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Séance du 30 mai 2006

La vaccination contre l’hépatite A en France

Yves Buisson

montré une décroissance régulière de 50 % à 10 %, la métropole passant en vingt ans d’un niveau d’endémicité intermédiaire à un niveau d’endémicité modérée. L’hépatite A n’est plus une maladie de l’enfance, mais une maladie de l’adulte jeune. Cette tendance, constatée dans tous les pays industrialisés, est un indicateur sensible des progrès de l’hygiène et de l’assainissement. Il faut noter toutefois que les DOM-TOM restent à un niveau d’endémicité intermé- diaire.

Parallèlement, deux réseaux indépendants observaient une diminution régulière de l’incidence annuelle de l’hépatite A : un observatoire en région lyonnaise fonctionnant depuis 1983 avec les laboratoires de biologie de la Courly et un réseau national actif depuis 1991 de médecins sentinelles.

Une enquête nationale réalisée en médecine générale en 1996 estimait l’incidence annuelle de la maladie à 28 p.10 000, l’âge moyen des patients étant de 24 ans et 59 % des cas ayant plus de 20 ans. La réputation de bénignité de cette maladie est en défaut, car elle est responsable de formes fulminantes à tout âge et, chez l’adulte, de formes prolongées pouvant entraîner une incapacité de travail de plusieurs mois.

Toutefois, malgré ce recul incontestable de l’hépatite A, la détection de VHA dans les eaux d’égout met en évidence une circulation occulte et persistante de ce virus parmi les habitants des grandes villes européennes.

Trop partielles et trop peu représentatives des populations dans leur intégralité, ces données sont insuffisantes pour élaborer un programme national de prévention. Il faut disposer des indicateurs de morbidité et de mortalité aux niveaux national, régional et départemental. C’est pourquoi, la Direction générale de la santé a décidé de rendre obligatoire la déclaration des hépatites A le 15 décembre 2005.

Les vaccins contre l’hépatite A

Les premiers vaccins contre l’hépatite A ont été mis sur le marché en 1992.

Ce sont des vaccins entiers, préparés à partir de souches virales sélectionnées et adaptées à la culture sur cellules MRC-5. Ils sont inactivés par le formol et associés à un adjuvant, l’hydroxyde ou l’hydroxyphosphate d’aluminium.

Il existe trois formulations adultes (Havrix®1440, Avaxim®, Vaqta®50U/ml) et trois formulations pédiatriques (Havrix®720, Avaxim®80u, Vaqta®25U/0,5ml).

Le vaccin Epaxal® adsorbé sur une émulsion de particules phospholipidiques (virosomes) est utilisable à tous les âges à partir de un an.

Tous ces vaccins sont administrés suivant le même protocole vaccinal, soit deux injections intramusculaires séparées de six à douze mois.

 

Il existe aussi des vaccins combinés hépatite A + hépatite B (Twinrix® adultes et Twinrix® enfants) et hépatite A + fièvre typhoïde (Tyavax® et Vivaxim®).

Les vaccins contre l’hépatite A disponibles en France sont très immunogènes, les taux de séroconversion étant de 54-88 % au 14e jour après la première dose, 90 % au 24e jour et 100 % au 30e jour.

Les titres d’anticorps neutralisants induits par la vaccination permettent d’escompter une protection durable, supérieure à dix ans. Il ne semble pas nécessaire de faire des rappels chez les personnes immunocompétentes correctement vaccinées. La tolérance des vaccins contre l’hépatite A est excellente. Les effets indésirables sont rares et bénins et aucun effet adverse grave ne leur a été attribué.

L’efficacité vaccinale, évaluée dans différents pays avec différents vaccins, se situe entre 85 et 100 %.

La vaccination d’une personne naturellement immune vis-à-vis de l’hépatite A est inutile mais n’induit aucun effet indésirable.

Il est possible d’effectuer un dépistage sérologique prévaccinal des anticorps totaux anti-VHA mais on peut s’en dispenser en cas d’urgence. On peut le proposer aux personnes nées en France avant 1960, ou ayant vécu en zone de haute endémicité, ou signalant des antécédents d’ictère. Dans ce cas, afin d’éviter qu’un résultat faussement positif écarte de la vaccination un individu non immun, il importe que le laboratoire utilise un test de très haute spécificité.

A la suite d’un cas d’hépatite fulminante survenu chez un patient non vacciné car déclaré immun après un dépistage sérologique, une étude coordonnée par l’AFSSAPS a été initiée en 2005 pour contrôler les performances des douze trousses de dépistage et de dosage des IgG et anticorps totaux anti-VHA commercialisées en France.

Stratégies vaccinales contre l’hépatite A

En France, le calendrier vaccinal publié en 2005 par la DGS recommande la vaccination contre l’hépatite A pour :

les sujets professionnellement exposés à un risque de contamination :

— personnels de crèches, — personnels d’internats des établissements et services pour l’enfance et la jeunesse handicapées, — personnels de traitement des eaux usées — personnels impliqués dans la préparation alimentaire en restauration collective.

des recommandations particulières :

— adultes non immunisés et enfants au-dessus de l’âge de un an voyageant en zone d’endémie, — jeunes des internats des établissements et services pour l’enfance et la jeunesse handicapées, — personnes exposées à des risques particuliers (hémophilie, transfusions multiples, — toxicomanie IV), patients infectés chroniques par le virus de l’hépatite B ou porteurs d’une maladie chronique du foie, — homosexuels masculins.

Ces recommandations s’incluent dans une stratégie limitée à la protection des personnes à risque. Plus de la moitié des cas d’hépatite A n’ayant pas de facteur de risque connu, une telle stratégie ne peut avoir d’impact sur la transmission du VHA en France.

Trois autres stratégies peuvent s’envisager : protéger l’individu, empêcher la circulation du VHA, éradiquer l’hépatite A.

Protéger l’individu

Parmi les personnes non immunes, il est primordial de vacciner celles qui sont le plus à risque de faire une forme grave de la maladie. L’âge peut être considéré comme un facteur de gravité (aux États-Unis le taux de létalité global dépasse 2 % après 40 ans) mais il existe aussi des formes graves d’hépatite A chez l’enfant : environ 25 % des hépatites aiguës graves de l’enfant sont dues au VHA. Ce n’est donc pas un élément approprié pour discriminer les personnes à vacciner.

Outre les patients atteints d’hépatite B ou d’hépatopathie chroniques, déjà visés par les recommandations en vigueur, deux affections prédisposant aux formes graves de l’hépatite A pourraient être clairement mentionnées : l’infection chronique par le virus de l’hépatite C (VHC) et la mucoviscidose. On estime en France à près de 600 000 le nombre de personnes infectées par le VHC.

Une majorité d’entre elles développera une fibrose hépatique, plus de 20 % une cirrhose et, chaque année parmi ces derniers, 3 à 5 % un hépatocarcinome.

Faut-il attendre qu’une hépatopathie se développe pour les vacciner contre l’hépatite A ou profiter de leur immunocompétence pour leur conférer sans tarder une protection durable sinon définitive ? D’autres maladies chroniques peuvent se compliquer secondairement d’une atteinte hépatique. La mucoviscidose est la plus fréquente des maladies génétiques graves dans la population blanche (1 p. 2 500 naissances) ; elle comporte une stéatose évoluant vers la cirrhose dans 10 à 15 % des cas. L’immunisation des enfants atteints de mucoviscidose devrait être systématique, avant qu’apparaissent d’éventuelles complications hépatiques.

 

Empêcher la circulation du VHA • Vaccination autour d’un cas.

La vaccination en contexte épidémique d’hépatite A n’a pas encore été clairement planifiée par les autorités sanitaires, faute de données épidémiologiques. Son efficacité a pourtant été démontrée lors de plusieurs épidémies communautaires et apparaît supérieure à celle des immunoglobulines polyvalentes qui ne sont plus disponibles en France depuis le 1er janvier 1995.

L’utilisation du vaccin en prophylaxie post-exposition semble légitime comptetenu de la longueur de l’incubation de la maladie (15 à 50 jours, 28 en moyenne) et de la rapidité d’apparition des anticorps neutralisants (14 à 21 jours après la première injection).

Bien que cette indication n’ait pas été suffisamment documentée, on sait la fréquence des cas secondaires dans l’entourage proche d’un cas d’hépatite A et l’efficacité limitée des mesures d’hygiène et de désinfection en milieu familial.

Il semble difficile de priver l’entourage d’un cas d’hépatite A du bénéfice potentiel d’une vaccination, par ailleurs sans risque. Il faudrait cependant fixer un délai raisonnable d’utilisation du vaccin, n’excédant pas une semaine après le diagnostic du cas index.

En revanche, les enquêtes séroépidémiologiques conduites en France pour documenter un risque accru de contamination par le VHA parmi les personnels soignants hospitaliers n’ont généralement pas réussi à mettre en évidence de différence significative par rapport aux personnels non soignants.

• Enfants voyageurs.

Une stratégie vaccinale visant à prévenir les épidémies d’hépatite A doit viser les personnes qui constituent des sources potentielles d’infection. Outre le personnel de restauration collective, déjà inclus dans les recommandations, ce sont les enfants voyageurs, notamment au sein des familles originaires d’Afrique du Nord, qui séjournent chaque année dans des pays de forte endémicité pendant les vacances. Il est habituel de voir apparaître des foyers épidémiques en milieu scolaire dans les semaines suivant la rentrée. Toutefois, le coût de la vaccination est prohibitif pour ces familles souvent nombreuses et dont le budget est déjà fortement entamé par les frais de voyage. Un remboursement serait souhaitable pour l’application effective de cette prévention.

Il faut aussi inclure dans cette indication les enfants des familles non sédentarisées. Fin 2004, en Auvergne, la détection des IgM anti-VHA salivaires a permis de documenter une épidémie en milieu scolaire. Le cas index était un enfant « du voyage », mis quelque temps à l’école du village. Grâce au génotypage du VHA, des foyers secondaires ont été identifiés ultérieurement dans les villes traversées par la caravane • Collectivités à risque.

L’armée française a mis en place une vaccination réglementaire contre l’hépatite A en 1994, en substitution de la gammaglobulinoprophylaxie, pour les militaires appelés à servir Outre-mer. En 2000, cette vaccination a été élargie à l’ensemble des forces à l’occasion de la professionnalisation.

Autre collectivité exposée aux hépatites virales, la population carcérale repré- sente actuellement plus de 60 000 détenus en France et accumule plusieurs facteurs de risque d’infection par le VHA (promiscuité, toxicomanie, homosexualité). Une vaccination combinée contre l’hépatite A et l’hépatite B pourrait être proposée, en complément de la vaccination contre l’hépatite B déjà réalisée par les services de médecine pénitentiaire.

Les collectivités pré-scolaires (crèches, garderies, jardins d’enfants, etc.) jouent un rôle considérable. La transmission du VHA y est souvent méconnue en raison du caractère souvent inapparent de l’infection (plus de 90 % sont anictériques avant l’âge de quatre ans) et peut être entretenue par l’excrétion prolongée du virus chez le nourrisson. Des cas secondaires symptomatiques sont observés chez les adultes, dans le personnel et les familles.

Les résultats obtenus dans la collectivité militaire française et les essais de vaccination universelle des enfants réalisés dans certains pays (Chine, Israël) montrent qu’une stratégie d’élimination de l’hépatite A peut être envisagée au niveau régional ou national. Périodiquement touchés par de grandes épidémies communautaires, les DOM-TOM devraient bénéficier en priorité d’un tel programme. En Polynésie française, la dernière épidémie déclarée entre février 1995 et avril 1996 a totalisé 1 953 cas, soit un taux d’incidence global de 1 %, 170 hospitalisations, six formes graves dont quatre fulminantes ayant entraîné la mort de deux enfants.

En France, l’introduction de la vaccination contre l’hépatite A dans le calendrier du nourrisson aurait un impact majeur sur la circulation du VHA et le risque épidémique. De nouvelles formulations combinées devraient alors être développées. Outre le coût d’une telle mesure, il faudrait s’assurer de la durée de la protection conférée, notamment chez les enfants ayant une réponse diminuée au vaccin du fait de l’interaction des anticorps maternels.

Eradiquer l’hépatite A

L’éradication de l’hépatite A est théoriquement possible, les six conditions nécessaires étant réunies : absence de réservoir animal, absence d’infection chronique, stabilité antigénique du virus, vaccin immunogène et bien toléré, immunité post-vaccinale de longue durée. Une telle stratégie ne pourrait être que mondiale ; elle n’est pas d’actualité, l’hépatite A ne posant actuellement pas de problèmes dans les pays en développement.

 

CONCLUSION

Avec les progrès de l’hygiène, l’hépatite A est devenue plus rare en France, mais le VHA continue de circuler. Survenant à un âge de plus en plus élevé, l’hépatite A devient de plus en plus sévère. La vaccination est efficace, en complément — et non en remplacement — des mesures d’hygiène et d’assainissement qu’il faut renforcer partout où c’est encore nécessaire. La déclaration obligatoire de l’hépatite A va permettre de détecter précocement les foyers épidémiques et l’utilisation des tests salivaires de les inventorier. On disposera alors des moyens nécessaires pour définir une stratégie nationale de prévention.

Dans cette attente, le groupe de travail sur les vaccinations de l’Académie nationale de médecine propose d’élargir la vaccination contre l’hépatite A :

— à tous les sujets non immuns qui risquent de développer une forme grave de la maladie, notamment les personnes ayant une infection chronique par le VHC et les enfants atteints de mucoviscidose ;

— à tous les enfants voyageurs et enfants du voyage en assurant le remboursement du vaccin ;

— à tous les nourrissons des DOM-TOM — aux collectivités carcérales, — à toute personne au contact d’un cas d’hépatite A aiguë.

La vaccination systématique des enfants de plus de un an admis en collectivités préscolaires serait à évaluer en termes de coût-efficacité dans une zone urbaine de transmission élevée.

Bull. Acad. Natle Méd., 2006, 190, nos 4-5, 1069-1075, séance du 30 mai 2006