Communication scientifique
Séance du 24 avril 2007

Marseille, l’Océan indien et le virus Chikungunya

MOTS-CLÉS : ocean indien. virus chikungunya
Marseilles, the Indian Ocean and Chikungunya virus
KEY-WORDS : chikungunya virus. indian ocean

Jean-Paul Boutin, Fabrice Simon, Manuela Oliver, Marc Grandadam, Benjamin Queyriaux, Hugues Tolou.

Résumé

Depuis quelques décennies, Marseille est devenue la plus grande ville comorienne hors de l’archipel du fait des flux migratoires. Elle est aussi le siège d’une faculté de médecine qui a fait de l’infectiologie au sens large l’un de ses pôles d’excellence. Cette conjonction a permis à la cité phocéenne d’être au cours des deux dernières années à la pointe de la réponse de la France métropolitaine face à la crise générée par l’émergence de la fièvre à virus Chikungunya dans l’Océan Indien, en particulier à La Réunion et à Mayotte. L’Hôpital d’instruction des armées (HIA) Laveran a pris en charge une des plus grandes cohortes de patients de métropole. Ses équipes ont précisé la grande richesse clinique de la maladie au stade tardif, décrivant notamment l’incidence élevée des ténosynovites et de la polyarthrite distale invalidante, la survenue d’un acro-syndrome transitoire aux deuxième et troisième mois chez près d’un malade sur quatre. Elles ont également identifié la présence d’une cryoglobuline mixte chez plus de 90 % des patients, évoluant en parallèle des symptômes cliniques et sensible à une corticothérapie générale. Cette découverte ouvre des voies importantes de recherche pour une meilleure compréhension de la physiopathologie de la maladie. Le laboratoire de virologie tropicale de l’Institut de médecine tropicale du Service de santé des armées (IMTSSA), laboratoire associé au Centre national de référence (CNR) des arboviroses, a développé de nouveaux outils de diagnostic en particulier en matière de RT-PCR. Il est avec le CNR, le producteur et fournisseur d’antigènes pour la sérologie du Chikungunya de toute la France métropolitaine et d’Outre-mer. Il a pris en compte la présence de cryoglobulines, susceptibles d’induire des faux négatifs chez les patients infectés, et adapté la technique sérologique, permettant d’augmenter considérablement la rentabilité diagnostique. Ses recherches fondamentales sont axées sur la caractérisation génomique des variants du virus isolés chez l’homme et le vecteur et sur l’approche de l’expression protéasique du virus Chikungunya pour des études fonctionnelles et le criblage d’antiviraux. Il travaille en coopération avec les équipes cliniques réunionnaises et métropolitaines sur la réponse immunitaire humorale et cellulaires des patients et la description des formes cliniques. Le Département d’épidémiologie et de santé publique de l’IMTSSA a réalisé l’étude épidémiologique d’une population particulière constituée de l’intégralité des gendarmes en poste à La Réunion à la fin de l’épidémie (juin 2006). Cette étude, menée en partenariat avec le laboratoire de virologie tropicale et le CNRS, permet de compléter la description clinique des patients victimes de l’épidémie, sur une population non biaisée. Elle débouchera en 2007 sur une étude de cohorte prospective visant à suivre ces patients pendant plusieurs années pour mieux décrire la phase chronique de la maladie dans une population de patients bénéficiant d’un haut niveau d’accessibilité aux soins. Enfin ce département a fourni aux autorités civiles une expertise et un renfort dans la conduite des opérations de lutte à La Réunion. Dans cette participation à la gestion de crise, la place de la communication a été importante, montrant combien il est devenu indispensable aux acteurs de santé de développer une expertise dans ce domaine loin de la pratique clinique. Dans cette tâche, le Service de santé des armées à Marseille n’a jamais été isolé ni coupé de ses partenaires universitaires, qu’il s’agisse de collaborations cliniques entre l’HIA Laveran et le CHU Nord (Assistance Publique des Hôpitaux de Marseille) ou virologiques entre les laboratoires de l’IMTSSA et de l’Établissement français du sang (EFS), cette expérience augurant bien du partenariat que renforce la création à Marseille d’un Réseau thématique de recherche de soins (RTRS) consacré aux maladies infectieuses émergentes et aux maladies tropicales.

Summary

In recent decades Marseilles, through immigration, has become the largest Comorian city outside the archipelago. It is also home to a faculty of medicine that has made infectious diseases one of its fields of excellence. During the last two years, Marseilles has spearheaded the metropolitan French response to the Chikungunya crisis in the Indian Ocean region, and especially in the Reunion Island and Mayotte. Laveran military teaching hospital (Hôpital d’instruction des armées, HIA) has managed one of the largest metropolitan cohorts. Its teams have also reported the broad clinical spectrum of the disease in its later stages, and especially the high incidence of incapacitating tenosynovitis and distal arthritis, as well as the occurrence of a transient acrosyndrome during the second and third months in nearly one-quarter of patients. Importantly, they have also identified a mixed cryoglobulin in more than 90 % of patients, the level of which matches clinical symptoms and is sensitive to systemic steroid therapy. This discovery opens the way to a better understanding of the pathophysiology of this viral disease. The Tropical Virology laboratory of the Tropical Medicine Institute of the Army health service (IMTSSA), which has close links with the national references center (CNRS) arbovirus laboratory, has developed new diagnostic tools, notably based on RT-PCR. Together with national reference center (CNRS), the laboratory produces and supplies antigens for Chikungunya serological tests in metropolitan France and overseas. It has taken into account the presence of cryoglobulins, which can lead to false-negative results in infected patients, and has considerably increased the diagnostic yield of serological techniques. The laboratory’s fundamental research focuses on genomic characterization of viral variants isolated from humans and from the vector, and also on viral protease expression, for functional studies and antiviral candidate drug selection. The laboratory also collaborates with clinical teams in Reunion and metropolitan France working on humoral and cellular immune responses and on the different clinical forms of the disease. The Epidemiology and Public Health Department of IMTSSA conducted an epidemiological study of all gendarmes working in Reunion at the end of the epidemic (June 2006). This study, done in partnership with the tropical virology laboratory and CNRS, is helping to complete the clinical description of the epidemic, in an unbiased population. In 2007, it will form the basis for a prospective cohort study in which these patients will be monitored for several years to better document the chronic phase of the disease in a population with excellent healthcare access. Finally, the department has provided the civil authorities with advice and support in disease-control operations in Reunion. Communication played an important role in the management of this crisis, showing how crucial it now is for healthcare professionals to develop relevant skills. The Army Health Service in Marseilles was never isolated from its university partners, as witnessed by clinical collaboration between Laveran HIA and CHU Nord (a Marseilles teaching hospital) and by virological cooperation between the IMTSSA and Etablissement français du sang (EFS) laboratories. This experience is highly encouraging with respect to the creation in Marseilles of a healthcare research network (RTRS) devoted to tropical and emerging infectious diseases.

Jean-Paul BOUTIN *, Fabrice SIMON, Manuela OLIVER, Marc GRANDADAM, Benjamin QUEYRIAUX, Hugues TOLOU.


* Médecin chef du département d’Épidémiologie et Santé publique appliquées aux armées, Institut de médecine tropicale du service de santé des armées (IMTSSA) — Marseille

Bull. Acad. Natle Méd., 2007, 191, nos 4-5, 785-788, séance du 24 avril 2007