Communication scientifique
Séance du 27 novembre 2007

Les risques des hépatectomies

MOTS-CLÉS : carcinome hépatocellulaire/traitement médicamenteux. embolisation thérapeutique. évaluation risque. gestion du risque. hépatectomie. veine porte
Risks of liver resection
KEY-WORDS : carcinoma, hepatocellular/drug therapy. embolization, therapeutic. hepatectomiy. portal vein. risk assessment. risk management

Jacques Belghiti

Résumé

Les progrès des techniques chirurgicales ont réduit le risque opératoire et les malades opérés de lésions malignes du foie ont une amélioration de leur survie. Ces résultats contribuent à augmenter les indications de résection hépatique dont il convient d’évaluer le risque. Ce risque dépend : — du terrain incluant l’âge et les fonctions rénale et cardio-respiratoire ; — de la fonction hépatique qui doit être appréciée sur des arguments dynamiques ; — de la nature du parenchyme hépatique non tumoral avec une graduation des facteurs de surcharge, de fibrose et d’inflammation et — de l’extension et de la localisation de l’exérèse parenchymateuse. La prévention de ces risques doit conduire à limiter le nombre de résections pour lésions bénignes ; à développer les abords coelioscopiques ; à augmenter le volume du futur foie restant en utilisant les techniques d’obstruction vasculaire ; à réduire les pertes sanguines et à assurer le meilleur fonctionnement du futur foie restant avec un excellent drainage veineux.

Summary

The expanding use of liver surgery can be attributed to — progress in surgical techniques, which have markedly reduced the risks associated with liver resection, and — the improved survival after surgical treatment of primary and metastatic liver tumors. These improvements have resulted from a better understanding of tumor biology, preoperative evaluation of the functional hepatic reserve, better patient selection, and identification of prognostic factors. The future remnant liver (FRL) can be preserved by — using the laparoscopic approach when possible ; — reducing intra-operative bleeding ; — avoiding unnecessary manipulation, and — preserving venous drainage.

La chirurgie hépatique est traditionnellement considérée comme une chirurgie à haut risque. Ces risques sont dominés par l’hémorragie au cours de la section parenchymateuse, due à l’importance de la vascularisation intrahépatique, assurée par des branches portales, artérielles et sus hépatiques. Les autres risques sont septiques (favorisés par une éventuelle fuite biliaire au niveau de la tranche de section qui risque de surinfecter la cavité résiduelle laissée par l’hépatectomie) et métaboliques (lorsque le volume de parenchyme hépatique réséqué et/ou l’état du parenchyme restant ne permettent pas d’assurer des fonctions métaboliques et immunologiques suffisantes). Lorsque le parenchyme hépatique est altéré par une cirrhose, une hépatopathie chronique fibrosante ou des remaniements induits par une chimiothérapie, les risques de cette chirurgie sont très augmentés justifiant l’importance de l’évaluation préopératoire du volume et des réserves fonctionnelles du parenchyme hépatique et surtout de la maîtrise de la technique opératoire.

Hormis la chirurgie cardiaque, peu de spécialités chirurgicales ont pu bénéficier d’un développement technologique aussi important pour faciliter le repérage des structures vasculo-biliaires par l’échographie peropératoire, les respecter à l’aide du dissecteur à ultrason, assurer une ischémie transitoire du parenchyme par des clampages et améliorer l’hémostase de la tranche de section à l’aide de colles biologiques. Les résultats rapportés par plusieurs centres spécialisés montrent que les exérèses hépatiques sont ainsi devenues des interventions sûres avec une mortalité hospitalière quasi-nulle lorsque le parenchyme hépatique non tumoral est sain.

Le taux de mortalité est ainsi devenu un critère assez grossier d’appréciation du risque de la chirurgie hépatique et il est nécessaire d’inclure d’autres critères tels que la diminution du risque hémorragique et la durée d’hospitalisation [1]. L’analyse de la littérature montre clairement une diminution de cette mortalité qui peut être nulle dans certaines séries asiatiques [2]. Il convient cependant de noter qu’une sélection trop restrictive des indications peut représenter pour un certain nombre de malades une véritable perte de chance. Les principaux facteurs de risque des hépatectomies sont le caractère urgent ou non de l’acte opératoire, le terrain, la nature du parenchyme sous-jacent et l’étendue de la résection. Les facteurs liés au terrain sont l’âge du malade, la préexistence d’une insuffisance rénale et/ou d’une altération des fonctions cardiaques [3]. Le développement de la chirurgie chez les malades ayant un syndrome métabolique illustre les facteurs liés au terrain. On observe de plus des carcinomes hépatocellulaires (CHC) qui se développent chez des malades ayant un syndrome métabolique qui se caractérise par une obésité, un diabète, une hypercholestérolémie et/ou une hypertension artérielle [4]. Ces tumeurs sont souvent découvertes à un stade évolué et nécessitent une hépatectomie majeure. Hors nous avons observé que, bien que le foie soit non cirrhotique dans les trois quarts des cas, cette exérèse est associée à un haut risque opératoire.

Il existe une relation linéaire entre le nombre de segments réséqués et le risque opératoire [5]. Cette relation montre que la tolérance d’une hépatectomie dépend de la quantité de parenchyme restant. Il est admis qu’il existe un risque d’insuffisance hépatocellulaire si on laisse moins de 25 % de parenchyme restant lorsque le foie est sain [6]. Cette quantité de parenchyme doit être supérieure à 40 % si le parenchyme est pathologique [7]. Aussi, il est recommandé d’hypertrophier le futur foie restant par une occlusion de la veine porte du foie qui doit être réséqué. Cette occlusion de la veine porte est en général une embolisation portale trans-cutanée mais un effet similaire peut être obtenue par une ligature chirurgicale de la veine porte qui est réalisée dans le cadre d’intervention en deux temps [8]. Les malades qui sont actuellement candidats à une hépatectomie ont rarement un parenchyme sain, ce qui conduit à étudier la nature du parenchyme sous jacent par une biopsie en foie non tumoral. Cette stratégie permet, lorsque l’histologie du parenchyme est altérée, de préparer les interventions majeures par une embolisation portale.

Le parenchyme restant doit être bien vascularisé sur le plan artériel et portal pour obtenir une régénération satisfaisante. Le drainage biliaire du foie restant doit bien entendu être préservé avec un arbre biliaire résiduel complet. Certaines hépatectomies complexes, surtout si elles mettent à nu la convergence biliaire, peuvent se compliquer de fistules biliaires qui restent un des principaux facteurs de morbidité de la chirurgie hépatique. La qualité du drainage veineux du parenchyme restant a longtemps été sous estimée. L’expérience acquise avec la transplantation hépatique de foies partiels a montré que le drainage veineux était capital. Les greffons partiels avec un drainage incomplet avaient une fonction hépatique altérée et leur régénération était diminuée. Comme l’anatomie veineuse du foie est complexe et variable, l’étude de la distribution veineuse du foie restant est aussi importante que son appréciation volumétrique. Ces données incitent à préserver les veines du futur foie restant en guidant la ligne de résection au contact des principales veines de drainage [9]. Cette approche de l’hépatectomie est difficilement compatible avec certains procédés de destruction du parenchyme par radiofréquence qui assurent certes une bonne hémostase, mais qui peuvent détruire les axes vasculaires au contact de la tranche.

La limitation du nombre de transfusions a en fait, été surtout obtenue par des moyens classiques : clampage du pédicule hépatique et coopération entre chirurgiens et anesthésistes qui doivent maintenir une pression cave inférieure à 5 mmHg [10]. Cette stratégie a considérablement réduit les indications de clampage vasculaires. Les clampages peuvent être schématiquement subdivisés en deux types selon qu’il s’agit d’une interruption uniquement du flux afférent ou d’une interruption des flux afférents et efférents. L’interruption du flux afférent est représentée par le clampage du pédicule hépatique. Ce type de clampage qui est très bien toléré sur le plan hémodynamique, peut être maintenu pendant plus d’une heure sur un parenchyme sain. En revanche, lorsque la résection porte sur un foie pathologique, il est préférable de le réaliser de façon discontinue, alternant des périodes de clampage et de déclampage toutes les dix ou quinze minutes [11]. L’exclusion vasculaire totale du
foie qui associe au clampage pédiculaire un clampage efférent de la veine cave sus et sous hépatique est de réalisation technique plus difficile avec des conséquences hémodynamiques plus importantes puisque l’interruption du flux cave réduit le débit cardiaque de près de 50 %. L’exclusion vasculaire totale du foie trouve son intérêt principal lorsqu’il s’agit d’une tumeur siégeant au niveau du confluent cavo sus hépatique. En fait cette limitation des transfusions repose surtout sur un choix et une volonté délibérée de limiter le saignement en apportant un soin particulier à la réalisation de l’acte chirurgical.

Les bons résultats des hépatectomies réalisées dans des centres spécialisés arrivent à un moment opportun où l’on accroît la proportion de malades candidats à une chirurgie d’exérèse hépatique notamment en ne réséquant des tumeurs qui, il y a encore peu de temps, étaient considérées comme inopérables. La chimiothérapie des métastases colorectales (MCR) a vu son efficacité s’accroître par l’utilisation de nouvelles substances. Plus de 10 % de malades considérés comme initialement irrésécables peuvent être réséqués après avoir reçu une chimiothérapie [12]. Ces bons résultats de la chimiothérapie conduisent de nombreux auteurs à élargir ce traitement médical aux malades ayant des métastases résécables. Il a été démontré que la chimiothérapie périopératoire améliorait la survie des malades ayant eu une résection de MCR [13]. Cette nouvelle stratégie entraîne cependant des modifications du parenchyme hépatique qui peuvent diminuer leur tolérance aux hépatectomies majeures [14]. Le foie de chimiothérapie est une nouvelle entité qui doit être prise en compte avant une hépatectomie. Les lésions induites par la chimiothérapie sont représentées par : — une stéatose ; — une stéato-fibrose et — des lésions vasculaires qui peuvent associer des foyers hémorragiques sinusoïdaux, une obstruction sinusoïdale avec une fibrose pouvant aboutir à une hyperplasie nodulaire régénérative [15]. La stéato-fibrose et les lésions vasculaires appelées SOS [16] dans la littérature anglo-saxonne s’observent après utilisation d’Oxaliplatine et elles augmentent le risque des hépatectomies majeures [16]. Une nouvelle classe de chimiothérapie utilisant des thérapeutiques ciblées sur l’angiogénèse des métastases semble également susceptible d’entraîner une augmentation du risque opératoire en modifiant les capacités de régénération du parenchyme hépatique (observation personnelle).

Tous ces éléments justifient une approche différente avant hépatectomie majeure pour MCR chez les malades ayant eu une chimiothérapie soit en essayant de restreindre l’étendue de l’exérèse hépatique, soit en hypertrophiant le futur foie restant par une occlusion du foie portal du territoire qui doit être réséqué.

La radiologie a réalisé des progrès considérables pour mieux localiser et mieux définir les tumeurs hépatiques. La diminution du risque opératoire des hépatectomies passe par une réduction de leurs indications en cas de tumeurs bénignes et par la transformation des interventions urgentes en électives. Il est maintenant bien admis que la quasi-totalité des tumeurs bénignes de petite taille (< 5 cm) peuvent être surveillées. Les ruptures des adénomes sont traitées par embolisation ce qui permet de les opérer électivement plusieurs mois après [17]. Ainsi la radiologie entre dans une nouvelle ère dont l’objectif est aussi de préparer les malades à une
chirurgie d’exérèse hépatique. Elle inaugure une stratégie en deux temps qui permet d’élargir certaines indications de résection extensive en hypertrophiant le parenchyme qui doit être préservé par une embolisation portale de la zone à réséquer. Elle permet également de réaliser des drainages biliaires électifs, parfois eux-mêmes associés à une embolisation portale d’autres territoires, pour améliorer la tolérance de certaines hépatectomies sur un foie de cholestase. Les chirurgiens eux-mêmes, forts de leurs progrès techniques sont moins hésitants à proposer des hépatectomies itératives chez des malades ayant une récidive tumorale, une chirurgie d’exérèse hépatique en plusieurs temps.

Cet acharnement à pousser toujours plus loin les indications d’exérèses hépatiques carcinologiquement justifiées ; elles permettent de prolonger la survie voire d’obtenir une guérison chez un nombre croissant de malades. Cette nouvelle spécialité chirurgicale ne pourra se développer que si se mettent en place des programmes thérapeutiques pluridisciplinaires dans des structures spécialisées. La concentration des hépatectomies dans les centres spécialisés améliore le risque de l’acte chirurgical mais aussi le pronostic des malades opérés de lésions carcinologiques [3].

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* Service de chirurgie hépatobilio pancréatique, Hôpital Beaujon, 100 bld du Général Leclerc, 92110 Clichy. Tirés à part : Professeur Jacques BELGHITI, même adresse Article reçu et accepté le 26 novembre 2007

Bull. Acad. Natle Méd., 2007, 191, no 8, 1641-1646, séance du 27 novembre 2007