Communication scientifique
Session of 7 juin 2005

Les améliorations chirurgicales tardives de la fonction des membres supérieurs par transferts tendineux

MOTS-CLÉS : membre supérieur. quadriplégie. transposition tendineuse
Surgical rehabilitation of upper limb function by tendon transfer in tetraplegia
KEY-WORDS : quadreplegia. tendon transfer. upper extremity

Caroline Leclercq, Marie-Annie Lemouel, Thierry Albert

Résumé

Les patients victimes d’une tétraplégie traumatique présentent une paralysie des membres supérieurs dont l’étendue est variable en fonction du niveau de la lésion médullaire cervicale, responsable d’une limitation fonctionnelle parfois considérable. Depuis une vingtaine d’années on a entrepris d’améliorer la fonction de leurs membres supérieurs par des interventions chirurgicales basées essentiellement sur les transferts tendineux, complétés par des ténodèses, et certaines arthrodèses. Cette chirurgie, pratiquée un an minimum après le traumatisme, permet, en fonction du niveau lésionnel, d’améliorer de façon conséquente la fonction et donc l’autonomie de ces patients. On estime à 60-70 % le nombre des patients tétraplégiques qui peuvent bénéficier d’une chirurgie fonctionnelle au niveau des membres supérieurs [1].

Summary

Patients with cervical spinal cord injury have partial paralysis of their upper limbs, depending on the precise level of the injury. Twenty years ago, attempts at surgical rehabilitation of upper limb function in such patients started with tendon transfers, along with tenodeses, and some arthrodeses. These procedures are performed at least one year post-trauma. Depending upon the level of the injury, they usually significantly improve the functional autonomy of these otherwise severely handicapped patients. It is estimated that 60-70 % of all tetraplegic patients can benefit from this type of surgery [1].

INTRODUCTION

Une étude épidémiologique récente a évalué entre 900 et 1000 le nombre de personnes victimes d’une lésion médullaire traumatique chaque année en France [2].

Parmi elles plus de 40 % sont tétraplégiques (lésion médullaire cervicale).

Grâce aux progrès combinés de la réanimation médicale, de la chirurgie, et du nursing, la plupart de ces patients survivent maintenant à leur traumatisme.

La première intervention de transfert tendineux chez un tétraplégique fut réalisée par Sterling BUNNELL en 1948 [3]. Mais de nombreux échecs émaillèrent le début de cette chirurgie et il fallut attendre les années 1970 pour que des chirurgiens, comme ZANCOLLI [4] en Argentine, MOBERG [1] en Suède et LAMB [5] en Écosse, fondent les bases de cette chirurgie hautement spécialisée. Une coordination exemplaire de ces expériences initiales a permis la mise en place d’une classification chirurgicale internationale, dite classification de Giens (France) [6], qui a permis de codifier les indications chirurgicales en fonction du niveau de la tétraplégie [7], (Tableau I).

TABLEAU I. — Classification Internationale*.

– 0 : aucun muscle efficace au-delà du coude**

– 1 : + Brachioradialis (BR) = long supinateur – 2 : + Extensor carpi radialis longus (ECRL) = 1er radial – 3 : + Extensor carpi radialis brevis (ECRB) = 2ème radial – 4 : + Pronator teres (PT) = rond pronateur – 5 : + Flexor carpi radialis (FCR) = grand palmaire – 6 : + Extensor digitorum = extenseurs des doigts – 7 : +Extensor pollicis longus = long extenseur du pouce – 8 : +Flexor digitorum = fléchisseurs des doigts – 9 : manque seulement les intrinsèque – 10 : exceptions * en gros caractères, la dénomination internationale (dite de Paris).

en petits caractère la dénomination encore usuelle en France.

** par « efficace » on entend muscle coté à 4 ou plus dans la classification MRC (Medical Research Council).

Depuis une vingtaine d’années, et sous l’influence particulière d’Erik MOBERG [1], on propose maintenant régulièrement à ces patients, dans les centres spécialisés, une amélioration chirurgicale de leurs membres supérieurs.

Le type d’intervention qu’on peut proposer et les résultats qu’on peut en attendre sont étroitement dépendants du niveau de la tétraplégie. Si la chirurgie de réanimation des membres supérieurs n’est pas possible pour les niveaux supérieurs à C4 on peut espérer une récupération de fonction assez rudimentaire dans les niveaux C5, et beaucoup plus élaborée dans les niveaux C6 à C8.

L’expérience des auteurs est basée sur une série personnelle de 84 patients tétraplé- giques opérés pour la plupart des deux membres supérieurs, et totalisant 229 interventions de réanimation fonctionnelle.

RÉANIMATION DU TRICEPS

L’extension active du coude est un préalable indispensable à ces interventions de réanimation de la main. En son absence, la fonction de la main nouvellement restaurée ne pourra s ‘exprimer que dans un espace très réduit. D’autre part ces interventions sont basées en premier lieu sur le transfert du brachioradialis (BR). Si le triceps est paralysé, le BR qui n’est pas stabilisé par un antagoniste actif s’épuise dans son action primaire de fléchisseur du coude et n’est pas efficace dans son action secondaire.

Deux types de transferts ont été proposés pour sa réanimation : le deltoïde posté- rieur [1] et le biceps [8]. Le premier a l’inconvénient de nécessiter des greffons intercalaires entre l’extrémité distale du deltoïde et le tendon terminal du triceps, le deuxième a l’inconvénient d’affaiblir la force de flexion du coude.

La rééducation de ces transferts a été bien codifiée par Moberg : elle doit être progressive, sous peine d’assister à une détente du transfert [9].

L’amélioration ressentie par le patient porte sur l’espace gestuel de préhension, la précision du mouvement, une meilleure propulsion du fauteuil roulant manuel ainsi qu’un meilleur équilibre assis, et un meilleur soulagement des appuis fessiers. Enfin la pratique de sports tels que la natation et le tennis de table redevient possible.

RÉANIMATION DE LA MAIN

Le type d’intervention réalisable dépend étroitement du niveau lésionnel, et donc des muscles disponibles pour un éventuel transfert.

Niveau 0

L’absence de muscle actif au-dessous du coude empêche toute intervention de transfert tendineux, et ces patients ne pouvaient bénéficier d’aucune amélioration chirurgicale au niveau de leurs membres supérieurs, jusqu’à ce qu’en 1988 une équipe américaine propose d’implanter des stimulateurs électriques au niveau des muscles sous-lésionnels [10]. Cette expérience a permis de restaurer une prise utile entre le pouce et l’index. À ce jour, plus de 100 patients ont été implantés dans le monde entier. Malheureusement le développement de cet implant est actuellement stoppé pour des raisons commerciales.

Niveau 1

Ces patients possèdent un muscle brachioradialis efficace (coté à 4 ou plus dans la Classification MRC). Dans la mesure où le biceps et le brachialis (brachial anté- rieur) sont également efficaces, on peut utiliser le brachioradialis (BR) pour une autre fonction.

C’est Erik MOBERG [1] qui a su, le premier, transférer utilement ce muscle, en s’appuyant sur la notion de ténodèse du poignet : l’extension active du poignet provoque automatiquement une flexion passive des doigts et du pouce, lequel vient se placer contre l’index. À l’inverse, la flexion du poignet permet une extension automatique des doigts et du pouce. Ainsi, chez ces patients qui présentent une main totalement paralysée, la réanimation de l’extension du poignet permet, grâce à cette ténodèse de restaurer une prise automatique entre le pouce et l’index (« pince clé ») et une flexion globale des doigts (« grasp »). Pour renforcer la pince-clé, Moberg a proposé de lui associer une ténodèse du flexor pollicis longus (long fléchisseur du pouce) au radius.

La prise ainsi obtenue est passive, entièrement dépendante de la position du poignet.

Elle est assez faible, mais représente un gain fonctionnel considérable pour ces patients qui n’avaient aucune possibilité de préhension si ce n’est bi-manuelle. Elle leur permet de saisir et d’utiliser des objets relativement légers, tels qu’un crayon, une brosse à dents, une fourchette etc.

Niveau 2

Ces patients possèdent une extension active et forte du poignet grâce à l’extensor carpi radialis longus (premier radial). Le brachioradialis peut donc être utilisé pour une autre fonction, et on l’utilise habituellement pour restaurer une pince-clé active, par transfert sur le flexor pollicis longus (FPL) [11].

Cette intervention permet au patient de saisir activement des objets entre le pouce et l’index, indépendamment de la position du poignet, et de les manipuler contre résistance (ex : habillage, auto-sondage urinaire).

Niveau 3

Dans le niveau 3, il existe deux extenseurs actifs du poignet : extensor carpi radialis longus et brevis (ECRL et ECRB). On peut donc en utiliser un (ECRL) comme transfert, en plus du brachioradialis (BR). On peut alors réanimer deux fonctions différentes chez ces patients, habituellement la pince-clé et la prise globale des doigts.

Mais cette stratégie impose de restaurer aussi l’extension des doigts, sous peine d’obtenir une main fermée en permanence par prédominance des fléchisseurs.

L’intervention se déroule en deux temps, réalisés à trois mois d’intervalle.

1er temps d’ouverture

La réanimation de l’extension des doigts et du pouce est passive, par ténodèse des extenseurs au radius. Dans le même temps on stabilise la colonne du pouce par arthrodèse trapézo-métacarpienne, et on réanime la fonction des muscles interosseux, habituellement par l’intervention de « lasso » décrite par ZANCOLLI [8]. Ce dernier geste est indispensable, sinon après le deuxième temps de réanimation des fléchisseurs, les doigts se fermeront en « griffe », en repoussant les objets volumineux.

2ème temps de fermeture

Les fléchisseurs des doigts sont réanimés par l’ECRL, et le long fléchisseur du pouce par le BR.

Le poignet et la main sont ensuite immobilisés en flexion pour un mois, puis rééduqués pendant deux mois. L’ergothérapie est démarrée dès que possible, pour aider le patient à utiliser au mieux son nouveau potentiel fonctionnel.

Ces interventions apportent au patient, en plus des fonctions déjà mentionnées pour le niveau 2, la possibilité de saisir des objets volumineux (bouteille, téléphone portable…), des objets à manche (brosse à cheveux), des poignées (porte, sac…). Ces gestes lui apportent habituellement une autonomie complète pour l’habillage et la toilette de l’hémi-corps supérieur, la préparation des repas et l’alimentation.

Niveaux 4 et 5

Dans le groupe 4, le pronator teres (PT, rond pronateur) est actif et disponible comme transfert, et dans le groupe 5 le flexor carpi radialis (FCR, grand palmaire) est actif, mais indisponible car il joue un rôle essentiel dans la stabilisation anté- rieure du poignet.

Il existe donc dans ces deux groupes trois muscles transférables. On utilise habituellement le BR pour réanimer l’extension des doigts et du pouce (1er temps), puis l’ECRL pour les fléchisseurs des doigts et le PT pour le fléchisseur du pouce (2ème temps). Les gestes associés précédemment décrits sont aussi effectués.

Les patients récupèrent habituellement les mêmes fonctionnalités que dans le groupe 3, avec une meilleure ouverture des doigts, ce qui permet de saisir des objets plus larges, améliore l’esthétique de leur main, et favorise le contact humain (poignée de main, caresses).

Niveaux 6 et 7

Les patients possèdent une extension active efficace des doigts, et plus (niveau 7) ou moins (niveau 6) efficace du pouce. De façon paradoxale, bien que leur potentiel
musculaire soit meilleur, ces patients ont des capacités fonctionnelles souvent moins bonnes que ceux des groupes 3, 4 et 5. En effet, le tonus isolé des extenseurs aboutit à une main plate, en extension permanente, où l’effet ténodèse s’exerce mal, et échoue à produire une pince fonctionnelle entre le pouce et l’index.

Dans les niveaux 6, on réanime dans un premier temps l’extension du pouce, soit par suture latérale au extenseurs des doigts, s’ils sont assez forts, soit par ténodèse au radius.

Dans le deuxième temps (qui est un temps unique pour les niveaux 7), le schéma classique reste l’utilisation de l’ECRL pour les fléchisseurs des doigts, et soit le BR soit le PT pour la flexion du pouce. Dans ces deux groupes, les muscles disponibles pour un transfert sont excédentaires, et on peut envisager en outre de réanimer d’autres prises plus fines ou plus sophistiquées (pince sub-termino-terminale).

De tous les patients opérés, ceux des groupes 6 et 7 sont ceux chez lesquels on obtient les résultats fonctionnels les plus spectaculaires, et qui sont les plus satisfaits des interventions.

Niveaux 8 et 9

Dans les groupes les plus bas, la paralysie des membres supérieurs s’apparente à une paralysie médio-cubitale périphérique. Elle présente le même tableau clinique, et se traite selon les mêmes modalités bien codifiées, que nous ne détaillerons pas ici. Le problème est plutôt celui des indications chirurgicales chez ces patients qui ont déjà une fonction assez bonne, et n’envisagent souvent qu’avec beaucoup de réticence une intervention chirurgicale.

INDICATIONS CHIRURGICALES

Délai opératoire

Les interventions ne sont pratiquées qu’après stabilisation des lésions neurologiques, en particulier de la récupération motrice. Par ailleurs le patient doit être en bon état général : stabilité respiratoire, urinaire, neuro-végétative et cutanée. Enfin, le patient doit avoir compris et accepté le caractère définitif de son handicap.

En pratique, l’ensemble de ces conditions ne sont réunies qu’environ un an après le traumatisme causal, parfois plus.

Contre-indications locales

Les règles habituelles de la chirurgie des transferts tendineux s’appliquent ici : en particulier les articulations intéressées par le transfert doivent être souples, ou avoir été assouplies au préalable, et le patient doit pouvoir coopérer de façon active à la rééducation.

D’autre part la spasticité, souvent présent chez les patients tétraplégiques ne doit pas être trop importante. En pratique elle est souvent modérée au niveau des membres supérieurs, sauf dans certaines tétraplégies incomplètes.

Enfin pour profiter pleinement du bénéfice apporté par la chirurgie, il faut que la main possède une certaine sensibilité, en particulier au niveau du pouce et de l’index [1]. Une anesthésie complète dans ce territoire peut en théorie remettre en cause les interventions. Mais en pratique, le niveau lésionnel sensitif suit assez fidèlement le niveau moteur, et dès le niveau 1, il existe habituellement une sensibilité discriminative suffisante dans le pouce et le bord radial de l’index.

Contre-indications générales

Tous les patients ne sont pas candidats à une chirurgie fonctionnelle au niveau de leurs membres supérieurs.

Le patient doit être verticalisé en fauteuil roulant pendant la journée, ces interventions n’apportant pas de bénéfice à un patient alité.

Il doit également être en bon état général, sans problème respiratoire (mais la trachéotomie n’est pas une contre-indication en soi à la chirurgie), ni infection urinaire, ou escarre cutanée.

L’intervention ne doit être proposée qu’aux patients motivés, réalistes vis-à-vis de leur handicap, et bien informés des possibilités et des limites de la chirurgie. La plupart des patients sont hospitalisés dans un centre de rééducation à cette période, et la confrontation avec d’autres patients déjà opérés leur est très utile sur ce point.

Certains patients placent tous leurs espoirs dans la chirurgie médullaire, et refusent qu’on altère leur anatomie dans l’intervalle. D’autres attendent de la chirurgie qu’elle leur rende des mains normales. Tous ces patients ne sont pas de bons candidats à la chirurgie fonctionnelle.

CONCLUSION

La chirurgie de réanimation des membres supérieurs chez les patients tétraplégiques fait, depuis une quinzaine d’années, partie intégrante du traitement de ces patients dans un certain nombre de pays.

Les indications chirurgicales sont maintenant globalement bien codifiées en fonction du niveau de la lésion médullaire. Elles sont également adaptées, cas par cas, aux besoins et aux désirs individuels de chaque patient.

Il s’agit d’une chirurgie sophistiquée, délicate de réalisation, qui demande une excellente coordination des différents intervenants, et qui ne peut se concevoir que dans le cadre d’un centre spécialisé rodé aux problèmes du patient tétraplégique en général, et aux contraintes particulières de cette chirurgie chez des patients fragiles.

À ce prix, elle donne habituellement des résultats satisfaisants, qui, s’ils sont loin de lui rendre une main normale, améliorent de façon conséquente les possibilités fonctionnelles du patient.

BIBLIOGRAPHIE [1] MOBERG E. — Surgical treatment for absent single-hand grip and elbow extension in quadriplegia. J. Bone Joint Surg., 1975, 57 , 196-206.

[2] ALBERT T. — Épidémiologie des blessés médullaires traumatiques à la phase de rééducation.

Ann. Med. Phys. Rééd ., 2002.

[3] BUNNELL S. — Tendon transfers. In : Bunnell S, ed. Surgery of the hand. Philadelphia : JB Lippincott, 1948, 399-412.

[4] ZANCOLLI E. — Surgery for the quadriplegic hand with active, strong wrist extension preserved.

Clin. Orthop ., 1975, 112 , 101.

[5] LAMB D., LANDRY R. — The hand in quadriplegia.

Hand, 1971 ,3 , 31-37.

[6] MCDOWELL CL., MOBERG E., HOUSE JH. — The second international conference on surgical rehabilitation of the upper limb in tetraplegia. J. Hand. Surg ., 1986, 11 A , 604-608.

[7] HENTZ VR., LECLERCQ C. — Surgical rehabilitation of the upper limb in tetraplegia. WB.

Saunders, London, 2002, 260p.

[8] ZANCOLLI E. — Quadriplagia. In : Zancolli E, ed. Structural and dynamic bases of hand surgery. Philadelphia, JB Lippincott 1979, 263-283.

[9] LECLERCQ C., TERRADE P., LEMOUEL MA. et al (2000). — Rééducation des transferts tendineux au membre supérieur.

Encyclopédie Médico-Chirurgicale 2000, 26 (529), A-10.

[10] KEITH MW., PECKAM P., THROPE G. et al. — Functional neuromuscular stimulation neuroprostheses for the tetraplegic hand.

Clin. Orthop., 1988, 233, 25-33.

[11] LECLERCQ C. — Surgical rehabilitation for the weaker patients (Groups 1 and 2 of the International Classification) in the tetraplegic upper limb. Hand. Clinics, 2002, 18 (3), 461-480.


* Institut de la Main, Clinique Jouvenet, 75016 Paris. ** Centre de rééducation neurologique et fonctionnelle, Coubert, France. Tirés-à-part : Docteur Caroline LECLERCQ, même adresse. Article reçu et accepté le 23 mai 2005.

Bull. Acad. Natle Méd., 2005, 189, no 6, 1151-1158, séance du 7 juin 2005