Communication scientifique
Séance du 21 octobre 2008

Compte-rendu

Monique Adolphe *

 

Compte rendu de la séance consacrée à « La santé en prison »

Monique ADOLPHE *

L’Académie nationale de médecine qui s’est depuis longtemps intéressée à la santé en prison ( Bull. Acad. Natle Méd., 1992 , 176, no 6 ; 1993, 177, no 7 ; 1997 , 181 , no 3 et 2003, 187, no 9 ), a voulu faire le point cinq ans après sa dernière intervention.

Certains problèmes anciens ne semblaient pas résolus alors que des problèmes nouveaux apparaissaient dûs en particulier à la surpopulation des prisons.

La séance a été organisée par le Professeur Marc Gentilini, auteur de plusieurs rapports précédents et par moi-même qui fut visiteuse de prison pendant plus de dix ans. Elle peut être divisée en quatre parties :

— Le rappel des textes réglementaires concernant la prison.

— L’état de la santé somatique et mentale dans les lieux de détention, les difficultés rencontrées.

— La dispensation des produits de santé.

— L’opinion de différentes personnes soit en responsabilité soit témoins privilégiés.

LA LEGISLATION 1

La loi du 18 janvier 1994 a rénové l’ensemble du mécanisme. Depuis la publication du texte et de son décret d’application du 8 décembre 1998, le service public hospitalier est en charge de l’ensemble des soins aux personnes incarcérées. C’est ainsi que figure maintenant, dans l’un des alinéas de l’art. L. 6112-1 du code de la santé publique (CSP), le principe suivant : « Le service public hospitalier assure, dans les conditions fixées par voie réglementaire, les examens de diagnostic et les soins dispensés aux détenus en milieu pénitentiaire et, si nécessaire, en milieu hospitalier… .

Il concourt, dans les mêmes conditions, aux actions de prévention et d’éducation pour la santé organisées dans les établissements pénitentiaires ».

De cette rédaction, il ressort que les établissements concernés peuvent être les hôpitaux publics et les établissements privés participant au service public hospitalier. Les missions attribuées à l’administration hospitalière sont, avant tout, le diagnostic et le soin délivrés en milieu pénitentiaire et en milieu hospitalier si nécessaire. La prévention et l’éducation pour la santé, organisées en milieu pénitentiaire, s’ajoutent au transfert réalisé par le texte de 1994.

Consultations et soins ambulatoires

Le directeur de l’agence régionale de l’hospitalisation désigne, pour chaque établissement pénitentiaire de la région, l’établissement public de santé situé à proximité, chargé de dispenser les soins aux détenus, de participer à l’accueil et au traitement des urgences, de concourir aux actions de prévention et d’éducation pour la santé (art. R. 6112-14 CSP). Cette désignation intervient après avis du Préfet du département dans lequel se trouve l’établissement public de santé, et du conseil d’administration de cet établissement.

Pour répondre à cette obligation, l’établissement ainsi désigné crée au sein de l’établissement pénitentiaire une unité de consultations et de soins ambulatoires (UCSA) animée par une équipe composée de personnels hospitaliers (à ce jour 187 unités ont ainsi remplacé les infirmeries pénitentiaires antérieures) (art D 368 Code de Procédure pénale CPP). Cette unité est chargée de dispenser les consultations de médecine générale et de médecine spécialisée, les soins dentaires, et d’assurer une permanence des soins. L’établissement hospitalier fournit l’équipement et les prestations correspondant au fonctionnement de cette unité. Le cas échéant, une pharmacie à usage intérieur peut être implantée au sein de l’établissement pénitentiaire, de même que des cellules situées à proximité de l’unité et réservées à l’hébergement momentané des détenus malades nécessitant des soins fréquents ou un suivi médical particulier sans toutefois exiger une hospitalisation (D 370 CPP).

L’établissement de santé prévoit également le possible accueil à l’hôpital des personnes détenues pour les consultations et les examens nécessaires. Il revient à l’établissement pénitentiaire d’aménager des locaux adaptés pour l’implantation dans ses murs de l’unité médicale.

Le personnel de surveillance pour la sécurité des locaux est affecté par le directeur de l’établissement pénitentiaire (art. D 368 CPP). Les missions de soins sont assurées par une équipe hospitalière placée sous l’autorité d’un praticien hospitalier (art. D 368 CPP).

Un protocole lie l’ensemble des parties concernant les modalités d’intervention de l’hôpital (art. R 6112-16 CSP). Ce protocole définit de multiples points de fonctionnement : examen systématique des détenus à leur arrivée, dispensation de soins courants en consultations, composition de l’équipe hospitalière exerçant dans la structure implantée dans l’établissement pénitentiaire, aménagement et équipement des locaux, conditions de sécurité des personnes et des biens dans les locaux de soins… (art. R 6112-23 CSP).

 

Hospitalisation

Les textes prévoient l’hospitalisation des détenus. Lorsqu’il n’y a pas d’urgence, ou lorsque l’hospitalisation est de courte durée, l’admission peut être assurée par l’établissement signataire du protocole précédemment décrit. Dans les autres cas, l’hospitalisation se fait dans un établissement figurant sur une liste fixée par arrêté (art. R. 6112-26 CSP ; art D 391 à D 399 CPP). Cet arrêté concerne les unités hospitalières sécurisées interrégionales (UHSI) (arr. du 24 août 2000). Huit sont prévues.

Psychiatrie

Des règles spécifiques visent la psychiatrie. Elles sont essentielles tant pour la sécurité du détenu qui peut souffrir de tendances suicidaires que pour la sécurité de son entourage. Ce sujet est particulièrement difficile. Ainsi, récemment, a été en débat à la suite de l’égorgement en cellule d’un détenu par un autre, la compétence exclusive du chef d’établissement sur l’affectation d’un prisonnier, même en cas de contre indication médicale.

Le milieu pénitentiaire dispose d’une sectorisation en psychiatrie (art. D 372 CPP).

Comme pour l’activité de consultations et de soins ambulatoires, l’établissement pénitentiaire doit être rattaché à un établissement public de santé ou à un établissement privé participant au service public hospitalier. Il est placé sous l’autorité d’un psychiatre, praticien hospitalier, assisté d’une équipe pluridisciplinaire. Il comporte notamment un service médico-psychologique régional (SMPR) aménagé dans l’établissement pénitentiaire.

Si l’établissement hospitalier désigné au titre des consultations et des soins ambulatoires somatiques et faisant fonctionner l’UCSA ne comporte pas de service de psychiatrie et que l’établissement pénitentiaire n’est pas desservi par un service médico-psychologique régional, le directeur de l’ARH désigne, dans les mêmes conditions, l’établissement hospitalier situé à proximité chargé de dispenser les soins en psychiatrie aux détenus (R 6112-15 CSP). Un protocole complémentaire est alors signé (R 6112-15 CSP).

Comme précédemment, l’administration pénitentiaire prend à sa charge la construction, l’aménagement et l’entretien des locaux individualisés et adaptés.

Lorsqu’il est nécessaire d’hospitaliser un détenu pour troubles mentaux, avec ou sans le consentement l’admission, se fait dans un établissement de santé au sein d’une unité hospitalière spécialement aménagée (art. L 3214-1, R 6112-1° CSP) (UHSA). Il est prévu 17 UHSA d’ici 2012.

 

ÉTAT DE LA SANTÉ SOMATIQUE ET MENTALE 2

Les missions des médecins exerçant en milieu carcéral , telles qu’elles sont définies par la loi de 1994 recouvrent des champs d’action immenses. D’abord, les médecins doivent apporter des soins appropriés aux détenus, soins définis comme « les mêmes que ceux des personnes libres » par cette loi, aussi bien dans le suivi des pathologies chroniques que dans l’urgence. Ensuite, ils sont chargés des missions de dépistage non seulement des pathologies infectieuses (tuberculose, infections sexuellement transmissibles) mais également des addictions et du risque suicidaire, quand on ne leur demande pas de dépister un risque de dangerosité criminologique…, ce qui entraîne de facto une mission d’expertise. Par ailleurs, ils doivent assurer l’éducation à la santé des détenus et mettre en place des actions ciblées auprès de la population carcérale. Enfin, ils sont responsables d’une mission d’observatoire de la santé en établissant régulièrement des statistiques épidémiologiques pour différentes instances.

L’ensemble de ces missions est difficile à réaliser . De nombreuses difficultés apparaissent quotidiennement. Elles sont de trois ordres : difficultés d’exercice auprès des patients, difficultés d’exercice avec nos partenaires, difficultés d’exercice avec nos hôpitaux.

La première difficulté apparaît dans l’exercice auprès des patients. Elle est due à la nature de la population elle-même. C’est une population en état de précarité sociale, avec un niveau d’instruction souvent faible, majoritairement désocialisée. Plus de la moitié des détenus ont eu à subir durant leur enfance séparations, placements nourriciers voire maltraitances et abus sexuels. Ces traumatismes ont modifié la réactivité aux agents stressants dans la vie adolescente ou adulte. La population carcérale additionne donc quatre séries de facteurs : — vulnérabilité héréditaire ou acquise, — symptômes psychiques ou comportementaux préalables à l’incarcération voire psychoses, — dépressions ou troubles anxieux, enfin confrontation à une quête de survie plus que de réalisations faciles.

Plusieurs enquêtes épidémiologiques montrent que beaucoup de ces détenus présentent dès leur entrée en prison des troubles mentaux. La détention entraîne en outre une augmentation des troubles schizophrénique et psychotique chroniques, des troubles émotionnels allant de l’état dépressif à un trouble de la personnalité éventuellement de type antisocial. Les peines en particulier pour les crimes sexuels de sujets âgés sont lourdes créant de toutes pièces une médecine gérontologique difficile à mettre en place.

Enfin le problème du suicide en prison est une évidence à laquelle l’Autorité pénitentiaire tente de faire face en s’attachant à la prévention avec quelques résul2. Sylvie Balanger, Directeur UPSA, Paris — Jean-Pierre Olié, Chef de Service Psychiatrie, Hôpital Sainte Anne et Magali Bodon-Bruzel, SMPR Fresnes, — Pierre Lamothe — SMPR, Lyon.

tats. Les facteurs de vulnérabilité au suicide sont identifiés : au début de l’incarcé- ration le choc carcéral fragilise le détenu (un tiers des suicides ont lieu avant le troisième mois), l’encellulement individuel, le moment du verdict, la catégorie pénale (maximum pour les homicides volontaires et les viols) et le placement en quartier disciplinaire.

Le nombre de plus en plus important de détenus présentant des troubles du comportement et des symptomatologies de pathologies mentales variées a conduit à la création des unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) de quarante à quatre-vingts lits avec plateau technique dans l’enceinte d’un hôpital psychiatrique.

Les détenus souffrant de pathologies mentales seront pris en charge par des équipes hospitalières dans un projet de soin médicalisé autonome, seuls les mouvements extérieurs, les activités du greffe et la garde périphérique de l’ensemble sécurisé étant assurés par l’Administration Pénitentiaire. Ces UHSA seront précieuses mais le programme initialement prévu de sept cent quarante-huit places pour l’ensemble des prisons du territoire national ne sera certainement pas achevé avant de très longues années, les places ouvertes dans une échéance de cinq ans ne permettront certainement pas d’éviter complètement le recours aux unités pour malades difficiles et à l’hospitalisation d’office de proximité.

 

La deuxième difficulté réside dans l’exercice du partenariat avec l’Administration Pénitentiaire, la Magistrature et les membres du Barreau .

Mission de soins et mission de garde peuvent parfois être antinomiques ou, du moins, difficiles à concilier. La crise d’agitation du patient en milieu carcéral entraîne un risque d’agression pour le personnel pénitentiaire qui se sent menacé.

L’hospitalisation du détenu ou sa consultation en milieu hospitalier restent contingentes de la disponibilité des escortes nécessaires à sa surveillance et les forces de Police ainsi que l’Administration Pénitentiaire ont des effectifs déterminés, ce qui peut, parfois, entraîner un retard à la prise en charge thérapeutique du patient.

Enfin, il est difficile de respecter le secret professionnel dans un milieu où les différents partenaires se côtoient au quotidien et où la demande de certificats médicaux par les différents intervenants est permanente. Le Code de Déontologie Médicale précise qu’un certificat médical ne doit être rédigé et remis qu’au patient alors que le Code de Procédure Pénale demande aux médecins des UCSA la rédaction de certificats médicaux à l’attention de l’Administration Pénitentiaire.

La dernière difficulté se situe dans les relations avec les hôpitaux de rattachement .

Certaines UCSA sont parfois à de nombreux kilomètres des hôpitaux de rattachement. De nombreuses UCSA sont sous dotées en personnel paramédical et en médecins et les budgets de fonctionnement diminuent d’année en année alors que la population se paupérise et demande de plus en plus de soins.

Tous les intervenants soulignent donc qu’il est essentiel de traiter le détenu comme un membre du corps social susceptible de revenir à la vie civile où il doit être attendu et accompagné. Le retour hors de la prison peut nécessiter un continuum de soins en particulier chez les personnes souffrant de symptômes psychiques ce qui suppose une organisation des soins en prison articulée avec les soins à dispenser après la prison.

 

DISPENSATION DES PRODUITS DE SANTE EN PRISON 3

Il s’agit d’une responsabilité peu connue du monde médico-pharmaceutique.

Depuis 1994, les pharmacies à usage intérieur (PUI) des hôpitaux assurent la dispensation des médicaments et des dispositifs médicaux stériles auprès des unités médicales hospitalières implantées en prison, les unités de consultation et de soins ambulatoires (UCSA).

Il existe une disparité dans l’organisation du circuit du médicament dans les prisons françaises pour plusieurs raisons : éloignement parfois important entre l’hôpital et la prison, diversité des établissements pénitentiaires (nombre et durée de séjour des détenus) et variabilité des moyens et de la motivation des PUI concernées.

L’analyse pharmaceutique des prescriptions et la dispensation nominative sont diversement assurées en prison et les UCSA présentent un très faible niveau d’informatisation.

Le circuit du médicament et l’exercice pharmaceutique à l’UCSA se singularisent par les contraintes sécuritaires pour le personnel, le difficile respect de la confidentialité des traitements dû à la promiscuité des détenus rarement seuls en cellule, une indépendance financière des unités de soins encore incomplète vis à vis de l’Administration Pénitentiaire, une dichotomie prononcée entre les soins somatiques et psychiatriques, la préparation à la sortie difficile à organiser dans de nombreux cas, une disponibilité des médicaments plus réduite qu’en ville pour des patients détenus qui, à l’extérieur, auraient un statut ambulatoire, et un rapport complexe des patients avec les médicaments (forte demande, stockage, détournement d’usage etc.). La prévention et l’éducation à la santé sont indispensables en prison et les équipes pharmaceutiques sont amenées à participer à leur développement en collaboration avec les équipes multidisciplinaires des UCSA.

OPINIONS DE PERSONNES EN RESPONSABILITE ET DE TEMOINS PRIVILÉGIÉS 4

Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté a une double origine. En premier lieu un traité des Nations Unies, le protocole facultatif ajouté à la convention contre la torture, contraint les Etats signataires (la France a signé ce traité en 2005), à créer un « mécanisme national de prévention de la torture ». Ce dernier mot, évidemment très fort, ne doit pas tromper. Ce sont tous les mauvais traitements (3) Laura Harcouet, Hôpital Cochin, UCSA, Paris.

(4) Jean-Marie Delarue, Contrôleur général des lieux de privation de liberté aux détenus, ce qu’il est coutume d’appeler « traitements inhumains et dégradants » qu’il s’agit de prévenir. En second lieu, depuis longtemps en France, des réflexions ont été menées pour donner la possibilité à une personne extérieure à l’administration pénitentiaire (qui ne soit donc ni une inspection, ni un audit interne) d’apprécier les conditions de vie des détenus. Ces réflexions ont connu un regain d’actualité à l’orée des années 2000, lorsque, après les cris d’alarme lancés sur l’état des prisons (et notamment ceux d’un médecin), les parlementaires à leur tour ont dénoncé « l’humiliation de la République » qu’était, selon eux, l’état des prisons. Il en a été déduit rapidement, notamment dans un rapport issu d’une commission présidée par le premier Président de la Cour de Cassation d’alors, qu’un « regard » étranger à celui de l’administration était susceptible de contribuer aux évolutions nécessaires.

C’est chose faite depuis qu’une loi du 30 octobre 2007 a institué le contrôle général.

Le contrôleur a été nommé en juin dernier. Il a constitué son équipe (vingt contrô- leurs en équivalent temps plein) et effectué sa première visite en juillet.

Quelle est sa mission ? Prévenir les traitements inhumains et dégradants. Ce que la loi définit plus positivement comme veiller au respect des droits fondamentaux des personnes, non seulement en prison, mais aussi en garde à vue, en attente de comparution devant un juge, en rétention ou en zone d’attente à une frontière (pour un étranger), ou encore en centre hospitalier spécialisé, lorsqu’il y a eu hospitalisation d’office… bref en tout lieu où quelqu’un est privé de liberté.

Qu’est-ce qu’un droit fondamental ? C’est simplement un droit qui est relatif à la dignité de la personne, à ce qui la distingue des autres êtres ou des objets. Il résulte de l’entendement commun mais aussi de la jurisprudence de la Cour des droits de l’homme que, parmi ces droits fondamentaux, figurent par exemple, pour les détenus, — le droit de recevoir les soins qu’exige leur état, — celui de ne pas demeurer en prison si leur état de santé est incompatible avec la détention, — le droit, enfin, pour les personnes handicapées ou malades qui peuvent demeurer en détention, d’avoir des conditions matérielles adaptées à leur état.

Comment agit le Contrôleur Général ? Il peut être saisi par toute personne physique, qu’elle soit acteur ou témoin, et toute personne morale ayant pour objet la défense des droits de l’homme, d’une situation dans laquelle les droits de la personne seraient méconnus. Il lui revient alors d’enquêter, d’apporter si c’est nécessaire une solution (qui peut être, d’ailleurs, la transmission du dossier à une autre autorité, comme le Médiateur de la République) ou de convaincre l’administration d’en trouver une. Mais le Contrôleur Général peut aussi se saisir lui-même de toute situation contraire aux droits fondamentaux. Il lui appartient, ensuite, de se rendre en tout lieu de détention, de rétention (y compris de « sûreté »), d’hospitalisation sous contrainte pour y examiner les conditions d’existence des personnes qui y sont hébergées. A ce jour, entre vingt et trente visites ont été réalisées. Chacune d’elle a été très approfondie, avec plusieurs contrôleurs et pendant deux, trois ou quatre jours selon l’importance des lieux. Les déplacements sont libres, et ne dépendent pas des gestionnaires de l’établissement. Toute personne peut être entendue, qu’elle soit « gardée » ou « gardienne », de manière discrète et confidentielle. Bien entendu aussi, sont l’objet d’entretiens les membres du personnel soignant, celui des UCSA ou des SMPR, comme toute personne ayant accès à l’établissement, comme tout membre de la famille. Tout document dont le Contrôleur Général a besoin doit lui être fourni. Seuls lui sont opposables quelques rares secrets, dont le seul significatif est, précisément, le secret médical. Mais ce dernier n’est pas opposable au malade et des personnes privées de liberté ont déjà donné des indications sur leur état de santé, sans qu’elles soient sollicitées sur ce point.

Dans ce contexte on peut noter que la loi de 1994 a très heureusement placé les détenus dans le droit commun du service public hospitalier. L’état de l’offre de soins s’en est trouvé substantiellement amélioré et, par conséquent, l’état de santé. On ne doit pas revenir sur ce dispositif. Dans la même période toutefois, d’autres facteurs ont contribué à dégrader l’état de santé des détenus comme la surpopulation carcérale, sans compter la vétusté de bien des établissements, qui ne facilite pas des conditions optimales d’hygiène.

L’adaptation de l’offre de soins est très variable selon les établissements. Ici des locaux aussi spacieux que possible, peu de vacances dans les effectifs, des praticiens qui se déplacent en nombre suffisant. Là, au contraire, des locaux chichement mesurés, ce qui compromet la confidentialité des échanges ; des effectifs réduits, par exemple, en raison du manque d’intérêt du centre hospitalier avec lequel la convention a été passée, ce qui se traduit nécessairement pour les détenus par des listes d’attente importantes ; peu de venues de spécialistes en détention, avec pour corollaire un nombre accru d’extractions médicales.

Les extractions sont toujours difficiles, du fait des incertitudes qui pèsent sur les moyens de transport et les escortes. Si les hospitalisations d’urgence sont globalement, semble-t-il, bien assurées, des délais, des allées et venues multiples et inutiles, des expertises trop longtemps attendues, peuvent avoir des conséquences qu’il faudrait éviter. De manière très générale, les détenus se plaignent souvent, parfois avec raison, d’attentes injustifiées, même si l’on doit faire la part de leur hypersensibilité.

L’absence de locaux adaptés dans les hôpitaux qui accueillent des détenus contraint à des méthodes qui surprennent, comme le menottage de malades ou la présence de surveillants lors de consultations. Dans ces pratiques, il n’y a pas, évidemment, volonté de nuire, mais plutôt de bien faire. Il faut pourtant les faire évoluer.

Le centre de rétention, les locaux de garde à vue, doivent équilibrer leur mission de sécurité, que personne ne remet en cause, avec la préservation des droits fondamentaux des personnes qui leur sont confiées. La tâche du Contrôleur Général n’est donc pas de faire disparaître la première au profit de la seconde, mais de trouver l’équilibre satisfaisant qui préserve les deux. C’est là une recherche toujours à faire, non seulement au bénéfice des prisonniers, au sens large, mais aussi de ceux qui travaillent autour d’eux.

 

L’ÉCOLE NATIONALE D’ADMINISTRATION PÉNITENTIAIRE 5

Madame Valérie Decroix indique que les dispositifs de formation initiale qui y sont dispensés, concernent l’ensemble des métiers pénitentiaires (surveillance, administration, technique, insertion et probation ainsi que direction). Au sein des principes de formation alternant stages et apprentissages, cours pratiques et cours théoriques, la thématique de la santé est abordée avec un degré différent selon les filières concernées, comme étant constitutive de la réinsertion de la personne confiée à l’administration pénitentiaire.

Ayant été au préalable en fonction dans plusieurs établissements pénitentiaires de nature, d’architecture et d’histoire différentes, elle témoigne de l’importance prise par la Loi du 18 janvier1994 s’agissant de la prise en charge sanitaire des détenus assurée par le service public hospitalier, des progrès réalisés tout en convenant qu’il reste à conforter l’articulation nécessaire entre les équipes sanitaires et pénitentiaires au sein de certaines structures ou à l’appui de la mise en œuvre de certains dispositifs.

TÉMOINS PRIVILÉGIÉS

Des témoins venant de l’OIP (office international des prisons), du MRS (mouvement de réinsertion sociale) et de l’ANVP (association nationale des visiteurs de prison) confirment les nombreux points soulevés par les intervenants, en particulier le manque d’hygiène, les addictions à l’alcool et aux stupéfiants. Ils soulignent la difficulté de la sortie : trop de détenus sortent encore de prison sans carte d’identité (ce qui empêche l’obtention des soutiens sociaux) et sans formation professionnelle.

Désocialisés ils ont besoin d’un soutien rigoureux qui peut durer plusieurs années.

L’idéal serait un tutorat personnalisé à créer et à mettre en place.

EN CONCLUSION LA COMMISSION XVII A PROPOSE LES RECOM-

MANDATIONS SUIVANTES :

 

L’Académie nationale de médecine à l’occasion d’une séance thématique qui s’est tenue le 21 octobre 2008 a confirmé l’attention qu’elle portait à la santé en milieu pénitentiaire ( Bull. Acad. Nat. Méd., 1992, 176 , no 6 ; 1993, 177 , no 6 et 7 ; 1997, 181 , no 3 et 2003, 187 , no 9).

— À cet égard, elle a relevé que si les dispositions réglementaires établies par la Loi du 18 janvier 1994 et le décret no 94-929 du 27 octobre 1994 constituaient un progrès important, certaines d’entre elles n’avaient reçu que des applications insuffisantes en contradiction avec l’obligation légale qu’en milieu carcéral la dignité soit préservée en toutes circonstances, en particulier que la qualité et la (5) Valérie Decroix, Directrice de l’ENA.

continuité des soins dispensés aux détenus soient équivalents à ceux de l’ensemble de la population.

— C’est pourquoi, elle appelle à une application stricte de cette Loi, insistant en particulier sur les améliorations à apporter en matière d’hygiène, de continuité dans la surveillance médicale, de respect du secret médical, de l’accès aux diagnostics et aux soins spécialisés.

— Elle met l’accent sur —la prise en charge psychiatrique insuffisante ou inadaptée à une demande croissante —la nécessité de disposer d’unités hospitalières sécurisées intra-régionales en nombre suffisant —le besoin d’une meilleure continuité du suivi psychiatrique à l’intérieur et à l’extérieur des prisons.

L’Académie nationale de médecine suggère :

— que soit encouragée la création d’un tutorat assuré par des bénévoles qui, à côté des organisations existantes, et en liaison avec les services médico-sociaux apporteront leur soutien pendant l’incarcération et à la sortie afin de veiller à la continuité des soins, — qu’une attention particulière soit apportée à la formation des experts psychologues et psychiatres dont les avis sont déterminants à différentes étapes (incarcé- ration, procès, durée d’enfermement), — que soit recherchée, pour les médecins, pharmaciens et autre personnel soignant agissant en milieu pénitentiaire, une juste place entre les représentants de l’ordre judiciaire et pénitentiaire et les hôpitaux de rattachement.

L’Académie nationale de médecine demande que, dans le contexte actuel de dégradation de la situation au sein des prisons françaises, une concertation des acteurs concernés intervienne d’urgence et débouche sur des décisions pragmatiques dans les plus brefs délais.

Le texte de ces recommandations a été adopté moins trois abstentions, lors de la séance du 4 novembre 2008

<p>* Membre de l’Académie nationale de médecine, Vice-Présidente de l’Académie de pharmacie (1) Claude Bergoignan Esper, Professeur à la Faculté de droit de l’Université Paris- Descartes.</p>

Bull. Acad. Natle Méd., 2008, 192, no 7, 1413-1422, séance du 21 octobre 2008