Résumé
La surveillance épidémiologique dans les armées françaises a dû prendre en compte les changements observés ces dernières décennies dans le domaine des maladies infectieuses. En effet, avec l’explosion de l’endémie VIH, l’extension de la résistance de Plasmodium falciparum dans tous les pays tropicaux et la survenue de maladies émergentes, les armées ont été confrontées à de nouveaux risques. Ils sont infectieux avec les agents de la menace bio terroriste et environnementaux avec la rencontre de risques industriels et professionnels. C’est pour ces raisons que le service de santé des armées a instauré un nouveau concept reposant sur une surveillance épidémiologique active des maladies transmissibles, une veille renforcée portant sur la santé humaine, animale, vectorielle et environnementale. Elle complète ce dispositif par un système d’information géographique dont l’objectif est d’obtenir une surveillance temporelle et spatiale des maladies transmissibles et de détecter précocement d’éventuelles maladies émergentes. Avec ce système d’information épidémiologique, il est possible grâce à la modélisation de données d’enrichir le renseignement médical délivré aux états majors avant le déploiement d’une force armée sur un théâtre inconnu.
Summary
Epidemiological surveillance within the French Armed Forces has had to take into account various changes in infectious diseases in recent years. The French Armed Forces are encountering new hazards, such as the spread of HIV infection, Plasmodium falciparum chemoresistance, and outbreaks of emerging diseases. Bioterrorism, industrial and occupational hazards are added concerns. For these reasons, the French Military Medical Service has introduced a new concept based on permanent epidemiological surveillance of communicable diseases. This is completed by a real-time spatial surveillance designed to detect very rapidly potential communicable diseases or new emerging diseases. This epidemiological system, based on data modeling, enhances the medical information available to staff commands before deployment to new areas.
INTRODUCTION
Le service de santé des armées a récemment renforcé son système d’information épidémiologique utilisable dans un contexte multinational en s’appuyant sur une surveillance épidémiologique active, une veille renforcée multidisciplinaire, et une saisie en temps réel des informations. Cette démarche a tenu compte des risques liés au bioterrorisme et des changements survenus au cours des deux dernières décennies dans le domaine des maladies transmissibles. En effet, l’extension de la chimiorésistance de Plasmodium falciparum aux antimalariques, l’endémie VIH et les maladies émergentes ou reémergentes ont été les principaux enjeux auxquels a été confronté le service de santé des armées au cours de cette période. Dans le même temps, les opérations militaires se sont multipliées dans des régions nouvelles avec la rencontre de nouveaux risques. Ils sont infectieux naturels ou provoqués, et industriels comme ce fût le cas lors du dernier conflit des Balkans. Dans ce nouveau contexte, il a fallu adapter les stratégies de prévention et les systèmes épidémiologiques utilisés jusqu’ici. Le réseau de surveillance qui ne concernait que la santé humaine a dû s’élargir à la santé animale et intégrer la notion de risque vectoriel, environnemental et professionnel. Il fallait surtout fournir aux états majors des données utiles dans la programmation de leurs opérations. Pour y parvenir, il était indispensable de cartographier les risques et d’identifier les indicateurs précoces d’éclosion d’une maladie. Les avancées technologiques dans le domaine de la transmission satellitaire et de la communication permettent de répondre à ces objectifs.
UN DISPOSITIF PÉRENNE : LA SURVEILLANCE ÉPIDÉMIOLOGIQUE
L’objectif prioritaire de la surveillance épidémiologique (SE) dans les armées est de disposer d’un processus actif de collecte continue d’informations permettant le suivi
d’indicateurs de santé, l’analyse des données et l’identification de facteurs de risque.
Elle s’attache à détecter très précocement toute maladie transmissible à potentiel épidémique et tout phénomène morbide susceptible d’avoir un impact sur la collectivité et la capacité opérationnelle des forces. Tous les personnels militaires de la défense sont concernés quelque soit leur statut, leur lieu et conditions d’exercice en métropole, à l’étranger ou en interventions extérieures. Ses principaux objectifs sont d’évaluer l’incidence des maladies et lors d’un événement imprévu, d’initier dans des délais très courts des actions préventives, de mesurer leur impact et d’identifier des actions de recherche.
Dans les armées, ce système s’appuie sur les médecins d’unités et prend en compte un nombre limité d’affections (dont les maladies à déclaration obligatoire du code de la santé publique) ou d’événements qui sont reportés dans « une liste des maladies sous surveillance épidémiologique ». Celle-ci est régulièrement actualisée en fonction de l’évolution de la situation sanitaire et de l’émergence de nouvelles maladies infectieuses.
Pour répondre à cette mission de surveillance, le service de santé des armées, à l’instar de ce qui est mené dans de nombreux pays, s’appuie sur un réseau d’alerte et une déclaration épidémiologique hebdomadaire complétée le cas échéant d’une déclaration spécifique par maladie et d’enquêtes épidémiologiques ciblées [1, 2].
Le réseau d’alerte permet de détecter toute maladie transmissible à potentiel épidé- mique et donc à risque pour la collectivité. Il utilise tous les moyens de communications modernes et permet d’initier rapidement des actions curatives et/ou préventives vis-à-vis des cas identifiés, leur entourage et la collectivité. C’est par cette procédure que chaque année est déclaré tout nouveau cas de méningite à méningocoques, de légionellose et de toxi infection alimentaire collective. Plus récemment, elle a permis d’identifier en Côte d’Ivoire, une épidémie de fièvre typhoïde due à une souche résistante aux quinolones [3]. Ce dispositif est également très utile vis-à-vis de tout phénomène morbide jugé inhabituel par le médecin comme ce fut le cas lors de la découverte d’une allergie alimentaire à l’histamine chez 20 marins qui avaient consommé du poisson fumé. L’alerte avait été alors déclenchée après la constatation d’un érythème facial inexpliqué chez trois d’entre eux [4].
Le message épidémiologique s’appuie, en métropole et pour les forces positionnées en zone tropicale, sur une déclaration hebdomadaire, par les médecins d’unité qui enregistrent les maladies ou événements qui sont soumis à une surveillance au sein des armées. Il est ainsi possible de mesurer l’importance épidémiologique des événements déclarés, de dégager des tendances dans l’évolution en fonction du temps, d’évaluer les actions de prévention entreprises et d’identifier des événements majeurs qui n’auraient pas été déclarés par message d’alerte et qui nécessiteraient une intervention urgente. Cette procédure est complétée, pour les unités en missions opérationnelles, par un compte rendu d’activité sanitaire hebdomadaire (message CRASH) portant sur l’activité médicale (consultations, admissions à l’infirmerie…), le nombre de blessés, décès et leurs étiologies, les maladies soumises à déclaration
obligatoire, les maladies sexuellement transmissibles ainsi que les maladies infectieuses intéressant les armées comme le paludisme, les leishmanioses ou les hépatites. C’est grâce à ces deux systèmes que les épidémies de paludisme ont pu être rapidement décelées lors des opérations de maintien de l’ordre que nos forces ont menées en Afrique. L’opération LICORNE actuellement en cours en Côte d’Ivoire est l’exemple récent le plus démonstratif. La constatation d’une augmentation importante des cas de paludisme au cours du deuxième trimestre 2003 par rapport à des données de référence a déclenché une enquête épidémiologique qui a permis de renforcer les méthodes de lutte antivectorielle, de sensibiliser les combattants à une meilleure observance de la chimioprophylaxie et d’impliquer le commandement dans la lutte antipaludique. Cet ensemble de mesures a été rapidement suivi par une réduction significative du taux d’attaque du paludisme au sein des forces [5].
Un modèle déclaratif similaire a été mis en œuvre au sein des armées de l’OTAN. Il s’agit du système EPINATO [6] qui a été proposé par le Royaume Uni à l’ensemble des nations impliquées dans l’opération IFOR (Implementation Force) en ex-Yougoslavie. Depuis 1997, ce système de surveillance est en place dans toutes les formations sanitaires alliées participant à l’opération SFOR (Stabilisation Force) dont l’état major siège à Sarajevo. Les équipes de soins n’ayant ni le temps ni les moyens de porter des diagnostics, s’appuient pour conduire leur surveillance épidé- miologique sur une déclaration de symptômes ou de groupes de symptômes. Cette surveillance hebdomadaire a aussi l’avantage de préciser l’incidence des événements sur la charge de travail des formations sanitaires et la disponibilité des combattants.
Avec cette procédure standardisée, acceptée par toutes les nations de l’OTAN et désormais généralisée à tous les conflits, le commandement interallié dispose, à Bruxelles et sur le terrain, d’un aperçu global relativement homogène de la situation sanitaire de toutes les forces engagées sur tous les théâtres opérationnels.
DE LA SURVEILLANCE À LA VEILLE ÉPIDÉMIOLOGIQUE RENFORCÉE
La SE malgré ses avantages pour la détection et le suivi d’une épidémie ou de tout événement sanitaire imprévu a clairement montré ses limites lors des opérations extérieures que la France a conduit ces dernières années. En effet, les données épidémiologiques analysées sont totalement déconnectées du contexte local. L’état sanitaire des populations, l’environnement infectieux animal et vectoriel, la pré- sence de risques environnementaux ou professionnels sont autant de données absentes du dispositif d’analyse utilisé encore récemment.
Ainsi, le risque environnemental et professionnel est devenu une des priorités des armées de l’OTAN. C’est à l’issue de la découverte en mars 2000 de plombémies élevées chez des militaires en poste à Mitrovica au nord du Kosovo (ex-Yougoslavie) que les armées ont pris en compte l’importance de ce risque. Dans cet exemple, l’intoxication était liée aux déchets industriels d’une usine de plomb du complexe industriel serbe Trepca à Zvecan, au nord de Mitrovica [7]. L’exposition des
militaires aux risques environnementaux en opération extérieure était jusqu’ici mal suivie et la source de récriminations dont on a pu mesurer toute l’importance avec la problématique du « syndrome du Golfe » apparue à l’issue du premier conflit irakien en 1990. C’est pour cette raison, que l’état major des armées, convaincu de la nécessité d’une évaluation précise du risque environnemental a mis en œuvre une politique d’hygiène et de sécurité en opération (HSO) analogue à celle menée dans l’hygiène et la sécurité au travail. Elle a pour objectifs d’identifier les risques environnementaux, de contrôler les niveaux d’exposition, d’instaurer des mesures de prévention individuelles et collectives, d’assurer la traçabilité des expositions et le suivi médical des personnels éventuellement exposés. Avec la démarche HSO, il est désormais possible de mieux gérer les risques, d’optimiser les conditions de travail et de mieux protéger à l’avenir l’institution face à un contentieux toujours croissant.
La surveillance vectorielle et animale est aussi une composante essentielle de la SE.
Les maladies vectorielles transmissibles sont une préoccupation constante pour les armées appelées à intervenir en zone tropicale. Ainsi, chaque année, le paludisme, les arboviroses et les leishmanioses cutanéo-muqueuses sont les causes les plus fréquentes d’indisponibilité opérationnelle. Ce risque vectoriel est tout aussi prégnant sur les théâtres européens. Cela a été le cas pour la fièvre Crimée-Congo largement présente dans toute l’Europe centrale et qui a été un souci majeur pour les forces françaises et alliées lors du dernier conflit des Balkans avec la découverte de nombreux cas de fièvres hémorragiques au sein de la population du Kosovo [8].
C’est grâce à la surveillance vectorielle effectuée dans cette région qu’il a été également possible d’identifier par technique PCR la présence de la fièvre boutonneuse d’Astrakhan sur des tiques prélevées chez deux militaires français asymptomatiques du contingent de l’ONU [9].
Dans ce processus, la surveillance vétérinaire est un complément essentiel, car elle permet en détectant les épizooties d’avoir un marqueur prédictif de la survenue de cas humains. Cette démarche nouvelle a mis en évidence en 2002 une large circulation du virus de la fièvre de la vallée du Rift (FVR) dans les troupeaux de ruminants domestiques du Tchad. Les enquêtes sérologiques de prévalence effectuées sur le bétail avaient montré une présence récente et active du virus de la FVR (8 % des animaux testés avaient des anticorps de type IgG et 4,5 % des anticorps de type IgM). Bien que ces chiffres n’aient pas de valeur prédictive, il est probable qu’à la faveur de conditions écologiques favorables soit initiée une amplification virale susceptible d’évoluer vers une transmission humaine, source de cas sporadiques ou d’épidémie [10]. C’est dire l’importance d’une large implication des entomologistes et du secteur vétérinaire dans la surveillance des maladies transmissibles. La caractérisation morphologique, génétique et la connaissance de la dynamique de transmission des vecteurs est essentielle dans l’évaluation du risque du paludisme et des arboviroses. De même, la surveillance vétérinaire des animaux domestiques permet d’anticiper la survenue de nouvelles maladies émergentes. Les ruptures des barrières d’espèce que nous avons constaté ces dernières années avec les épidémies d’Hantaan virus, de SRAS et de grippe H5N1, sont là pour nous rappeler toute l’importance
d’une meilleure connaissance des maladies du monde animal et de leur possible transmission à l’homme.
Pour optimiser la SE, et fournir au commandement opérationnel une information précise sur les risques sanitaires encourus, le service de santé des armées a mis en place un réseau de veille renforcé prenant en compte ces différents paramètres.
L’objectif est d’identifier très tôt avant le déclenchement d’une opération, mais aussi pendant son déroulement les risques encourus par les forces armées. La base épidémiologique créée en 1998 à l’Institut de Médecine Tropicale du Service de santé des armées (base BEDOUIN, Marseille- Le Pharo) recueille ainsi toutes les informations validées sur la santé humaine, animale, et sur le risque environnemental des pays où nos forces sont ou peuvent être déployées. Cette base de données est alimentée en permanence par les informations fournies par les réseaux épidémiologiques de terrain, mais aussi par toutes les données obtenues auprès de sites épidémiologiques internationaux pertinents (PROMED, INVS, CDC, WHO Outbreak news, EDISAN…).
VERS UN CONCEPT DE SURVEILLANCE ÉPIDÉMIOLOGIQUE EN TEMPS RÉEL
L’identification des maladies émergentes et des clusters épidémiques est souvent faite a postériori sur la base des données déclaratives des systèmes d’alerte et de surveillance épidémiologique utilisés par la plupart des pays. Les progrès réalisés dans le domaine de la transmission satellitaire et dans le développement des outils numériques permettent aujourd’hui d’envisager un nouveau concept de SE utilisant le temps réel, le géoréférencement et le suivi temporo spatial. Ainsi, l’apport des systèmes d’information géographique (SIG) pourrait être considérable pour la santé publique en permettant d’identifier et de résoudre très précocement tout événement inopiné susceptible d’avoir un impact sur la collectivité [11]. Ce nouvel outil permet de recueillir en temps réel des informations sanitaires, de les confronter à de nombreux paramètres environnementaux : pluviométrie, indices de végétation, température, hygrométrie, importance et direction des vents…) et aux flux migratoires humains, animaux ou vectoriels. Il est alors possible grâce aux modèles biomathématiques de prévoir et de suivre la dynamique des maladies transmissibles. La Grande Bretagne et les Etats Unis ont développé ce système avec un bénéfice indéniable dans la gestion des épidémies. Lors de l’attaque du virus West Nile dans l’état du Maryland de 1999 à 2001, une étroite convergence a été observée entre la circulation de virus, les populations d’Aedes responsables de la transmission, et les réservoirs animaux [12]. Il en a été de même lors de l’épidémie de dengue hémorragique survenue à Dhaka (Bengladesh) en 2000 où le SIG a précisé les modalités de transmission et l’étroite corrélation entre la répartition spatiale des populations d’ Aedes albopictus et les foyers de patients [13]. Ce système a été aussi utilisé dans la surveillance de nombreuses maladies à transmission vectorielle comme le palu-
disme, la trypanosomiase (THA) ou les leishmanioses. Ainsi, les études effectuées en Afrique sur la dynamique anophélienne ont montré une relation étroite entre les sites de reproduction des anophèles, les données pluviométriques et la prévalence du paludisme. Il est ainsi possible avec l’aide des données satellitaires d’établir une cartographie des zones à risque et de prioriser les actions de santé publique. Cette approche géosatellitaire est une des actions du programme « Roll Back Malaria » qui offre sur son site web un suivi en temps quasi réel de la dynamique des zones de transmission anophélienne (http : //www.rbm.who.int) [14, 15]. L’approche spatialisée a aussi été utilisée en Côte d’Ivoire pour connaître la cartographie des gîtes de glossines et les foyers de transmission de la THA [16].
Un tel système aurait un indéniable intérêt dans la lutte contre le bioterrorisme et dans la détection et le suivi des récentes épidémies de SRAS et de grippe aviaire H5N1 [17]. C’est pour cette raison que l’OTAN, dans sa stratégie de lutte contre le risque biologique provoqué, a décidé en novembre 2002 lors du sommet de Prague, d’instaurer la surveillance épidémiologique en temps réel comme une priorité. Le service de santé des armées a été chargé en collaboration avec la Grande Bretagne, de mettre en place ce système au sein des forces alliées. Pour développer son concept, il s’appuie sur les expériences du système PRISM (Prototype Remote Illness and Symptom Monitor) testé récemment par l’armée britannique en Irak et sur le système EMERCASE utilisé par les vétérinaires pour la surveillance en temps réel des troupeaux de ruminants touchés par la FVR dans la vallée du fleuve Sénégal [11]. Dans ce programme, il est possible de suivre sur image satellite les déplacements des troupeaux et en détectant les facteurs environnementaux associés à la présence du virus de la FVR de prédire très tôt la survenue d’une épidémie. Toutefois, malgré les perspectives séduisantes suscitées par un tel système d’information, il convient de rester prudent car ce concept récent n’a pour le moment pas été évalué en terme de sensibilité et de spécificité et nécessite l’identification de seuils. C’est pour cette raison, que le service de santé des armées, en collaboration avec le CNES et l’Institut Pasteur de Guyane met en place un système d’information épidémiologique en temps réel au sein des forces armées de Guyane pour la détection précoce des épidémies d’arboviroses. Ce projet intitulé S2E— FAG a pour objectif d’apprécier son intérêt pour la surveillance d’une maladie à fort potentiel épidémique et de l’étendre ensuite à d’autres affections. Avec cet outil associant une saisie numérique faite par chaque acteur de santé et les données satellitaires, la surveillance spatiale et temporelle des maladies émergentes dans des populations exposées à des changements écologiques et/ou sociétaux pourrait être assurée. Les forces armées disposeraient ainsi d’un système d’alerte précoce, automatisé, standardisé, basé sur le recueil de symptômes ou de groupements de symptômes avec une saisie des données en temps quasiment réel par tout acteur de la chaîne de santé. Cette surveillance continue et instantanée serait avec la veille et les enquêtes un des constituants du système d’information épidémiologique dont l’objectif est d’enrichir le renseignement effectué par les états majors dans la phase pré décisionnelle précédant le déploiement d’une force armée.
En définitive, le nouveau dispositif instauré au sein des forces françaises s’inscrit pleinement dans le contexte géostratégique actuel. Avec la multiplication des opé- rations extérieures, la montée des menaces asymétriques et l’augmentation constante des dossiers contentieux générés après chaque conflit armé, il était impérieux de revoir le dispositif épidémiologique qui avait jusqu’ici rendu d’indéniables services. Pour réussir dans cette démarche, il était essentiel de détecter très précocement les premiers signes d’un phénomène morbide susceptible d’impacter la collectivité.
Le bio terrorisme, les maladies virales émergentes dont le nombre augmente chaque année nous incitent à intervenir très tôt dans la chaîne diagnostique. Le réseau de veille épidémiologique doit être le plus large possible. Il doit être alimenté par le maximum de données sur la santé de nos militaires, sur l’état sanitaire des populations locales mais aussi animales et disposer de données environnementales, vectorielles et géoclimatiques. Ce recueil doit se faire idéalement en temps quasi réel pour avoir une plus grande réactivité en s’aidant des progrès de la technologie numérique et satellitaire. Certes, ce système qui est à sa phase initiale pourrait être perçu comme conceptuel. Mais c’est la voie qui a été choisie par l’épidémiologie moderne. Le service de santé des armées français et son homologue britannique sont sur ce point des promoteurs dont l’OTAN et le processus ECAP 1 tireront à terme d’indéniables bénéfices. Mais pour réussir dans cette démarche, il faudra obtenir une large adhésion de tous les acteurs de la chaîne de santé à cette nouvelle approche épidémiologique.
BIBLIOGRAPHIE [1] DESROSIERS G., JENICEK M. — Situation présente et perspectives d’avenir de la surveillance épidémiologique dans le cadre du nouveau système de santé au Quebec . Rev. Epidemiol. Santé.
Publique., 1977 , 25 : 361-374.
[2] ROTHMAN K.J, GREENLAND S., BUEHLER J.W. — Surveillance. In : Modern Epidemiology-USA, Lippincott-Raven 1998 : 435-437.
[3] GARNOTEL G., MICHEL M., TRAN P., BERNIGAUD E., SPIEGEL A., MORILLON M. — Enquête sur une épidémie survenue au sein d’une unité stationnée en République de Côte d’Ivoire en 2001 :
implications vaccinales . Med. Trop., 20È0, 62 : 288.
[4] BOUTIN J.P., PUYHARDY J.M., CHIANEA D. et al. — A propos d’une toxi-infection alimentaire collective (TIAC) à l’histamine survenue à Brest . Bull. Epidemiol. Hebdo., 1997, 25 : 116-117.
[5] MIGLIANI R., JOSSE R., HOVETTE P. et al. — Le paludisme vu des tranchées : le cas de la Côte d’Ivoire en 2002-2003.
Med. Trop., 2003, 63 : 282-286.
[6] PASCAL B., JOSSE R., JEFFERSON T. et al. — EPINATO : Un outil d’observation de la santé des militaires en opération OTAN.
Rev Intern des Services de Santé des Forces armées 1998, LXXI :
4-6.
[7] CUNEY T., BOULAIS C., OLLICHON D. et al. — Évaluation et surveillance de l’exposition au plomb des militaires français à Mitrovica, Kosovo . Bull. Epidémiol. Hebdo., 2002, 34 : 165-167.
1 ECAP : European capability action plan
[8] JOSSE R., DECAM C., GRANIER. et al. — Émergence d’une épidémie de fièvre hémorragique virale en OPEX : réactivité du service de santé des armées.
Med et Armées., 2002, 30 : 155-160.
[9] FOURNIER P.E., DURAND J.P., ROLAIN J.M., CAMICAS J.L., TOLOU H., RAOULT D. — Detection of Astrakhan fever rickettsia from ticks in Kosovo. Ann. N Y. Acad. Sci., 2O00, 990 : 158-161.
[10] DURAND J.P., BOULOY M., RICHECŒUR L., PEYREFITTE C.N., TOLOU H. — Rift Valley fever virus infection among French troops in Chad. Emerg. Infect. Dis., 2003, 9 : 751-752.
[11] MEYNARD J.B., ORLANDI E., ROGIER C. et al. — Utilisation des satellites dans le domaine de la santé publique en milieu tropical.
Med. Trop., 2003, 63 : 7-18.
[12] KUTZ F.W., WADE T.G., PAGAC B.B. — A geospatial study of the potential of two exotic species of mosquitoes to impact the epidemiology of West Nile virus in Maryland. J. Travel.
Med., 2002, 9 : 308-314.
[13] ALI M., WAGATSUMA Y., EMCH M., BREIMAN R.F. — Use of geographic information system for defining spatial risk for dengue transmission in Bengladesh : Role for Aedes Albopictus in an urban outbreak . . Am. J. Trop. Med. Hyg., 2003, 69 : 634-640.
[14] World Health Organization. Web-based tool for early warning of malaria epidemics in Africa :
monitoring current rainfall anomalies in zones at epidemic risk. Weekly. Epidemiological.
Record., 2002, 32 : 276.
[15] CLABORN D.M., MAZUOKA P.M., KLEIN T.A. et al. — A cost comparison of two malaria control methods in Kyunggi province, Republic of Korea, using remote sensing and geographic informations systems. Am. J. Trop. Med. Hyg., 2002, 66 : 680-685.
[16] LOINTIER M., TRUC P., DRAPEAU L. et al. — Methodologie de détermination de zones à risque de maladie du sommeil en Côte d’Ivoire par approche spatialisée.
Med. Trop., 2001, 61 : 390-396.
[17] BUEHLER J.W., BERKELMAN R.L., HARTLEY D.M, PETERS C.J. — Syndromic Surveillance and Bioterrorism-related Epidemics. Emerg. Infect. Dis., 2003, 9 : 1197-1204.
DISCUSSION
M. Guy BLAUDIN de THÉ
Étant donné la diversité géographique des forces françaises en opérations extérieures, existe-t-il, à l’institut Pasteur de Cayenne, une permanence 24h/24 ? La cellule pasteurienne de Cayenne est-elle militaire ou civile ?
La cellule de l’Institut Pasteur de Cayenne chargée de suivre le programme de surveillance épidémiologique en temps réel des épidémies aux sein des forces armées de Guyane, est tenue par un médecin du service de santé des armées, spécialiste de santé publique. Le dispositif est actuellement en phase d’installation et de validation et a pour finalité d’être opérationnel 24h/24.
M. Charles LAVERDANT
Quelle est la démarche utilisée par le service de santé des armées pour mener sa veille environnementale ? Le dispositif mis en place pourra-t-il, à l’avenir, répondre plus facilement à une problématique similaire à celle de la guerre du Golfe ?
L’expérience du dernier conflit des Balkans et en particulier du Kosovo où les forces françaises étaient positionnées ont bien mis en évidence l’impérieuse nécessité d’une surveillance environnementale. Il existait sur le site de Mitrovica une forte pollution en plomb de l’atmosphère, du sol et des nappes phréatiques. C’est pour cette raison que le service de santé des armées et l’état major des armées ont instauré une démarche d’hygiène et de sécurité en opérations, plus communément appelée HSO. Celle-ci est très proche dans sa démarche de l’hygiène et de la sécurité et santé au travail. Elle consiste avant le déploiement d’une force sur un théâtre inconnu d’évaluer le niveau de salubrité de la zone (risque technologique, industriel, NRBC, environnemental), de définir les niveaux acceptables d’exposition à d’éventuels toxiques industriels, et mettre le cas échéant des procédures de contrôle et de tracabilité de nos personnels. Au décours de l’opération, la démarche HSO doit s’assurer de la salubrité de la zone et mettre en œuvre tous les moyens nécessaires pour le suivi des personnels militaires éventuellement exposés. Cette démarche HSO ne concerne que les militaires et est instaurée lors de toute opération extérieure qu’elle soit nationale, multinationale ou dans le cadre de l’OTAN.
Elle pourra aussi être appliquée lors d’opérations intérieures futures similaires à celle qui a été utilisée lors de l’accident du Prestige. Les données obtenues chez les militaires et anciens militaires ayant pu être exposés à un risque environnemental seront à terme utilisées par la future base de données de l’observatoire de la santé des vétérans. Nous pourrons ainsi réaliser des études prospectives sur des problématiques similaires à celle de la guerre du Golfe où le recueil des données effectué a posteriori a été très difficile.
M. Bernard LAUNOIS
Pouvez-vous dire un mot sur le syndrome de la guerre du Golfe ?
L’enquête initiée par le ministère de la défense et effectuée par l’INSERM U330 de Bordeaux, dirigée par le professeur Salamon n’a pas mis en évidence de syndrome nouveau ou spécifique de la guerre du Golfe. En revanche, on retrouve chez les militaires qui ont participé à cette enquête rétrospective un ensemble de symptômes non spécifiques, plus fréquents que dans la population générale (insomnie, irritabilité, céphalées, lombalgies, sensation de fatigue…). De même, la prévalence d’affections congénitales et de malformations à la naissance dans la descendance des militaires ayant séjourné dans le Golfe lors de l’opération Daguet n’était pas significativement différente de celle constatée dans la population générale.
* Direction centrale du Service de santé des armées. BP : 125 ; 00459 armées. ** Service de Médecine des collectivités, HIA Robert Picqué, BP 28, 33998-Bordeaux *** Département de santé publique du service de santé des armées. Institut de Médecine Tropicale du service de santé des armées. BP 46 ; 13998-Marseille. **** Département de santé publique du service de santé des armées : HIA Begin, 69 avenue de Paris ; 94160 — Saint Mandé. Tirés-à-part : Médecin général Jean Étienne TOUZE, sous direction Action Scientifique et Technique. Direction centrale du Service de santé des armées. BP : 125 ; 00459 armées
Bull. Acad. Natle Méd., 2004, 188, no 7, 1143-1152, séance du 12 octobre 2004