Communication scientifique
Séance du 10 novembre 2009

Les souris transgéniques : un progrès dans la recherche biomédicale

MOTS-CLÉS : expérimentation animale. génétique
Transgenic mice : a major advance in biomedical research
KEY-WORDS : animal experimentation. genetics

Raymond Ardaillou

Résumé

Les souris transgéniques sont des souris dont le génome a été modifié de manière stable et qui transmettent cette modification à leur descendance. L’obtention de souris transgéniques repose sur l’utilisation de cultures de cellules souches embryonnaires isolées au stade de blastocystes. Un vecteur est construit incluant une cassette de sélection et la séquence à introduire, à modifier ou à supprimer entre deux séquences identiques à celles du gène cible. Ce vecteur est transfecté dans les cellules souches où se produira la recombinaison homologue invalidant le gène cible et le remplaçant par la cassette de sélection dont la présence permettra de trier les cellules « recombinées ». Ces cellules sont injectées à un embryon donnant ainsi naissance à des souris « mosaïques » à partir desquelles on obtiendra des souris hétérozygotes et homozygotes pour le gène invalidé. Cette technique permet de réaliser de nombreuses modifications du génome : mutations nulles, insertion de copies multiples du gène, introduction d’un gène rapporteur sous le contrôle du promoteur du gène d’intérêt, mutagenèses conditionnelles pour un tissu donné ou à une période donnée. L’utilisation des souris transgéniques permet de répondre à de nombreuses questions comme, par exemple, la détermination du phénotype résultant de l’absence ou de l’introduction de copies multiples d’un gène, l’analyse des facteurs contrôlant la synthèse d’une protéine, l’étude du phénotype induit par une mutation ponctuelle et des gènes nécessaires au développement. Parallèlement à la production de lignées de souris transgéniques, des instituts se sont développés pour la caractérisation du phénotype des animaux, souvent par des méthodes non invasives, et le stockage des résultats obtenus dans des bases de données, permettant ainsi de mieux contrôler le nombre d’animaux nécessaires aux protocoles envisagés.

Summary

Transgenic mice bear stable, artificially induced genetic modifications that are transmitted to their offspring. They are prepared from cultured embryonic stem cells isolated from blastocysts. The stem cells are then transfected with a vector comprising a selection cassette and the sequence to be introduced, modified or suppressed, lying between two sequences identical to those flanking the target gene. The target gene is thereby ‘‘ knocked out ’’ and replaced by the selection cassette, through homogeneous recombination. Cells in which recombination has successfully taken place are sorted by detecting the selection cassette, and are injected into an embryo. This results in so-called mosaic mice which, after crossing, will give birth to mice that are either heterozygous or homozygous for the knocked out gene. A variety of genomic modifications can be obtained with this approach, including gene knock-out, insertion of multiple gene copies, introduction of a reporter gene under the control of the promoter of the gene of interest, and ‘‘ conditional ’’ mutations that are expressed in a given tissue or for a specific period of time. Transgenic mice can be used to examine the phenotype resulting from a null mutation or from the introduction of multiple gene copies, as well as factors controlling the synthesis of a specific protein, the phenotypic consequences of point mutations, and the genes involved in embryo development. Institutes have been created specifically to phenotype transgenic mice, frequently using non invasive techniques. The results thus obtained are collected in databases, thus allowing scientists to determine the minimal number of animals necessary for a given experiment.

Lorsque les physiologistes du xixe siècle voulaient étudier les fonctions d’un organe, ils en faisaient l’exérèse pour apprécier les conséquences de son absence, et ils en injectaient des extraits pour apprécier celles d’une surcharge. Lorsqu’on sût que la première étape de la synthèse des protéines était la transcription d’un gène, on en conclut qu’invalider le gène permettrait de connaître le rôle de la protéine. Un cap décisif fut franchi en 1989 par l’obtention de la première souris transgénique par recombinaison homologue. Cette méthode élargit considérablement les possibilités de la transgenèse classique, dite additive, qui consistait à injecter de l’ADN dans le pronucléus d’œuf fécondé et dont le principal inconvénient était l’insertion au hasard dans le génome d’un nombre de copies du transgène indéterminé. Les souris transgéniques sont des souris ayant incorporé de manière stable dans leur génome une nouvelle information génétique qu’elles transmettent à leur descendance.

Il s’agit d’un outil irremplaçable et versatile permettant de créer les modèles expé- rimentaux adéquats pour répondre à de multiples questions en physiologie, biologie du développement et pathologie humaine [1-4]. Quelques travaux seront brièvement analysés à titre d’exemple. Les réponses obtenues sont d’autant plus pertinentes que, sur les 21 000 gènes de la souris, 99 % d’entre eux ont un équivalent dans le génome humain et que les fonctions biologiques et physiologiques de la souris sont proches de celles de l’homme. L’importance de cette découverte a justifié l’attribution du prix Nobel de médecine en 2007 à Martin Evans, Mario Capecchi et Oliver Smithies.

 

Tableau 1. — Propriétés des cellules souches embryonnaires de souris 1 — Elles sont pluripotentes, c’est-à-dire capables de donner naissance à toutes les cellules, y compris celles de la lignée germinale.

2 — Elles se renouvellent automatiquement in vitro en conservant leurs qualités.

3 — Elles peuvent se différencier in vitro en différents types cellulaires dans des conditions appropriées.

4 — Elles colonisent les tissus d’un embryon hôte, y compris la lignée germinale.

Les cellules souches embryonnaires et la recombinaison homologue

L’étape initiale est la culture de cellules souches embryonnaires (cse) à partir de blastocystes de souris [5]. Le génome de cette espèce est facilement manipulable et les conditions de culture des cellules souches sont bien codifiées. Elles nécessitent l’apport du facteur de croissance LIF (« leukemia inhibiting factor ») et de facteurs nutritifs issus de fibroblastes embryonnaires. Dans ces conditions les cellules restent pluripotentes, c’est-à-dire capables de se différencier dans tous les types cellulaires.

Comme les autres cellules souches, elles se renouvellent de façon illimitée en culture.

Enfin, elles peuvent coloniser tous les tissus d’un embryon hôte, y compris la lignée germinale et, ainsi, donner naissance à des chimères (Tableau 1). Pour invalider un gène, il est indispensable de l’avoir identifié. Sa séquence nucléotidique (et celle des fragments bordant le gène) doit avoir été déterminée intégralement. On doit ensuite construire un vecteur comportant une cassette de sélection insérée dans un exon, par exemple le gène neo R codant pour la protéine de résistance à la néomycine (ce qui permettra, à la fois, d’invalider le gène et de sélectionner les cellules où la recombinaison aura été couronnée de succès) flanqué en amont et en aval des mêmes séquences que celles entourant le gène à invalider. On peut aussi insérer entre les deux séquences homologues un gène rapporteur comme le Lac Z qui code pour la β-galactosidase facilement reconnaissable dans les tissus par la coloration bleue spécifique de la réaction enzymatique. Ce vecteur est ensuite introduit par électroporation dans les cse. La recombinaison homologue consiste en l’échange des séquences homologues d’ADN présentes dans le vecteur et le gène cible. Lorsqu’un tel processus se produit le gène cible, ou une partie de ce gène, est remplacé par le gène neo R ou tout autre gène inséré dans le vecteur utilisé. Après transfection, le pourcentage de cellules où la recombinaison a réussi ne dépasse pas 1 %. Ces cellules sont purifiées par leur résistance à la néomycine ou en utilisant un autre marqueur de sélection [6, 7].

Obtention de souris chimériques et sélection des générations F1 et F2

Les cse transfectées et « recombinées » sont hétérozygotes pour le gène muté. Ces cellules vont être injectées dans le blastocoele (ensemble des blastocystes) d’embryons de souris. Elles s’intègrent à la masse cellulaire interne dont proviennent toutes les cellules de la future souris. Les embryons ainsi traités sont réimplantés

Tableau 2 — Les étapes de la création de souris transgéniques « knock-out » 1 — Clonage et caractérisation du gène à invalider.

2 — Construction d’un vecteur portant le gène de remplacement du gène invalidé (gène Lac Z ou gène de la protéine de résistance à la néomycine, par exemple) entre des séquences homologues à celles qui entourent le gène à invalider dans le génome.

3 — Introduction par électroporation du vecteur dans des cellules souches embryonnaires de souris. Dans quelques unes de ces cellules, la recombinaison homologue a lieu et le gène est invalidé et remplacé par le gène de substitution.

4 — Sélection des cellules « recombinées » grâce à des marqueurs comme la protéine de résistance à la néomycine.

5 — Injection des cellules « recombinées » dans le blastocoele de très jeunes embryons de souris et réimplantation de ces embryons dans l’utérus de mères porteuses.

6 — Naissance de souris « mosaïques » avec des tissus dérivant soit des cellules « recombinées » soit des cellules du receveur.

7 — Sélection des souris dont la lignée germinale provient des cellules « recombinées ».

8 — Croisement de ces souris avec des souris possédant un génome normal et obtention de souris hétérozygotes pour le gène invalidé.

9 — Croisement des souris hétérozygotes entre elles et obtention de 25 % de souris homozygotes pour le gène invalidé.

10 — Étude du phénotype des souris homozygotes.

dans l’utérus de mères porteuses. On a, à la naissance, des chimères ou souris mosaïques, avec des tissus dérivés, soit des cellules normales primitives de la masse interne, soit des cellules apportées secondairement et porteuses de la mutation. On doit ensuite sélectionner les souris dont la lignée germinale provient des cellules mutées puisqu’elles seules pourront transmettre l’anomalie à la descendance. Cette sélection est basée sur le pelage des animaux qui est sous le contrôle de gènes différents dans les cellules mutées et l’embryon accepteur. Ces souris sont ensuite croisées avec des souris sauvages (non porteuses du gène muté). Ce croisement va donner 50 % de souris hétérozygotes avec un allèle normal et un allèle muté. La dernière étape est celle du croisement des souris hétérozygotes entre elles. Il permet d’obtenir 25 % de souris homozygotes pour le gène invalidé dont le phénotype pourra être étudié (Tableau 2) [6, 7]. Il reste ensuite à examiner le phénotype des souris mutées, hétérozygotes et homozygotes. Des laboratoires spécialisés ont été créés à cet effet où les souris sont observées et étudiées par des techniques, souvent non invasives, comme l’imagerie qui, dans sa forme miniaturisée, s’est beaucoup développée. De plus, la masse des résultats obtenus sert à l’établissement de bases de données consultables par tous les chercheurs. On voit ainsi que les souris transgé- niques constituent un progrès non seulement comme moyen technique du progrès scientifique, mais aussi comme méthode permettant de contrôler au mieux le nombre d’animaux nécessaires à l’expérimentation.

Mutations génétiques créées par recombinaison homologue permanente

La technique détaillée plus haut permet plusieurs types de mutations génétiques permanentes (Tableau 3) [8]. Le premier type est celui des mutations nulles ou

Tableau 3. — Différentes méthodes de mutagenèse dirigée basées sur la recombinaison homologue :

1 — Mutations nulles ou invalidation de gène (knock-out).

2 — Remplacement d’un gène par un autre (knock-in).

3 — Mutations subtiles : mutations ponctuelles, microdélétions, micro ajouts.

4 — Introduction de copies multiples d’un gène.

5 — Mutations conditionnelles : système Cre/loxP, induction/répression d’un gène rapporteur par la tétracyline.

« knock out » conduisant à l’invalidation du gène. Cette technique est très utile pour étudier le phénotype déterminé par l’absence de synthèse de la ou des protéines codées par le gène. Le fonds génétique étant un paramètre fondamental pour l’analyse du phénotype des souris mutantes, les laboratoires spécialisés utilisent les mêmes lignées, historiquement la lignée 129 et, plus récemment, la lignée C57BL/6N. Nous prendrons comme exemple le travail de Makhanova et coll . [9], destiné à examiner les effets de l’absence de sécrétion d’aldostérone. Dans ce but, des souris invalidées pour le gène de l’aldostérone-synthase ont été créées et comparées aux souris sauvages et aux souris hétérozygotes pour la mutation. On constate chez les souris invalidées une hypotension artérielle, une hypernatriurie, une hyperkalié- mie et une acidose métabolique. On observe également une forte activation du système rénine-angiotensine avec augmentation de l’activité rénine du plasma et de la concentration d’angiotensine II. Il est donc possible d’obtenir ainsi un modèle quasi parfait de l’insuffisance surrénale lente humaine ou Maladie d’Addison. Un autre exemple montre comment Benigni et coll . [10] ont essayé de savoir si l’inhibition du système rénine-angiotensine favorisait la longévité. Ils ont, pour cela, invalidé le gène de l’isoforme 1 du récepteur A de l’angiotensine II, le plus proche de la forme unique présente chez l’homme. Les souris mutées vivent nettement plus longtemps (36 au lieu de 29 mois) et ont, à l’autopsie, beaucoup moins de lésions cardiaques et vasculaires. En outre, les gènes considérés comme favorisant la longé- vité sont surexprimés. D’où la suggestion de considérer le système rénineangiotensine comme la cible d’un traitement pouvant augmenter l’espérance de vie.

Le deuxième type est celui du remplacement d’un gène par un autre ou « knock in ».

Un exemple fréquent est celui de l’insertion d’un gène rapporteur, c’est-à-dire d’un gène dont l’expression facilement reconnaissable et mesurable, permettra d’étudier tous les facteurs contrôlant la synthèse de la protéine puisque ce gène rapporteur reste sous le contrôle du promoteur du gène muté. A titre d’exemple, on peut citer le travail de Chatziantoniou et coll. [11] qui utilise des souris porteuses du gène de la luciférase sous le contrôle du promoteur de la chaîne α-2 du collagène I. On peut ainsi en mesurant l’expression de la luciférase (l’enzyme du ver luisant) savoir si un traitement administré à ces souris active la synthèse du collagène I, principal marqueur de la fibrose. Les auteurs démontrent que l’inhibition chronique de la NO synthase, enzyme produisant le monoxyde d’azote, par le L-NAME (NG-nitroarginine-méthyl ester) entraîne chez les animaux une hypertension artérielle croissante associée à la progression de la synthèse du collagène I dans les artérioles glomérulaires et les glomérules eux-mêmes. La conclusion est donc que la diminution de la production de monoxyde d’azote produit l’apparition d’une néphroangiosclérose. Cette méthode est aussi utilisée pour montrer qu’un autre gène peut ou non remplacer la fonction de celui qui a été invalidé. On peut aussi effectuer des mutations ponctuelles portant sur une partie de la séquence codante. Cette technique est très utile pour obtenir des modèles animaux de maladies génétiques humaines. En effet, certaines maladies génétiques ne sont pas dues à des mutations nulles, mais au remplacement d’un seul acide aminé dans la protéine, remplacement dont il n’est pas toujours aisé de déterminer le rôle délétère. On peut enfin insérer dans le génome plusieurs copies du gène d’intérêt ce qui va permettre d’étudier les consé- quences de l’excès de production de la protéine. Cette technique est appelée « titration du gène » par O. Smithies. Elle permet de corréler l’expression de la protéine et le phénotype qui en dépend avec le nombre de copies (1 chez l’hétérozygote, 2 chez l’homozygote et 3 après addition d’une copie). C’est ainsi que Smithies et coll. [12] ont comparé des souris porteuses d’un, deux ou trois allèles de l’angiotensinogène, de l’enzyme de conversion et du récepteur A des peptides natriurétiques. Ils ont observé que la surexpression du gène de l’enzyme de conversion n’affectait pas la pression artérielle alors que celle de l’angiotensinogène entraînait une augmentation progressive de la pression artérielle et celle du récepteur A des peptides natriurétiques une diminution selon le nombre de copies présentes chez la souris.

Mutations conditionnelles utilisant des systèmes inductibles

La technique d’invalidation d’un gène est mise en échec lorsque la mutation est létale pour l’embryon ou lorsque le gène s’exprimant dans de nombreux tissus, on est devant un phénotype mutant très complexe à analyser. Aussi a-t-on imaginé des systèmes dans lesquels l’invalidation touche un seul organe et d’autres systèmes dans lesquels l’invalidation peut se produire à la demande [13].

La stratégie la plus utilisée fait appel au système Cre/loxP. La Cre est une recombinase qui catalyse la recombinaison de deux sites loxP et, ainsi, entraîne l’excision des séquences situées entre ces deux sites. La première étape consiste à générer des souris chez lesquelles, dans un allèle, le gène d’intérêt est flanqué de deux sites loxP en les situant dans des introns pour ne pas perturber l’expression du gène. On parle alors d’allèle « floxé », le « f » illustrant le fait que les séquences « lox » sont flanquantes.

Après avoir vérifié que les souris homozygotes pour l’allèle « floxé » sont viables, on les croise avec des souris transgéniques exprimant la Cre, soit dans un tissu donné, soit après induction de son activité. Pour l’exprimer dans un tissu donné, il suffit que le gène Cre soit sous le contrôle du promoteur du gène d’une protéine ne s’exprimant que dans le tissu choisi, par exemple l’albumine pour le foie ou la podocyne pour les podocytes glomérulaires. Dans ce cas le gène d’intérêt est invalidé uniquement dans ce tissu. À titre d’exemple, on peut citer le travail de Kulkarni et coll. [14] qui se sont demandé quel était le rôle du récepteur de l’insuline des cellules β du pancréas dans la réponse pancréatique à une charge en glucose. Comme la mutation nulle est associée à une acidocétose diabétique entraînant une forte létalité périnatale, les auteurs ont utilisé le système Cre/loxP pour invalider le gène du récepteur de l’insuline uniquement dans les cellules β. Pour cela, ils ont placé le gène Cre sous le contrôle du promoteur du gène de l’insuline exprimé uniquement dans les cellules β.

Le phénotype observé est celui d’un diabète de type II avec diminution de la sécrétion d’insuline en présence de glucose et hyperglycémie plus marquée et prolongée signant l’intolérance au glucose. Si, maintenant, on veut étudier la mutation durant une période déterminée, il faut disposer d’une Cre inductible. Pour cela, la protéine Cre doit s’exprimer sous la forme d’une protéine de fusion avec le domaine de fixation à son ligand d’un récepteur tronqué aux glucocorticoïdes. Ce récepteur n’est pas activé par les glucocorticoïdes endogènes, mais uniquement par des agonistes exogènes comme le tamoxifène. La Cre fusionnée ne devient active que si la souris est traitée par le tamoxifène. Il est aussi possible d’injecter dans le tissu de la souris porteuse du gène « floxé » un adénovirus exprimant la Cre. De cette manière, seules les cellules infectées vont être affectées par la mutation. Shibata et coll. [15] ont ainsi créé un modèle d’adénomatose colorectale chez la souris en injectant dans le colon un adénovirus porteur de la Cre chez des souris dont une partie du gène Apc était flanqué de sites loxP. Dans cette situation, il y a perte de fonction de la protéine APC et apparition d’une polypose colique.

Il est également possible de cartographier in vivo le patron d’expression d’un promoteur situé en amont de la recombinase Cre qu’il régule. Cette souris est croisée avec une autre souris transgénique qui peut exprimer la β-galactosidase dans n’importe quel tissu, à condition que la recombinase Cre excise un codon stop qui empêche la transcription de ce gène. Ainsi, on verra s’exprimer la β-galactosidase dans les cellules où le promoteur est actif.

Une autre méthode utilise un système contrôlé par l’administration de tétracycline ou de son dérivé la doxycycline [13]. Deux composés agissent de façon séquentielle.

Le premier est un transactivateur dépendant de la tétracycline qui contrôle, luimême, le promoteur responsable de l’expression du gène d’intérêt. En l’absence de tétracycline, le gène est exprimé. En présence de tétracycline, la transcription est interrompue. On peut ainsi élever des souris porteuses d’un gène létal jusqu’à l’âge adulte, puis étudier le phénotype d’expression du gène lorsqu’on traite les souris par la tétracycline. Le gène contrôlé peut être celui de la Cre ce qui permet d’induire à la demande la recombinaison et l’invalidation d’un gène « floxé ». Un exemple démonstratif est celui de l’invalidation programmée de la huntingtine chez des souris transgéniques exprimant la forme anormale du gène et dont le phénotype rappelle celui de la maladie de Huntington chez l’homme. Dans ce modèle, l’expression du gène muté est contrôlée par la tétracycline. Si les souris ne sont pas traitées, elles expriment le transgène et présentent les symptômes de la maladie. Si elles ingèrent de la tétracycline, l’expression du transgène ne se fait plus et les symptômes sont améliorés. Ces expériences démontrent clairement que la symptomatologie neurologique de la maladie dépend bien de la mutation du gène [16].

 

Tableau 4. — Utilisation des souris « knock out » :

1 — Comprendre le rôle d’une protéine en inactivant son gène ou en multipliant ses copies.

2 — Reproduire des modèles de maladies génétiques humaines.

3 — Comprendre le développement embryonnaire en inactivant des gènes susceptibles d’intervenir.

4 — Découvrir les cibles moléculaires de médicaments.

5 — Étudier les facteurs contrôlant la synthèse d’une protéine.

6 — Analyser les conséquences d’une mutation dans un organe donné et au cours d’une période définie de la vie de l’animal.

7 — Réaliser l’analyse globale du génome de la souris en accumulant et localisant les mutations.

Il est enfin possible de comparer l’invalidation totale d’un gène à l’invalidation partielle dans un organe par greffes croisées. C’est ainsi que Crowley et coll. [17] ont montré que l’angiotensine II était responsable d’une hypertension artérielle par action sur ses seuls récepteurs rénaux. En effet les souris totalement invalidées pour le gène du récepteur A de l’angiotensine II ainsi que celles chez lesquelles l’invalidation est limitée aux reins (par transplantation d’un rein de souris invalidées chez des souris sauvages) répondent nettement moins à l’administration d’angiotensine II que les souris invalidées, mais porteuses, après greffe, de reins de souris sauvages.

Évolution des techniques

Plus de 11 000 gènes ont été invalidés chez la souris. Des recherches sont en cours pour créer des souris KO pour chacun des gènes dans cette espèce [18]. Un progrès décisif a été accompli récemment avec la possibilité de cultiver des cellules souches embryonnaires de rat en modifiant les conditions utilisées chez la souris. Un autre progrès s’est fait jour avec la reprogrammation en cellules souches de cellules adultes donnant des cellules souches pluripotentes induites [19]. Des souris chimères ont été obtenues avec présence dans les cellules germinales du patrimoine génétique porté par des cellules pluripotentes induites, ce qui fait espérer de pouvoir créer des souris transgéniques avec ces cellules. Si des conditions adéquates sont trouvées pour reprogrammer des cellules adultes de nombreuses espèces, on peut imaginer la création de nouveaux modèles de maladies génétiques humaines plus appropriées que celles obtenues chez les rongeurs.

Conclusion

La création de souris transgéniques permet ainsi de répondre à de multiples questions dont on peut citer quelques exemples (Tableau 4) : quel phénotype induit l’absence d’un gène ? Quel phénotype induit l’introduction de copies multiples d’un gène ? Quels facteurs contrôlent la synthèse d’une protéine ? Le phénotype induit par une mutation ponctuelle est-il semblable à celui de la maladie humaine ? Quelle cible moléculaire choisir pour traiter une maladie ? Quelle est la fonction d’une protéine dans un organe donné ? Quels gènes sont-ils nécessaires au développement de l’embryon ? L’aspect versatile de cet outil le rend pratiquement indispensable dans tous les laboratoires de physiologie, développement embryonnaire et physiopathologie. On peut à cet égard citer le nombre de publications ayant trait au sujet et référencées par « Pub Med » ces trois dernières années : 11 681 en 2006, 12 504 en 2007 et 12 759 en 2008.

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<p>* Membre de l’Académie nationale de médecine, e-mail : raymond.ardaillou@academiemedecine.fr Tirés-à-part : Professeur Raymond Ardaillou, même adresse Article reçu et accepté le 9 novembre 2009</p>

Bull. Acad. Natle Méd., 2009, 193, no 8, 1773-1782, séance du 10 novembre 2009