Résumé
Certaines propriétés toxiques incitent le législateur à identifier et étiqueter les nanoparticules de manière spécifique. Cette approche répond à l’esprit du règlement REACH qui ambitionne de n’offrir au consommateur que des produits connus pour les risques qu’ils entraînent pour la santé de l’homme et la préservation de l’environnement. Cette ambition doit cependant tenir compte d’un contingent environnemental majoritaire de nanoparticules naturelles ; elle doit également prendre en compte que dans tout mélange de particules on ne peut exclure la présence d’une fraction de taille nanométrique du fait des lois de distribution statistique. Par ailleurs si certaines propriétés toxiques sont communes aux nanoparticules comme agents de stress oxydatif, ces propriétés ne sont pas uniquement dues à la taille des particules mais aussi à leur forme, à leur état de surface et à leur composition. Il paraît donc souhaitable de traiter le problème de la toxicité des nanoparticules de manière spécifique à chaque substance ou groupe de substances en introduisant dans leur évaluation d’impact une clause particulière dans le cas de la préparation intentionnelle de ces substances à l’état nanoparticulaire. Les modalités de concentration/dilution et la durabilité des nanoparticules dans le milieu, notamment dans les eaux et les boues résiduaires, mises en évidence dans le cas de l’argent et de l’oxyde de titane suggèrent que le comportement des nanoparticules dans l’environnement doit être surveillé.
Summary
In view of the toxic properties of nanoparticles, the authorities require them to be specifically identified and labeled. This is in keeping with the spirit of the REACH legislation, which aims to protect consumers from products with inadequately documented risks for human health and the environment. However, the presence of natural nanoparticles in the environment must also be taken into account, together with the fact that, in any mixture of particles, the presence of a fraction of nanometer-sized particles cannot be ruled out, owing to the laws of statistical distribution. Moreover, while all toxic nanoparticles generate oxidative stress, their properties are not due solely to their size but also to their shape, surface texture and composition. Thus, nanoparticle toxicity should be considered specifically for each substance or group of substances, and the notion of intentional manufacture of nano-sized particles should be included in the impact assessment. The conditions of nanoparticle concentration/dilution and persistence, especially in water and sewage sludge, exemplified by silver and titanium oxide, suggest that nanoparticle behavior in the environment should be monitored.
Informationnanoparticules/toxicite, réglementation gouvernementaleAre nanoparticles a new class of environmental toxin ?government regulation, nanoparticles/toxicityRoland Masse, Claude BoudèneCertaines propriétés toxiques incitent le législateur à identifier et étiqueter les nanoparticules de manière spécifique. Cette approche répond à l’esprit du règlement REACH qui ambitionne de n’offrir au consommateur que des produits connus pour les risques qu’ils entraînent pour la santé de l’homme et la préservation de l’environnement. Cette ambition doit cependant tenir compte d’un contingent environnemental majoritaire de nanoparticules naturelles ; elle doit également prendre en compte que dans tout mélange de particules on ne peut exclure la présence d’une fraction de taille nanométrique du fait des lois de distribution statistique. Par ailleurs si certaines propriétés toxiques sont communes aux nanoparticules comme agents de stress oxydatif, ces propriétés ne sont pas uniquement dues à la taille des particules mais aussi à leur forme, à leur état de surface et à leur composition. Il paraît donc souhaitable de traiter le problème de la toxicité des nanoparticules de manière spécifique à chaque substance ou groupe de substances en introduisant dans leur évaluation d’impact une clause particulière dans le cas de la préparation intentionnelle de ces substances à l’état nanoparticulaire. Les modalités de concentration/dilution et la durabilité des nanoparticules dans le milieu, notamment dans les eaux et les boues résiduaires, mises en évidence dans le cas de l’argent et de l’oxyde de titane suggèrent que le comportement des nanoparticules dans l’environnement doit être surveillé.
In view of the toxic properties of nanoparticles, the authorities require them to be specifically identified and labeled. This is in keeping with the spirit of the REACH legislation, which aims to protect consumers from products with inadequately documented risks for human health and the environment. However, the presence of natural nanoparticles in the environment must also be taken into account, together with the fact that, in any mixture of particles, the presence of a fraction of nanometer-sized particles cannot be ruled out, owing to the laws of statistical distribution. Moreover, while all toxic nanoparticles generate oxidative stress, their properties are not due solely to their size but also to their shape, surface texture and composition. Thus, nanoparticle toxicity should be considered specifically for each substance or group of substances, and the notion of intentional manufacture of nano-sized particles should be included in the impact assessment. The conditions of nanoparticle concentration/dilution and persistence, especially in water and sewage sludge, exemplified by silver and titanium oxide, suggest that nanoparticle behavior in the environment should be monitored.
Vers une réglementation des nanoparticules
L’étude de leurs propriétés toxiques montre qu’au dessous d’une dimension de 100 nm les particules réputées peu toxiques comme l’oxyde de zinc, très utilisé en cosmétologie, peuvent acquérir un potentiel toxique différent de celui des particules micrométriques [10]. L’essor des nanotechnologies depuis les années 80 a permis de donner de nouvelles fonctions à différents nano-objets et l’industrie a rapidement utilisé la matière à l’état de quelques groupes d’atomes ou de molécules, de taille inférieure à 100 nm, pour les besoins aussi divers que ceux de la cosmétologie, de la pharmacie et des biocides, de la peinture, des textiles, des matériaux, des catalyseurs et de l’électronique pour ne citer que les usages les plus courants. Rapidement les nanoparticules ont ainsi envahi notre environnement quotidien : dans une revue récente [13] il est considéré qu’elles sont désormais présentes dans plus de huit cents produits de consommation courante. Cette révolution industrielle s’est faite de manière relativement silencieuse jusque dans les années 2000 où l’opinion s’est inquiétée des conséquences sociétales de cette introduction furtive. Les nanotechnologies sont apparues mystérieuses et éventuellement porteuses de dangers incontrôlés : la présence des nanoparticules est indétectable, l’utilisation de nano-objets permet d’obtenir des renseignements divers sans alerter l’attention, et des propriétés attribuées à des nanorobots par des auteurs de science fiction ont laissé se développer le fantasme de la ‘’grey goo’’ hypothèse eschatologique d’une fin du monde par écophagie où toute l’énergie de la planète finit par se consumer en l’état de gelée grise !
Parallèlement, la présence de particules ultrafines dans l’air de nos cités, pollué par différentes sources, provenant de divers combustibles utilisés par l’industrie, le trafic routier et le chauffage, avaient fait l’objet d’une attention continue depuis plus de vingt ans au point qu’il ne subsiste guère de doute sur les conséquences sanitaires graves de ces particules sur les pathologies bronchiques, bronchopulmonaires et cardiovasculaires aux niveaux de concentrations où elles se trouvent actuellement [8].
Bien qu’il n’existe aucune étude épidémiologique attestant de l’impact sanitaire des nanoparticules manufacturées, les propriétés particulières des nanoparticules dans le milieu biologique peuvent laisser envisager un risque spécifique caractérisé par l’aspect nanoparticulaire, risque qui semble déjà fort probable pour les nanotubes de carbone, dont les propriétés semblent proches des fibres d’amiante. Ces problè- mes abordés avec passion dans le débat organisé en 2009 par la commission particulière du débat public, ont laissé l’impression d’un vide réglementaire qui tend à être comblé par un projet législatif, soumis à consultation en décembre 2010 par le Ministère de l’écologie du développement durable des transports et du logement.
Quels arguments militent en faveur de l’intérêt du législateur ?
On pourrait les résumer en retenant — le doute que ces substances puissent avoir ou non des effets toxiques insuffisamment établis — et l’absence de suivi de leur commercialisation dans le cadre de la mise en œuvre de la procédure Reach dont le principe directeur est ‘’no data no market’’ en matière de risque toxique. Si les nanoparticules constituent des toxiques spécifiques en raison de leur structure, par analogie avec les substances fibreuses par exemple, sans importance déterminante de leur constitution chimique, Reach ne permet pas de les réglementer. En outre, comme la limite de tonnage imposant déclaration est au niveau de la tonne, la possibilité d’appliquer cette règle à des substances dont la masse est infime peut se révéler insatisfaisante.
Comment les nanoparticules arrivent-elles dans notre environnement ?
La première source est naturelle et elle est abondante [3] : 90 % des nanoparticules présentes dans l’atmosphère sont d’origine naturelle et dues — à l’érosion éolienne (16,8 millions de tonnes) et aux poussières volcaniques, — aux sels marins (3,6 millions de tonnes), — aux produits de combustion de la biomasse (1,8 million de tonnes) auxquelles s’ajoutent les nanoparticules qui se forment spontanément dans les fumées en relation avec l’activité industrielle et domestique (1,4 million de tonnes), — et aux débris biologiques (évalués à 0,5 million de tonnes). Si l’on ajoute à cet inventaire sommaire les virus, il est clair que les nanoparticules ne sont pas une nouveauté dans notre environnement. Leur création manufacturée intentionnelle, peut elle-même être remontée jusqu’à l’antiquité pour certains fards, et pour la coloration des verres par l’or colloïdal sans doute à l’époque romaine, utilisation attestée au moyen-âge (pourpre de Cassius) pour la coloration différentielle des vitraux en fonction de la simple taille et de l’anisotropie de la préparation.
Néanmoins l’explosion des nanotechnologies ne remonte guère en deçà des années 80, au moment où a été découvert le microscope à effet tunnel et où on a mis en œuvre la synthèse, atome par atome, de nouveaux matériaux et objets dont l’une des tailles est nanométrique. A ce niveau les lois de la mécanique quantique deviennent prédominantes et permettent des assemblages atomiques impossibles à réaliser à l’échelle de la chimie physique conventionnelle.
Compte tenu de leur intérêt industriel certaines productions atteignent annuellement des volumes déjà considérables en France [1] : 485 000 tonnes de silice utilisées dans l’alimentation animale, les pneumatiques, les parfums, les ciments, les peintu- res et vernis ; 469 000 tonnes d’alumine, utilisées dans la plasturgie, les peintures et vernis, les céramiques et isolants, les composants électroniques ; 250 000 tonnes de dioxyde de titane, utilisées dans les pigments, les parfums et cosmétiques, les ciments, les verres et revêtements muraux, les équipements automobiles et aéronautiques, la dépollution de l’eau ; 240 000 tonnes de carbone, utilisées soit comme nanotubes dans les matières plastiques et matériaux, les pneumatiques, les accumulateurs, ou sous forme de noir de carbone utilisé dans la production chimique, les pneumatiques et caoutchoucs, les accumulateurs. D’autres produits à une échelle plus réduite interrogent en raison de leur toxicité mal connue. C’est le cas — des terres rares et des catalyseurs (platine, rhodium, palladium) utilisés dans les pots d’échappement, — ou de l’argent utilisé pour ses propriétés antiseptiques (quelques centaines de tonnes en Europe) ubiquitaire : deux cent trente cinq produits de consommation courante en contiennent, des chaussettes et linge de corps aux brosses à cheveux, emballages et suppléments alimentaires, machines à laver, produits antiseptiques divers, — ou encore l’oxyde de zinc, utilisé dans les peintures et cosmétiques comme pigment, dans les semi conducteurs et comme antiseptique. En France près de sept mille salariés sont exposés aux risques des nanoparticules, soit au cours de leur fabrication, soit de leur utilisation.
Quels mécanismes toxiques sont propres aux nano particules ?
Les nanotubes de carbone constituent une classe particulière en ce qu’ils ont un comportement déterminé par leur forme élémentaire qui les rapprochent des fibres d’amiante pour leur potentiel inflammatoire, et leur capacité à produire des mésothéliomes par injection intrapéritonéale chez des souris hétérozygotes pour p53 [14].
La toxicité spécifique des nanoparticules non tubulaires tient à la possibilité qu’ont les particules ultrafines de pénétrer les épithéliums, de diffuser globalement dans l’organisme et d’atteindre des cibles que ne permettraient ni la phase soluble de la même substance ni sa phase particulaire dans la gamme de tailles du micromètre.
Cette faculté est utilisée pour la vectorisation de médicaments dont les principes actifs sont greffés en surface de nanoparticules. Toutefois la possibilité de passer les barrières épithéliales est très variable selon les nanoparticules environnementales et selon la voie d’entrée, la voie pulmonaire étant la plus perméable [1, 13]. Il reste que le transfert, généralement faible, des nanoparticules les plus fines (2nm) au travers des alvéoles pulmonaires vers l’interstitium puis leur stockage dans les reins, les testicules, le thymus et le cerveau sont établis [1] de même que le passage transplacentaire des nanoparticules d’oxyde de titane vers les nerfs et le cerveau du fœtus dans des conditions massives d’exposition de la mère [15].
La faible taille des nanoparticules n’est pas favorable à leur phagocytose. La pénétration intracellulaire des nanoparticules se fait par les vésicules d’endocytose mais pas uniquement, certaines peuvent rester libres dans le cytoplasme, le noyau, les mitochondries. Leur internalisation est à l’origine d’un stress oxydatif qui est le phénomène le plus constant associé à leurs effets toxiques [4]. Ce stress oxydatif peut aboutir avec certaines particules à une génotoxicité. Elle est démontrée pour les particules de noir de carbone et bloquée par la N-acetyl cystéine. Les lésions induites dans l’ADN, ralentissent le cycle cellulaire et induisent la voie de signalisation pro inflammatoire NFkB et AP1 dépendante avec libération de cytokines [11].
Le nano argent a fait l’objet d’une synthèse détaillée [5]. Il est également à l’origine d’un stress oxydatif sur les cellules de mammifères, en particulier les cellules souches germinales et les cellules embryonnaires. Son action est distincte de celle de l’ion argent, en particulier à faible concentration. Il interagit avec le métabolisme mitochondrial, diminuant la concentration d’ATP, et ses effets cytotoxiques sont bloqués par le glutathion réduit, la SOD et la catalase. Ces phénomènes sont observés sur cellules humaines de même que des effets génotoxiques et un retard à la progression du cycle cellulaire en G2 sans effet majeur de nécrose ou apoptose [2].
Ces résultats ne peuvent cependant pas être étendus à l’ensemble des nano particules et dépendent beaucoup du test choisi [1]. En particulier les nano particules de TiO2 et de fullerènes n’ont d’effets génotoxiques que pour des concentrations très élevées, peu pertinentes pour la prédiction de risque en milieu environnemental.
Plus généralement, il est difficile de distinguer le potentiel toxique spécifique à chaque type de particule, de très nombreux paramètres sont impliqués et les résultats expérimentaux concernant les produits manufacturés sont contradictoires.
Cette situation semble résulter d’une définition incomplète des paramètres dans les modèles expérimentaux ; Hansen et al. [6] dans une revue de 965 données expérimentales montrent que les paramètres de forme, de surface spécifique, de charge et de réactivité de surface, rarement pris en compte, peuvent expliquer les divergences.
Par ailleurs si on dispose de nombreuses données in vitro , on ne dispose que de peu de données in vivo sur les possibilités de passage systémique. Par la voie cutanée par exemple si le passage des particules est bloqué sur une peau saine dans le stratum corneum par contre le transfert systémique est avéré sur des peaux lésées dans le cas du nano argent [9]. Les données par la voie digestive sont également rares mais le passage systémique des nanoparticules d’argent est également avéré [7]. Des nombreux travaux antérieurs ont d’ailleurs montré la possibilité de persorption de particules microniques au niveau de l’intestin en particulier au niveau des formations lymphoïdes associées (GALT).
Certaines nanoparticules accumulées dans le milieu menacent la biodiversité
La plupart des nanoparticules manufacturées sont enrobées de substances diverses qui en modifient la réactivité de surface et leur confèrent des propriétés de durabilité et d’affinité pour diverses structures biologiques membranaires. Le problème émergent de leur bio persistance et de leur accumulation dans le milieu en résulte, notamment dans les boues résiduaires et les sédiments des estuaires. Le lessivage des murs enduits aboutit à l’accumulation de nanoparticules de titane, également d’argent dont les sources sont multiples en raison de sa labilité très élevée dans les textiles ; l’usure des pneumatiques entraîne des nanoparticules de noir de carbone dans les eaux de pluie ; finalement ces éléments vont se retrouver dans la biosphère et provoquer chez certaines espèces des phénomènes de bioaccumulation et de toxicité dépendant de leur concentration de leur floculation et de leur état de surface.
Des modifications significatives de la biodiversité peuvent en résulter [12]. En 2010 le nano argent a été classé parmi les quinze substances les plus préoccupantes du point de vue de la biodiversité dans les eaux, altérant la photosynthèse chez les algues et perturbant la dénitrification des nappes [16] ; il est également à l’origine de résistances multiples chez diverses bactéries pathogènes [5]. Par ailleurs la dispersion des nanoparticules dans le milieu aboutira à une contamination de la chaîne alimentaire qui devra être surveillée.
CONCLUSION
Les nanoparticules constituent un problème toxicologique émergent indiscutable et il est tout à fait légitime que le législateur s’en préoccupe. C’est aussi un problème complexe, qui peut difficilement être abordé dans le cadre d’une approche générique.
Si l’effet toxique n’était lié qu’au paramètre de taille dans la gamme de quelques nanomètres à 100 nm, il faudrait prévoir de réglementer les nanoparticules naturelles et celles qui vont être produites dans toute entreprise de production de poudres, ce qui paraît peu judicieux. Par contre soumettre à déclaration et contrôle l’introduction et l’utilisation intentionnelles de nanoparticules dans un produit de consommation courante paraît inévitable. La procédure Reach y engage et tout nouveau texte législatif devra examiner sa compatibilité avec cette réglementation européenne. Aux Etats Unis le réglementation en place est particulièrement complexe [5] et l’EPA, plutôt que de traiter les nanoparticules comme des substances nouvelles pourrait à partir de règles spécifiques d’usage ( Significant New Use Rules ) obtenir des manufacturiers et des distributeurs l’obligation de déclaration et de contrôle qu’elle préconise, ce qu’elle a déjà fait pour les nano tubes de carbone en 2009.
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* Membre correspondant de l’Académie nationale de médecine, Centre de Recherches toxicologiques — 92320 Chatillon, e-mail : roland.masse2@wanadoo.fr ** Membre de l’Académie nationale de médecine
Bull. Acad. Natle Méd., 2011, 195, no 9, 2037-2043, séance du 13 décembre 2011