Communication scientifique
Session of 31 mai 2005

L’épissage alternatif : une nouvelle cible pharmacologique aux potentialités thérapeutiques très larges

MOTS-CLÉS : épissage arn. maladies génétiques congénitales, vih.. raccordement alternatif. tumeurs
Alternative splicing : a novel pharmacological target with wide therapeutic potential
KEY-WORDS : alternative splicing. genetic diseasea, inborn. hiv.. neoplasms. rna splicing

Philippe Jeanteur, Jamal Tazi

Résumé

L’épissage alternatif est un processus qui permet, à partir d’une séquence génomique unique, de produire plusieurs ARN messagers correspondant à des protéines distinctes. Autrefois considéré comme exceptionnel, l’épissage alternatif est maintenant la règle chez les organismes supérieurs et notamment l’homme où il constitue la base moléculaire de nombreuses pathologies. Il s’appuie sur un mécanisme très flexible de sélection des sites d’épissage qui implique la reconnaissance de séquences régulatrices sur l’ARN pré- messager par des protéines stimulatrices spécifiques ou au contraire par des répresseurs. Cette interaction ARN-protéine définit deux cibles thérapeutiques potentielles qui ont été inégalement explorées. La stratégie de masquage des séquences régulatrices par des ARNs anti-sens était la plus évidente et commence à donner lieu à des résultats intéressants. Entièrement nouvelle est celle que nous développons actuellement et qui consiste à cibler les protéines activatrices par des molécules chimiques. A partir de la chimiothèque de l’Institut Curie, nous avons repéré plusieurs de ces molécules, toutes appartenant à la famille des dérivés de l’indole, dont certaines sont capables d’inhiber les effets stimulateurs de plusieurs protéines activatrices individuelles.

Summary

Alternative splicing is a process by which a single stretch of genomic DNA yields several mRNAs encoding different proteins. Once believed to be a marginal phenomenon, alternative splicing now appears to be widespread among higher organisms and to be behind a large repertoire of human diseases. It involves a flexible mechanism for selecting splice sites, based on regulatory sequences recognized by cognate trans-acting protein factors (stimulatory SR proteins, or their antagonists). This RNA-protein interaction provides two types of targets for therapeutic manipulation. Masking regulatory RNA sequences with an antisense strategy is the most obvious, and encouraging results are beginning to accrue. Our lab is currently developing an entirely new approach in which activating proteins are targeted by small chemical molecules. A large screening program has been conducted with the chemical library from the Curie Institute. Several molecules (all indole derivatives) were found to counter the stimulatory effects of individual activating proteins, and have been selected for further development.

INTRODUCTION

Dans une communication précédente [1], nous avions souligné l’importance de l’ARN dans de très nombreux processus de la vie cellulaire des eucaryotes et notamment la régulation de l’expression des gènes. Celle-ci y était explorée aux différentes étapes qui succèdent à la décision primordiale d’initier la transcription d’un gène pour y mettre l’accent sur le caractère essentiel, aussi bien quantitatif que qualitatif, de leur contribution à cette régulation. Nous nous attacherons dans la présente communication au mécanisme de l’épissage alternatif, à son rôle physiologique, à ses altérations pathologiques et à ses potentialités comme nouvelle cible thérapeutique en particulier celles qui découlent des travaux de notre équipe à l’Institut de Génétique Moléculaire de Montpellier.

ÉPISSAGE CONSTITUTIF, ÉPISSAGE ALTERNATIF ET DIVERSITÉ PROTÉIQUE

La découverte en 1977 que les gènes eucaryotes ne sont pas d’un seul tenant mais sont morcelés en blocs codants (exons) et non-codants (introns) compte certainement parmi les bouleversements les plus importants depuis l’origine de la biologie moléculaire. Le corollaire direct de cette organisation est le processus d’épissage qui consiste, à partir d’un ARN pré-messager qui est la copie exacte de l’ADN génomique, à éliminer au niveau ARN les séquences correspondant aux introns pour ne conserver dans le messager que les exons. Les introns étant en général beaucoup plus grands que les exons, c’est donc la plus grande partie des ARNs pré-messagers qui est éliminée lors de l’épissage. Le bénéfice d’un tel « gaspillage » n’a d’abord paru justifié que par une économie en termes d’évolution par le phénomène de « brassage
d’exons » [2]. Beaucoup de protéines ou enzymes ayant des domaines communs (par exemple les sites de fixation des coenzymes), il était avantageux par exemple, l’évolution ayant une fois élaboré un site pour l’ATP, de le réutiliser pour différentes kinases. Ceci allait de pair avec un découpage modulaire des enzymes, les exons correspondant à différents modules structuraux ou fonctionnels. C’est ce qui a effectivement été observé et les sites de fixation des coenzymes sont bien localisés dans des exons distincts de ceux correspondant aux autres domaines, par exemple pour la fixation des substrats.

Cette situation de base, que l’on peut qualifier d’épissage constitutif, a très vite été compliquée par l’observation que certains gènes pouvaient être épissés de différentes façons, conduisant à des messagers différents : c’est ce qu’on appelle l’épissage alternatif. Un des premiers exemples décrits a été celui du gène de la calcitonine qui produit effectivement cette hormone dans la thyroïde mais aussi la CGRP (Calcitonin Gene Related Peptide) dans le cerveau [3]. Un exemple extrême est celui du gène DSCAM (Down Syndrome Cell Adhesion Molecule), une molécule d’adhé- rence cellulaire de la superfamille des immunoglobulines impliquée dans le guidage axonal, qui peut générer potentiellement près de 40.000 isoformes [4].

On s’aperçoit maintenant que l’épissage alternatif, loin d’être une exception, est en fait la règle puisque les trois quarts de nos gènes ont au moins une possibilité d’épissage alternatif [5] et que plupart de ces épissages alternatifs changent substantiellement la séquence codante donc génèrent des protéines différentes [6]. Ainsi l’épissage alternatif peut-il largement expliquer la différence entre le nombre de gènes (environ 30.000) déduits de la séquence du génome humain et un nombre de protéines 10 fois supérieur.

Au-delà du rôle de l’épissage alternatif comme source de diversité protéique, c’est sa pertinence pathologique qui nous importe ici et qui est attestée par le fait qu’environ la moitié des mutations ponctuelles responsables de maladies génétiques telles que la neurofibramatose de type 1 [7] ou l’ataxie-telangectasie [8] produisent des variants d’épissage aberrants.

LA SÉLECTION DES SITES D’ÉPISSAGE OU COMMENT PERMETTRE UN ÉPISSAGE ALTERNATIF

Dans les organismes unicellulaires qui ne font pas d’épissage alternatif, les séquences d’ARN aux jonctions intron-exon sont très conservées et suffisantes pour une sélection non-ambiguë des sites d’épissage. Tel n’est pas le cas chez les mammifères où on distingue deux sortes de sites d’épissage : les sites forts ou constitutifs qui se suffisent à eux-mêmes et des sites faibles, très dégénérés, dont la sélection nécessite des éléments supplémentaires et qui sont sujets à épissage alternatif dont la modalité classique est l’exon optionnel qui peut être soit inclus soit exclus avec un changement dramatique de la protéine codée (Figure 1).

FIG. 1. — L’épissage alternatif par inclusion/exclusion d’exon résulte du choix entre sites forts et sites faibles d’épissage.

La figure montre deux options d’épissage à partir d’un gène comportant deux exons constitutifs (rectangles noirs) et un exon optionnel (rectangle gris) selon que ce dernier contient ou non un élément activateur (ESE, Exon Splicing Enhancer) indiqué par le rectangle strié. Les traits indiquent les introns.

Les sites forts ou constitutifs sont définis par les seules séquences au voisinage des jonctions intron-exon, en absence d’ESE. Ils aboutissent à l’exclusion de l’exon intermédiaire. En présence d’un ESE et des protéines activatrices spécifiques (protéines SR), ce sont les sites faibles alternatifs qui sont sélectionnés conduisant à l’inclusion de l’exon optionnel. Les protéines produites dans les deux cas sont donc radicalement différentes.

C’est donc par la sélection des sites d’épissage, définis comme jonctions intron-exon, qu’une cellule va choisir le type de protéine à produire. Ce processus est contrôlé par des séquences régulatrices activatrices (par exemple ESE pour Exon Splicing Enhancer) reconnues par une famille de protéines spécifiques appelées protéines SR.

Outre des domaines de reconnaissance spécifique de l’ARN, ces protéines possèdent des régions très riches en résidus arginine et sérine (d’où leur nom de protéines SR), donc hautement phosphorylables, leur permettant d’interagir entre elles selon des modalités qui peuvent être contrôlées par leur état de phosphorylation. Il existe d’ailleurs des protéines kinases spécifiques des protéines SR et en particulier l’ADN Topoisomérase I, comme l’ont montré les travaux de notre groupe [9]. La Figure 1 montre comment une protéine SR, fixée sur un élément régulateur de l’ARN pré-messager va permettre de sélectionner des sites d’épissage dans son voisinage et donc de décider de l’inclusion dans le messager d’une séquence donnée d’ARN et de l’information qu’elle porte.

Une première conséquence de la dégénérescence des sites d’épissage est l’existence de nombreux sites cryptiques en particulier dans les introns du fait de leur longueur qui peut être considérable, très supérieure à celle des exons.

Une seconde conséquence est de la plus haute importance car elle implique que des sites d’épissage, de même que des séquences régulatrices peuvent être générés facilement par de simples mutations ponctuelles expliquant ainsi la fréquence des pathologies génétiques résultant d’épissages aberrants. Dans cette optique, il importe d’avoir présent à l’esprit que certaines de ces mutations, jusqu’alors considérées comme de simples polymorphismes car n’affectant pas la séquence codante, peuvent avoir en fait un retentissement profond sur la structure des protéines par le biais d’altérations de l’épissage.

De façon très simplifiée, voire simpliste, on peut donc considérer que la sélection d’un exon à inclure dépend de l’interaction entre une séquence régulatrice donnée et son partenaire protéique spécifique. À cela il faut rajouter la notion qu’à côté des séquences activatrices reconnues par les protéines SR existent aussi des séquences inhibitrices reconnues par des répresseurs de l’épissage et que, pour compliquer le tout, ces deux types d’éléments sont souvent voisins ou même chevauchants. Il en découle que le choix entre activation et répression (c’est-à-dire inclusion ou exclusion d’un exon) peut résulter tout autant de la compétition entre facteurs protéiques antagonistes que des séquences régulatrices elles-mêmes. Ces mêmes séquences pourront donc conduire à des choix différents d’épissage alternatif dans différents tissus en fonction de l’abondance relative de ces facteurs protéiques.

LES MALADIES DE L’ÉPISSAGE

L’épissage en général, et l’épissage alternatif en particulier, est un phénomène si largement répandu chez les mammifères qu’il est difficile d’imaginer des maladies résultant d’anomalies de l’expression des gènes qui ne puissent relever, au moins dans certains cas, de perturbations de ce processus. Sans prétendre à l’exhaustivité, on peut trouver de nombreux exemples dans les trois catégories de pathologies suivantes.

Tout d’abord, les maladies génétiques monofactorielles dont 15 % des mutations touchent directement des sites d’épissage, soit qu’elles détruisent des sites normaux, soit qu’elles en engendrent de nouveaux [10]. Le catalogue en est très long et ne sera pas détaillé ici car il existe d’excellentes revues à ce sujet [11-13], mais des résultats concernant deux d’entre elles seront évoqués ci-dessous.

Les maladies virales en sont un autre exemple puisque pratiquement tous les virus y ont largement recours. Par exemple, de très nombreux événements d’épissage sont nécessaires pour la réplication des rétrovirus comme le HIV responsable du SIDA.

Les altérations de l’épissage alternatif associées à la cancérogénèse sont probablement au moins aussi nombreuses que les gènes qui contribuent à ce processus, et ce
n’est pas peu dire [12-14]. Nous ne citerons ici que quelques exemples particulièrement démonstratifs. Tout d’abord le cas de CD44, une glycoprotéine de surface impliquée dans l’adhésion cellulaire, les interactions avec la matrice et la migration.

Au regard de ces fonctions, il n’est pas surprenant que l’épissage alternatif de 9 exons internes puissent avoir des conséquences pathologiques. En effet, les isoformes contenant les régions variables (collectivement appelées CD44v) sont associées à de nombreux types de tumeurs [15]. L’une de ces isoformes (CD44v6) est trouvée spécifiquement dans les lignées cellulaires métastatiques. Il existe aussi plusieurs exemples où le même gène, épissé différemment, conduit à des protéines aux effets diamétralement opposés. C’est le cas de plusieurs protéines impliquées dans le mécanisme de l’apoptose (caspases et Bcl-X) dont les variants d’épissage ont des effets soit pro soit anti-apoptotiques [16].

COMMENT AGIR SUR L’ÉPISSAGE ALTERNATIF ?

Le choix des sites d’épissage étant défini par l’interaction de séquences régulatrices avec des protéines spécifiques, il y a là deux cibles possibles pour une intervention thérapeutique dont chacune vient de recevoir une preuve de concept. Nous allons décrire deux exemples de stratégies visant à l’exclusion thérapeutique d’un exon délétère, soit qu’il s’agisse d’une mutation toxique dans un exon normal (Figure 2), soit d’une séquence intronique anormalement incluse suite à la création par mutation d’un élément ESE (Figure 3). La cible d’intervention sera la séquence d’ARN dans le premier cas, une protéine régulatrice (protéine SR) dans le second.

Le modèle animal de myopathie (souris Mdx) offre une occasion idéale pour tester le premier concept, ce qui vient d’être réalisé par un travail tout récent du groupe d’O. Danos au Généthon [17]. Dans ce modèle, une mutation ponctuelle dans l’exon 23 est responsable de la pathologie car elle entraîne l’arrêt de la traduction et donc une dystrophine tronquée non fonctionnelle. Comme la partie de la protéine correspondant à cet exon n’est pas indispensable à la fonction de la dystrophine, ces auteurs ont développé une stratégie de « saut d’exon » en masquant les séquences d’ARN responsables de l’inclusion de l’exon 23 (Figure 2). Ceci a été réalisé par thérapie génique qui a abouti à la production d’une dystrophine, certes amputée d’un exon, mais parfaitement détectable et dont on peut espérer qu’elle permettra chez l’homme de transformer une forme sévère type Duchenne en une forme atténuée type Becker.

L’intervention sur des protéines régulatrices vient elle aussi de prouver sa faisabilité pour supprimer l’épissage défectueux de la pyruvate déshydrogénase E1 ? ? responsable du syndrôme de Leigh (encephalomyélopathie avec retard mental et acidose lactique). Ce travail, réalisé dans notre groupe à l’Institut de Génétique Moléculaire de Montpellier [18], a utilisé des cellules de malades, dans lesquelles une mutation dans l’intron 7 de cette protéine créait un site de forte affinité pour une protéine SR
activatrice particulière (SC35) activant à son voisinage un site d’épissage normalement cryptique avec pour conséquence l’inclusion de séquences introniques supprimant l’activité enzymatique. En réduisant artificiellement la quantité de la protéine régulatrice SC35 dans les cellules, notre équipe a pu supprimer la production de la protéine anormale (Figure 3).

FIG. 2. — Exclusion thérapeutique d’un exon délétère par une stratégie anti-sens dirigée contre la séquence ARN : le modèle animal (souris Mdx) de myopathie.

L’exon 23 pathologique porte une mutation non-sens qui interrompt prématurément la synthèse de la dystrophine donnant naissance à une protéine sévèrement tronquée inactive. La séquence protéique normalement codée par cet exon 23 n’étant pas indispensable à l’activité de la dystrophine, la stratégie utilisée ici consiste à promouvoir l’exclusion de l’exon 23 en masquant les séquences nécessaires à son inclusion par des séquences complémentaires (anti-sens) produites in vivo par thérapie génique. Ce travail [17] représente la première « preuve de concept » sur un modèle animal de l’applicabilité de cette technique à la myopathie humaine.

LES PROTÉINES SR, UNE NOUVELLE CIBLE THÉRAPEUTIQUE POUR DES MOLÉCULES CHIMIQUES

L’expérience ci-dessus établissait les protéines SR comme une cible thérapeutique entièrement originale. C’est pourquoi nous avons mis en place un test in vitro permettant de révéler les événements d’épissage contrôlés par une protéine SR donnée agissant sur sa séquence régulatrice spécifique. Des premiers cycles de criblage de molécules appartenant à la chimiothèque de l’Institut Curie nous ont amenés à constater que les molécules actives étaient toutes des dérivés de l’indole.

Nous nous sommes alors recentrés exclusivement sur cette famille chimique dont 220 composés ont été soumis aux tests de spécificité ci-dessus.

Nous avons à ce jour déjà sélectionné plusieurs molécules douées d’une spécificité pour les protéines SF2/ASF, SC35 et SRp55 [19, 20]. Le criblage se poursuit pour les autres protéines SR.

FIG. 3. — Exclusion thérapeutique d’un exon délétère par suppression d’une protéine SR : le modèle cellulaire du déficit en pyruvate deshydrogénase E1 α (syndrôme de Leigh).

Dans ce cas, une mutation dans un intron a créé une séquence ESE reconnue par une protéine SR particulièe (SC35). Un site cryptique dans l’intron s’est trouvé activé entrainant à l’inclusion de séquences introniques modifiant totalement la séquence du messager qui code alors pour une protéine aberrante. Ce travail [18] apporte la « preuve de concept » que la suppression artificielle d’une protéine SR peut aboutir à l’abrogation d’un épissage alternatif pathologique.

Nous avons pu par ailleurs confirmer que ces molécules interagissent directement et spécifiquement avec leur protéine cible au niveau de leur domaine RS.

Il importe à ce stade d’apporter une nouvelle « preuve de concept », celle de la possibilité de corriger des défauts d’épissage par ce type de molécules. Des travaux sont actuellement en cours dans notre laboratoire sur des modèles ex vivo ou in vivo correspondant aux deux pathologies héréditaires mentionnées plus haut (souris

Mdx comme modèle animal de la myopathie humaine et syndrôme de Leigh) ainsi que sur des cellules chroniquement infectées et productrices de HIV-1.

LE PROBLÈME DE LA TOXICITÉ DE CES MÉDICATIONS

Depuis ses débuts et jusqu’à tout récemment, la chimiothérapie avait toujours recherché des molécules toxiques. C’est maintenant une philosophie radicalement opposée qui commence à prévaloir avec l’avènement des thérapies dites ciblées, leur grande spécificité vis-à-vis d’une cible bien définie devant leur éviter une toxicité significative sur les tissus sains.

Peut-on raisonnablement espérer que la nouvelle catégorie de molécules évoquées dans ce travail évite cet écueil de toxicité ?

Dès lors qu’il n’existe qu’une douzaine de protéines SR, chacune d’entre elles doit être impliquée dans de très nombreux événements d’épissage. On aurait pu s’attendre alors à une toxicité importante et pourtant ce ne semble pas être le cas : les quelques molécules actives que nous avons sélectionnées pour les étapes suivantes de développement sont en fait peu toxiques. Comment expliquer cette situation apparemment paradoxale ? Une première explication plausible est que les épissages physiologiques utilisent plusieurs protéines SR dans une redondance fonctionnelle alors que les séquences régulatrices engendrées par mutation ne sont en général reconnues que par une seule de ces protéines. Dans ces conditions, la médication ne va bloquer que l’épissage dépendant de la seule protéine ciblée sans affecter ceux qui peuvent en utiliser plusieurs. Une autre explication qui vient s’ajouter à la précé- dente est que les sites anormaux d’épissage, c’est-à-dire ceux produits par une mutation, sont en général plus faibles et de ce fait potentiellement plus sensibles à l’inhibition d’une protéine activatrice donnée.

CONCLUSION

Les perturbations de l’épissage s’affirment de plus en plus comme la base moléculaire d’un nombre important de pathologies de l’expression génique, qu’elles soient héréditaires ou somatiques. Jusqu’à présent, la seule approche thérapeutique s’adressant à ce mécanisme visait à masquer les séquences du pré-messager responsables de l’épissage pathologique par une séquence complémentaire (stratégie antisens).

Le principe même de cette approche lui confère une très grande spécificité à l’encontre d’une seule anomalie bien définie alors que la stratégie entièrement originale que nous développons visant chacune des quelques protéines régulatrices touchera nécessairement un éventail beaucoup de gènes plus large. Une spécificité absolue est à l’évidence un avantage pour une maladie mono-factorielle comme le sont les maladies héréditaires mais risque d’être très insuffisante pour le cancer dont les anomalies d’expression des gènes sont très nombreuses. Nous pensons aussi que cette approche est potentiellement intéressante pour les infections virales comme le SIDA car le cycle de production du HIV repose sur un nombre limité de sites d’épissage bien définis mais suffisamment faibles pour être particulièrement vulné- rables à des inhibiteurs ciblant les protéines SR correspondant à leurs séquences régulatrices.

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DISCUSSION

M. André-Laurent PARODI

Les études que vous avez conduites sont-elles parvenues au stade d’évaluation de la biodisponibilité des molécules utilisées ? Existerait-il une spécificité d’actions vis-à-vis de certaines espèces ou familles de cellules cibles ?

A ce stade, seules des études sur des cellules en culture ont été réalisées mais des essais de traitement de maladies génétiques sur des modèles de souris sont en cours. Les études que vous mentionnez devront être faites dans le cadre du développement industriel que nous ne pouvons assumer dans un laboratoire académique.

M. Raymond ARDAILLOU

Quelle est la spécificité de séquence cible des protéines régulatrices par comparaison avec celle des enzymes de restriction ? La thérapie génique « réparatrice » n’est-elle pas aussi utilisable pour corriger un épissage alternatif pathologique ?

La spécificité de reconnaissance des protéines SR est beaucoup plus floue que celle des enzymes de restriction. Une complication supplémentaire découle du fait que ces derniè- res reconnaissent une séquence en double chaîne alors que c’est une séquence en simple chaîne qui doit être reconnue par ces protéines et que la structure secondaire de l’ARN interfère avec cette reconnaissance jusqu’à la bloquer complètement. La thérapie génique réparatrice a certainement de gros avantages sur ces molécules puisqu’elle serait définitive. Nous nous y intéressons cependant parce que ce sont des modèles très bien définis et parfaitement appropriés à la démonstration d’une preuve de concept et que nous en attendons beaucoup de connaissances fondamentales sur le mécanisme d’action de nos molécules.

M. Jacques-Louis BINET

Quels sont les modèles « cancérologiques » ou « génétiques » où vous avez pu étudier l’épissage alternatif ?

Nous sommes bien conscients que le cancer est la cible la plus intéressante à terme ne serait-ce que pour des raisons de marché. Mais le très grand nombre d’anomalies d’épissage dans les tumeurs fait que nous pensons préférable de nous adresser d’abord à des modèles plus simples comme les maladies génétiques ou les infections virales afin d’enrichir notre répertoire de molécules actives afin de les étudier ensuite sur des modèles cancérologiques beaucoup plus complexes.

M. Maurice CARA

Vous employez les termes alternatif et pathologique aberrant : ces deux termes sont-ils synonymes où ne vaudrait-il pas mieux dire épissage anormal, ce que tout le monde pourrait comprendre ?

Le problème est qu’il est très difficile de séparer ce qui est anormal de ce qui ne l’est pas.

Il ne faut d’ailleurs pas oublier que beaucoup d’informations présentes dans les banques de données sont issues de cellules cancéreuses et qu’elles ont jusqu’à présent servi un peu de référence inconsciente.

M. Georges DAVID

Vous avez démontré l’effet positif d’un « principe actif » sur la replication du virus VIH. Ce virus obéissant à des remaniements constants de son génome, n’y a-t-il pas un risque d’épuisement de l’effet initial obtenu par action sur les mécanismes d’épissage ?

C’est effectivement une crainte que l’on peut avoir mais qui ne serait que la reproduction des phénomènes de résistance observés avec toutes les molécules actuellement disponibles.

M. Edwin MILGROM

Vous présentez très clairement l’existence de deux sortes de mutations interférant avec l’épissage. Des mutations qui suppriment ou créent des sites constitutifs et des mutations qui créent (ou éventuellement suppriment) des sites faibles. C’est dans ce dernier cas où une inhibition des protéines SR pourrait être une alternative à la thérapie génique. Vous avez décrit des modèles cellulaires de telles situations mais y a-t-il des modèles animaux ou humains dans lesquels des sites faibles sont clairement à l’origine de la pathologie ?

Connaît-on des mécanismes de régulation de la concentration des protéines SR ? Y a-t-il des conséquences pathologiques ?

Je suis tout-à-fait d’accord sur ce premier point. Le virus HIV-1 me paraît le meilleur exemple puisque il utilise des sites plus faibles que les sites cellulaires et qu’on peut donc anticiper un effet notable sur le virus avec une faible toxicité faible pour les tissus sains. Il
existe quelques travaux indiquant une différence entre les tissus normaux et cancéreux mais ils sont encore insuffisants pour autoriser des conclusions claires.

M. Francis GALIBERT

À juste titre, vous faites remarquer que le nombre relativement modeste de gènes identifiés dans le génome humain et ceux des mammifères en général est/serait compensé par un usage important de l’épissage alternatif. Vous soulignez qu’un tel système serait avantageux au regard de l’évolution. Pourtant, dans le même temps, un tel système amplifie l’effet néfaste d’une mutation se situant dans un exon dont l’effet délétère pourrait ainsi se manifester dans plusieurs protéines différentes retenant cet exon. Qu’en pensez-vous ? Vous opposez les organismes unicellulaires et les mammifères, mais qu’en est-il des organismes pluricellulaires comme ceux représentés par le nématode C.elegans et ou drosophile D. melanogaster et d’autres situés tout au long de l’arbre évolutif, quelle importance revêt le phénomène d’épissage alternatif ?

Sur un plan évolutif, si la mutation est trop néfaste, elle sera éliminée. De toute façon, si plusieurs protéines sont affectées par une de ces mutations, ce ne sont en général que des isoformes de la même protéine qui sont issues du même « gène ». Tous ces organismes ont recours à l’épissage alternatif mais peut-être à un moindre degré.

M. Eugène NEUZIL

Les molécules que vous avez expérimentées ont des structures polycycliques analogues.

D’autres molécules plus simples ont-elles montré une certaine activité sur ces différentes modalités de l’épissage ?

Il est tout à fait exact que les molécules montrées appartiennent toutes à la famille des dérivés de l’indole. Les premiers criblages complètement aveugles n’ayant mis en évidence que des molécules de cette famille, nous avons dans un second temps choisi de recentrer notre criblage aux seules molécules (220) dérivées de l’indole que nous avons pu trouver dans les 6,000 molécules de la chimiothèque de départ qui est celle de l’Institut Curie.


* Institut de Génétique Moléculaire de Montpellier, IGMM-CNRS, 1919 Route de Mende, 34293 Montpellier Cedex 5. Tirés-à-part : Professeur Philippe JEANTEUR, même adresse. Article reçu le 18 février 2005, accepté le 11 avril 2005.

Bull. Acad. Natle Méd., 2005, 189, no 5, 949-961, séance du 31 mai 2005