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Au nom de trois groupes de travail **
Les nouveaux vaccins papillomavirus
Pierre BÉGUÉ *
Les papillomavirus humains (HPV), qui comptent au moins cent-vingts génotypes, se multiplient dans la peau et les muqueuses, contaminées essentiellement par contact cutané et sexuel. Ils sont responsables de maladies cutanées, dominées par les verrues, et de localisations génitales soit bénignes, les condylomes ano-génitaux, soit malignes ou à potentiel malin, les dysplasies et surtout le cancer du col utérin mais aussi les cancers de la vulve et de l’anus.
La voie de transmission des HPV chez les filles et les garçons est principalement la voie sexuelle dès les premiers rapports (en France l’âge moyen des premiers rapports chez les filles serait de dix-sept ans, 18 % à quinze ans). La plupart du temps l’infection est transitoire et asymptomatique, l’élimination lente en un à trois ans étant due à la réponse immunitaire par des anticorps neutralisants contre les épitopes des protéines de capsides L1 et L2. Le portage prolongé est possible, prédisposant, chez la femme, après une phase de latence parfois très longue, à l’évolution vers une dysplasie du col, lésion précancéreuse ou cancéreuse, s’il s’agit d’un HPV à haut risque. La séroprévalence maximale se situe entre vingt et trente ans.
Il existe deux groupes de virus HPV à tropisme génital : les virus à bas risque oncogène et les virus à haut risque oncogène (quinze génotypes). Les HPV à *
Membre de l’Académie nationale de médecine
bas risque sont la cause de condylomes génitaux et de lésions dysplasiques du col de bas grade. Les génotypes les plus fréquents sont l’HPV 6 et l’HPV 11, dont le risque carcinogène est exceptionnel.
Les HPV à haut risque sont responsables de dyplasies du col utérin de haut grade et des cancers du col. Les HPV16 et18 sont le plus souvent en cause. Le type 16 est cosmopolite, à l’origine de plus de 50 % des tumeurs. Le type 18 est plus souvent présent en Asie du Sud-Est (10 à 12 % des tumeurs). Les génotypes 45 et 31 sont plus rares (8 % et 5 % des tumeurs respectivement).
Très fréquent, le cancer du col se situe en seconde position des cancers dans le monde, avec 470 000 nouveaux cas qui sont la cause de 190 000 décès par an. En France il est en huitième position avec environ 3 500 nouveaux cas et 1 000 décès déclarés en 2000. Dans 99 % des cas un HPV est détecté. Le dépistage du cancer du col, recommandé à l’échelon individuel en France, aboutit à 6 000 000 de frottis par an.
Deux vaccins papillomavirus, quadrivalent et bivalent, récemment mis au point, ont pour objectif principal la prévention du cancer du col utérin. Ces deux vaccins recombinants sont formés de pseudo-particules virales (VLP) fabriquées par auto-assemblage de la protéine majeure L1. Le vaccin quadrivalent (Gardasil® laboratoires Merck) contient 4 VLP des HPV 16, 18, 6 et 11. Le vaccin bivalent (Cervarix® laboratoires GSK) est composé de deux VLP des HPV 16 et 18.
Les essais comparatifs du vaccin quadrivalent versus placebo ont concerné plus de 20 000 femmes de seize à vingt-six ans. La surveillance des lésions génitales et des dysplasies sur deux à quatre ans a démontré la grande efficacité de ce vaccin. Aucune des femmes vaccinées, et n’ayant jamais été préalablement infectées par HPV 6, 11, 16 ou 18, n’a développé de dysplasie de haut grade du col utérin par HPV 16 ou 18. En revanche 53 femmes sur 8 460 non vaccinées ont présenté des lésions. De même les verrues et condylomes génitaux provoqués par ces 4 HPV n’ont été observés que chez une seule femme vaccinée contre 91 chez les femmes du groupe placebo. Ces vaccins produisent une réponse immunitaire humorale constante et plus forte que celle observée après l’infection naturelle. La durée de la protection n’est pas établie au delà de deux ans mais un essai a permis d’observer une réponse sérologique anamnestique rapide et forte chez des sujets revaccinés cinq ans après leur première série vaccinale. La tolérance générale et locale est bonne dans tous les essais. Ces résultats soutiennent l’indication de ce vaccin qui est la prévention des lésions dysplasiques du col utérin, du cancer du col, des condylomes acuminés dus aux HPV 6, 11, 16 et 18. L’administration se fait en trois injections IM à 0, 2 et 6 mois.
Le vaccin bivalent 16,18 est en voie d’enregistrement. Les essais publiés et portant sur plus de 1 000 femmes vaccinées permettent d’évaluer, à ce jour, la durée de la protection contre les lésions néoplasiques du col à 4,5 ans et une
immunogénicité persistante chez 98 % des femmes. Ce vaccin ne concerne que le cancer du col utérin, à HPV 16 et 18.
Seul le vaccin quadrivalent est actuellement disponible en France. Il a obtenu en 2006 l’autorisation de la FDA aux États-Unis et celle de l’EMEA (European Medicine Agency) en Europe. Aux États-Unis il est recommandé par l’ACIP (Advisory Committee on Immunization Practice) avant le début de l’activité sexuelle soit, pour les filles à 11-12 ans, mais il peut être administré dès neuf ans ; un rattrapage est proposé pour les filles de treize à vingt-six ans [1]. En France le Conseil Supérieur d’Hygiène Publique a recommandé la vaccination par le vaccin HPV pour les jeunes filles de 14 ans et un rattrapage pour les jeunes filles et les jeunes femmes de 15 à 23 ans sous certaines conditions. [2] Questions posées par les vaccins papillomavirus
L’application de la vaccination HPV ne doit pas remettre en question le dépistage actuel du cancer du col utérin en France, comme dans tous les pays qui le pratiquent. Il serait en effet préjudiciable à la santé publique que cette vaccination qui, dans les meilleurs des cas, ne pourra assurer que 70 % de la prévention des cancers du col en raison de la limitation des sérotypes vaccinaux présents, fasse négliger le renforcement et l’organisation de ce dépistage en France. Il serait utile de préciser les conditions techniques du dépistage : cytologie par frottis conventionnels ou en milieu liquide et/ou tests de détection des HPV oncogènes.
Qui vacciner ? Quand vacciner ? Ces vaccins sont en premier lieu destinés aux filles de onze-douze ans, soit avant l’âge des premiers rapports sexuels (ce choix est celui proposé par le calendrier vaccinal américain, qui comporte aussi la possibilité de vacciner plus tôt à partir de neuf ans et de pratiquer le rattrapage des jeunes femmes de treize à vingt-six ans). La vaccination des garçons serait aussi à discuter, pour favoriser l’interruption de la transmission, car ils constituent un réservoir des HPV génitaux. Cependant des inconnues scientifiques persistent sur la valeur protectrice du vaccin chez le garçon et sur la prévention éventuelle du portage rendant difficile actuellement l’évaluation du rapport coût-efficacité. [3] La durée de la protection. Les rappels . Les enquêtes de suivi sont encore limitées, en raison de l’existence récente de ces vaccins. La durée de la protection connue à ce jour est de 4,5 ans pour le vaccin bivalent et la persistance d’anticorps a été constatée à cinq ans pour le vaccin quadrivalent.
La nécessité d’un rappel et ses modalités ne sont donc pas encore établies. Un suivi des personnes vaccinées ainsi que celui des effets secondaires immé- diats, à moyen et à long terme devra être mis en place, associant l’industrie et les instances de Santé publique.
Le coût de la vaccination. Le rapport coût-efficacité de cette vaccination (le coût d’une dose de vaccin quadrivalent est de cent quarante-cinq euros en France) est à évaluer en tenant compte de la politique de dépistage du cancer du col, de ses modalités et de ses évolutions possibles, selon l’extension de la vaccination dans la population. Des études de simulation seront indispensables, pour tenir compte des facteurs multiples qui sont mis en jeu. Une mention particulière doit être faite pour les pays en voie de développement : 80 % des décès par cancer du col dans le monde y sont observés, alors que son dépistage n’y est pas institué. L’impact du vaccin, malgré son coût élevé, devrait y être évalué sur des critères différents. [4] Qualité de l’information. L’information, essentielle, devra concerner les adolescents, les femmes, les familles mais aussi l’ensemble des personnels de santé. Elle est nécessaire mais difficile pour ce type de message de prévention, qui ne doit amoindrir ni celui du dépistage du cancer du col utérin ni celui du dépistage des autres IST. Elle devra aussi tenir compte de l’environnement socio-culturel de la population concernée, en fonction de l’âge auquel le vaccin sera proposé.
En conclusion , les vaccins papillomavirus sont les deuxièmes vaccins actifs sur un cancer humain, après celui de l’hépatite B. Ce sont des vaccins efficaces et bien tolérés d’après les premières données publiées. Ils constituent donc un progrès important pour la santé publique, mais, si leur application apparaît nécessaire, elle doit être néanmoins soigneusement concertée et évaluée.
BIBLIOGRAPHIE [1] ACIP. Provisional recommendations for the use of quadrivalent HPV vaccine.
www.cdc.gov [2] Ministère de la santé et des solidarités. Avis du Conseil supérieur d’hygiène publique de France relative à la vaccination antipapillomavirus type 16 et 18 (séance du 9 mars 2007) [3] COURSAGET P., TOUZÉ A. — Les vaccins contre les papillomavirus. Virologie , 2006, 10 , 353-68.
[4] KANE M.A, SHERRIS J., COURSAGET P., AGUADO T., CUTTS F. — HPV vaccine use in the developing world. Vaccine , 24S3, (2006), S3/132-S3/139.
Bull. Acad. Natle Méd., 2007, 191, no 3, 625-628, séance du 27 mars 2007