Résumé
Les lymphocytes T CD4 jouent un rôle central dans la pathogenèse de l’infection par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH). Chez les patients infectés, virémiques, les lymphocytes T CD4 sont la cible directe du virus, qui s’y multiplie intensément au cours de la phase aiguë de la maladie. Par la suite, durant la phase de latence clinique, les lymphocytes T CD4 non infectés sont indirectement touchés : ils sont activés, deviennent anergiques puis disparaissent par apoptose ce qui aggrave la lymphopénie T CD4 provoquée par la destruction virale. Nos travaux montrent que le dysfonctionnement du système de l’Interleukine-2 et de ses récepteurs explique, en grande partie, l’immunodéficience précoce retrouvée chez les patients virémiques. Plus tard, le blocage de la boucle homéostasique interleukine-7/CD4 contribue à l’irréversibilité de la lymphopénie CD4. Nos études suggèrent que la réaction inflammatoire qui accompagne l’infection entraîne un état d’activation anormale avec désensibilisation des récepteurs aux principales cytokines contrôlant la fonction et réglant le nombre des lymphocytes T CD4. Des travaux récents montrent que quelques rares patients parviennent à contrôler le VIH, en l’absence de tout traitement. Chez ces sujets, le compartiment T CD4 est configuré de manière très caractéristique. Nous avons montré qu’il existe une importante sous-population de lymphocytes T CD4 « mémoire centrale » qui expriment de manière importante la molécule d’ « adressage » CCR7, retenant ces lymphocytes dans les ganglions infectés. De plus, ces lymphocytes T CD4 « mémoire centrale » produisent de grandes quantités d’IL-2, qu’ils utilisent de manière autocrine, ce qui stimule leur auto-renouvellement et assure leur maintien à très long terme. Nos études ont ouvert la porte à l’immunothérapie par les cytokines et permettent d’envisager le développement de nouvelles stratégies thérapeutiques et vaccinales.
Summary
CD4 T lymphocytes play a central role in the pathogenesis of human immunodeficiency virus (HIV) infection. In viremic patients, these cells are direct targets for the virus: HIV multiplies intensely in this subpopulation during the acute phase of the disease and continues to propagate in these same cells during the clinical latency phase. Uninfected CD4 T lymphocytes are also indirectly affected during this second phase: they are activated, become anergic, then disappear by apoptosis, ultimately contributing to CD4 lymphopenia. Our studies have shown that dysfunction of the interleukin-2 system and its receptors largely explain the early immune deficiency seen in viremic patients. Later, blockade of the homeostatic interleukin-7/CD4 loop contributes to rendering this CD4 lymphopenia irreversible. Our studies suggest that the inflammatory reaction which accompanies this infection gives rise to a state of abnormal activation, with receptor desensitization to the main cytokines regulating CD4 lymphocyte functions and numbers. In the few rare patients who manage to control HIV in the absence of any treatment, the CD4 T cell compartment has a very characteristic configuration. We have shown that an extensive subpopulation of « central memory » CD4 T lymphocytes expresses large quantities of the CCR7 homing receptor and that this helps drive these lymphocytes to infected lymph nodes. Also, these ‘‘ central memory ’’ CD4 T lymphocytes produce large quantities of IL-2, that they use in an autocrine manner, stimulating their self-renewal and ensuring their long-term survival. Our studies have opened the door to cytokine-based immunotherapy and to the development of new drug- and vaccine-based strategies.
INTRODUCTION GÉNÉRALE
En 2007, l’Organisation Mondiale de la Santé a établi que le nombre total de personnes vivant avec le Virus de l’Immunodéficience Humaine (VIH) était d’environ 33,2 millions dans le monde, comprenant 30,8 millions d’adultes dont 50 % de femmes. Le nombre d’enfants infectés, de moins de quinze ans, s’élève à 2,5 millions.
Toujours en 2007, le nombre total de nouvelles infections à VIH s’élevait à 2,5 millions, et 2,1 millions de personnes sont décédées à cause du SIDA [1].
De 1990 à 2007, le nombre de personnes vivant avec le VIH dans le monde est passé de 7 millions à 33,2 millions et le nombre total de décès dans cette même période est estimé entre 22 et 25 millions. On note cependant que le pourcentage d’adultes vivant avec le VIH dans le monde est stable depuis 2001. La prévalence du VIH tend à diminuer dans un certain nombre de pays où les efforts de prévention ont porté leurs fruits. De la même manière, la diminution sensible du nombre de décès dûs au VIH observée au cours de ces deux dernières années est en partie due à l’extension des traitements anti-rétroviraux (ARV). Malgré ces efforts, le SIDA reste une des principales causes de mortalité dans le monde [2].
Dans ce contexte, notre laboratoire a toujours centré ses études sur les lymphocytes T CD4 et leurs cytokines car ces cellules jouent un rôle fondamental dans la régulation de la réponse immune et sont profondément impliquées dans la pathogenèse de l’infection à VIH. D’une part, ces cellules sont les cibles directes de l’infection. D’autre part, les lymphocytes CD4 non infectés sont tous indirectement touchés par l’infection. Nous avons plus particulièrement analysé l’implication respective du dysfonctionnement des systèmes de l’interleukine-2 (IL-2), de l’interleukine-7 (IL-7) et de leurs récepteurs (RIL-2, RIL-7) dans l’anergie et la lymphopénie des lymphocytes T CD4 qui sont les deux grandes anomalies retrouvées chez les patients infectés par le VIH. Plus récemment, nous avons étudié des patients contrôlant la réplication du virus en l’absence de traitement et nous avons décrit le rôle d’une sous- population de lymphocytes CD4 jouant un rôle essentiel dans la protection à long terme de ces patients. Les ARV ont transformé le traitement des patients infectés par le VIH. Ils bloquent l’infection virale. Cependant, problème majeur, le virus persiste et malgré des indications de restauration immunitaire, les réponses anti-VIH ne sont pas protectrices. Nos travaux seront discutés dans une perspective d’amélioration des thérapies actuelles.
ÉLÉMENTS D’HISTOIRE NATURELLE DE L’INFECTION
En l’absence de traitement, l’évolution spontanée de l’infection à VIH peut se diviser en trois phases [3]. Deux à six semaines après la contamination, plus de la moitié des sujets vont présenter une primo-infection symptomatique reproduisant un syndrome mononucléosique associé ou non à une lymphoadénopathie généralisée. Ces manifestations correspondent à une réplication virale intense, pouvant atteindre plus de 106 copies d’ARN VIH/ml. C’est à cette période qu’apparaissent les anticorps anti-VIH permettant de faire le diagnostic sérologique de l’infection.
La phase chronique qui dure plusieurs années (huit à quinze ans), se caractérise par la permanence d’une faible réplication virale et l’installation d’importants désordres immunologiques : apparition progressive d’une immunodéficience puis perte des lymphocytes CD4. La dysrégulation de la réponse immune se manifeste par la récurrence de certaines pathologies dont de nombreuses infections opportunistes.
Certaines sont clairement liées au déficit immunitaire engendré par le VIH. D’autres sont des manifestations retrouvées de manière significative pendant cette période (candidose oropharyngée, zona récurrent, neuropathie périphérique, …).
La phase terminale ou SIDA se caractérise par une recrudescence de la réplication virale et un effondrement du nombre de lymphocytes CD4. Les manifestations cliniques caractéristiques de cette période sont soit infectieuses (Mycobactériose à Mycobacterium tuberculosis ou Mycobacterium avium , pneumocystose, toxoplasmose, pneumopathies bactériennes récurrentes,…) soit tumorales (cancer invasif du col, sarcome de Kaposi, lymphome non hodgkinien,…). Cette phase se termine inexorablement par le décès du patient.
LES LYMPHOCYTES CD4 DANS L’INFECTION A VIH
Les lymphocytes CD4 : chefs d’orchestre du système immunitaire [4]
Dans le sang humain circulant, il y a environ 800 à 1 000 lymphocytes CD4/ mm3.
Comme toutes les cellules du sang, ils sont issus de la moelle osseuse mais avec une étape de maturation supplémentaire au niveau du thymus dans laquelle l’interleukine-7 joue un rôle essentiel.
Les lymphocytes CD4 reconnaissent des fragments de pathogènes à la surface des cellules présentatrices d’antigène (macrophage/monocytes, cellules dendritiques,…).
Cette interaction se fait le plus souvent dans le ganglion drainant le site d’infection.
Au cours de ce contact, avec la cellule présentatrice, lorsque se forme la synapse immunologique, le lymphocyte CD4 est activé et produit des cytokines. Les lymphocytes CD4 de type TH2 entraînent la production d’anticorps de différentes classes. Les lymphocytes CD4 de type TH1 produisent de l’IL-2 et de l’interféron gamma et sont plus impliqués dans l’immunité à médiation cellulaire. La sécrétion d’IL-2 entraîne la stimulation des fonctions cytotoxiques (lymphocytes T CD8 et lymphocytes NK). L’interféron gamma favorise la phagocytose en stimulant les macrophages. Directement ou indirectement, les lymphocytes CD4 sont responsables des réactions d’hypersensibilité retardée comme celle testée par l’intradermoréaction à la tuberculine. Après activation, les lymphocytes CD4 se divisent intensément puis la plupart meurent par apoptose, alors qu’une petite fraction persiste et assure le maintien de la mémoire immunitaire.
Les lymphocytes CD4 comme cibles du VIH [2]
Le VIH est composé d’une capside contenant le génome viral et d’une membrane lipidique provenant de la cellule infectée, recouverte des protéines d’enveloppe composées de la glycoprotéine externe (gp120) et de la glycoprotéine transmembranaire (gp41). Ces protéines d’enveloppe jouent un rôle important dans la reconnaissance virus/cellules hôtes. La sélectivité du tropisme du VIH est liée à l’interaction spécifique entre les glycoprotéines d’enveloppe gp120 et la molécule CD4, le récepteur de haute affinité au VIH. Les lymphocytes CD4 activés sont la cible privilégiée du VIH. Les monocytes/macrophages, les cellules dendritiques et de Langerhans ainsi que les cellules de la microglie du cerveau expriment de petites quantités de CD4 et peuvent aussi s’infecter.
Si la molécule CD4 fonctionne comme un récepteur de haute affinité pour gp120, des récepteurs accessoires CCR5 et CXCR4 sont nécessaires à la pénétration du virus dans les cellules hôtes. Ces molécules sont des récepteurs aux chimiokines, petites molécules au pouvoir chimio-attractant. CCR-5 (récepteur de CCL3, CCL4 et CCL5) est principalement exprimé par les macrophages et les lymphocytes T activés. Toute altération de ce corécepteur comme la délétion delta 32 bloque la transmission des VIH à tropisme macrophagique. CXCR4 (récepteur de CXCL12/SDF-1), exprimé par de nombreux leucocytes, facilite la pénétration des VIH à tropisme T qui sont les plus cytopathogènes. Au cours de l’infection d’un patient, les nombreuses mutations que subit le VIH font évoluer la population virale d’un tropisme pour CCR5 vers un tropisme pour CXCR4, ceci est corrélé à une aggravation de la maladie.
De l’anergie à la lymphopénie CD4 au cours de l’infection à VIH [2, 5]
Au début de la phase chronique, à un stade où le nombre de lymphocytes CD4 est quasiment normal, la plupart des réponses immunitaires contre des antigènes de rappel sont diminuées et la réponse à la tuberculine se négative. La réponse cellulaire contre le VIH lui même qui est clairement détectable au cours de la primo-infection dysfonctionne, dès les premiers stades de la phase chronique de la maladie. Cet état d’immunodéficience/anergie touche tous les lymphocytes CD4 du sang circulant alors que peu de cellules sont infectées (1/100 — 1/1000) d’où l’aphorisme : « peu de cellules infectées, toutes malades ». Parallèlement, on observe que la majorité des lymphocytes T CD4 porte des marqueurs d’activation à leur surface tels que HLA-DR, CD38, CD25, … Les causes de cette activation sont à rechercher dans la stimulation intense du système immunitaire qui répond à la production chronique du virus et à la réaction inflammatoire qui l’accompagne.
L’autre paramètre, la déplétion des lymphocytes CD4, devient de plus en plus marqué au cours de la phase chronique de la maladie. On a estimé à 50/mm3/an la perte de lymphocytes CD4 due à la réplication virale. A cette perte directe, on peut ajouter l’effet des cellules CD8 cytotoxiques et des anticorps qui détruisent les cellules CD4 ayant fixé à leur surface des antigènes viraux circulant (gp120).
Progressivement, cette perte continuelle de lymphocytes CD4 conduit à l’épuisement du système de régénération immunitaire central (thymus) et périphérique (ganglions) dont l’architecture par ailleurs si importante pour la production efficace des lymphocytes est aussi affectée au cours de l’infection.
L’évolution du compartiment CD4 au cours de la thérapie anti-rétrovirale
Les traitements ARV ramènent rapidement la charge virale plasmatique à un taux très faible, voire en dessous du seuil de la quantification par PCR de l’ARN du VIH (actuellement < 40 copies/ml). Parallèlement, le taux de lymphocytes CD4 s’élève et leur degré d’activation diminue, sans retourner à la normale.
Au plan fonctionnel, on voit réapparaître les réponses des lymphocytes CD4 spécifiques du cytomégalovirus, de M. tuberculosis et d’autres agents pathogènes ce qui explique la baisse considérable des infections opportunistes sous ARV et autorise l’interruption des traitements prophylactiques. Cette restauration immunitaire s’accompagne aussi de la réapparition de lymphocytes T CD4 spécifiques du VIH [6]. Malheureusement cette réponse anti-VIH demeure inefficace suggérant, entre autre, des anomalies persistantes du récepteur spécifique des lymphocytes T (« TCR ») et expliquant la reprise de la réplication virale lors de l’interruption des ARV.
Les mécanismes de l’activation qui conduit à l’anergie puis à l’apoptose des lymphocytes T CD4 et la participation de ces phénomènes à l’axe délétère qui génère la lymphopénie CD4 et l’immunodéficience qui caractérise les patients VIH+ restent mal connus. Nos travaux sur l’analyse des systèmes de l’IL-2 et de l’IL-7, avant et après traitement par les ARV, éclairent ces questions.
DYSFONCTIONNEMENT DU SYSTÈME IL-2/RIL-2 COMME PARAMÈ- TRE DE L’IMMUNODÉFICIENCE PRÉCOCE DES PATIENTS VIRÉMIQUES
L’interleukine-2 (IL-2), principale molécule effectrice des lymphocytes CD4
L’IL-2 est produite quasi exclusivement par les lymphocytes CD4 activés. Son récepteur (RIL-2) est composé de trois chaînes. Nous avons montré que les cellules de la réponse innée (monocytes / macrophage, lymphocytes NK) expriment des chaînes du RIL-2 de manière constitutive et répondent spontanément à l’IL-2 [7].
En revanche, les lymphocytes de la réponse adaptative (lymphocytes CD4, CD8 et B), doivent être stimulés, pour exprimer les chaînes du RIL-2 et acquérir la compé- tence pour répondre à l’IL2 [7]. De plus, en assurant le maintien et la fonction des lymphocytes T régulateurs (Treg, CD4+CD25+), l’IL-2 participe au contrôle géné- ral de l’activation du système immunitaire [4].
Baisse de production d’IL-2 comme premier signe de l’immunodéficience
A un stade où le taux de lymphocytes CD4 n’est pas encore affecté, la capacité de ces lymphocytes à produire de l’IL-2 s’altère. Ceci peut être retrouvé après stimulation polyclonale ou après des stimulations spécifiques. Ici encore, alors que peu de cellules sont infectées, la baisse de production de l’IL-2 concerne l’ensemble de la population CD4. Les mécanismes concernés ne sont pas complètement élucidés, mais nous avons montré qu’ils dépendaient d’une sous-production d’IL-18 par les monocytes infectés par le VIH [8]. L’IL-18 est essentielle à la stimulation de la production d’IL-2 lors du contact CD4/cellules présentatrices d’antigène.
Réduction de la fonctionnalité du R IL-2 au cours de l’infection à VIH
L’augmentation de l’expression des trois chaînes du RIL-2 à la surface des différentes populations lympho-monocytaires du sang a été mesurée sur un grand nombre de patients virémiques et confirme l’activation générale du système immunitaire.
L’activation des lymphocytes CD4 des patients virémiques se traduit par une augmentation modérée mais significative des chaînes du RIL-2. Malgré l’expression des trois chaînes, la réactivité à l’IL-2 (induction de l’entrée dans le cycle cellulaire) des lymphocytes CD4 est totalement abolie [9].
Mécanismes impliqués dans la perte de fonctionnalité du RIL-2 et restauration par les traitements ARV
La liaison de l’IL-2 à son récepteur induit de nombreux signaux de transduction dont la phosphorylation des Janus kinases 1 et 3 (Jak1 et Jak3) qui entraîne la phosphorylation du facteur de transcription STAT5, sa translocation nucléaire et la mise en route du programme d’expression génétique spécifique de l’IL-2. Chez la majorité des patients, le fonctionnement de la voie Jak/STAT, qui est majeure dans la transmission des signaux de l’IL-2, est altéré [10, 11]. Ceci est particulièrement démonstratif avec les lymphocytes CD8 de patients virémiques qui expriment un très grand nombre de chaînes du RIL-2 à leur surface mais dont le RIL-2 demeure non fonctionnel [9,10].
De nombreuses études, dont les nôtres, ont pu vérifier l’augmentation de la production d’IL-2 au cours de la restauration du système immunitaire après la mise sous traitement ARV. Sur les lymphocytes CD4 nous avons vérifié que le traitement ARV régularise le profil d’expression des différentes chaînes du RIL-2 et rétablit la fonctionnalité du RIL-2. Il en est de même pour la fonctionnalité de la voie Jak/STAT des lymphocytes T CD8.
Du dysfonctionnement du système IL-2/RIL-2 au concept d’activation anormale
Avec le système IL-2/RIL-2, nos études ont confirmé que les lymphocytes T sont activés au cours de la phase chronique de l’infection à VIH. Mais, plus important, nous avons démontré que cette activation ne ressemble pas à l’activation physiologique. Elle conduit les lymphocytes CD4 dans un état où ils sur-expriment le RIL-2 mais sont désensibilisés à cette cytokine. Ce concept d’activation anormale est fondamental pour comprendre la relation entre activation et anergie. Pratiquement, chez les patients virémiques, la production d’IL-2 est réduite et le RIL-2 est non fonctionnel. L’immunodéficience s’installe : la boucle autocrine contrôlant l’expansion périphérique des lymphocytes CD4 est bloquée ainsi que les nombreuses fonctions immunitaires contrôlées par l’IL-2.
BLOCAGE DE LA BOUCLE DE RÉGULATION HOMÉOSTATIQUE IL-7/CD4 ET LYMPHOPÉNIE CD4 CHEZ LES PATIENTS VIRÉMIQUES
L’interleukine-7 (IL-7) contrôle la lymphopoïèse et l’homéostasie des lymphocytes CD4
L’IL-7 est produite par des cellules qui n’appartiennent pas au système hématopoïé- tique : cellules stromales de la moelle osseuse et du thymus et cellules épithéliales de l’intestin. Cette production est constitutive et l’IL-7 est mesurable dans le plasma humain de sujets sains (1 à 3 pg/ml). L’IL-7, essentielle à la thymopoïèse, favorise indirectement la recombinaison des gènes constituant le « TCR » et joue un rôle fondamental dans l’émergence du répertoire spécifique des lymphocytes T CD4. En périphérie, l’IL-7 joue un rôle crucial dans l’homéostasie lymphocytaire et le contrôle des réponses immunes. L’IL-7 agit sur un récepteur, formé de deux chaînes, dont la chaîne RIL-7 alpha ou CD127, spécifique de l’IL-7 qui est constitutivement exprimée, mais diminue au cours de l’activation des lymphocytes T CD4 Le taux d’IL-7 et le nombre de CD4 agissent l’un sur l’autre et forment une boucle de régulation. Le taux d’IL-7 s’élève dans les lymphopénies (déficit immunitaire combiné sévère, leucémie aiguë, lymphopénie au cours des traitements par chimiothérapie, lymphopénie CD4 idiopathique,…) et se régularise quand la lymphopénie est corrigée. Il faut admettre qu’il existerait une cellule détectrice du taux de lymphocytes T CD4, capable de secréter l’IL-7. Ces mécanismes existent dans la régulation du taux des hématies par l’érythropoïétine et du taux de plaquettes par la thrombopoïétine [12].
Le taux d’IL-7 s’élève chez les patients virémiques, mais le RIL-7 n’est pas fonctionnel.
En accord avec les situations pathologiques décrites ci-dessus, la lymphopénie CD4 entraîne l’élévation du taux d’IL-7 plasmatique chez les patients VIH+. Ce taux dépasse fréquemment 10 pg/ml et certains patients peuvent atteindre 100 pg/ml.
Parallèlement, confirmant l’activation des lymphocytes CD4, l’expression de CD127 est diminuée chez les patients virémiques.
Malheureusement, comme dans le système IL-2/RIL-2, nous avons montré que le R-IL7 n’est plus fonctionnel dans les lymphocytes CD4 des patients virémiques [13].
Non seulement, le taux de CD127 baisse, mais, de plus, les récepteurs restants ne sont plus capables de stimuler ni la prolifération des lymphocytes, ni l’induction de la molécule anti-apoptotique BCL-2.
Taux IL-7 plasmatique comme paramètre prédictif du succès de la thérapie ARV [14]
Au cours de la thérapie ARV, le RIL-7 redevient fonctionnel permettant la remontée des lymphocytes T CD4 et entraînant la baisse de l’IL-7 plasmatique. Cependant, après une longue période de traitement, la restauration du taux de CD4 demeure hétérogène et varie d’un patient à l’autre. Nous avons étudié le rôle que pourrait jouer l’IL-7 dans ce phénomène.
Dix huit patients VIH+ ont été suivis pendant 24 mois après mise sous ARV, par une mesure mensuelle du taux de lymphocytes CD4 et de la concentration d’IL-7. Au départ, les patients présentaient une charge virale élevée (50 000 copies ARNVIH/ml), avec des quantités d’IL-7 et des taux de lymphocytes CD4 variables. Notre étude a montré que le taux d’IL-7 à J0, est clairement corrélé avec la capacité à reconstituer le compartiment des lymphocytes T CD4 à long terme. De plus, le taux initial d’IL-7 plasmatique est plus prédictif de la remontée des CD4 que le taux initial de lymphocytes CD4 lui même.
Ces données indiquent très clairement le bénéfice de l’IL-7 dans la restauration immunitaire. Les mécanismes impliqués découlent de la récupération de la fonctionnalité du RIL-7 après contrôle de l’activation anormale du système immunitaire.
Par ailleurs, la quantité d’IL-7 plasmatique pourrait aussi refléter la capacité des organes lymphoïdes à sécréter cette cytokine et à soutenir une lymphopoïèse centrale et/ou périphérique efficace.
Conséquence de l’activation anormale du système immunitaire sur la lymphopénie CD4
Les travaux sur le système IL-7/RIL-7 confirment le concept d’activation anormale : ici encore l’activation immunitaire se traduit par la désensibilisation du RIL-7. Ceci représente un mécanisme central dans la pathogenèse de l’infection à VIH. La lymphopénie CD4 résultant de la destruction virale et de l’activation anormale du système immunitaire entraîne une élévation du taux de l’IL-7. La cellule détectrice du taux de CD4 reste fonctionnelle et sécrète de l’IL-7 alors que la boucle IL-7/CD4 est bloquée au niveau du RIL-7, empêchant la correction de la lymphopénie CD4.
LES
LYMPHOCYTES
CD4 « MÉMOIRE
CENTRALE »
CHEZ
LES
PATIENTS « HIV CONTROLLERS »
Caractèrisation des patients « HIV controllers »
Certains patients infectés progressent lentement vers le SIDA (« Long Term Non Progressors » ou LTNP) maintenant un taux de CD4 élevé (>500/mm3) pendant plus de dix ans. Ils forment un groupe hétérogène, présentant des évolutions biologiques et cliniques diverses.
Plus récemment, nous avons défini un nouveau groupe de patients, les « HIV Controllers », avec une sérologie VIH confirmée positive, mais qui depuis plus de dix ans ont un taux d’ARN viral plasmatique en dessous du seuil de détection, et ceci en l’absence de traitement ARV. Chez les « HIV Controllers », le taux de CD4 reste toujours élevé (> 700/mm3). Ces patients sont rares et retrouvés à la fréquence de 0,5 % environ. Au départ, onze patients (Hôpital Bicêtre, AP-HP) ont été plus particulièrement étudiés dans notre laboratoire.
L’hypothèse d’un virus atténué aurait pu expliquer cette indétectabilité de l’ARN viral plasmatique chez ces patients. Les travaux de séquençage n’ont révélé aucun défaut majeur dans les gênes nef, vif, env et LTR. De plus, à partir du sang, des virus infectieux ont été retrouvés chez tous les patients. Ni la délétion delta 32 du gène CCR5, ni des mutations des facteurs de restriction qui limitent la multiplication virale dans les cellules infectées (APOBEC 3G, TRIM5alpha,…) n’ont été retrouvées. Au contraire, il a été clairement montré que les lymphocytes CD4 de ces patients « HIV Controllers » sont hautement sensibles à l’infection par le VIH in vitro [15].
Propriétés des lymphocytes CD4 « mémoire centrale » chez les « HIV Controllers » [16]
Grâce à une série de marqueurs de surface, on peut caractériser différentes souspopulations de lymphocytes CD4. Il existe des lymphocytes CD4 naïfs (CD45RA + CD45RO – ) et des lymphocytes CD4 mémoires (CD45RA – CD45RO + ). Parmi ces derniers, on reconnaît les lymphocytes de la « mémoire centrale » exprimant le marqueur CCR7, récepteur des chimiokines CCL19/CCL22 qui attirent les lymphocytes CD4 dans les ganglions. De même on identifie les lymphocytes « effecteurs mémoire », CCR7 — qui patrouillent dans les tissus périphériques. Les lymphocytes de la « mémoire centrale » produisent de l’IL-2 qu’ils utilisent de manière autocrine, assurant ainsi leur renouvellement et leur maintien à très long terme. Leur persistance est à la base du phénomène de mémoire vaccinale. Au cours d’une infection chronique, ces lymphocytes CD4 de la « mémoire centrale » se différencient en cellules « mémoires effectrices » rapidement actives sur le pathogène.
Chez les patients « HIV Controllers », nous avons trouvé une proportion importante de lymphocytes CD4 de la « mémoire centrale » exprimant des quantités accrues de CCR7. De plus, cette population « mémoire centrale » produit une quantité d’IL-2 élevée et présente un système IL-7 /RIL-7 fonctionnel. Chez les patients « HIV Controllers », la population CD4 « mémoire centrale » présente toutes les caractéristiques pour s’auto-renouveler, se maintenir à long terme et se diriger vers les ganglions, siège des réponses immunes anti-VIH.
Mécanismes du contrôle de la virémie chez les « HIV Controllers »
Nous avons montré que les lymphocytes CD4 « mémoires effectrices » des patients « HIV Controllers » étaient activés. De plus, leur profil d’activation est bénéfique, permettant de générer une immunité cellulaire efficace et un contrôle de la réplication virale [16]. Ceci s’oppose à l’activation anormale et délétère retrouvée chez les patients virémiques [16].
Un des rôles des lymphocytes CD4 est d’exercer une fonction d’aide « helper » sur la réponse CD8 cytotoxique qui assure la destruction des cellules infectées. Dans une étude initiale, une proportion importante de CD8 cytotoxiques spontanément active a été retrouvée chez les patients « HIV Controllers ». Elle est capable de neutraliser la production du VIH par les lymphocytes CD4 autologues, infectés in vitro [17].
Ces résultats amènent à conclure que le compartiment CD4 « mémoire centrale » des patients « HIV Controllers » est préservé, et permet le maintien de la réponse antivirale sur le long terme. De plus, le compartiment « mémoire effectrice » est activé en permanence, ce qui permet à travers la sécrétion intense d’IL-2, une action sur le système immunitaire inné (lymphocytes NK, monocyte/macrophage) et sur les lymphocytes CD8 cytotoxiques permettant la destruction des cellules infectées et bloquant ainsi la réplication virale.
ASPECTS THÉRAPEUTIQUES : BILAN ET PERSPECTIVES
L’introduction des ARV hautement actifs a bouleversé le traitement de l’infection à VIH. Cependant, l’amélioration des traitements a été contrebalancée par des effets toxiques de ces médicaments sur le long terme et/ou des situations d’inobservance entraînant la sélection de virus résistants et provoquant des situations d’échecs thérapeutiques. L’intense activité de recherche dans ce domaine amène régulièrement de nouvelles molécules et classes thérapeutiques qui permettent de pallier, en partie, les difficultés des traitements ARV actuels.
Ces traitements sont à administrer à vie puisqu’ils ne permettent pas la récupération d’une réponse anti-VIH efficace. Ceci justifie la recherche de méthodes thérapeutiques nouvelles agissant sur le système immunitaire Place de l’immunothérapie associée aux traitements par ARV
Nos résultats montrent que sous traitement ARV, le contrôle partiel de l’activation anormale du système immunitaire permet la récupération de récepteurs à l’IL-2 et à l’IL-7 fonctionnels. Ces observations apportent des bases moléculaires solides justifiant des interventions en immunothérapie.
Nous avons réalisé une étude « pilote randomisée », avec de l’IL-2, chez 13 patients, sous ARV, avec une charge virale parfaitement contrôlée mais un taux de CD4 restant faible après plus d’un an de traitement (<200 CD4/mm3) [18]. Ils ont reçu des cures d’IL-2 (4,5 MUI × deux par jour pendant cinq jours) toutes les huit semaines.
Après trois cures, tous les patients avaient dépassé un taux de 200 CD4/mm3, considéré comme un seuil critique de survenue des infections opportunistes. Après six cures, la plupart des patients avaient un taux de CD4>500 mm3 et ceci pendant plus d’un an [18]. Ces résultats ont été confirmées par d’autres équipes en s’appuyant sur un plus grand nombre de patients [19]. En conséquence, l’IL-2 est actuellement utilisée chez ce type de patients discordants dans le but d’accélérer la récupération du taux de lymphocytes T CD4. Avant de conclure sur le bénéfice clinique de l’immunothérapie à IL-2, il reste à préciser son mode d’action in vivo , et à déterminer sa capacité à induire une réponse anti-VIH protectrice [20].
Des efforts importants sont aussi consacrés à l’immunothérapie par l’IL-7. Des essais cliniques de phase I/II ont été lancés avec cette cytokine. Ici encore, il faudra bien évaluer l’avantage/risque de ce traitement puisque l’IL-7 est un stimulant de la réplication du VIH. Néanmoins, à côté des effets sur la lymphopénie CD4, l’IL-7 soulève d’immenses espoirs puisqu’elle pourrait en stimulant la thymopoïèse, entraîner l’émergence d’un nouveau répertoire T anti-VIH.
Vers un contrôle de l’activation anormale
L’activation anormale des lymphocytes CD4, conduisant à la désensibilisation de nombreux récepteurs (IL-2, IL-7, « TCR », …) et au dysfonctionnement des réseaux de signalisation, fait l’objet d’études approfondies dans notre laboratoire. Les paramètres de la réaction inflammatoire qui pourraient expliquer l’activation anormale des lymphocytes CD4 sont en cours d’évaluation. Les résultats seront comparés avec ceux obtenus avec les « HIV Controllers ». Concernant l’activation anormale et à titre d’illustration, nous avons récemment observé, une phosphorylation élevée et permanente du facteur de transcription STAT5, parallèle à l’expression de nombreux marqueurs d’activation chez les patients virémiques (L. Chakrabarti et al soumis). Cette phosphorylation devrait être modulable par des inhibiteurs spécifiques de Jak3, déjà étudiés pour leur effet sur des pathologies présentant des réactions inflammatoires chroniques. En conjonction avec les ARV, des modulateurs de l’activation anormale devraient permettre de recouvrir des réponses immunes plus efficaces, susceptibles de contrôler le VIH.
Recherche de corrélats de protection
L’étude des patients « HIV Controllers » a également fait naître de nouveaux espoirs. Ces patients nous permettent d’étudier en profondeur les composantes d’un système immunitaire contrôlant la réplication virale. Les résultats suggèrent que chez les patients infectés, il sera possible de définir des corrélats de protection concernant les différentes sous-populations de lymphocytes T CD4 sur la base de paramètres simples tels que le profil de cytokines ou de marqueurs de surface, … Des marqueurs génétiques, retrouvés chez les patients « HIV Controllers », sont aussi à l’étude. Ceci serait une aide à la décision de mise sous ARV qui demeure difficile car irréversible. Par ailleurs, les caractéristiques du système immunitaire des patients « HIV Controllers » devraient conduire vers de nouvelles stratégies vaccinales, ce qui demeure un but majeur de la recherche dans le domaine du VIH/SIDA et la seule solution qui permette d’espérer enrayer le cours de ce fléau.
REMERCIEMENTS
Il m’est très agréable d’associer à cette communication tous mes anciens élèves et collaborateurs qui ont si activement contribué au développement de nos recherches et qui m’honorent par la poursuite de brillantes carrières en France ou à l’étranger. Je voudrais aussi remercier tous mes collaborateurs actuels pour leurs efforts et leur soutien amical ainsi que les Docteurs L. Chakrabarti, C. Duvivier, V. Giacomoni et J. Gilquin pour leurs suggestions et critiques au cours de la rédaction de ce manuscrit. J’adresse aussi mes très sincères remerciements à tous les cliniciens qui ont participé à nos recherches. Je pense plus particulièrement au Professeur Jean-François Delfraissy, Chef du Service de Médecine Interne du Centre Bicêtre (Assistance Publique-Hôpitaux de Paris) avec qui je collabore depuis de nombreuses années. Je remercie vivement les Professeurs Léon Le Minor et Pierre Tiollais qui m’ont encouragé à présenter cette communication et m’ont aidé par leurs conseils bienveillants. Toutes les recherches rapportées ont bénéficié sans interruption du soutien de l’Agence Nationale de Recherche sur le Sida et les Hépatites (ANRS).
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DISCUSSION
M. Roger NORDMANN
Vous avez fait état de ce sous-groupe de sujets porteurs de VIH depuis de longues années qui ne développent pas les signes cliniques du SIDA. Ces sujets sont-ils ou non contaminants pour autrui ?
Sur les patients contrôlant l’infection au VIH nous n’avons pas encore de renseignements précis sur leur pouvoir contaminant. Ces études sont d’ailleurs très difficiles à réaliser.
Ces patients ne sont pas nombreux et ne se sentant pas malades, leur suivi reste délicat.Cette question rejoint le problème des recommandations que l’on doit donner aux patients sous traitement anti-rétroviral efficace chez qui la charge virale plasmatique est devenue indétectable. Des médecins suisses ont récemment suggéré que ces patients pourraient se dispenser des méthodes préventives au cours des rapports avec des personnes non contaminées. En l’absence de connaissance des charges virales dans les fluides génitaux avant et après traitement, cette recommandation semble néanmoins prématurée.
M. Bernard CHARPENTIER
Vous faites état de la situation lymphocytaire d’ « anergie » dans la phase chronique de la maladie. Classiquement, cette situation est secondaire à l’absence du deuxième signal de l’activation lymphocytaire. Comment fonctionne le système CD28 — B7 — 1/B7 — 2, DC40 — CD 40 ligand, ICOS-ICOS ligand chez ces patients ?
L’anergie des lymphocytes CD4 des patients infectés par le VIH n’est probablement pas due à l’absence de deuxième signal. Nos travaux suggèrent que pendant la phase chronique de l’infection, le système immunitaire des patients est activé de manière permanente. Cette activation anormale induit une désensibilisation des lymphocytes CD4 qui ne répondent plus aux signaux physiologiques. Nous avons plus particulièrement étudié la production de l’interleukine-2 en réponse à des stimulations polyclonales comme celles obtenues avec des réactifs dirigés contre les chaînes communes de tous les récepteurs des lymphocytes T (CD3). La diminution de production d’IL-2 est importante dès les premiers stades de l’infection, à un moment où la plupart des marqueurs de surface des lymphocytes CD4 ne sont pas altérés. Après stimulation des lymphocytes des patients infectés par le VIH, différent laboratoires ont obtenu un ensemble de résultats convergents montrant une diminution des phosphorylations induites par les kinases. On peut donc conclure, qu’au cours de l’infection, s’installe donc un défaut global des systèmes de transduction des signaux qui expliquerait l’anergie observée.
M. Jean-Daniel SRAER
En général, une médiation surexprimée entraîne une anergie de la cellule cible et réciproquement. Pourquoi y a-t-il dans l’infection par le VIH une inhibition de IL 2 et une sous expression du récepteur ? Existe-t-il un autre exemple de ce type en biologie générale ?
Le dysfonctionnement du récepteur de l’IL-2 exprimé par les lymphocytes CD4 découle de l’hyper activation du système immunitaire. Comme conséquence directe de l’activation les trois chaînes RIL-2alpha, RIL-2beta et RIL-2gamma, formant le récepteur de l’IL-2, sont sur exprimées. Ces trois sous unités sont d’ailleurs retrouvées en abondance à la surface de tous les lymphocytes T des patients VIH, et plus particulièrement à la surface des lymphocytes CD8.La non-réponse à l’IL-2 des lymphocytes T est due aux défauts de signalisation intra cellulaire du récepteur à l’IL-2. Il se traduit par une insuffisance de phosphorylation du facteur STAT5, facteur de transcription nécessaire au lancement du programme génétique spécifique de l’IL-2. Ainsi chez les patients VIH+la désensibilisation observée n’est pas due à une disparition du récepteur à la surface des lymphocytes, mais à une insuffisance des molécules intra cellulaire qui en assurent son bon fonctionnement. A ma connaissance c’est la première fois que ceci est observé. Je pense que ce phénomène devrait être recherché dans les situations pathologiques où le système immunitaire est activé de manière chronique.
M. Marc GIRARD
Le modèle de l’immunodéficience du singe ne nous offre-t-il pas un autre exemple de cette dichotomie entre « maladie virale » et « maladie immunologique » ? Les singes africains porteurs du virus (SIV) ont des charges virales très élevées et pourtant ne développent pas de signes cliniques. Ils ne montrent pas non plus d’activation lymphocytaire généralisée :
cette dernière n’est-elle pas le primum movens de la maladie ?
Effectivement, certaines espèces de singes africains sont les hôtes naturels du « Simian Immunodeficiency Virus » ou SIV. Malgré des charges virales très élevées, la grande majorité des individus de ces espèces ne développent pas le SIDA. Par contre, lorsque le
SIV est utilisé pour infecter des singes asiatiques, ceux-ci développent une maladie comparable au SIDA humain. Après infection par le SIV, la comparaison entre les réponses immunes des singes africains et asiatiques a représenté une source d’information importante pour comprendre la pathogenèse de l’infection par le VIH. L’état d’activation du système immunitaire est l’élément essentiel qui explique la différence d’évolution de l’infection entre les singes des deux continents. Après infection, le SIV se multiplie abondamment chez les singes africains, mais leur système immunitaire ne s’activant pas de manière anormale, ils ne développent pas la maladie immunologique.
Chez les singes asiatiques, le système immunitaire s’active rapidement après infection par le SIV et ces animaux déclencheront le SIDA en fonction du degré d’activation du système immunitaire.Ces modèles animaux confortent donc largement la notion qu ‘il existe deux maladies. Pour développer le SIDA le virus est nécessaire mais pas suffisant.
Le développement de la maladie immunologique qui conduit au SIDA est directement dépendant de l’hyper réactivité du système immun qui conduit à sa désorganisation.
Bull. Acad. Natle Méd., 2008, 192, no 7, 1453-1468, séance du 14 octobre 2008