Communiqué
Session of 14 juin 2005

La prévention du tabagisme passif en France

MOTS-CLÉS : pollution fumée tabac/prévention et contrôle pollution air ambiant.

Roger NORDMANN* et Gérard DUBOIS**

Depuis longtemps les non-fumeurs se plaignent d’être gênés par la fumée de tabac et demandent à en être protégés. L’impact sur la santé fut sérieusement évoqué dès 1981 quand une étude japonaise montra que [1], bien que ne fumant pas elles-mêmes, les épouses de fumeurs avaient été atteintes plus souvent de cancers du poumon que les épouses de non-fumeurs.

La fumée de tabac contient des gaz irritants et toxiques, des goudrons (avec une cinquantaine de substances cancérogènes) et de la nicotine en concentration mesurable dans l’air ambiant des lieux clos et couverts. Si l’exposition peut paraître faible, il n’en est rien, car elle se produit de manière ubiquitaire, souvent à l’insu des personnes exposées et parfois durant plusieurs heures par jour. De plus, elle a lieu parfois dès la naissance ou l’enfance. En outre, certains malades ne tolèrent pas l’exposition à la fumée de tabac (asthmatiques, handicapés respiratoires…).

La Loi du 10 janvier 1991, dite Loi Evin, a reconnu le droit du non-fumeur à ne pas être exposé à la fumée des autres. En 1992, l’US Environmental Protection Agency attirait l’attention sur les conséquences du tabagisme passif [2]. En 1997, l’Académie nationale de médecine [3] émettait un vœu sur la protection des non-fumeurs, notamment pour éviter les conséquences sur le fœtus et le nourrisson. La même année, un premier rapport évaluait l’impact du tabagisme passif en Europe [4]. En 2001, le sujet fut actualisé pour la France [5]. En 2002, le Centre International de Recherche contre le Cancer classait la pollution atmosphérique par la fumée de tabac dans le groupe des cancérogènes certains pour l’homme [6, 7]. La revue par la California Environmental Protection Agency est la plus complète et la plus récente [8].

Les données scientifiques accumulées [5, 8] ne laissent donc plus aucun doute sur les effets de l’exposition à la pollution par la fumée de tabac qui augmente l’incidence :

— des accidents coronariens (+25 %) — des cancers du poumon (+25 %) — des infections respiratoires basses de l’enfant (+70 % si la mère fume) — des otites récidivantes de l’enfant (+50 % si les deux parents fument) — des crises chez l’enfant asthmatique — des morts subites du nourrisson — des retards de croissance intra-utérins et des petits poids de naissance, même si la mère ne fume pas elle-même et se trouve simplement exposée à la fumée des autres.

Le tabagisme passif serait responsable d’environ 2.500 à 3.000 décès annuels en France [3]. Malgré le haut niveau de preuve scientifique, la prise de conscience et les mesures efficaces ont été retardées notamment par les actions de l’industrie du tabac qui a mis en place un système sophistiqué de désinformation et qui a utilisé toute l’influence que lui permettent ses moyens financiers pour faire croire que la ventilation des locaux était une solution efficace et acceptable [9, 10]. En réalité, pour avoir une certaine efficacité, la ventilation doit concerner des locaux fumeurs physiquement séparés, être autonome, en dépression et sans recirculation.

Même dans ces conditions, le résultat n’est que partiel et surtout ne protège pas le personnel qui est amené à y pénétrer [11]. La British Medical Association a pris position sur le sujet en s’opposant à l’industrie du tabac sur la prétendue efficacité de la ventilation [12]. En ce qui concerne l’exposition professionnelle, une Directive européenne donne la priorité à l’élimination du risque à la source [13]. La seule solution raisonnable est donc que les espaces de travail et de loisir deviennent totalement non-fumeurs, car c’est la seule mesure qui élimine le risque. À l’évidence, la pollution de l’air intérieur diminue spectaculairement en l’absence de fumée de tabac. Après l’interdiction de fumer dans les bars et restaurants en Irlande et en Californie, l’état de santé des serveurs s’est amélioré.

En France, l’application des dispositions de la loi du 10 janvier 1991 concernant la protection des non-fumeurs a été malheureusement longtemps retardée par certaines administrations. Son application nécessite pratiquement le recours à la justice pour que le non-fumeur puisse défendre son droit, ce qui est lent, lourd et coûteux, bien que la jurisprudence soit devenue favorable aux non-fumeurs, leur reconnaissant même le « droit au retrait » face à un danger immédiat (Cour d’Appel de Rennes, 16 mars 2004) [14].

Actuellement, deux tiers des Français demandent des cafés et discothèques non-fumeurs, trois quarts demandent la même disposition pour les lieux de travail et les restaurants [15].

Cette évolution récente des désirs de la population, bien relayée par les médias, devrait faciliter la mise en route effective de mesures de protection des non-fumeurs. À titre d’exemple, il conviendrait d’interdire l’accès des enfants de moins de 12 ans aux zones fumeurs. Il importe également de souligner que l’interdiction de fumer dans les lieux de travail et de loisir a été généralement suivie d’une baisse de la prévalence du tabagisme dans les pays où une telle interdiction a été introduite [16].

L’Académie nationale de médecine , constatant que des données scientifiques incontestables ont établi que le tabagisme passif est non seulement une gêne, mais une véritable nuisance responsable d’une morbidité et d’une mortalité importante, recommande :

1. dans l’immédiat, d’appliquer strictement les dispositions de la loi du 10 janvier 1991, dite loi Evin, qui concernent la protection des non-fumeurs ;

2. de porter une attention particulière à la femme enceinte et à l’enfant qui doivent être protégés en permanence de l’exposition à la fumée de tabac ;

3. de développer et renforcer une information objective du public sur les dangers du tabagisme passif ;

4. d’instaurer dans les meilleurs délais l’interdiction de fumer dans les lieux publics et les lieux de travail clos et couverts.

BIBLIOGRAPHIE [1] HIRAYAMA T. — Non-smoking wives of heavy smokers have a high risk of lung cancer : a study from Japan. Br Med J. 1981, 282 , 183-185.

[2] United States Environmental Agency. Respiratory health effects of passive smoking. Lung cancer and other disorders. Publication EPA/600/6-09/006F. Washington : US EPA, 1992.

[3] TUBIANA M. — Rapport sur le tabagisme passif. Bull. Acad. Natle Méd., 1997, 181 , 727-735.

[4] SASCO A., DUBOIS G. — Passive smoking. The health impact. A European report. Europe Against Cancer Program. Commission of the European Community. 1997, 64 p.

[5] DAUTZENBERG B. — Le tabagisme passif. Rapport au Directeur Général de la Santé. La Documentation Française, Paris, 2001, 200 p.

[6] IARC Working Group on the Evaluation of Carcinogenic risks to Humans. — Tobacco smoke and involuntary smoking. IARC Monog. Eval. Carcinog. Risks Hum ., 2004, 83 , 1-1438.

[7] BOFFETTA P. — Epidemiology of environmental and occupational cancer . Oncogene, 2004, 23 , 6392-6403.

[8] California Environmental Protection Agency. Proposed identification of environmental tobacco smoke as a toxic air contaminant. State of California. Mars 2005.

www.arb.ca.gov/toxics/ets/dreport/dreport.htm.

[9] DUBOIS G. — La responsabilité de l’industrie du tabac dans la pandémie tabagique. Rev

Pneumol Clin., 2003, 59 , S65-68.

[10] DUBOIS G. — Le Rideau de Fumée. Le Seuil, 2003, 366 p.

[11] Message du Directeur Général de l’OMS, statement WHO/09. 31 mai 2001 http : //www.who.int/inf-pr-2001/en/state2001-09.html.

[12] BMA reinforces call for UK-wide smoking ban. 28 avril 2005.

www.4ni.co.uk/nationalnews.asp ?id=39982.

[13] Article 6 de la Directive 89/391/EEC (Directive cadre).

[14] TUBIANA M. — Aspects juridiques de la lutte contre le tabac. Rapport d’un groupe de travail.

Bull. Acad. Natle Méd ., 2004, 188 , 1075-1078.

[15] Alliance Contre le Tabac. Sondage TNS SOFRES, échantillon représentatif de 1008 personnes âgées de 15 ans et plus, 5 et 6 octobre 2004.

[16] FICHTENBERG C.M., GLANTZ S.A — Effect of smoke-free workplaces on smoking behaviour:

systematic review. Br. Med. J., 2002, 325 , 188-191.

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L’Académie, saisie dans sa séance du mardi 14 juin 2005, a adopté le texte de ce communiqué avec cent quatorze pour et cinq abstentions.

 

* Membre de l’Académie nationale de médecine ; Président de la Commission V-b. ** Membre correspondant de l’Académie nationale de médecine.

 

Bull. Acad. Natle Méd., 2005, 189, no 6, 1331-1334, séance du 14 juin 2005