Public involvement is, in many cases, essential for optimal outcome. The victim, a relativeor a bystander, if they do the right thing, can facilitate emergency service intervention. Adult sudden cardiac death is one area where public involvement has been particularly encouraged. Based on this experience, the aim of this article is to examine possible extension to other life-threatening emergencies, as well as the consequences of this involvement in terms of public health and community awareness.
INTRODUCTION
L’urgence vitale par excellence est représentée par l’arrêt cardiaque (AC). Dans sa prise en charge chaque minute compte. La nécessité de sensibiliser le public a donné lieu à des campagnes d’information dont les objectifs étaient la reconnaissance de l’AC, l’incitation au déclenchement de l’alerte, et la réalisation des premiers gestes.
Une analyse de l’implication du public dans la prise en charge des arrêts cardiaques survenant sous la forme d’une mort subite de l’adulte permet d’envisager l’effet sur la prise en charge immédiate des victimes et l’impact d’un tel engagement en termes de santé publique.
Arrêt cardiaque et mort subite de l’adulte : le prototype de l’urgence vitale
La mort subite constitue le type même de l’urgence vitale où le public a un rôle déterminant à jouer. Précédée d’une douleur thoracique témoignant d’un syndrome coronarien aigu, elle peut être anticipée, mais le plus souvent elle survient de manière inopinée. Une attitude préventive est alors impossible. On estime à environ 50 000, les morts subites survenant ainsi en France. Leur survie est directement liée à l’organisation de leur prise en charge. Elle est illustrée par le concept de la de la « Chaîne de Survie ». Cette chaîne comprend quatre maillons, interdépendants, qui correspondent à quatre actions déterminantes [1] :
— La reconnaissance de l’AC et l’alerte par les témoins afin de déclencher les secours institutionnels, — La réanimation cardiopulmonaire (RCP) de base immédiatement débutée par les témoins, — La défibrillation la plus précoce possible, — La réanimation médicalisée sur le terrain et la réanimation post arrêt cardiaque poursuivie à l’hôpital.
Cette chaîne de survie démontre bien le rôle essentiel des témoins de l’AC. Leur implication est majeure dans ses trois premiers maillons. Malgré les progrès importants réalisés dans la réanimation spécialisée des AC, la rapidité avec laquelle les premiers gestes sont réalisés, reste le facteur pronostic le plus fort. Ainsi, le temps écoulé entre l’effondrement de la victime et les premières compressions thoraciques appelé « No Flow » à un poids pronostic beaucoup plus lourd que la durée totale de la réanimation appelée « Low Flow ». Le « Low Flow » peut parfois dépasser cent minutes chez certains survivants alors qu’un « No Flow » de dix minutes ne permet pas, le plus souvent, la survie. Cette notion est confirmée par les travaux récents sur l’introduction de la circulation extracorporelle par ECMO dans la prise en charge des AC [2, 3]. La réduction du « No Flow » est donc toujours l’objectif principal de l’amélioration de la prise en charge, et qui dépend exclusivement de l’implication du public.
Une adaptation pragmatique de la réanimation pour le public
L’importance de l’action du public dans les premiers maillons de la Chaîne de Survie a conduit à une modification sensible des recommandations internationales.
Des simplifications pragmatiques ont été introduites pour faciliter la réalisation des gestes de base par un public peu ou pas formé.
Ainsi les recommandations internationales et nationales [4, 5] ont introduit notamment :
— La suppression de la prise du pouls pour le diagnostic d’AC, ce geste s’étant révélé trop compliqué et de réalisation trop lente. Il a donc été remplacé par le constat d’absence de signes de vie (absence de mouvement spontané, de réponse à la stimulation, et de respiration normale) beaucoup plus simple à expliquer et à effectuer.
— La réalisation du massage cardiaque externe sans ventilation par le bouche à bouche. Ce geste n’est en effet pas essentiel dans les premières minutes qui suivent un AC par fibrillation ventriculaire en particulier puisqu’il n’y a pas de dette initiale en oxygène. Il n’a pas fait pour ce type d’AC la preuve d’une amélioration sur la survie. Même si le bouche à bouche reste indispensable pour les AC d’origine respiratoire ceux-ci étant beaucoup plus rares chez l’adulte, l’effet sur la survie est statistiquement moins important. Sa réalisation par des intervenants peu expérimentés est de mauvaise qualité, elle représente une source de complications et conduit à des interruptions prolongées du MCE très néfastes sur plan hémodynamique. Enfin, le contact physique qu’il implique est un frein important à sa réalisation et donc à toute forme d’implication du public.
Le choix pragmatique de ne plus pousser le public à le réaliser s’est donc imposé.
La figure 1 montre l’algorithme de RCP simplifié, et actuellement recommandé pour le public non formé.
— Le développement de la défibrillation automatisé externe par le public. Il permet un geste essentiel pour le rétablissement de la circulation spontanée des patients victimes d’AC par fibrillation ventriculaire sans attendre les secours organisés. Il a conduit à la création et au développement de Défibrillateurs Automatisés Externes (DAE) très simples à utiliser et peu coûteux et à leur mise à disposition du public dans de nombreux lieux fréquentés par du public ou éloignés de tout service de secours.
Plus récemment, c’est l’organisation de la réponse aux appels d’urgence qui a été adaptée à l’intervention du public. La reconnaissance de l’AC dès l’appel d’urgence est devenue une priorité auprès des centres d’appels et de régulation des SAMU. Elle procure une forte incitation des témoins par le centre d’appel d’urgence pour qu’ils réalisent le MCE [6]. Cette « RCP guidée par téléphone » donne lieu à une formation spécifique des médecins régulateurs et de leurs assistants. Elle est le meilleur garant d’une connexion étroite entre les intervenants de proximité et les secours spécialisés.
Fig. 1. — Algorithme de la RCP par le public non formé.
À noter l’absence de prise du pouls et de ventilation par le bouche à bouche.
La France a été un des pays les plus impliqués dans l’adaptation de la RCP au public d’autant plus que cette pratique était peu développée par rapport à certains pays anglo-saxons. Dès 2007, le rapport de l’Académie nationale de médecine [7] est un des premiers à établir clairement une stratégie destinée au public et résumée en trois mots : Appeler — Masser — Défibriller. Elle a donné lieu, pour la première fois en France, au développement de campagnes de sensibilisation telles que celle :
— de la Fédération Française de Cardiologie (FFC) : « Une vie, trois gestes » http://www.fedecardio.com/1vie3gestes/ — du Train du cœur de l’association du RMC-BFM http://www.associationrmcbfm.fr/fr/operations/train-du-cœur) Ces campagnes ont commencé à porter leurs fruits, et une meilleure implication du public a été constatée. L’enquête récente de la FFC montre, qu’en 2010, 90 % des interrogés donnent l’alerte et plus de 50 % commencent le MCE, près de 90 % savent aussi ce qu’est un défibrillateur et à quoi il sert. Plus de 45 %, en 2010, se déclarent formés et initiés aux gestes qui sauvent contre 35 % en 2007. Parallèlement des initiatives publiques et privées se sont développées en France pour mettre à la disposition du public des DAE. A titre d’exemple, la Fondation CNP Assurances a participé au cofinancement de DAE par des municipalités.
(http://www.cnp.fr/Fondation_et_Mecenat/Fondation_CNP_Assurances/Arret_cardiaque_et_premiers_secours.htm) Plusieurs centaines de DAE ont ainsi été mis à la disposition du public.
Plus récemment, des outils multimédia ont été créés pour faciliter la localisation des DAE par le public (plan et géo localisation interactive sur Smartphone par exemple).
Un recensement des DAE à la disposition du public est aussi en cours. Enfin, plusieurs initiatives parlementaires ont pour objet de rendre obligatoire la présence d’un défibrillateur dans certains lieux, notamment les entreprises, les sites sportifs et ceux recevant du public.
Le DAE un produit « d’appel » de la RCP
La médiatisation de la DAE et l’engouement du public qui en a résulté, ont présenté un double effet positif. D’une part, ils ont atteint leur objectif principal, en réduisant le temps séparant la survenue de l’AC et la réalisation du premier choc électrique externe, et d’autre part ils ont promotionné les autres gestes réalisés par le public.
L’item numéro trois du triptyque « Appeler-Masser-Défibriller » s’est comporté comme le produit « d’appel » des deux autres faisant ainsi bénéficier les deux premiers maillons de la chaine de survie de la notoriété qu’il a acquis. Ainsi, attiré par la DAE, le public entend le message sur l’alerte et le massage cardiaque qui jusque-là n’avait pas bénéficié d’une telle écoute. De ce fait le programme de DAE a donc un effet bénéfique indirect sur tous les AC y compris ceux liés à d’autres causes cardiaques ou même extracardiaques d’inefficacité circulatoire car l’alerte et la réalisation du MCE améliorent aussi leur pronostic. Il est probable que les programmes de DAE pour le public en France permettent de combler en partie, par comparaison avec les USA ou l’Europe du Nord, le retard historique pris sur la participation du public aux deux premiers maillons de la chaîne de survie.
La valence sociale de la réanimation des morts subites
La réanimation des morts subites et les programmes de DAE par le public qui en sont l’expression la plus visible, présentent du point de vue social plusieurs caracté- ristiques intéressantes.
La mort subite, brutale et imprévisible, frappant dans la rue ou dans un lieu public une personne en apparence en bonne santé interpelle le public. Tout le monde peut facilement s’identifier à une victime potentielle de cette urgence gravissime et désirer bénéficier de l’aide du public. C’est en miroir une motivation pour s’engager à assister les autres.
La notion de gestes d’urgence est aussi un facteur de mobilisation et de responsabilisation du public. Elle comporte l’idée de rapidité et d’action physique. Une attitude compatissante mais attentiste des témoins conduit la victime à une mort inéluctable.
Contrairement à d’autres urgences comme les syndromes coronariens, donner l’alerte n’est pas suffisant. Il faut s’engager physiquement pour sauver la victime.
Rien ne peut remplacer les précieuses minutes de la RCP débutée par les témoins. La mort subite pousse donc le témoin, spectateur passif, à devenir un acteur volontaire de la prise en charge en réalisant les premiers gestes. Cette urgence à agir est d’autant plus nette que la victime elle-même ne peut rien faire, et même pas donner l’alerte !
Elle dépend donc totalement des autres. Ce point prend un relief particulier en France où le public est très largement convaincu et, à juste titre, de la performance du système d’urgence pré-hospitalier. Les SAMU et SDIS sont connus et appréciés par le public qui s’en remet à eux pour la prise en charge des urgences vitales. Il est possible que l’énorme investissement de notre pays dans les urgences pré- hospitalières ait eu paradoxalement un effet pervers sur le public. Mis en confiance par le développement des services d’urgences performants et spécialisés, le public n’a probablement pas assez ressenti la nécessité de son intervention : Pourquoi tenter de réaliser des gestes qui seront beaucoup mieux faits par un secouriste bien entraîné ? À contrario dans les pays anglo-saxons, le rôle du système d’urgence préhospitalier n’est pas aussi prépondérant et l’implication du public est depuis longtemps beaucoup plus importante.
En plus de son aspect mobilisateur, la lutte contre la mort subite a un effet social fédérateur. La mise en place de DAE à la disposition du public amène la collectivité qui est à l’origine de cet investissement, à réfléchir sur la prise en charge des urgences vitales. Quelques exemples illustrent cette tendance :
— Dans une entreprise, l’acquisition d’un DAE est fréquemment demandée par le Comité d’Entreprise et tout particulièrement par les représentants du personnel.
Elle s’accompagne d’un contrat d’utilisation dans l’entreprise : mise à jour des consignes d’intervention en cas d’urgence, recrudescence du volontariat pour le secourisme d’entreprise.
— Dans une copropriété, l’acquisition d’un DAE est devenue courante. Là encore, elle provoque une prise de conscience de la communauté dans la réaction face à l’urgence et le positionnement de chacun dans la chaine de survie.
— L’existence d’un DAE conduit rapidement à désigner une personne responsable de cet équipement. Celui qui en a la charge, ou qui est à l’origine de l’achat du défibrillateur, signale son existence par le sigle DAE sur la devanture de son magasin, de son entreprise ou de l’entrée de sa résidence. Il peut déclarer son existence pour géolocaliser l’appareil. Il rend donc visible son engagement dans la lutte contre la mort subite.
L’implication du public dans la réanimation des morts subites dépasse donc le simple cadre médical, elle l’associe directement à la réponse à un problème de Santé
Publique. Elle introduit aussi une dimension sociale en fédérant les intervenants et les rendant acteurs de leur propre système de soins d’urgence.
Les limites de la mort subite en tant que type de description de l’urgence vitale
L’exemple de la participation du public à la prise en charge des morts subites a cependant quelques facteurs limitants. En effet, malgré l’effet mobilisateur et fédé- rateur qu’il exerce il ne permet pas un trait d’union simple entre l’urgence vitale et sa prévention.
Dans près de 80 % des cas, la cause de la mort subite est la maladie coronarienne.
Cependant, l’aspect inaugural de cet accident, survenant inopinément sans même l’apparition d’une douleur thoracique gène la compréhension par le public de cette relation de causalité. Contrairement à la survenue d’un infarctus du myocarde, la mort subite n’est pas l’argument le plus direct pour la prévention de l’athérome. Elle est en quelque sorte une complication de la complication qu’est déjà le syndrome coronarien aigu. À contrario, la survenue d’une mort subite chez un sujet jeune est beaucoup plus rare, mais elle est porteuse d’un message de prévention beaucoup plus direct. En effet, elle est souvent sur ce terrain due à une pathologie héréditaire (telle que la dysplasie arythmogène du ventricule droit, un syndrome du QT long…).
Sa survenue conduit donc à une enquête familiale, et parfois au dépistage de sujets à risque dans la fratrie.
Une sensibilisation nécessaire aux urgences vitales
Nous avons vu en analysant les conséquences de l’implication du public dans la prise en charge des morts subites de l’adulte que cette mobilisation avait potentiellement plusieurs aspects positifs. La valeur mobilisatrice des urgences vitales est exceptionnelle. La mise en jeu du pronostic vital est comprise par tous et justifie une action exceptionnelle. Les urgences fonctionnelles, tout aussi dépendantes de la rapidité et de la spécificité de leur prise en charge même si elles s’accompagnent d’une lourde morbidité n’ont pas un impact aussi prononcé. Au-delà de la mort subite et des urgences cardio-vasculaires l’élargissement de la sensibilisation du public à d’autres urgences vitales permet donc un double bénéfice. D’abord direct en améliorant le pronostic par une intervention précoce, une alerte adaptée et la réalisation de traitements initiaux à fort potentiel pronostic. Mais elle a aussi un avantage indirect en amenant le public à s’impliquer dans le parcours de soins du patient, et dans une prévention individuelle et collective.
Ainsi, l’implication dans la prise en charge d’une l’urgence vitale développe la connaissance du fonctionnement du système d’urgence préhospitalier et hospitalier.
Elle permet donc une meilleure compréhension des objectifs thérapeutiques et une meilleure utilisation de ce système y compris dans d’autres circonstances. Cela peut éviter le recours inadapté au SAMU mais aussi aux urgences hospitalières pour des pathologies bénignes et au contraire privilégier un traitement ambulatoire par la permanence des soins, plus simple et moins coûteux.
La prise en charge des urgences vitales donne aussi un effet indirect sur la prévention individuelle et collective. La constatation des premiers signes permet d’anticiper l’aggravation d’une pathologie potentiellement dangereuse et d’agir en consé- quence. Cet aspect préventif peut aussi être plus général. La connaissance du risque de complications graves permet une prise de conscience du danger et limite les attitudes à risque par une vision en miroir, chez un autre, de leurs conséquences.
On peut donc considérer que l’urgence vitale est une porte d’entrée grande ouverte pour une utilisation rationnelle du système de soins. Dans le contexte d’une maîtrise obligatoire des dépenses de santé cette orientation mérite d’être étudiée. Elle peut induire pour le public un cercle vertueux allant de la compréhension d’un risque vital à sa prévention.
Une application possible à de nombreuses urgences vitales
En plus des exemples du syndrome coronarien aigu, et des pathologies vasculaires cérébrales, la plupart des urgences vitales figurant dans le rapport 2012 de l’ANM sont un domaine possible pour une nouvelle implication du public.
Les polytraumatisés et les blessés graves des accidents de la voie publique peuvent bénéficier d’une intervention adéquate des premiers témoins. L’alerte immédiate, la protection des victimes contre un suraccident, le contrôle d’une hémorragie extériorisée, la protection de l’axe tête-cou-tronc en évitant toute manipulation intempestive de la victime sont des gestes simples et accessibles au public. L’acquisition de ces connaissances de base est le prélude pour le public, et notamment pour les jeunes conducteurs, à une prise de conscience de la gravité potentielle des accidents de la voie publique. Cette connaissance peut avoir aussi un effet positif sur leur comportement ultérieur au volant et sur la prévention des attitudes à risque comme la consommation d’alcool ou de stupéfiants.
Les réactions allergiques sévères sont aussi une urgence vitale impliquant le public à plusieurs niveaux. La constatation des premiers signes d’allergie conduit chez un sujet à risque à une réaction immédiate. Un auto traitement par une injection d’adrénaline peut être indiqué. L’entourage de ces patients participe aussi activement à cette prise en charge par la connaissance des premiers signes d’alerte, la mise en route des thérapeutiques et l’appel des secours si la victime en est elle même incapable. Enfin, la prévention de la récidive par l’observance du traitement préventif et l’exclusion de l’allergène est une conséquence évidente d’une prise de conscience du risque.
La détresse respiratoire aiguë de l’overdose d’opiacés est aussi un exemple où l’intervention immédiate des témoins ou de proches peut avoir un effet déterminant sur le pronostic. La mise en route d’une ventilation par le bouche à bouche, l’appel des secours sont des gestes indispensables à la prévention de l’arrêt respiratoire voire de l’arrêt cardiaque. Elle est aussi une porte d’entrée pouvant faire comprendre les dangers multiples de la toxicomanie et plus généralement de l’addiction.
Une grille d’analyse très simple permet de préciser les urgences qui pourraient être l’objet de futures actions destinées au grand public. Les trois items suivants sont facilement accessibles :
— Pertinence en termes pronostiques d’une intervention d’urgence par le public, — Public concerné : le patient/victime, son entourage, n’importe quel spectateur, — Simplicité du message de prévention Cette analyse est indispensable pour choisir les domaines qui seraient potentiellement les plus porteurs pour de nouvelles campagnes de prévention des urgences vitales destinées au public Quelle sensibilisation aux urgences vitales pour le public ?
Paradoxalement, avant même de mobiliser le public par de grandes campagnes d’information et de sensibilisation au demeurant coûteuses, des pistes simples peuvent être, dès maintenant, exploitées :
Dans le domaine des études médicales , il est frappant de constater que les urgences vitales sont ignorées dans le programme du concours de la PAES (première année des études de santé). Il s’agit pourtant de la porte d’entrée commune des carrières de Santé. Seul un nombre restreint d’étudiants deviendront médecins et bénéficieront en DCEM2 d’un enseignement sur l’urgence. Tous les autres constituent un public privilégié pour l’initiation concrète aux urgences vitales dans un programme constitué en grande partie de notions beaucoup plus abstraites.
L’école, le permis de conduire et de nombreux passages obligés de la vie en collectivité procurent des occasions où une initiation aux urgences vitales pourrait être intégrée en plus des initiatives qui existent à l’heure actuelle.
Les messages à destination du public relayés par les médias ne sont pas clairs
La multiplication des séries télévisées à caractère médical, est le vecteur de nombreuses imprécisions voire d’erreurs déroutantes pour un public par définition non averti. Par exemple dans le domaine de l’AC, une analyse des principales séries télévisées médicales diffusées aux USA a montré une grande différence entre la réalité et la télévision. L’âge des victimes, les circonstances de survenue et le pronostic diffère sensiblement dans la série télévisée par rapport à la réalité pouvant conduire à une mauvaise interprétation du pronostic et du contexte par le public [8].
De même, les séries anglo-saxonnes traduites en français conduisent à des erreurs dans la compréhension de l’organisation des urgences préhospitalières françaises.
En cas d’urgence vitale, dans ces séries, on « appelle une ambulance » ce qui est un contresens dangereux et devrait être remplacé par on « appelle le 15 ». Une recom- mandation de ces traductions pourrait être un facteur de progrès dans la compré- hension de la prise en charge des urgences vitales.
Enfin, certaines campagnes de sensibilisation du public ont été entreprises et focalisées sur un problème de santé très précis. Elles ne s’inscrivent pas dans un contexte plus large, et elles peuvent même être porteuses de « messages » spécifiques en apparence peu cohérents voire à contradictoires à celui d’autres campagnes consacrées à d’autres urgences. Une stratégie globale de la sensibilisation aux urgences vitales reste donc à créer. Une telle stratégie n’a pas pour but de transformer tous les Français en « secouristes ». Il existe pour cela des formations adaptées et performantes. Même si elle est complémentaire et s’approche des conclusions du rapport de l’ANM sur le secourisme en France en 2010, elle n’a pas les mêmes objectifs. En effet, elle s’adresse à un public très large pour lequel seule une initiation est possible.
Elle a pour but de permettre au plus grand nombre de comprendre et de réagir simplement pour potentialiser l’action des services d’urgence. Il est nécessaire pour chaque type d’urgence vitale de déterminer les gestes qui peuvent être accomplis pragmatiquement par un public peu ou pas formé et de les intégrer dans la prise en charge globale du patient. Cette stratégie pourrait prendre la forme d’une recommandation nationale.
CONCLUSION
L’urgence vitale constitue un domaine de la santé où l’implication du public se justifie par une amélioration potentielle du pronostic mais aussi par ses effets indirects sur le bon usage du système d’urgence. L’urgence vitale comme le laisse penser les expériences récentes peut constituer un véritable « fil d’Ariane » qui guide le public du stade de simple « spectateur » à celui « d’acteur » ou même de celui « d’assisté » à celui « d’assistant » de sa prise en charge. Cette implication est la source d’une prise de conscience permettant de capitaliser la connaissance acquise en lui donnant une dimension de prévention aussi bien individuelle que collective.
Au-delà de l’urgence cardio-vasculaire et plus récemment cérébro-vasculaire, une réflexion médicale sur les urgences vitales pourrait s’inscrire dans cette dynamique de prévention et pourrait représenter un axe essentiel de solidarité et de citoyenneté.
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