Communication scientifique
Session of 20 février 2007

L’École des Hautes Études en Santé Publique (EHESP) : I. Quel projet pour la France ?

MOTS-CLÉS : communication interdisciplinaire. recherche/ organisation et administration. santé publique
The French School of Public Health (FSPH) : General perspectives
KEY-WORDS : interdisciplinarity communication. public health. research/organization and administration.

Antoine Flahault

Résumé

L’EHESP part d’une base solide, l’école nationale de la santé publique (ENSP), basée sur un campus de neuf hectares à Rennes, ayant 45 ans d’existence qui lui permet de répondre à une partie de ses missions. Elle doit cependant développer des missions universitaires, de formation supérieure et de recherche en santé publique, dans un contexte qualifié de « grande faiblesse numérique du potentiel de recherche » et « d’inadéquation des financements » risquant de menacer à terme la place de la France dans la compétition scientifique internationale dans le domaine de la santé publique. Sachant que 85 % de la production scientifique en santé publique est réalisée par l’Inserm et les hospitalo-universitaires, et qu’elle est en majeure partie regroupée en Ile-de-France, il paraît nécessaire à l’EHESP de regrouper et renforcer les forces existantes pour réunir une masse critique crédible, en développant en urgence des partenariats de formation et de recherche en santé publique de très haut niveau à Paris. L’option proposée dans cette série de trois articles est d’initier cette dynamique dans des domaines restreints au risque et à la prévention en santé. L’excellence scientifique, le bilinguisme français-anglais, l’ouverture sur l’Europe et les USA, l’influence et le rayonnement dans le monde, les partenariats avec les grandes écoles, les organismes de recherche, les universités, le monde hospitalier et le secteur privé seront les critères principaux sur lesquels se construiront les premiers centres de formation et de recherche de l’EHESP.

SUMMMARY

FSPH is based on the foundations of the 45-year-old National School of Public Health Administration (ENSP), located in Rennes (Brittany) on a 22-acre campus. The annual
budget is 55 milion euros, which is only partly adequate for FSPH missions and objectives.

What is currently needed, in addition to ENSP, is a high-level academic establishment. It has been argued that France lacks the research resources and funding necessary to hold a leading international position in public health research and expertise. About 85 % of international scientific papers published by French teams in the field of public health are produced by Inserm (the French equivalent of NIH) and university hospitals, which are mainly located in Paris. It is proposed to initially network and reinforce existing forces, in close collaboration with top-level institutions in the French capital. This series of three papers proposes to establish a dynamic in two domains : (i) risk analysis and regulation, and (ii) prevention and screening in public health. FSPH will be grounded on scientific excellence, French-English bilingual training, openness to Europe and North America, worldwide notoriety, and collaboration with top-flight academic and research institutions, hospitals, and the private sector.

INTRODUCTION

L’ambition qui a présidé à la création de l’EHESP (loi de santé publique d’août 2004, décret no 2006-1546 du 7 décembre 2006) selon le statut des grands établissements du code de l’Education, était de construire en France une grande école universitaire de santé publique dont les missions sont rappelées dans l’encadré ci-dessous. Rappelons plusieurs constats dressés dans le rapport sur la Science et la Technologie No 23 [1], faisant état tout d’abord de la « très grande faiblesse numé- rique du potentiel de recherche français [en santé publique] quels que soient les indicateurs retenus : nombre de chercheurs et enseignants chercheurs, nombre de thèses soutenues, taille moyenne des laboratoires spécialisés ». En effet, en santé publique la France ne tenait en 2004, en termes de production scientifique, que la 18ème place dans la compétition internationale (rapportée à la taille de la population), derrière des pays comme le Danemark, la Norvège, la Suède, les Pays-Bas, la Finlande, l’Australie, le Royaume-Uni, le Canada, ou les USA. La contribution de l’Inserm (408 employés dont 115 chercheurs Inserm travaillant dans des structures orientées en santé publique) et des hospitalo-universitaires (156 hospitalouniversitaires à temps plein recensés en 2004 dans les disciplines de santé publique 46.01 et 46.04) à la recherche épidémiologique était majeure en 2004 (85 % des publications), mais cette recherche restait quantitativement très faible (35 thèses de doctorats en épidémiologie délivrées en 2003, 45 en 2005). Le second constat du rapport pré-cité porte sur « l’inadéquation des financements, et des modalités de gestion des organismes de recherche […] qui menacent de rapidement marginaliser la France dans la compétition scientifique internationale » [1], alors que le budget annuel de Harvard School of Public Health est de 248 millions de dollars, dont 143 millions pour la recherche, celui

Johns Hopkins Bloomberg School of Public Health de 330 millions de dollars, dans un pays certes 5 fois plus peuplé que la France, mais qui compte 36 écoles universitaires de santé publique. En partant avec un budget annuel de l’ordre de 50 millions d’euro issu de l’intégration de l’école nationale de santé publique (ENSP), l’EHESP dispose d’atouts et de leviers considérables mais
encore largement insuffisants pour répondre au défi qui se présentent. Il va s’agir de mettre en réseau des partenaires institutionnels hétérogènes souvent éloignés tant géographiquement que sur leurs thématiques d’intérêt, en privilégiant l’excellence attendue et en favorisant l’émergence d’une masse critique efficace et crédible. Cet article, après une rapide analyse de quelques modèles anglo-saxons présente et discute différentes options possibles pour imaginer et mettre en place l’EHESP.

Les grandes écoles de santé publique dans le monde

Aux Etats-Unis, on dénombrait en 2006, 36 Ecoles de Santé Publique délivrant des doctorats (PhD) et 57 formations délivrant des masters de santé publique (ou de médecine préventive) en dehors des écoles de santé publique [1, 2]. Deux modèles souvent cités sont la Johns Hopkins Bloomberg School of Public Health , localisée à

Baltimore (Maryland, USA), avec 1 700 étudiants inscrits, 501 enseignants à tempsplein (sur 1 133 membres du personnel), et structurée en dix départements :

Biochimie et biologie moléculaire, Biostatistiques, Sciences en environnement et santé, Epidémiologie, Management et politiques de santé, Santé internationale, Santé mentale, Santé-comportement et société, Microbiologie moléculaire et immunologie, Population et santé de la famille. Harvard School of Public Health , à Boston (Massachussets, USA), avec 1 000 étudiants, 472 enseignants chercheurs (sur 918 employés), est structurée en neuf départements : Biostatistiques, Santé et Environnement, Epidémiologie, Maladies génétiques et complexes, Management et politiques de santé, Immunologie et maladies infectieuses, Nutrition, Population et santé internationale, Société-développement et santé.

En Europe, plusieurs pays ont des structures d’enseignement supérieur et de recherche en santé publique. Aux Pays Bas, le département de santé publique de l’Université Erasmus de Rotterdam a un effectif de 125 personnes. Au Royaume Uni, la London School of Hygiene and Tropical Medicine , Université de Londres, avec 850 étudiants, 405 enseignants et chercheurs (sur 729 employés) est structurée en trois départements : Epidémiologie et santé de la population, Maladies infectieuses et tropicales, Santé et politiques publiques. On retrouve au sein des départements des thématiques assez proches de celles structurant les écoles américaines (par exemple le Public and Environmental Health Research ).

Comment l’EHESP peut-elle et doit-elle rejoindre le groupe des « grandes écoles » de santé publique internationales ?

L’insertion de l’ENSP dans l’EHESP contribue à sa mise en place avec son budget annuel de 53,5 millions d’euro (2005), 1100 élèves reçus chaque année, 290 postes permanents dont 74 enseignants et 1600 conférenciers, un centre de documentation, une banque de données en santé publique et une maison d’éditions spécialisées.

L’ENSP poursuivait quatre missions principales : — Formation : aux politiques de santé publique et d’action sociale, au management des organisations sanitaires et
sociales, et à la prévention, l’analyse et la gestion des risques sanitaires liés à l’environnement et au système de soins ; — Coopération internationale ; — Recherche , principalement dans les domaines des politiques sociales et sanitaires, l’évaluation des réformes des systèmes de santé, les dynamiques professionnelles, l’exposition aux risques environnementaux ; et — expertise , dans les domaines pédagogique, de la démarche qualité, l’analyse financière des établissements, les schémas régionaux d’organisation des soins, et la gestion des risques sanitaires liés à l’environnement [3].

Le renforcement de l’EHESP peut se réaliser selon plusieurs choix stratégiques et options. Clairement si l’ENSP peut être considérée, quasiment dans son ensemble, comme l’un des « départements » des grandes écoles internationales citées ci-dessus, celui sans doute du management et des politiques de santé ( Health Policy & Management de Johns Hopkins Bloomberg SPH , ou de Harvard SPH par exemple), avec des fonctions assurées également dans le domaine de la santé et l’environnement. L’ENSP ne remplit pas à elle seule l’ensemble des fonctions attendues d’une grande école universitaire de santé publique pour répondre aux enjeux de la compétition internationale, mais aussi aux nécessités de formation de professionnels de santé publique dans les différentes structures publiques et privées du pays. Par exemple l’institut de veille sanitaire (InVS) est passée de 8 employés en 1998 à plus de 380 en 2007. Deux choix stratégiques sont envisageables, sans préjuger de la structuration de l’EHESP entre Paris, la Province, en instituts, départements ou services communs (cette structuration sera la prérogative des instances de l’école) :

Calquer son modèle sur l’une des grandes écoles anglo-saxonnes , celle de Londres par exemple, avec trois grands départements dont un serait celui assuré par Rennes aujourd’hui, en le renforçant, un département d’épidémiologie et un département de maladies infectieuses et tropicales. Ou calquer une école nordaméricaine, avec les neuf ou dix départements de Johns Hopkins Bloomberg SPH ou Harvard SPH respectivement, dont Rennes serait un ou plusieurs d’entre eux comme indiqué ci-dessus.

Construire un modèle nouveau pour répondre à des questions nouvelles, en tenant compte de la richesse constituée par l’ex-ENSP, ses liens exceptionnels avec le monde hospitalier et des établissements sociaux du pays, et qui doit répondre à l’exigence de formation d’une administration de la santé en évolution. Une autre originalité de l’EHESP tient dans le mandat qu’elle a reçu de jouer un rôle de structuration et d’animation d’un réseau d’acteurs scientifiques dans le champ de la santé publique.

Quel que soit le modèle retenu, les centres de recherche et de formation seront renforcés ou créés, voire co-habilités, selon des principes d’excellence et d’innovation en santé publique. Ils seront évalués à l’aune des critères classiques de la compétition internationale. Ainsi, la proposition de création d’un centre de recherche et de formation de l’EHESP devra comporter un argumentaire détaillant la politique scientifique envisagée du centre, son apport innovant en santé publique, ses parte-
nariats publics (universités, grands organismes de recherche, grandes écoles, agences) et privés, son insertion éventuelle dans le cadre d’un Pôle de Recherche et d’Enseignement Supérieur, ses critères d’évaluation, sa stratégie de recrutement de ses propres enseignants et chercheurs, et son programme de formation de haut niveau s’inscrivant dans un cursus de type licence, master, doctorat (LMD) existant ou à créer. De plus, le centre devra se conformer à une charte des enseignements universitaires de l’EHESP qui sera définie par le conseil des formations, et concernera notamment des exigences bilingues, le pourcentage minimal souhaitable d’étudiants étrangers inscrits, la formation par la recherche en laboratoires d’accueil labellisés, l’offre de compléments de formation individuelle à distance, la description des modalités de sélection des étudiants à l’entrée, les efforts entrepris pour recruter des étudiants issus des quartiers défavorisés, l’étude systématique des emplois et/ou parcours attendus à l’issue des formations proposées, un programme d’allocations de recherche basé sur le mérite.

Les options pour un projet à dix ans de l’EHESP

Nous n’entrerons pas ici dans la structuration de la future école (en termes d’instituts à proposer, de départements et services communs à créer), qui selon les textes est la prérogative du conseil d’administration et des tutelles de l’EHESP, après consultation de ses autres instances (conseil scientifique et conseil des formations).

Quel que soit la structure retenue, se pose la question de savoir quels champs doit couvrir la future EHESP. Des discussions préliminaires ont permis, dans une première approche, de lister de grands domaines de contenus tant en termes de formations que de recherche que devraient traiter l’école dans un horizon de dix ans.

Certains sont d’ordre méthodologique (et repéré dans la liste ci-dessous (classée par ordre alphabétique) par la lettre « M », d’autres sont thématiques « T », d’autres peuvent être mixte :

Analyse et régulation du risque (M, T) Biostatistique et épidémiologie théorique (M) Cancer et santé publique (T) Centre Cochrane (M) Cœurs, vaisseaux et santé publique (T) Épidémiologie clinique des produits de santé et des procédures de soins (T) Éthique-philosophie-histoire de la santé (M) Génétique et santé publique (M) Géographie et santé publique (M) Management et politiques sanitaires et sociales (M, T) Offre de soins et services de santé (T) Prévention, dépistage et promotion de la santé (M) Santé de la femme et de l’enfant (T) Santé, environnement et travail (T) Santé internationale, maladies infectieuses et tropicales (T)

Santé mentale et santé publique (T) Systèmes d’information en santé (M) Vieillissement et santé publique (T)

Organisation de l’EHESP à partir de 2007

Même s’il est utile de voir dès à présent comment pourrait se structurer l’école sur dix ans, la montée en charge progressive des moyens qui lui seront affectés conduira inévitablement à faire des choix et à établir des priorités. Comme nous l’avons indiqué plus haut, des critères d’excellence doivent guider avant tout les choix initiaux, tant sur le plan des structures initiales à mettre en place, que des recrutements des personnels enseignants-chercheurs des premières années. Les thématiques listées ci-dessous ne peuvent probablement pas constituer dès 2007 la liste initiale des départements ou instituts à créer à l’EHESP, sauf à attribuer d’emblée à l’école un budget complémentaire le plaçant au niveau de celui des grandes écoles citées ci-dessus ( Johns Hopkins Bloomberg School of Public Health a un budget annuel qui dépasse 330 millions de dollars).

La stratégie que nous proposons viserait à planter solidement les deux premiers piliers de l’EHESP :

• en approfondissant la réflexion amorcée sur la structuration de l’ENSP et sur le renforcement de son offre de formation et de recherche ;

• en mettant en place une réflexion sur les modalités de gestion de l’urgence, à partir et au-delà de l’urgence en santé publique. D’une pandémie à une attaque terroriste, les problèmes posés par les urgences sont souvent similaires et loin d’être résolus.

Le livre blanc du gouvernement sur la lutte contre le terrorisme [4] indiquait ainsi que les modalités juridiques françaises de réponse à l’urgence (article 16 de la Constitution de 1958 ou Loi de 1955 sur l’état d’urgence) devaient probablement être repensées à l’avenir. Les nombreuses réflexions menées suites aux crises sanitaires et aux pandémies peuvent faire de l’EHESP un laboratoire et le pivot de ce chantier d’avenir. Il nécessiterait une réflexion à la fois théorique (par exemple en philosophie politique, en théorie du droit), comparative (système français, nord-américain, sud-africain, européen, etc.) et empirique (évaluation assurantielle, organisationnelle etc.). Ainsi l’EHESP pourrait mettre en place un Centre sur le Risque et la Prévention en Santé Publique constitué initialement de deux unités :

— Analyse et Régulation des risques . Cette unité composée de spécialistes en sciences humaines et sociales (sociologie, économie, droit de la santé, psychologie, philosophie), en épidémiologie théorique (modélisation), pourrait traiter des risques infectieux, environnementaux, et nucléaires pour la santé, qu’ils soient naturels ou malveillants.

— Dépistage et Prévention des risques en santé publique. Cette unité composée de spécialistes dans le domaine de la médecine factuelle pourrait aborder les grands
problèmes de dépistage et de prévention, dans ses aspects de recherche et de formation.

Sur les aspects recherches , il est nécessaire que l’EHESP dispose rapidement de moyens immobiliers, de ressources humaines, et d’un budget de fonctionnement général lui permettant de créer des laboratoires propres ou de développer des liens (conventions, co-contractualisations, notamment des unités mixtes de recherche) avec les grands organismes de recherches, les autres grands établissements, les universités, et toute autre structure, par exemple, le GIS Institut de recherche en santé publique (IReSP nouvellement créé), ou d’autres entités privées. Elle pourra aussi développer des liens avec les établissements universitaires étrangers, notamment européens et nord-américains.

Sur le plan des enseignements , l’EHESP doit créer des filières de formation doctorale, éventuellement dans le cadre d’un pôle de recherche et d’enseignement supérieur (PRES), en partenariat avec des grandes écoles, des Universités, des Agences qui le souhaitent. Deux autres Ecoles Doctorales franciliennes portant la mention « santé publique » existent déjà, et sont principalement orientées sur les aspects épidémiologiques et biostatistiques (leur co-habilitation à terme avec l’EHESP est envisageable). La troisième Ecole Doctorale créée par l’EHESP se positionnera principalement sur des secteurs où les deux autres écoles doctorales ne sont pas très présentes : les sciences du management de la santé et l’économie de la santé, le droit de la santé, la prévention et l’analyse des risques, l’assurance qualité des soins, la santé internationale. L’enjeu ici sera de construire des partenariats d’excellence avec les grandes écoles de commerce et d’ingénieurs, les grands établissements, les universités nationales ou étrangères, les grandes entreprises publiques et privées, le secteur hospitalier. La nouvelle école doctorale de l’EHESP tentera aussi de fédérer les sections « santé publique » volontaires pour la rejoindre parmi les formations doctorales multi-thématiques existant actuellement dans les universités, mais morcelées sur l’ensemble du territoire.

L’EHESP assurera sans rupture de continuité avec l’ENSP la formation professionnelle des directeurs d’hôpitaux et d’établissements sanitaires et sociaux, directeurs des soins, médecins et pharmaciens inspecteurs de santé publique, médecins de l’éducation nationale, ingénieurs d’études sanitaires et ingénieurs du génie sanitaire, inspecteurs de l’action sanitaire et sociale.

Un enseignement entrant dans le cursus LMD, fortement innovant dans ses principes pédagogiques, basé principalement sur une formation par la recherche et le compagnonnage, par des stages en laboratoire d’accueil type Master2, dans le cadre de parcours personnalisés, entrecoupés de formations propres en séminaires ou d’ECTS labellisés et destinés à des étudiants sélectionnés avec les partenaires de l’école doctorale notamment. Les formations seront entièrement bilingues, ainsi l’inscription répondra à des critères de sélection sur les langues française de niveau « opérationnel supérieur » (natif ou par exemple DELF B2) et anglaise (natif ou par exemple TOIEC > 785) ou à un enseignement spécifique dans ces matières si le
critère n’est pas rempli. Une proportion minimale des inscriptions sera réservée aux étudiants de nationalité étrangère. La sélection répondra à des critères d’excellence des parcours initiaux, ainsi qu’à un projet personnel présenté au cours d’un entretien avec un jury de l’EHESP. La priorité sera accordée à la plasticité et la souplesse des modalités d’enseignement proposées, leur multidisciplinarité, la mobilité attendue des étudiants au cours de leur formation, le travail personnel fourni, et la possibilité de suivre des enseignements à distance.

Des parcours en temps partagé permettront de mettre en place un Executive Master of Public Health (Master des Hautes Etudes en Santé Publique) destiné aux professionnels de la santé ayant plusieurs années d’expérience professionnelle au moment de l’inscription.

La politique de recrutement, visera à attirer de bons étudiants étrangers et nécessite :

— de leur délivrer des diplômes (certains ne resteront qu’un an, voire six mois, donc les seuls diplômes LMD ne correspondront pas toujours à la demande) et la création de diplôme de la French School of Public Health rendra attractive l’assistance aux séminaires de l’EHESP, — d’assurer une partie du programme en anglais, — d’avoir des intervenants étrangers ou exerçants à l’étranger (ces derniers ayant le double avantage de pouvoir servir d’interface dans les universités étrangères et de pouvoir donner un avis sur le niveau des impétrants étrangers à l’EHESP) et — d’assurer leur accueil à Paris ou en province. De plus, outre les professeurs seniors et les élèvesdirecteurs d’hôpital , pour attirer de jeunes enseignants et chercheurs efficaces, tournés vers l’international et souhaitant s’investir dans un programme de recherche ambitieux tout en gardant un pied soit dans le monde universitaire classique soit dans leur profession propre, il faut favoriser une structure salariale souple : au lieu de postes universitaires (d’ailleurs bien plus coûteux), pourquoi ne pas choisir d’affecter une partie (voire la totalité au début) des postes selon le modèle de Sciences-Po c’est-à-dire en nommant des « Maîtres de Conférences de l’EHESP » ou des « Professeurs de l’EHESP » ? Cela confèrerait une certaine malléabilité dans la gestion du personnel (Sciences-Po peut révoquer ses maîtres de conférences et professeurs sur une base annuelle). Et cela semble utile dans un programme où l’investissement personnel des enseignants doit être élevé. Réciproquement, ce système permet à de jeunes chercheurs ou enseignants-chercheurs de s’investir à l’EHESP tout en continuant leur carrière professionnelle académique (universités, grands organismes de recherche, agences) ou privée, en France ou à l’Etranger.

L’EHESP a une vocation de couverture nationale métropolitaine et ultramarine . Elle bénéficie d’emblée de plusieurs implantations régionales (au moins celles de Rennes et Paris), et pourra se constituer dans l’avenir autour de pôles régionaux disposés à l’accueillir (sur appel d’offre par exemple). Dans un modèle original « à la Française », l’EHESP de par sa tutelle « santé » peut légitimement établir des partenariats avec les grands centres hospitalo-universitaires volontaires pour libérer des locaux à cette fin, visant à la création du concept d’« Espaces de Santé Publique », véritables établissements mixtes hospitalo-académiques, où la recherche et la formation en santé publique resteraient dans une étroite proximité avec le public, et des
activités praticiennes de prévention et de dépistage, d’éducation et de promotion pour la santé. Ces espaces de santé publique proposeront un accès à la formation à la santé publique des professeurs des écoles et des collèges (notamment dans le cadre des programmes des sciences de la vie et de la terre) , et proposeront un accès gratuit (et traduit) aux professionnels de la santé en France aux bases de données Cochrane pour favoriser la diffusion de la culture de santé publique parmi les praticiens, et notamment les raisonnements de la médecine factuelle.

De nombreuses ressources de l’ex-ENSP, existantes à Rennes, tels le centre de documentation multimédia et le centre de pédagogie à distance seront utiles à l’ensemble de ces activités de l’EHESP.

Une Fondation , de droit privé, dont le partenaire privilégié est l’EHESP, pourrait se créer dans les futurs locaux d’un Espace de Santé Publique de Paris. Elle rassemblerait plusieurs partenaires publics et privés autour d’un objectif central : Prévention et risques en santé publique, avec une attention particulière pour les plus démunis.

CONCLUSION

Il n’existe pas — à notre connaissance — d’ouvrages indiquant comment créer une école universitaire de santé publique en France ni dans le monde, même si un site internet nord-américain procure de bonnes pistes et de nombreuses informations en ce sens [5]. Le législateur a retenu un dispositif conférant plusieurs atouts pour permettre à ses concepteurs d’imaginer la future EHESP. L’école s’inscrit parmi les « grands établissements », ces universités dotées de moyens et d’autonomie particulièrement renforcés, et dont les expériences passées sont réputées aujourd’hui pour leur excellence scientifique sur le plan national mais aussi international [6]. La présence en particulier des tutelles « santé » « affaires sociales » « enseignement supérieur et recherche » confère un autre atout et une originalité au dispositif français, facilitant la conception de structures hospitalo-académiques innovantes, telles les « Espaces de Santé Publique » que nous proposons de créer sur le territoire, instituant une intimité forte entre la santé publique académique (écoles doctorales, départements de méthodologie et de biostatistiques de l’EHESP par exemple) et la santé publique en action (prévention, dépistage, éducation pour la santé). Ces Espaces de santé publique, en lien étroit avec la formation et la recherche seraient aussi au service du public et en partenariat avec son bassin de proximité, le monde associatif, les élus locaux, les entreprises et les nombreux autres acteurs agissant au quotidien sur les déterminants de la santé, souvent demandeurs d’une meilleure évaluation de leurs activités et d’un plus haut niveau de formation. La vocation de ces structures est une couverture de l’ensemble du territoire national, même si les premiers pas de l’école, par soucis d’efficacité durant la période de montée en charge pourraient se faire sur deux pôles majeurs, à Rennes et à Paris où se concentrent aujourd’hui de nombreuses forces à même de faire réussir le projet.

Le chapitre VI du titre V du livre VII du code de l’éducation est complété par un article L. 756-2 ainsi rédigé :

« Art. L. 756-2. 7 L’Ecole des hautes études en santé publique, établissement public de l’État à caractère scientifique, culturel et professionnel, est placée sous la tutelle des ministres chargés de la santé, des affaires sociales, de l’éducation et de la recherche. Elle a pour mission :

« 1 D’assurer la formation des personnes ayant à exercer des fonctions de direction, de gestion, d’inspection ou de contrôle dans les domaines sanitaires, sociaux ou médico-sociaux et notamment de celles relevant du ministre chargé de la santé et du ministre chargé des affaires sociales ;

« 2 D’assurer un enseignement supérieur en matière de santé publique ; à cette fin, elle anime un réseau national favorisant la mise en commun des ressources et des activités des différents organismes publics et privés compétents ;

« 3 De contribuer aux activités de recherche en santé publique ;

« 4 De développer des relations internationales dans les domaines cités aux 1, 2 et 3, notamment par des échanges avec les établissements dispensant des enseignements comparables »

BIBLIOGRAPHIE [1] VALLERON A.J. — L’épidémiologie humaine. Conditions de son développement en France, et rôle des mathématiques . Rapport sur la Science et la Technologie no 23. Académie des Sciences.

Editions EDP, Paris 2006.

[2] HARDY J. — Fonder l’Ecole des Hautes Etudes en Santé Publique. Rapport aux ministères de tutelles de l’EHESP . 8 juin 2006. http : //www.sante.gouv.fr/htm/actu/ehesp-hardy/rapport.pdf.

[3] IGAS, IGADEN R. — Rapport relatif à la création de l’école des hautes études en santé publique.

Rapport IGAS 2004-65. http : //lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/044000414/0000.

pdf.

[4] Secrétariat Général de la Défense Nationale (SGDN). — La France face au terrorisme.

Livre blanc du gouvernement sur la sécurité intérieure face au terrorisme. http : //www.la documentationfrancaise.fr/catalogue/9782110061010/.

[5] http : //www.asph.org/ et http://www.ceph.org [6] http : //www.education.gouv.fr/cid54/liste-des-grandes-ecoles-et-des-grands-etablissements.html

DISCUSSION

M. Charles PILET

Comme chacun le sait, les grandes crises sanitaires de ces deux dernières décennies ont l’animal pour origine (Sida, certaines formes de Creuzfeld-Jacob, SRAS, grippe aviaire, etc.). Compte tenu de ce constat comment comptez-vous prendre en compte la composante « animale » dans le cadre de l’EHESP ?

Le champ de la santé publique est large et vous avez raison de souligner qu’il couvre bien sûr la santé animale. On dit que plus de 60 % des maladies émergentes sont d’origine animale. Je défends l’idée depuis longtemps que l’on ne peut pas continuer à cloisonner les disciplines qui s’occupent de ces questions. Pas plus que l’on peut s’occuper de climatologie sans comprendre les océans, on ne peut en effet pas s’occuper de maladies émergentes, mais aussi d’alimentation et de nutrition, sans associer le monde animal et plus largement le monde agronomique. De par mon expérience dans les maladies infectieuses, j’aurai à cœur d’impliquer les communautés scientifiques de ces domaines dans la future EHESP.

Mme Jeanne BRUGÈRE-PICOUX

Comme l’a bien souligné Charles Pilet, il importe de tenir compte de la médecine vétérinaire lorsque l’on parle de santé publique. Il faut aussi savoir choisir les bons interlocuteurs, c’est-à-dire des vétérinaires connaissant ces maladies animales. En effet de nombreuses crises sanitaires ont été observées avec des zoonoses et l’on peut remarquer que les médecins ayant abandonné l’enseignement de la pathologie comparée connaissent moins les maladies animales. Michel Setbon a souligné l’importance de « l’évaluation du risque » et « l’existence de nouveaux modèles de communication du risque au niveau international ». Mais nous avons l’exemple récent de la communication effectuée par l’OMS au niveau mondial sur la « grippe aviaire » qui est en fait surtout pour le moment un problème vétérinaire et nous avons vu les conséquences économiques sur les filières avicoles d’une communication sur ce sujet par des non-spécialistes médecins entraînant une confusion entre cette affection animale et un risque de pandémie humaine. C’est pourquoi il importera dans votre école et dans l’évaluation des risques à ne pas oublier dans votre multidisciplinarité les vétérinaires en particulier ceux qui œuvrent sur le terrain et qui sont parfois les « lanceurs d’alerte ».

Je partage évidemment votre soucis d’associer à notre projet ceux que vous désignez comme les « bons interlocuteurs ». Et dans le monde animal ce seront certainement — comme vous le soulignez — les vétérinaires. Mais je n’oublierai pas non plus d’associer les chercheurs de l’Institut national de recherches agronomiques. L’Inra possède un département de santé animal tout à fait performant en termes de production scientifique.

Je ne manquerai pas de me tourner aussi vers les grandes écoles d’agronomie, je pense à Agro Paris Tech en particulier qui a une convention de partenariat avec l’école vétérinaire de Maison-Alfort et qui a une formidable expérience de grande qualité en matière d’enseignement supérieur et de recherche. Je n’oublierai pas non plus les agences de sécurité sanitaire (en premier lieu l’Afssa) et les acteurs privés du monde animal et alimentaire, pour ne parler ici que des acteurs français.

M. Gérard DUBOIS

Les causes principales de décès sont liées aux produits fabriqués ou transformés industriellement comme le tabac, l’alcool, l’alimentation, les voitures, l’amiante. La décision de santé publique a donc une base scientifique, notamment épidémiologique, économique, juridique, mais aussi médiatique, politique et diplomatique. Le champ en est donc très large. Par ailleurs, il existe une filière de santé publique dans l’internat de médecine avec un enseignement de santé publique dans les études médicales. Quel lien est envisagé par l’EHESP avec les professeurs de santé publique des facultés de médecine ?

Le champ de la santé publique doit s’appuyer sur les forces existantes et les structures déjà mises en place, comme les universités et les grands organismes de recherche.

Concernant les liens précis à établir entre l’EHESP et les spécialistes hospitalouniversitaires de santé publique, il faudra les tisser ensemble. On peut s’inspirer du modèle nord-américain ici aussi, puisque les USA ont des « school of medicine » (nos facultés de médecine) et des « schools of public health » et qu’ils ont eu à se confronter à ces questions depuis fort longtemps. Les professeurs de santé publique des écoles de médecine nord-américaines collaborent souvent avec les écoles de santé publique, ils y font de la recherche et participent parfois aux enseignements, mais leur mission principale est l’enseignement de la santé publique aux étudiants en médecine et aux jeunes médecins. Il est crucial de continuer à assurer cette mission, de ne pas déshabiller Pierre en habillant Paul, ne pas dépouiller les facultés de médecine des meilleurs éléments pour les mettre dans l’école de santé publique. Les écoles de santé publique n’ont pas la même mission, même si elles peuvent aussi participer à la formation des jeunes médecins, notamment les internes. En termes de formation, vous l’avez souligné, il y a beaucoup à faire, dans beaucoup de domaines qui dépassent le champ de la médecine : management, droit, économie, politique, sciences sociales et humaines, mathématique, informatique, santé animale vient-on de voir, etc. N’est-ce pas à ces domaines que doit s’atteler en priorité une école de santé publique universitaire ? Encore une fois, c’est bien sûr avec les professeurs de santé publique (dont je suis fier d’en être un produit moi-même) qu’il faudra discuter de toutes ces questions qui n’ont pas encore été assez débattues et qui ne sont pas tranchées.

M. Georges DAVID

Quelles seront les relations de l’EHESP avec l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé dont la loi a fixé, parmi d’autres missions, celles d’assurer le développement de l’éducation pour la santé sur tout le territoire, et d’établir les programmes de formation à l’éducation de la santé ?

La promotion et l’éducation pour la santé sont des fonctions majeures de santé publique et la France s’est dotée d’un dispositif qui commence à porter ses fruits (on a tous aujourd’hui à l’esprit la campagne sur le bon usage des antibiotiques). L’EHESP n’a donc pas à se substituer à l’INPES chargé de ces questions. En revanche, en termes d’enseignement et de recherche, le pays a sans doute beaucoup besoin d’une formation universitaire et d’une recherche de haut niveau dans ces domaines. Il est important de former de très bons spécialistes de ces questions, car l’éducation pour la santé ne s’improvise pas. Nous avons aussi un retard important d’inculturation de la santé publique dans la population. Au niveau scolaire notamment, de grands efforts doivent
être conduits et la tutelle « Education » de l’EHESP peut nous aider grandement dans cette mission qu’il faudra envisager en collaboration étroite avec l’INPES. En outre, je pense pour ma part que des activités comme l’éducation pour la santé, au même titre que la prévention ou le dépistage, sont aux professionnels de santé publique ce que la pratique clinique est aux médecins. Ce sont donc des activités qui devraient être indissociables de l’enseignement et la recherche dans ces domaines.


* Administrateur provisoire de l’EHESP — Avenue du Pr Léon Bernard — 35000 Rennes Tirés à part : Professeur Antoine FLAHAULT, même adresse Article reçu le 15 janvier 2007, accepté le 23 janvier 2007

Bull. Acad. Natle Méd., 2007, 191, no 2, 325-337, séance du 20 février 2007