Résumé
Après une introduction rappelant les succès déjà rencontrés dans la lutte contre les zoonoses, l’auteur donne des détails sur celles qui sont en voie d’être maîtrisées dans les pays industrialisés, en prenant notamment l’exemple des brucelloses, de la tuberculose et de la rage canine ou selvatique. Il analyse ensuite les raisons des échecs rencontrés dans la lutte contre d’autres zoonoses, en particulier dans les pays en développement, avant de conclure sur les motifs de crainte ou au contraire d’espoir que suscite l’évolution actuelle des techniques de surveillance et de contrôle des zoonoses.
Summary
Following an overview of some successful campaigns against zoonoses, this paper examines other zoonotic diseases that are likely to be brought under control in industrialized countries, such as brucellosis, tuberculosis and canine or wildlife rabies. The author goes on to explain the reasons for the failure to eradicate some other zoonoses in developing countries, and concludes by examining reasons for optimism or pessimism, taking into account new methods of prevention and control.
INTRODUCTION
Les zoonoses sont le plus communément définies comme des maladies infectieuses ou parasitaires naturellement transmissibles des animaux vertébrés à l’homme et vice versa [1].
C‘est ce qu’indique bien leur dénomination, employée pour la première fois par Virchow, qui peut être considérée comme une contraction des deux termes anthropozoonose ou zooanthroponose.
Parmi les centaines de zoonoses actuellement connues, près d’une demi-douzaine étaient déjà reconnues comme telles dès l’Antiquité, alors que d’autres ne l’ont été que beaucoup plus récemment et parfois après beaucoup d’hésitations.
Les méthodes actuelles de lutte contre les zoonoses visent pour l’essentiel à réduire l’importance du réservoir animal d’agents zoonotiques, voire à l’éradiquer, par des méthodes de prophylaxie sanitaire ou médicale.
La prophylaxie sanitaire, qui consiste à abattre et détruire tous les animaux infectés ou contaminés, a fait largement ses preuves dans le cas de la tuberculose et la brucellose bovines (voir infra ). En revanche, la méthode rencontre ses limites dès qu’il s’agit d’un réservoir animal sauvage ou d’une maladie répandue dans le monde entier : tout espoir semble vain d’éliminer un jour les réservoirs animaux de fièvre charbonneuse, de tularémie, de leptospiroses, ou d’autres maladies ubiquitaires.
La prophylaxie médicale, par vaccination parentérale des animaux ou par chimioprophylaxie, est plus chère à long terme et a pour corollaire le renoncement à toute éradication de l’agent pathogène de son réservoir animal, puisque quelques individus vaccinés peuvent en rester porteurs sains. Elle est donc réduite au minimum dans les pays industrialisés, et ne se pratique plus guère que dans les pays en développement, dans lesquels des vaccinations sont encore organisées contre la fièvre charbonneuse ou le rouget par exemple.
Dans le domaine de la lutte contre les zoonoses, les succès les plus importants ont concernés la peste humaine, la morve, la tuberculose à Mycobacterium bovis , la brucellose à
Brucella abortus et B.melitensis, la rage , l’échinococcose ou la trichinellose. Dans cet exposé, nous prendrons l’exemple de trois zoonoses en voie d’être maîtrisées dans les pays industrialisés : la brucellose, la tuberculose animale et la rage (canine ou selvatique). Nous analyserons ensuite les raisons des échecs rencontrés dans la lutte contre d’autres maladies, ou par les pays en développement, avant de conclure sur les motifs de crainte ou au contraire d’espoir que suscite l’évolution actuelle des techniques de surveillance et de contrôle des zoonoses.
LES ZOONOSES EN VOIE D’ÊTRE MAÎTRISEES DANS LES PAYS INDUSTRIALISES
Brucelloses
Aucune action spécifique n’a été entreprise contre les brucelloses animales avant le XIXe siècle, puisque ces maladies n’étaient pas clairement identifiées, même si elles existaient certainement depuis très longtemps.
Ce n’est qu’en 1887 que Bruce parvient à isoler l’agent causal de la fièvre de Malte de l’homme, chez des chèvres élevées dans cette île. Cette découverte conduit à interdire, en 1905, la consommation du lait de chèvre cru [2]. Le rôle des autres espèces animales dans la contamination de l’homme sera démontré plus tard, grâce
aux progrès de la bactériologie et de la sérologie. Ces progrès permettront de distinguer les différents types de Brucelles, notamment Brucella abortus (le plus souvent isolé chez les bovins) et
B. melitensis (généralement inféodé aux petits ruminants). Ces deux bactéries sont pathogènes pour l’homme, qui se contamine par voie orale ou même par simple contact. Les infections de l’homme par B. suis , une espèce le plus souvent retrouvée chez les porcs domestiques ou sauvages, voire chez les lièvres, sont plus rares .
La lutte contre les brucelloses animales, qu’elle soit sanitaire ou médicale, est la seule mesure qui puisse protéger l’homme, lequel n’est qu’un « cul-de-sac » de l’infection.
Cette lutte a bénéficié du succès de la recherche vétérinaire, qui permet de reconnaî- tre rapidement les animaux infectés porteurs d’anticorps spécifiques dans le sang ou dans le lait, ou de vacciner efficacement les troupeaux encore indemnes.
Malheureusement, la différence de ressources humaines et financières entre les pays développés (qui peuvent se permettre d’abattre tous les animaux infectés puis d’indemniser leurs propriétaires) et les pays en développement (qui ne peuvent que vacciner les animaux ou « vivre avec la maladie ») a souvent retardé ce contrôle :
profitant de l’absence de consensus sur la stratégie à adopter de part et d’autre des frontières, les agents pathogènes les ont longtemps franchies allègrement.
Malgré tout, la concertation internationale a prévalu, et permis de diminuer considérablement la prévalence de la brucellose des bovins, puis celle des petits ruminants, même si ces maladies sont rarement éradiquées.
Ce succès incontestable des services vétérinaires a réduit ainsi le nombre de cas humains dans la plupart des pays, même si la brucellose reste encore la zoonose la plus répandue dans le monde après la rage.
Dans certains de ces pays, toutefois, un nouveau problème se pose : l’existence d’espèces sauvages porteuses de Brucella . Ce portage par les sangliers et les lièvres en
Europe, ou les bisons et les élans en Amérique du Nord, pose des problèmes quasiment insolubles aux autorités sanitaires. Elles ne peuvent en effet reconnaître et abattre tous les animaux porteurs et elles ne disposent pas encore d’un vaccin administrable par voie orale, comme c’est le cas pour la rage. La découverte récente d’un réservoir de B.cetaceae et B. pinnipediae chez des mammifères marins va peut-être encore compliquer la situation [3].
Tuberculose
Le rôle que joue le bacille de la tuberculose bovine (
Mycobacterium bovis ) dans la contamination de l’homme est assez mal connu. Les spécialistes estiment que la proportion de personnes actuellement contaminées par ce bacille est de 5 à 10 % par rapport à celle atteintes par le bacille humain Mycobacterium tuberculosis.
C’est sans doute la raison pour laquelle, dès le Moyen-Âge, les pouvoirs publics se sont souciés du risque que représentait les viandes d’animaux tuberculeux. A cette
époque, les expressions « fy, fi, fil, gravelle, pommelière » etc. se rapportaient à différentes maladies caractérisées par des lésions néoplasiques ou d’origine tuberculeuse, et l’article 12 d’une Ordonnance de 1462 précisait déjà les motifs et modalités des saisies des viandes qui présentaient de telles lésions : « nul ne pourra vendre au détail bœuf ou vache qui eut lors du passage du massacre la maladie du fy, gravelle ou pommelière ou autre maladie contagieuse , et où il s’en trouverait, sera la bête jetée en rivière, le cuir confisqué au Roy et le suif moitié aux gardes-jurés, moitié à la confrérie du dit mestier » [4].
Ces sages dispositions, qui réduisaient les risques de contamination humaine par voie orale et pouvaient décourager l’élevage de bêtes tuberculeuses, furent malheureusement oubliées par la suite. Au début du XIXe siècle, les débats étaient encore vifs entre les tenants de la transmissibilité de la tuberculose bovine et ceux qui en niaient le risque. A Jean-Baptiste Chauveau qui écrivait, en 1868 « (mes) expériences mettent hors de doute la virulence et la propriété contagieuse de la tuberculose … le tube digestif constitue, chez l’homme comme dans l’espèce bovine, une voie de contagion qui est des mieux disposées pour la propagation de la tuberculose.. » Jean Reynal répliquait en 1873 : « aucun argument valable n’a été invoqué en faveur du caractère contagieux de la tuberculose … rien n’autorise à craindre que la consommation des viandes des animaux phtisiques puisse faire courir aucun risque à la santé humaine » [2, 4].
En 1901 Robert Koch affirmait encore, au British Congress on Tuberculosis, que l’homme étant très peu sensible à la tuberculose bovine il n’y avait pas lieu de lutter contre cette maladie [5]. Il est pourtant probable que la proportion de contaminations humaines, surtout par le lait, était très élevée au début du XXe siècle, lorsque 30 à 40 % des bovins européens étaient tuberculeux. Les statistiques publiées à cette époque indiquaient alors que, sur 352 enfants âgés de cinq ans à seize ans atteints de tuberculose (le plus souvent extra-pulmonaire), plus de 26 % étaient porteurs d’un bacille de type bovin [6].
Il fallut attendre la préparation de la tuberculine par Robert Koch (1890) et surtout son application à la détection de l’hypersensibilité des sujets tuberculeux par Gutmann puis Nocard, pour qu’une loi française du 7 juillet 1933 mette en place une prophylaxie, d’abord volontaire puis obligatoire, fondée sur l’abattage des bovins contaminés.
Grâce à l’application de cette prophylaxie sanitaire, qui fut heureusement préférée à la prophylaxie médicale par le BCG dans les années 1950, la tuberculose a pratiquement été éliminée en moins d’un demi-siècle de la plupart des pays industrialisés.
Malheureusement, dans certains de ces pays, comme dans le cas de la brucellose, un nouveau problème est apparu : l’existence d’espèces sauvages porteuses de Mycobacterium bovis . Ce portage par le blaireau en Grande Bretagne, le phalanger-renard en Nouvelle-Zélande ou les cervidés dans certains pays (dont la France) posent de graves problèmes et pourront à l’avenir entraîner d’importantes difficultés dans l’éradication de la tuberculose des bovins domestiques [7]. Seule une vaccination par
voie orale, actuellement à l’étude, pourrait permettre de venir à bout de ce réservoir sans mettre en péril la survie de certaines espèces sauvages Rage
Les textes médicaux les plus anciens ont pratiquement tous décrit les symptômes de la rage, à la fois chez l’homme et chez l’animal. Ce dernier fut d’ailleurs très tôt reconnu responsable de la pérennité de la maladie. De très nombreux auteurs proposèrent également des méthodes de diagnostic expérimental chez l’animal mordeur, des traitements plus ou moins fantaisistes, et même une prophylaxie fondée sur l’abattage des animaux enragés. Malheureusement, il aurait fallu aussi s’assurer de l’abattage des animaux mordus et du contrôle de la divagation des chiens, qui ne furent préconisés qu’au XIXe siècle.
La vaccination des chiens, qui pouvait aussi permettre de contrôler la rage, fut la bonne idée de Galtier puis de Pasteur. Toutefois, ce dernier céda aux instances des médecins et tenta un traitement de l’homme dont la réussite fit (et fait encore) parfois obstacle aux efforts d’éradication du réservoir animal de virus.
En effet, la possibilité reconnue d’éviter la mort des personnes contaminées, écartant le danger immédiat, soulageait les autorités sanitaires du souci de lutter contre le premier danger : celui que représentait le réservoir animal. Cet exemple sera le premier d’une longue série et établira une règle quasi constante : la découverte du traitement efficace d’un zoonose chez l’homme retarde souvent l’éradication de cette maladie chez l’animal (par exemple tuberculose, brucelloses, salmonelloses ou …influenza aviaire à virus hautement pathogène). Si un traitement efficace de l’encéphalopathie spongiforme bovine avait existé, cette maladie n’aurait probablement pas été maîtrisée aussi vite…
Mais il existe un obstacle encore plus important à la prophylaxie de la rage animale dans certains pays : le manque de moyens humains et financiers des services vétérinaires qui en sont responsables. Ces services dépendent pratiquement toujours du ministère chargé de l’agriculture, et non du ministère chargé de la santé. Or, c’est ce dernier qui supporte les dépenses des traitements anti-rabiques humains et aurait donc grand intérêt à éradiquer la rage animale…mais il n’en est pas officiellement chargé. Les services vétérinaires luttent donc difficilement, et souvent sans grande conviction, contre une maladie qui ne gène nullement l’élevage : aucune dépense de vaccination des chiens contre la rage ne sera inscrite au budget de la santé animale si la fièvre aphteuse survient dans un pays ! Il suffirait pourtant d’une concertation interministérielle, ou d’une simple étude coût bénéfice des pouvoirs publics, pour trouver une solution ; mais elle n’est jamais à l’ordre du jour.
La rage canine reste donc encore responsable de près de 30 000 morts humaines chaque année, surtout dans les pays en voie de développement dans lesquels les traitements modernes ne sont pas facilement accessibles, sont jugés trop chers, ou ne sont pas appliqués correctement.
Dans les pays développés, la rage du chien a généralement été totalement maîtrisée, sinon éradiquée. C’est alors que, dans ces pays, est apparu un nouvel obstacle à la maîtrise de la rage : l’extension de la maladie aux espèces sauvages [8]. Celles qui constituent le réservoir de virus le plus dangereux en Europe sont actuellement le renard roux, le chien viverrin et les chauve-souris. Heureusement, dans le cas des renards et des chiens viverrins, la vaccination par voie orale a constitué et constituera à l’avenir une mesure extrêmement efficace. Une grande partie du succès de cette prophylaxie médicale tient, dans plusieurs pays dont la France, à l’utilisation comme vaccin d’un organisme génétiquement modifié… dont nul n’a encore songé à se plaindre.
Autres zoonoses
Il existe, malheureusement, un grand nombre d’autres zoonoses, dont plus d’une centaine sont considérées comme « majeures » (tableaux 1 et 2).
Certaines sont pratiquement vaincues, ou du moins ne semblent plus présenter de risque de réapparition sous forme pandémique, sauf mutation ou réassortiment génétique entre agents pathogènes humains et animaux, comme les fameux influenzavirus A.
Nous ne citerons, pour mémoire, que trois des microbes qui furent les premiers vaincus par les antibiotiques, les vaccins ou l’abattage préventif des animaux qu’ils contaminaient :
— le bacille de la peste humaine , qui fit près de 25 millions de morts en Europe entre 1 347 et 1 352, contre … 2 847 entre 1987 et 2001 [9].
— le bacille de la morve, qui fit d’innombrables morts parmi tous ceux qui approchaient les chevaux morveux depuis l’Antiquité. En 1771, Louis Vitet, profondément découragé, écrivait « pour détruire le virus morveux, il faudrait que toutes les nations s’accordassent en même temps à détruire tous les chevaux morveux- (mais) ce projet sera toujours difficile à cause des moyens que les propriétaires de chevaux morveux prendraient pour éluder l’arrêt de mort .. ». Deux cents ans plus tard , grâce à la découverte de la malléine par Helmann et Kalning en 1890 et à la coopération internationale, cette maladie ne tue plus que quelques rares chevaux dans le monde [9].
— le bacille de la fièvre charbonneuse , qui décimait les troupeaux de moutons depuis l’Antiquité et dont Virgile avait même précisé la façon dont il contaminait l’homme : « malheur a celui qui osait revêtir ces dépouilles impures (les peaux de moutons morts de la maladie) …. soudain il voyait son corps baigné d’une sueur immonde, se couvrir de pustules ardentes et bientôt il périssait consumé d’un feu invisible » [2]. La fameuse bactéridie charbonneuse, progressivement maîtrisée chez les ruminants par les vaccins pastoriens, ne fait plus que quelques victimes humaines chaque année dans le monde.
TABLEAU 1. — Principales zoonoses infectieuses (1) gravité pour principal réservoir fréquence connaissance
Infections l’homme animal mondiale depuis
Rage ++++ carnivores ou ++++ Antiquité chiroptères Esst (3) ++++ ruminants + fin du XXe siècle Arboviroses (4) +++ nombreuses espèces +++ Filoviroses (5) +++ primates +++ Arenaviroses (6) +++ diverses espèces +++ Hantaviroses (7) +++ rongeurs +++ Leptospirose +++ rongeurs ++ Antiquité ?
Peste humaine +++ rongeurs + Moyen-Age Ornithoses +++ oiseaux + XXe siècle Salmonelloses +++ diverses espèces +++ XXe siecle Tuberculose +++ nombreuses espèces + Antiquité Rickettsioses (8) +++ Rongeurs + Moyen-Age Brucelloses ++ ruminants, suidés +++ fin du XIXe siècle Antiquités Fièvre charb.
++ nombreuses espèces ++ Morve ++ équidés + Antiquité (1) Cette liste, loin d’être exhaustive, rassemble les zoonoses dites ‘‘ majeures ’’ par ordre de gravité et de fréquence. Elle est légèrement modifiée du cours sur « les zoonoses infectieuses » des écoles nationales vétérinaires française, disponible sur internet http : //cours.vet-alfort.fr/fichier/jpganiere/r-cours-260/zoonoses-2004.pdfI.
A cette liste, il faudrait rajouter d’autres zoonoses bactériennes telles que les borrelioses (fièvre récurrente, maladie de Lyme), les campylobactérioses (vibrioses), les colibacilloses ( Escherichia coli 157 H7)la coxiellose (fievre Q), la listériose, la maladie des griffes du chat (angiomatose due à
Bartonella henselae) la mélioïdose, la pasteurellose, la pseudo-tuberculose, le rouget, la spirillose (sodoku), les shigelloses, les staphylococcies, la streptobacillose, les streptococcies, la tularémie, et les yersinioses. Il existe aussi de nombreuses autres zoonoses virales de gravité très variable telles que les herpes-viroses (herpes-virus B, maladie d’Aujeszky), les myxoviroses (grippes), les picornaviroses (encéphalo-myocardite, hépatite virale A, maladie vésiculeuse des suidés), les pox-viroses (cow-pox, pseudo-cow-pox, variole du singe, ecthyma, maladie de Yaba…), la stomatite vésiculeuse contagieuse (rhabdovirose) ou les rétroviroses.
Il existe enfin des zoonoses dites exceptionnelles, telles que la fièvre aphteuses (picornavirose) ou potentielles, telles que les paramyxoviroses (dont les infections à virus Hendra et Nipah, signalées respectivement en Australie et en Malaisie) ou les rotaviroses.
(2)La gravité d’une zoonose dépend essentiellement de l’existence ou non d’un vaccin, ou d’un traitement, ou de l’efficacité de ce dernier.
(3) Encéphalopathies spongiformes sub-aiguës transmissibles (4) Il existe plus de 300 arboviroses (entretenues de vertébré à vertébré par des arthropodes hématophages), dont la plupart sont des zoonoses. Parmi les plus graves il faut citer les alpha-viroses (méningoencéphalomyélites américaines), les flaviviroses (fièvre jaune, fièvre du Nil occidental, encéphalites à tiques) les phléboviroses (fièvre de la Vallée du Rift) ou une nairovirose (Fièvre hémorragique de Congo-Crimée).
(5) Filoviroses : maladie de Marburg (dite du singe vert) et infection par le virus Ebola.
(6) Arenaviroses : chorio-méningite lymphocytaire, fièvre de Lassa, fièvres hémorragiques sud-américaines (7) Hantaviroses : fièvre hémorragique avec syndrome rénal , néphropathie épidémique,syndrome cardiopulmonaire.
(8) Typhus épidémique et murin notamment, mais aussi fièvre boutonneuse et ehrlichioses
TABLEAU 2. — Principales zoonoses parasitaires (1) gravité pour principal réservoir fréquence connaissance
Infestations l’homme (2) animal mondiale depuis
Leismanioses ++ rongeurs +++ XXe siècle Toxoplasmoses +++ herbivores, carnivores +++ XXe siècle Fascioloses ++ ruminants +++ XIVe siècle Schistosomoses +++ nombreuses espèces +++ XXe siècle Echinococcose ++++ carnivores, ruminants ++++ Antiquité Hydatidose +++ suidés…
Antiquité Taeniasis et ++++ carnivores, ruminants ++++ Antiquité Cysticercose + suidés..
Antiquité Anisakidose ++ espèces piscivores ++ XXe siècle Trichinellose +++ nombreuses espèces +++ XIXe siècle Ectoparasitoses ++ nombreuses espèces +++ Antiquité (gales, myiases) Mycoses ++ nombreuses espèces +++ XXe siècle (1) Cette liste ne rassemble que les zoonoses parasitaires les plus graves et les plus fréquentes. Il faudrait y rajouter d’autres parasitoses telles que l’amibiase ou la giardiose (parmi les protozooses) la clonorchiose, ou la paragonimose (parmi les trématodoses), l’acanthocéphalose , l’ancylostomose, la dracunculose ou les filarioses (parmi les nématodoses) etc.
(2) La gravité d’une parasitose dépend essentiellement de l’existence ou non d’une prophylaxie ou d’un traitement efficace.
TABLEAU 3. — Évolution de la prévalence de quelques zoonoses en France En 1968 : 25 % des bovins français atteints et environ 400 000 cas cliniques
BRUCELLOSE humains [ in 12 : p.80 et 137]
BOVINE En 2003 : maladie éradiquée [ in 13 : p. 545]
TUBERCULOSE En 1933 : 25 % des bovins français atteints [ in 11 : p.11] et 25 % d’enfants tuberculeux porteurs de bacille bovin [ in 11 : p.18]
BOVINE En 2006 : maladie très rare : 32 foyers en 2004 [ in 14 : p.545]
En 1933 : 50 à 60 chiens enragés par mois en France [ in 11 : p.21]
RAGE En 1989 : 10 à 50 renards enragés par jour en France [ in 15, p.10]
En 2006 : aucun cas de rage canine ou vulpine autochtone (depuis décembre 1998)
En 1933 : Cas sporadiques chez les chevaux, 4 à 5 cas par an chez l’homme [ in 11 : p.50 et 54]
MORVE En 2006 : maladie éradiquée (depuis 1965)
En 1933 : « tribut élevé » dans certaines régions, chez les ovins et nombreux cas de charbon chez l’homme [ in 11 : p.50 et 54 et 6 : p.23]
CHARBON En 2006 : maladie devenue très rare : aucun cas depuis 2003 [ in 13 : p.545]
Ces trois exemples ne sont là que pour rappeler le succès des médecins et des vétérinaires dans leur lutte concertée contre nombre d’autres maladies infectieuses (listériose, salmonelloses, tularémie ….) ou parasitaires (échinococcose, trichinellose, ectoparasitoses diverses …) POURQUOI CERTAINES ZOONOSES RESISTENT-ELLES ENCORE ?
Aucun pays ne devrait souhaiter laisser libre cours au développement des zoonoses sur son territoire, à moins d’un calcul machiavélique ou corporatiste inavouable.
La seule question qui devrait donc se poser aux autorités sanitaires nationales est :
quel est le coût/bénéfice de cette maîtrise ?
En conséquence, la plupart des pays développés des Amériques, d’Europe, d’Asie et d’Océanie ont pris le parti d’éradiquer ces maladies. Ils ont ainsi créé une vaste zone ‘‘ propre ’’, au sein de laquelle ils échangent les produits de leur élevage en toute sécurité pour le consommateur.
Mais ce cercle vertueux paraît encore inaccessible à nombre de pays en développement, et notamment à ceux de l’Afrique sub-saharienne : pourquoi payer fort cher un plan d’éradication de la fièvre de la Vallée du Rift si, de toute façon, tant d’autres zoonoses sévissent encore sur leur territoire, menacent encore plus gravement la santé humaine et interdisent toute exportation d’animaux ou de leurs produits ?
Par ailleurs, décider de maîtriser une maladie animale dans un pays suppose d’en avoir ou d’en recevoir les moyens financiers, puis de surmonter quelques difficultés sur le plan humain ou technique.
Les ressources nécessaires à la lutte contre les maladies animales sont rarement à la portée des pays en développement, qui ont d’autres priorités, dans le domaine de la santé humaine en particulier. Seule l’assistance de la communauté internationale pourrait leur permettre de surmonter cet obstacle, mais il est rare qu’elle se maté- rialise sous forme d’un don financier. La plupart des bailleurs de fonds internationaux (par exemple la Banque Mondiale) n’accordent que des prêts, et le remboursement de tels prêts n’est pas toujours assuré par un ‘‘ retour sur investissement ’’.
D’autres organisations accordent bien une aide financière ou matérielle à fonds perdus, mais il s’agit soit d’une aide d’urgence ponctuelle, soit d’une aide limitée dans son montant. Devant toutes ces difficultés, beaucoup d’autorités sanitaires baissent les bras. D’autres parviennent, à force de ténacité, à élaborer des montages financiers multilatéraux compliqués : ils leur permettent bien de réaliser un projet ponctuel, mais rarement d’établir les plans de prophylaxie à long terme dont ils auraient besoin.
En conséquence, force est de reconnaître que la maîtrise des maladies animales ne pourra pas être envisagée à court terme dans nombre de pays en développement.
Elle ne le sera, en fait, que lorsque ces pays auront achevé leur développement dans
d’autres domaines qu’ils considèrent comme plus importants pour eux : infrastructures, éducation, santé humaine, transports etc. et la santé animale reste bien souvent le parent pauvre du budget national. Cette situation s’est même aggravée, à la fin des années 1990, par une attitude assez négative de certains responsables de l’aide aux pays du tiers monde, qui ont considéré que la lutte contre les maladies animales ne pouvait être considérée comme un « bien public » et ne devait donc relever que de financements privés.
Les difficultés humaines qui subsistent, en supposant les problèmes financiers ou matériels résolus, ne doivent pas être sous-estimées. Elles peuvent trouver leur origine au sein même des services chargés d’appliquer les plans de prophylaxie nationaux, lorsque ces services ne sont pas convaincus de l’utilité de ces plans, ou qu’ils n’y trouvent pas leur intérêt. Elles peuvent aussi être le fait d’une opposition active de l’opinion publique à certaines méthodes de lutte : c’est le cas, notamment, de l’hostilité de certains groupes (arguant parfois de principes religieux), à l’abattage des animaux en cas de zoonose telles que la rage, la tuberculose ou la brucellose.
Faute d’accord au niveau national, la maîtrise de certaines maladies animales peut alors s’avérer tout simplement impossible.
Les difficultés techniques , telles qu’organisation des quarantaines ou des abattages sanitaires, approvisionnement en médicaments vétérinaires, contrôles aux frontières etc. finissent généralement par être résolues. Mais certaines le sont beaucoup plus difficilement, notamment celle du contrôle des maladies à réservoir sauvage (invertébrés, oiseaux ou mammifères migrateurs), celle du contrôle des populations animales déplacées lors des conflits armés, ou celle des flux commerciaux illégaux d’animaux dans certaines régions : la persistance de la rage, de la morve, de la fièvre charbonneuse, de la tuberculose, de la fièvre de la Vallée du Rift, ou de la brucellose dans certaines régions en sont les meilleurs exemples.
Une autre difficulté importante se fait jour : celle de la disparition progressive de certains médicaments destinés à prévenir ou combattre des zoonoses n’existant que dans les pays tropicaux (presque tous en développement), faute d’un marché solvable. Le développement d’une vaste fraude sur les produits pharmaceutiques vétérinaires vient encore aggraver le problème dans certains pays.
Remarque : Au lieu de vaincre les zoonoses, les hommes ont parfois préféré…les répandre ! Les germes zoonotiques ont souvent représenté un attrait particulier pour les adeptes du bio terrorisme, car utiliser un microbe qui soit pathogène à la fois pour l’animal et l’homme leur permettait de faire ‘‘ d’une pierre deux coups ’’. Plusieurs de ces microbes ont donc été étudiés dans ce but, et parfois répandus volontairement, notamment les bacilles du charbon, de la morve et de la tularémie. C’est ainsi que le bacille de la morve a été inoculé volontairement à des chevaux durant le Première Guerre Mondiale et que le bacille de la fièvre charbonneuse a été étudié ou expérimenté en Europe, en Afrique ou en Asie. Mais ces essais visaient essentiellement à détruire le bétail en territoire ennemi, alors que lors des attentats du mois d’octobre 2001 aux Etats-Unis d’Amérique, la cible était clairement humaine [10].
CONCLUSION
Connu depuis l’Antiquité, le risque de transmission à l’homme de certaines maladies des animaux a été bien évalué dans un certain nombre de cas. Toutefois, les moyens de diagnostic et d’investigation sont restés longtemps insuffisants pour permettre une évaluation correcte de ce risque, notamment celui des cyclozoonoses ou des métazoonoses.
De nos jours, le nombre accru de déplacements (volontaires ou forcés) des populations humaines, les différentiels de prix très attractifs des animaux et de leurs produits pour certaines régions ou à certaines périodes, l’attrait qu’exerce animaux ou produits exotiques sur quelques habitants des pays industrialisés, ainsi que les flux illégaux permanents de ces animaux ou de ces produits font que le risque de diffusion des zoonoses ne cesse de s’accroître sur notre planète. Ils viennent s’ajouter à un risque beaucoup plus ancien : celui de transport des agents pathogènes par les mammifères, les oiseaux, voire les insectes migrateurs dont les habitats ou les trajets sont actuellement modifiés par les changements climatiques.
Si la lutte contre les zoonoses est donc devenue plus difficile, les méthodes utilisées dans cette lutte se sont par contre considérablement améliorées.
Les zoonoses, existantes ou émergentes, peuvent être en effet dépistées et identifiées maintenant de façon beaucoup plus précise et plus rapide grâce aux progrès de la biotechnologie. Même lorsque l’agent responsable ne peut être immédiatement identifié ou isolé, les méthodes épidémiologiques modernes permettent de découvrir assez rapidement la nature du contage, son mode de transmission ou son réservoir et de prendre ainsi les mesures de prophylaxie appropriées. L’origine du contage peut-être également précisée (« traçabilité »), ce qui permet de remonter à sa source, d’éviter de se tromper de cible et d’éradiquer le véritable réservoir d’agents pathogènes.
Il faut, à cette occasion rappeler le rôle essentiel des chercheurs en matière de lutte contre les zoonoses et les maladies transmissibles en général. Aucune loi ni aucun règlement, si bien faits soient-ils, n’auraient pu venir à bout de la tuberculose bovine sans la découverte de la tuberculine, de la morve sans la découverte de la malléine, de la fièvre charbonneuse sans les vaccins pastoriens, de la brucellose sans le diagnostic sérologique, de la rage des renards sans l’invention des vaccins utilisables par voie orale…. et cette liste est loin d’être exhaustive.
Enfin, des réseaux de surveillance et de contrôle des zoonoses sont mis en place dans presque tous les pays ou toutes les régions du monde. Ces réseaux sont eux-mêmes reliés aux deux observatoires mondiaux de ces maladies que sont l’Organisation mondiale de la santé à Genève et l’Organisation mondiale de la santé animale (Office international des épizooties) à Paris : ces deux organisations intergouvernementales permettent, notamment, d’obtenir plus rapidement les informations
nécessaires à l’identification et à la maîtrise éventuelle des sources de contamination.
Mais, malgré toutes les ressources de la science, et après avoir vaincu tant de zoonoses, aucun pays n’est à l’abri de l’émergence de nouvelles maladies transmissibles à l’homme d’origine inconnue jusqu’alors. L’exemple du virus de l’immunodéficience humaine (SIDA), puis celui de l’agent l’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) ou du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) devraient nous ramener à beaucoup d’humilité : personne n’avait su prévoir leur apparition.
Ce qu’écrivait Claude Bourgelat, le fondateur de la première école vétérinaire en 1762, reste toujours d’actualité :
« il est infiniment plus avantageux aux progrès de notre Art de confesser notre ignorance que de vouloir paraître en possession de tous les mystères qui nous sont voilés. »
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[4] BLANCOU J. — La sécurité sanitaire des aliments des temps passés à nos jours.
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[5] GRANGE J.M., MALCOM D.Y. — Zoonotic aspects of
Mycobacterium bovis infection. Vet. mic., 1994, 40 ,137-151.
[6] VALLÉE H., PANISSET L. — Les tuberculoses animales. Bibliothèque de la tuberculose, O. Doin et fils Edit ., Paris, 1920.
[7] O’REILLY L.M., DABORN C.J. — The epidemiology of Mycobacterium bovis infections in animals band man : a review. Tuber. Lung. Dis., 1995, 76 , 1-46.
[8] CHOMEL B.B. — Control and prevention of emerging zoonoses,
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[9] BLANCOU J., CHOMEL B.B., BELOTTO A., MESLIN F.X. — Emerging or re-emerging zoonoses :
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[11] PANISSET — Les maladies des animaux transmissibles à l’homme. Vigot Frères éditeur, Paris, 1933.
[12] PASQUEREAU C. — La brucellose, in Santé animale. Tuberculose, fièvre aphteuse, brucellose, rage. Numéro spécial Bulletin technique d’information Ministère de l’Agriculture , 1979.
[13] Santé animale mondiale en 2004. Office international des épizooties , 2004, 545-547.
[14] AUBERT M.F.A. — Du diagnostic de la rage vulpine à son élimination.
Bull. Acad. vét. France , 2003, 156 , 1, 5-14.
DISCUSSION
M. André Laurent PARODI
Je souhaite faire deux remarques qui viendraient compléter, si nécessaire, la belle conclusion de l’exposé de Jean Blancou. La première est issue du récent rapport (janvier 2006) de l’autorité européenne de Sécurité des Aliments (EFSA) qui nous apprend que 400 000 européens ont souffert d’une zoonose en 2004. Celle-ci était due majoritairement à une infection à Salmonella ou à Campylobacter, d’origine aviaire. Le fait important est qu’il existe une relation étroite entre la prévalence nationale de ces zoonoses et l’efficacité du réseau de surveillance sanitaire vétérinaire : respectivement 10,6 et 3,6 cas en France, contre plusieurs centaines de cas, dont certains pays entrés récemment dans l’UE. La seconde est fournie par la déclaration récente du premier cas d’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) en Suède. La qualité reconnue des conditions sanitaires et de la compétence du réseau vétérinaire démontrent combien, en toutes circonstances, la vigilance s’impose, y compris vis-à-vis de maladies animales considérées comme maîtrisées.
M. Claude CHASTEL
Existe-t-il des textes réglementant les échanges internationaux de ce genre d’animaux exotiques ?
L’exemple du Monkey Pox importé aux USA en 2003 est caricatural : la probabilité, pour qu’un rat de Gambie vivant au Ghana et un chien de prairie vivant aux USA se rencontrent, était extrêmement faible. C’est l’importation illégale de 300 rongeurs sauvages venus du Ghana qui a été à l’origine de l’épidémie des USA chez l’homme. Mais plus grave encore, les douaniers belges ont récemment saisi à l’aéroport de Bruxelles deux aigles de l’Himalaya importés illégalement de Thaïlande et porteurs du virus grippal H5N1.
A ma connaissance non, sauf pour les animaux appartenant à des espèces protégées par la convention de Washington, dont le commerce est interdit. Les restrictions d’importation pour des raisons sanitaires concernent surtout les animaux d’élevage, ou certains animaux de laboratoire : elles sont édictées par l’Office international des epizooties.
* 11, rue Descombes 75017 Paris. Tirés à part : Docteur Jean BLANCOU, même adresse. Article reçu et accepté le 27 février 2006 .
Bull. Acad. Natle Méd., 2006, 190, no 3, 565-577, séance du 7 mars 2006