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Séance du 28 novembre 2006

Les évadés de France par l’Espagne pendant la guerre de 1939-45

Louis Auquier *

Chronique historique

Les évadés de France par l’Espagne pendant la guerre 1939-45

Louis AUQUIER *

La cérémonie du 11 novembre consacrée aux médecins morts pour la France s’est tenue comme chaque année devant l’escalier d’honneur de l’ancienne Faculté de Médecine à Paris. Sous cet escalier sont gravés les noms de ceux qui ont disparu dans différents combats depuis 1914. On a évoqué cette année les médecins ayant fait partie des évadés de France par les Pyrénées. C’est le problème de tous les évadés de France par l’Espagne qu’il convient rappeler maintenant.

Estimé à quelques centaines en 1941 et 1942, le nombre des évadés a été multiplié par dix au moins après le débarquement américain en Afrique du Nord le 8 novembre 1942.

L’Espagne franquiste ruinée par une guerre civile impitoyable de 1936 à 1939 n’était pas préparée à les recevoir. Le camp de Miranda De Ebro a été vite saturé. Dans la plupart des régions du Nord de l’Espagne — mais pas dans toutes — les évadés étaient mis dans les prisons de droit commun déjà surpeuplées et dans des conditions inacceptables. Ces prisonniers ne pouvaient faire appel aux Consuls du Gouvernement de Vichy qui n’avaient que leur rapatriement en France à leur proposer ! Au cours de l’hiver 1943 une scission s’est produite à l’Ambassade de France à Madrid sous l’impulsion de Monseigneur Boyer-Mas (ancien attaché ecclésiastique auprès du Maréchal Pétain lorsque celui-ci était ambassadeur en Espagne). Un groupement s’est constitué, appelé « Délégation de la Croix Rouge Française » 1, rattaché au Comité Français de Libération National (C.F.L.N.) qui s’était constitué à Alger.

Le gouvernement espagnol qui s’était déclaré neutre ou plutôt « non belligérant » a fini par accepter que les évadés français sortent d’Espagne sous condition d’être mis en convois avec un passeport collectif. Les premières sorties se firent par le Portugal en avril-mai 1943 puis furent interrompues lorsque le Général Franco accepta en septembre 1943 que les sorties d’Espagne se fassent par le port de Malaga. Malaga a été choisi parce qu’il était possible d’y héberger nos compatriotes dans les couloirs de la Plaza de Toros, la saison des courses étant terminée. A cette époque les trains
espagnols étaient peu nombreux et dans un état précaire. La seule solution pour nos ressortissants qui venaient du nord de l’Espagne était d’attacher un wagon supplé- mentaire au train Madrid-Malaga. Il n’y avait qu’un train par jour, rarement deux, qui ne pouvait donc transporter que cent ou deux cents réfugiés. Comme les bateaux français qui venaient chercher nos compatriotes, sous la protection de la flotte anglaise, avaient une capacité de mille deux cents à mille cinq cents places, il fallait que nos compatriotes attendent à Malaga ceux qui arrivaient en principe tous les jours par le train de Madrid. Après Malaga la sortie s’est effectuée par AlgésirasGibraltar. Le système était le même mais nos compatriotes passaient de la gare maritime d’Algésiras dans les bateaux français qui les attendaient dans la rade de Gibraltar sous la protection de la flotte anglaise.

En dehors des membres de la Délégation française de Madrid nous n’étions qu’une dizaine pour pouvoir nous occuper de ces milliers d’évadés. Il faut rappeler que notre action était avant tout humanitaire et devait être discrète sans publicité et sans journalistes. Nous acceptions l’identité donnée par les évadés lorsqu’ils étaient encore en territoire espagnol, où se trouvait une importante ambassade allemande et ses services de renseignements.

Et pour terminer, quelques chiffres : 6 000 environ sont sortis par le Portugal, 9 166 par Malaga, 2653 par Algésiras. Sur un total de 23 000 français évadés par l’Espagne, 19 000 se sont engagés.

* Membre de l’Académie nationale de médecine. 1. Avec l’accord du délégué général de la Croix Rouge espagnole.

Bull. Acad. Natle Méd., 2006, 190, no 8, 1833-1834, séance du 28 novembre 2006