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Séance du 30 mai 2006

L’éradication mondiale de la poliomyélite. Stratégie, espoirs, difficultés

MOTS-CLÉS : POLIOMYELITE/PREVENTION ET CONTROLE. VACCIN ANTIPOLYOMYELITIQUE INACTIVE.

Michel REY *

InformationMichel Rey *, au nom de la Commission VI-A (Maladies infectieuses et médecine tropicale)

 

INFORMATION au nom de la Commission VI-A (Maladies infectieuses et médecine tropicale)

L’éradication mondiale de la poliomyélite.

Stratégie, espoirs, difficultés

MOTS-CLÉS : POLIOMYELITE/PREVENTION ET CONTROLE. VACCIN ANTIPOLYOMYELITIQUE INACTIVE.

VACCIN ANTIPOLIOMYELITIQUE SABIN. IMMUNISATION DE MASSE.

Michel REY *

La poliomyélite est un très vieux fléau de l’humanité, comme en témoigne l’iconographie égyptienne du temps des pharaons. Quand l’OMS a lancé le programme élargi de vaccination (PEV) en 1975, il avait été estimé que 500 000 nouveaux cas de paralysies flasques définitives survenaient chaque année dans le monde.

Comme l’était la variole, considérée comme éradiquée en 1980, la poliomyélite est une maladie infectieuse éradicable : c’est une infection aiguë, l’homme est son seul réservoir naturel, et elle peut être évitée par une vaccination efficace.

Mais à l’inverse de la variole, dans leur grande majorité les cas d’infection sont asymptomatiques ou peu détectables ; les paralysies n’apparaissant que chez moins de 1 % des sujets infectés, ce qui obère la surveillance de la circulation des poliovirus.

Deux vaccins trivalents sont disponibles :

— le vaccin inactivé injectable (Salk, 1953) efficace et très bien toléré, exclusivement utilisé en France depuis longtemps, et maintenant le seul vaccin polio à être administré en routine dans la plupart des pays industrialisés — le vaccin vivant atténué oral (Sabin 1962) que ses avantages ont permis de distribuer à grande échelle, notamment dans le cadre du PEV des pays en développement : il induit une protection immunitaire non seulement systé- mique mais aussi locale, digestive, il est facile à administrer et peu onéreux.

Par contre il peut redevenir, rarement, neuropathogène, voire épidémiogène.

 

Le PEV n’ayant pas été en mesure d’éradiquer la poliomyélite, un programme d’éradication mondiale a été lancé par l’OMS en 1988. ce programme comporte deux volets : d’une part le renforcement de la vaccination de routine par des campagnes de masse bisannuelles, d’autre part la mise en place d’une surveillance renforcée des paralysies flasques aiguës. Très soutenu par un financement international public et privé, ce programme a fait espérer l’éradication mondiale de la poliomyélite en 2000. Les difficultés rencontrées dans certains pays ont du faire retarder cette échéance en 2005, puis en 2008.

L’éradication mondiale ne pourra être annoncée que trois ans après le dernier cas de poliomyélite détecté dans le monde.

En France, où se maintient une bonne couverture vaccinale des enfants (97 % des enfants de deux ans ont reçu au moins trois doses de vaccin polio injectable, combiné aux autres vaccins multivalents recommandés) le dernier cas autochtone de poliomyélite remonte à 1989. Le dernier cas observé a été importé en 1995, au retour de Côte d’Ivoire chez un jeune coopérant très insuffisamment vacciné, hospitalisé d’urgence en réanimation pour une tétraplégie avec détresse respiratoire.

Une Commission de certification de l’éradication de la poliomyélite en France a été mise en place en 1997 à l’instigation de l’OMS (Bureau régional européen, Copenhague) 1. Il n’a pas été jugé nécessaire d’instaurer une investigation virologique de tous les cas de paralysie flasque aiguë, dont la grande majorité relèvent du syndrome de Guillain-Barré, Par contre les médecins sont susceptibles d’être confrontés à un cas importé de poliomyélite, maladie que la plupart de ceux qui sont actuellement en exercice n’ont jamais rencontré.

Ce sont les médecins hospitaliers (neurologues, neuropédiatres, réanimateurs, infectiologues), qui sont surtout concernés. Il leur est rappelé que la poliomyé- lite doit être évoquée et recherchée devant la survenue, particulièrement au retour d’un pays contaminé, d’une paralysie flasque aiguë non traumatique, d’installation rapide (< 48h), souvent douloureuse, asymétrique, motrice pure (sans aucun trouble sensitif objectif) rapidement amyotrophiante, non évocatrice d’un syndrome de Guillain-Barré, d’une compression médullaire aiguë, ou d’une myélite transverse.

Tout cas suspect doit être immédiatement déclaré à la DDASS. Il doit déclencher une enquête épidémiologique, et une investigation virologique (recherche d’entérovirus dans les selles (sur deux prélèvements faits à 24-48 h d’intervalle), éventuellement dans le LCR, complétée par une enquête sérologique (sur deux prélèvements sanguins effectués à deux-trois semaines d’intervalle). Aucun cas suspect de poliomyélite n’a été décelé depuis 1995.

1. Commission actuellement composée de D. ANTONA, S. DUBROU, M. DUMAS, N. GUÉRIN, H.

KOPECKA, D. LÉVY-BRUHL, B. LINA, JC RAPHAÊL, M. REY, coordonnée par MC PATY.

 

La surveillance virologique a été développée à deux niveaux. D’une part un réseau national de surveillance des entérovirus a été mis en place en 2000, coordonné par l’Institut national de veille sanitaire (InVS) et par le Centre national de référence des entérovirus, basé à Lyon. Sur 192 598 prélèvements effectués de 2000 à 2004 chez des malades hospitalisés pour des affections aiguës neuro-méningées, digestives ou respiratoires, aucun poliovirus sauvage n’a été détecté. D’autre part une surveillance virologique systématique de l’environnement (eaux usées et boues) a été mise en place depuis 1975 dans la région parisienne, assurée par le laboratoire d’Hygiène de la Ville de Paris.

Aucun poliovirus sauvage n’a été détecté depuis 2000, seules cinq souches de poliovirus vaccinal (« Sabin like »), importées d’Afrique, ont pu être isolées.

Quelles difficultés ont retardé la réussite du programme d’éradication mondiale, malgré l’élimination de la poliomyélite obtenue dès l’an 2000 dans la plupart des pays du monde ?

Une désaffection relative vis-à-vis des vaccinations de routine du PEV a été observée dans plusieurs pays en développement, devenus ainsi plus vulnérables. Six pays étaient encore endémiques en 2003 dans le sous-continent indien (Inde, Pakistan, Afghanistan) et en Afrique Egypte, Niger, Nigeria). C’est le refus de la vaccination (accusée de stériliser les femmes et de propager le SIDA) dans cinq états du Nord-Nigeria, sous l’influence d’un courant islamiste fondamentaliste, qui a sérieusement remis en question les progrès de l’éradication, en 2003-04. Ce refus a été suivi d’une épidémie explosive de polio au Nigeria (près de huit cents cas en 2005), à partir de laquelle de nombreux pays d’Afrique occidentale, centrale et orientale ont été re-contaminés : plusieurs pays musulmans d’Asie ont été particulièrement touchés, notamment le Yémen, (près de cinq cents cas), et l’Indonésie, (plus de trois cents cas). Il a fallu relancer dans ces pays les campagnes de vaccination de masse, malgré une diminution des ressources affectées au programme, due à l’érosion de la motivation des contributeurs.

D’autres questions se sont posées , telles la découverte de portage prolongé de poliovirus chez certains sujets immunodéprimés, et l’émergence d’épidé- mies de paralysies flasques aiguës (dont la plus importante a sévi dans l’île d’Hispaniola en 2001) imputées à un virus-vaccin Sabin-like redevenu neuropathogène et épidémiogène.

Quelle éradication mondiale espérer ? Celle de la poliomyélite paralytique, objectif que l’on peut raisonnablement retenir, plutôt que celle de la circulation des poliovirus, qui pourrait persister encore quelques années supplémentaires chez certains porteurs difficilement repérables.

Quand pourra-t-on certifier l’éradication mondiale, compte tenu de la dégradation récente de la situation ? Quand et comment sera mise en place la stratégie de la « post-éradication » ? Certes il faudra maintenir, voire renforcer la surveillance clinique et virologique, rendue plus difficile quand il s’agit d’une maladie disparue, en y ajoutant éventuellement une surveillance virologique des entérovirus dans l’environnement.

Combien de temps faudra-t-il maintenir la vaccination, et avec quel vaccin ?

Est-il raisonnable de poursuivre l’usage du vaccin vivant oral, compte tenu des problèmes soulevés par ce vaccin ? Mais comment le remplacer par le vaccin injectable, plus onéreux et difficile à produire en grande quantité, dans les pays en développement ?

Enfin, même si les poliovirus ne sont pas considérés comme des agents susceptibles d’intéresser le bioterrorisme, mais considérant qu’ils peuvent par inadvertance être lâchés dans l’environnement à partir d’un laboratoire, il est convenu qu’il faudra progressivement confiner ces virus dans des laboratoires de haute sécurité.

CONCLUSION

Ayant disparu des pays industrialisés, dont la France, et de leur pratique médicale, la poliomyélite a aussi presque disparu de l’enseignement, des manuels et des traités de médecine. Or l’éradication mondiale de la poliomyé- lite a pris du retard du fait de sa récente ré-expansion en Afrique et en Asie.

C’est pourquoi les médecins français, dont la plupart n’ont aucune expérience de la poliomyélite, doivent rester vigilants vis-à-vis du risque persistant d’importation des poliovirus. Jusqu’à l’obtention de la problématique éradication mondiale, et même au-delà de celle-ci, il est essentiel de maintenir en France une surveillance clinique et virologique performante, ainsi qu’un niveau élevé de couverture vaccinale.

* Membre correspondant de l’Académie nationale de médecine Président de la Commission de certification de l’éradication de la poliomyélite en France

 

Bull. Acad. Natle Méd., 2006, 190, nos 4-5, 1077-1080, séance du 30 mai 2006