Résumé
Le projet de créer un centre consacré à l’analyse et à la régulation du risque part d’un constat paradoxal : alors que les risques et les crises sanitaires sont devenues l’un des premiers sujets de préoccupation ainsi qu’un puissant moteur de changement et de régulation institutionnelle, il n’existe pas en France de centre de recherche et de formation multidisciplinaire sur le risque, à la différence de bien des pays développés. Déficit qui s’accompagne d’une présence réduite de la recherche française en termes de publications et de visibilité internationale. La création de l’EHESP offre l’opportunité de combler cette lacune en réunissant dans ce centre des chercheurs et enseignants des disciplines concernés par le risque sanitaire, concept central de la santé publique. Les objectifs du centre, qui s’intéressera aux liens tissés entre connaissances scientifiques en santé publique et décision publique, sont : — d’organiser un réseau de recherche sur le risque afin de développer une offre d’expertise intégrée en matière d’analyse du risque et de modes de régulation ; — d’augmenter la présence de la recherche française sur le risque dans l’arène internationale ; — d’accroître le niveau des publications sur le risque, tout en échangeant les expériences et les innovations méthodologiques avec d’autres pays ; d’offrir des cursus de formation de haut niveau en matière de risques sanitaires. A travers la production d’analyses pertinentes sur les processus d’évaluation et de régulation des risques, ce centre aura ainsi pour vocation de contribuer à la promotion de la santé publique.
Summary
The project of a center for risk analysis and regulation is founded paradoxical statement : although health risks and crisis are major a focus of society and a driving force for institutional change and regulations, France, contrary to many industrialized countries, has no multidisciplinary center in this field. This is likely due to the weakness of French risk research, resulting in few international publications and little visibility. The creation of the French School of Public Health (FSPH) brings an opportunity to fill this gap by gathering together, in the same center, researchers and teachers specializing in risk assessment and management —- the conceptual basis of public health. The main objectives of this risk center, which will link the scientific knowledge on health with the public decision-making process, are — to organize a network of researchers with expertise in risk analysis and regulation ; — to bolster the presence of French risk research on the international stage ; — to increase international publication and to share experiences and methodological innovations with other countries ; and 4) to organize integrated training on health risks. Through the development of analyses on risk evaluation and regulation, this center will contribute to the promotion of public health.
INTRODUCTION
Après deux décennies (1986-2006) de crises sanitaires successives et de changements institutionnels profonds, la société française, à l’instar de toutes les démocraties développées, est entrée dans l’ère du Risque. En déplaçant l’attention et la demande sociale de la maladie comme constat au risque comme anticipation, un tel changement représente un bouleversement à tous les niveaux : conceptuel, méthodologique, socio-politique, économique, de mode de communication et de gestion.
Jusqu’ici circonscrit dans un cercle étroit de spécialistes ou d’experts, la notion de risque s’est diffusée à tous les niveaux de la société et cela dans un désordre créatif en relation avec sa nouveauté et sa simplicité perçue. Si les principaux secteurs de la vie sociale sont concernés par le risque, le système de soins, l’environnement et l’alimentation sont les plus concernés par les effets directs ou potentiels sur la santé des individus.
La recherche et l’enseignement supérieur se sont intéressés à ce nouveau champ avec, en ce qui concerne les risques sanitaires, une présence plus forte de l’épidémiologie et de la santé publique et dans une moindre mesure de certaines disciplines des sciences de l’homme et de la société. Mais, jusqu’à ce jour, l’atomisation domine et rares sont les unités de recherches ou les cursus d’enseignement centrés sur le risque ;
constat qui contraste avec ce qui est observé dans des pays comparables où des centres se sont développés autour de cette seule thématique.
La création au 1er janvier 2007 de l’EHSP fournit une exceptionnelle opportunité pour que la France se dote d’un centre de recherche et d’enseignement consacré à l’Analyse et à la Régulation du Risque (CARR). Ce qui suit a pour objet de proposer un schéma conceptuel et organisationnel stratégique à partir duquel un
certain nombre de lignes de force sont rendues apparentes à travers les réponses fournies aux questions suivantes :
— Pourquoi faut-il créer un CARR ?
— Qu’est-ce qu’inclut l’analyse du risque ?
— Que recouvre la régulation du risque ?
— Quels sont les modèles de référence pour le CARR ?
— Quel serait le champ couvert ?
— Quels objectifs stratégiques viser ?
— Quelles disciplines concernées pour quelles recherches prioritaires ?
— Quelle offre d’enseignement ?
— Quels partenaires privilégier ?
— Quels besoins en moyens humains et financiers ?
Les raisons de la mise en place d’un CARR dans l’EHESP
Les principales raisons sont de plusieurs ordres. Tout d’abord, le risque représente le concept central et fondateur de la santé publique. Qu’elle soit à visée cognitive ou opérationnelle, la santé publique ne peut se passer du risque, au point que certains en arrivent à réduire la démarche de santé publique (d’identification des causes ou des facteurs de risque à l’échelle d’une population) à la science du risque entendue comme la mise en évidence de probabilités d’occurrence des maladies et de leurs conséquences : une incidence cumulée représente un risque. Que le risque et sa caractérisation soient indispensables à la santé publique ou que les deux se confondent ne change rien au fait qu’ils partagent le même objectif final : la détermination de l’action capable de réduire le risque et ses conséquences. On peut donc avancer que l’approche par le risque qui caractérise la santé publique est indissociable de l’action rendue légitime par la connaissance produite à travers l’évaluation du risque. C’est ce que recouvre pour une grande part le terme de « régulation ».
La seconde raison est que le risque est devenu partout une thématique autonome sur laquelle convergent plusieurs disciplines : épidémiologie, économie, sociologie, psychologie, biostatistiques, sciences politiques et juridiques, etc. Or, le découpage disciplinaire de nos grands organismes de recherche, grandes écoles et universités ne permet pas la concentration dans un même lieu et autour d’objectifs scientifiques communs des disciplines concernées par le risque. Quand elles existent, ces tentatives pluridisciplinaires restent ponctuelles, isolées et coûteuses en temps de concertation et de coopération. Le CARR vise donc à en organiser le développement, à multiplier les expériences, à cumuler les résultats et à pérenniser une pluridisciplinarité jugée par tous comme indispensable.
La demande sociale sur fond permanent de controverse, représente la troisième raison de disposer d’une telle entité qui se distinguera des autres institutions concernées (agences, administrations) souvent poussées par leur fonction à intégrer l’évaluation du risque et sa gestion. Un tel centre ouvertement ancré sur ses fondations scientifiques est appelé à jouer un rôle différent, celui de producteur et de
diffuseur de connaissances, mais aussi d’innovateur méthodologique et d’incitateur à l’appropriation d’innovations. Le risque est devenu un sujet trop important dans le fonctionnement même de nos sociétés pour qu’il soit identifié à l’administration et souvent contesté par certains groupes de pression sur cette base. Car la demande sociale d’être protégé contre les risques (tous les risques ?) ne va pas sans une multiplication des controverses, qu’elles soient scientifiques ou en termes de légitimité et de décision publique.
Enfin la dernière importante raison est de remédier à la faible visibilité de la recherche (et de l’enseignement supérieur) française sur le risque. A l’échelle nationale, la recherche sur cette thématique est éparpillée et trop souvent focalisée sur des problématiques locales sans véritables perspectives scientifiques, orientation justifiée en partie par la dimension socio-politique irréductible du risque affectant, menaçant ou inquiétant certains groupes sociaux. A l’échelle internationale, un survol rapide des grandes revues sur le risque et des colloques et congrès internationaux laisse apparaître l’étendue de l’absence de la recherche française. Au-delà de la contrainte de publier en anglais, il semble qu’une réticence profonde existe en France pour participer sur la base de méthodes et concepts communs à des thématiques par ailleurs largement travaillées par les pays les plus actifs sur le risque.
L’analyse du risque
L’analyse du risque, objet central du futur CARR, est représentée par l’ensemble du processus qui va de l’émergence et de l’identification d’un danger à la gestion du risque lorsque le danger a été évalué comme un risque nécessitant une régulation (mesures actives, réglementation, campagnes de communication, etc.). L’évaluation du risque représente la séquence déterminante du processus, puisque c’est à partir des résultats de l’évaluation que sera prise une décision d’agir ou non et la forme que prendra cette éventuelle action. L’évaluation du risque mobilise différentes disciplines en fonction du problème identifié (on peut dire qu’elle est ad hoc ), souvent sous forme d’expertise pluridisciplinaire et le moins qu’on puisse en dire est que, selon les domaines, elle varie en complexité, donc en besoin en ressources humaines, cognitives et autres.
Cependant, l’évaluation experte ne représente pas l’unique et indiscutable contribution pour déterminer s’il y a risque, son importance ou son acceptabilité et le besoin d’action. Depuis que nos sociétés modernes sont devenues des sociétés du risque, la perception du risque entendue comme l’évaluation subjective non experte est reconnue comme l’un des principaux déterminants, tant de l’analyse que de la régulation du risque (Royal Society, 1992). D’une part elle est l’un des déterminants des décisions individuelles en situation d’incertitude, d’autre part elle est à la source des jugements exprimés sur l’importance des risques qui les menacent et de la demande sociale d’en être protégé. Paradoxalement, sa présence et son poids sur l’ensemble du processus apparaissent, en France, inversement proportionnels au nombre de travaux de recherches qui la prennent comme objet. Ce qui contraste avec
la profusion de recherches et de publications sur la perception du risque dans les pays de culture anglo-saxonne. La création du CARR s’attachera à combler cette importante lacune, en développant les recherches concernant cette dimension de l’analyse du risque.
La régulation du risque
Bien que sous la dépendance des séquences cognitives antérieures évoquées, la régulation qui recouvre la gestion du risque tout en étant plus large, constitue un champ spécifique du fait des disciplines, des méthodes et des enjeux mobilisés. Alors que les séquences cognitives ont pour objet de répondre à la double question : y-a-t’il risque et quelle est sa valeur ? la question suivante qui porte sur la régulation peut se résumer à : que faut-il faire pour le réduire ? La régulation étant par nature porteuse de changement de l’un ou de plusieurs des paramètres qui déterminent le risque, toute mesure envisagée soulève deux dimensions : celle de son efficacité et celle de son coût au sens large qui inclut tous ses effets négatifs (attendus et pervers).
L’estimation et l’évaluation du risque ne conduisent pas mécaniquement à une détermination des mesures nécessaires à sa réduction. Un produit ou une activité à risque peut donner lieu à une mesure d’interdiction, de suspension, de modification de ses usages, de réduction de l’exposition des personnes concernées, à des campagnes d’information, etc. Élaborer des scénarios d’action représente la méthode d’approche la mieux adapté à ces décisions en situation d’incertitude afin d’attacher à chacun d’eux les bénéfices espérés, les coûts prévisibles, des niveaux de faisabilité et les conséquences socio-écomiques de tous ordres. Si le choix final relève des régulateurs politico-administratifs, l’élaboration de ces scénarios relève de multiples disciplines scientifiques que le CARR devrait être en mesure de mobiliser. La modélisation (tant épidémiologique qu’économique) est un outil indispensable et le CARR de l’EHESP vise à la promouvoir et à en développer l’usage Un examen comparatif des publications et pratiques nationales/internationales met en évidence un certain nombre de lacunes, en termes de processus de décision, qu’il serait bon de combler en France. En premier, la rareté des analyses coût/bénéfice qui conduit souvent à retenir des choix qui ne sont pas toujours efficients. Non pas que le coût doive être l’unique critère discriminant, mais du fait qu’il représente une information relativement objective et commune aux différents scénarios. Ensuite, l’approche « risque contre risque » ou « risk-risk tradeoffs » est quasiment inexistante dans la construction des évaluations et des décisions en France, alors qu’elle est largement développée ailleurs sur la base d’un constat empirique : la régulation d’un risque entraîne souvent la création d’un risque nouveau ou une aggravation d’un risque existant (Cohen 2006). Alors que n’échapperaient à cette règle générale que les mesures d’interdiction d’un produit ou d’une activité sans aucune substitution (ce qui s’observe rarement), la régulation entendue comme choix entraînant un changement, est confrontée à cette éventualité. En conséquence, l’élaboration de scé- narios devrait, en plus de ses apports comparatifs fondés sur certains critères, évaluer
les risques potentiels générés afin de rendre apparent le bénéfice sanitaire net des mesures les plus efficientes. Enfin, il s’agira de développer une expertise sur les nouvelles méthodes de construction des décisions visant à réguler les risques complexes comme ceux liés à l’environnement : la méthode intitulée « Muliticriteria decision analysis (MCDA) » inconnue en France, gagnerait à être étudiée et expérimentée (une publication récente permet d’avoir une perspective détaillée de ces méthodes innovantes susceptibles de mieux prendre en compte ces risques environnementaux, Linkov, 2006).
Le tout conduit à poser sur le risque un regard neuf et ouvert en prenant quelques distances avec le modèle linéaire simplificateur : un danger identifié en relation avec une source-un risque évalué- une action décidée- une réduction du risque attendue.
D’une part l’interconnexion des risques est une réalité qui va devenir le modèle dominant, d’autre part la compréhension de la régulation des risques ne peut s’affranchir de la régulation sociale du risque à travers le risque perçu (Setbon 2006) et plus largement l’ensemble des phénomènes régulateurs (lois, règlements, principes) nationaux et internationaux qui exercent leurs effets sur le traitement d’un risque.
Les modèles dont s’inspire le CARR
En France, malgré l’absence d’entité scientifique pluridisciplinaire de haut niveau organisée sur le risque, des événements récents permettent d’attester de sa nécessité à travers la mise en place d’une sorte de « cellule de recherche », consécutive à deux crises sanitaires : d’une part, lors de la crise de la « vache folle » qui a généré la création du comité interministériel sur les ESST (comité Dominique Dormont, 1997), d’autre part à la suite de l’épidémie de chikungunya à la Réunion qui a entraîné la création de la Cellule de coordination des recherches sur le chikungunya et la dengue (2006), présidée par Antoine Flahault. Le point commun central propre à ces deux crises et aux entités mises en place est la reconnaissance d’un besoin de recherche et d’expertise ad hoc rapide, indisponible au moment de l’émergence du problème et de ses conséquences.
Au-delà de l’urgence, dans les deux cas, c’est à la capacité à réunir des compétences disciplinaires hétérogènes mais complémentaires (sélectionnées à partir de la nature du problème et non pas sur d’autres critères institutionnels) que se mesure l’utilité de ces entités, rendue rapidement visible par les recherches réalisées et programmées en un temps réduit. L’ambition du CARR est de créer et de pérenniser un réseau de compétences mobilisables sur les risques et les maladies émergentes dont on peut postuler à la fois le caractère imprévisible et la nature transnationale. Une telle entité permettrait de développer dans la durée des méthodes pluridisciplinaires capables d’aborder des problématiques peu ou mal explorées et ainsi d’être en mesure de mieux anticiper la survenue d’événements déformés par l’urgence, souvent fille de l’ignorance.
De tels centres existent dans d’autres pays développés et deux d’entre eux pourront servir de modèles au futur CARR : d’une part le Harvard Center for Risk Analysis ( HCRA ) aux USA et le Centre for Analysis of Risk and Regulation de la London
School of Economics en Grande-Bretagne. Créé en 1989, le HCRA joue un rôle actif et spécifique (en dehors et à côté des nombreuses agences gouvernementales américaines) en développant des méthodes d’analyse sur de nombreux risques et problè- mes de santé publique, tant en termes de caractérisation des risques que de comparaison critique des stratégies possibles pour les réduire ou les prévenir. Il publie régulièrement ses analyses sur divers sujets tels : « The precautionary principle in practice : comparing US EPA and WHO pesticide risk assessment (Gray, 2004) » où, à partir de la comparaison des doses acceptables de mêmes pesticides dans les aliments établies par les deux institutions (l’EPA et l’OMS), l’auteur conclut que les USA seraient plus « précautionneux » que l’Organisation Mondiale de la Santé.
Selon le HCRA, cet écart serait dû à des hypothèses différentes retenues par les deux organismes qui se traduisent d’un point de vue méthodologique par le recours à un modèle conservateur linéaire sans seuil par l’EPA, tandis que l’OMS utilise une approche probabiliste d’estimation du risque. Un autre exemple, parmi de nombreux, permet de rendre compte de l’usage dans le système de soins américain de l’analyse coût/efficacité (introduite il y a 25 ans aux USA) que l’auteur (Neumann, 2004) identifie comme un succès théorique (nombreuses publications et rhétorique politique favorable à son usage), mais comme un échec en pratique. Voir également l’évaluation du risque d’ESB aux USA citée dans le rapport RST de l’Académie des sciences (Setbon, 2006).
Le champ du CARR
Deux options du champ que couvrira le CARR seront envisagées ici.
La première option limiterait le champ du centre à la recherche et à l’analyse des déterminants et des conséquences sanitaires (sur les hommes), sociales, politiques et économiques tant des risques eux-mêmes que des régulations (décisions) mises en place pour les réduire. Elle ne concernerait donc pas la phase technique et experte d’estimation et d’évaluation du risque, si ce n’est sur le plan d’une analyse critique des méthodes et des procédures utilisées par d’autres acteurs extérieurs au CARR (agences, comités d’experts, instituts spécialisés, etc.).
La seconde, plus ambitieuse et plus exhaustive viserait à couvrir l’ensemble du champ de l’analyse du risque qui va depuis l’identification du danger et sa caracté- risation, à la mesure des expositions et à l’appréciation du risque (qui comprend l’estimation et l’évaluation du risque), et se prolonge par la régulation ou la gestion et par la communication sur le risque. Elle impliquerait de disposer de compétences supplémentaires comme la toxicologie, la pharmaco-épidémiologie, etc.
En fonction du choix retenu, qui pourrait aussi être progressif en fonction des demandes et du niveau acquis de reconnaissance et de dotation du centre, l’option 1 pourrait se transformer en option 2.
Quelle que soit l’option retenue, elle visera à rendre opérationnels, à travers les trois axes du CARR que sont la recherche, l’enseignement et l’expertise, ses objectifs stratégiques.
Objectifs stratégiques
Pour assurer le développement et la place du CARR dans l’EHESP et au service de la santé publique, son activité devra viser plusieurs objectifs :
— Développer l’analyse pluridisciplinaire du risque en termes de concepts, méthodes, de procédures et de référentiels. L’apparente unicité des phénomènes relevant du concept de risque ne peut ni ne doit masquer la diversité qui règne en fonction des secteurs, des contextes et des enjeux qui entourent l’émergence ou la conversion d’une situation en risque : un risque ou un danger menaçant l’environnement (réchauffement climatique) et un risque de diffusion d’un agent infectieux, bien que relevant d’une approche commune, peuvent mobiliser des méthodes et des procédures spécifiques. Il en va de même des référentiels comme le bénéfice/risque, le coût/bénéfice ou l’usage du principe de précaution : l’opportunité de leur usage tout comme les procédures qui le permettent s’affinent progressivement par l’expérience. Le CARR contribuera à leur production et à leur diffusion.
— Combler le retard de la recherche française pour qu’elle soit en mesure de s’insérer dans l’arène internationale.
— Ouvrir l’analyse et la régulation du risque à l’ensemble des partenaires concernés et en particulier aux acteurs de la santé publique, tout en décloisonnant les différentes approches du risque structurées en fonction des secteurs et des disciplines.
— Encourager et systématiser les recherches pluridisciplinaires.
— Nouer et développer des liens avec les partenaires internationaux travaillant sur le risque (s’internationaliser pour dialoguer).
— Se positionner comme un acteur pertinent de la recherche et de l’analyse du risque (pouvoirs publics, assurances, acteurs économiques, etc.) : le CARR visera à développer une offre d’évaluation, d’expertise, d’analyse de scénarios d’action et de communication et bien sûr à publier dans des revues reconnues.
— Créer une offre de formation intégrée sur le risque.
Disciplines et priorités
Quelle que soit l’option retenue en termes de champ couvert par le CARR, c’est en fonction de sa capacité à réunir et à faire travailler ensemble des chercheurs et enseignants aux origines disciplinaires complémentaires qu’il pourra progresser en direction des objectifs énoncés. Les principales disciplines concernées sont : l’épidé- miologie et les biostatistiques, l’économie, la sociologie, la psychologie, les sciences
politiques et juridiques. A ces dernières, d’autres pourront s’avérer utiles et nécessaires en fonction des questions abordées.
En termes de contenus, il s’agira d’ouvrir le CARR aux sujets peu ou pas abordés en France tels que la perception du risque, la communication, l’analyse coût/bénéfice, les risques multiples, etc.
Sur le plan des méthodes, il est important de rester attentif aux innovations méthodologiques et procédurales qui visent à répondre à la complexité croissante des risques émergents, à leur évaluation et à qualité des processus de régulation nécessaires pour rendre effectives les mesures de gestion des risques.
En termes d’acteurs, il s’agira d’une part de multiplier les relations et les liens avec tous ceux qui disposent de compétences sur les thèmes stratégiques du CARR et d’autre part, et de favoriser la migration de certaines disciplines/chercheurs vers l’analyse et la régulation du risque.
Enfin, en termes de ressources, il est envisagé de multiplier les financements par réponses aux appels d’offre nationaux et européens.
Offres de formation
Le CARR s’inscrira dans la stratégie de formation définie par et pour l’EHESP :
diplôme professionnel de haut niveau, masters, etc.
Entre autres, il s’agira de mettre en place une offre de formation spécifique transdisciplinaire à l’analyse des risques et à la décision visant à réguler les risques : concepts, méthodes, études de cas, retours d’expériences, etc. Cette offre de formation s’appuiera autant que possible sur les unités existantes de l’ex-(ENSP) (telles que EGERIES qui assure un enseignement en santé-environnement) tout en veillant à développer un enseignement issu de la recherche nationale et internationale.
Les cibles visées par l’offre de formation sont pour l’essentiel des cadres du public et du privé, certains chercheurs et enseignants concernés ou intéressés par l’acquisition de compétences sur les risques et aussi sur les crises sanitaires, les élèves de l’administration de la santé de l’école de Rennes.
Partenaires privilégiés
Sur le plan national, le CARR privilégiera les relations avec les organismes de recherche (Cnrs, Inserm, Ird, Inra, Cea, Institut Pasteur…), les agences (Afsset, Afssa, Afssaps, Invs), les grandes écoles (ENS, X, Mines, Centrale), les grands établissements (CNAM, Science-Po) les universités, et certaines directions générales (Santé, Environnement, Agriculture).
La forme de partenariat varierait en fonction de ses objectifs : apport de compétences, collaborations fonctionnelles, prestations de service, enquêtes et analyses de risque, etc. Certaines devant être durables et pré-établies (conventions, unités mix-
tes, etc.), d’autres ponctuelles et « à la carte » (contrats établis sur la base d’un projet). L’objectif générique étant de créer un réseau aux membres mobilisables en fonction des questions soulevées autour du risque.
Au plan international, la priorité sera donnée aux échanges avec les centres européens et Nord américains existants autour de l’analyse du risque, la régulation et la décision. L’objectif visé est de s’affirmer rapidement comme un partenaire actif et reconnu, et cela à travers :
— une participation active des membres du centre aux congrès, forums, publications et autres échanges et en s’insérant dans le/ou les principaux réseaux internationaux comme la Society for Risk Analysis ;
— des propositions et des participations à des recherches multi-centriques ;
— des échanges et accueils de chercheurs et enseignants.
Moyens matériels et humains
Le CARR n’aura d’existence et de présence active que s’il dispose d’un noyau dur de permanents, de chercheurs et d’enseignants-chercheurs autour duquel pourra s’organiser un certain nombre de cercles plus ou moins rapprochés : un premier de doctorants et de post-doctorants, un second d’équipes collaboratrices, un troisième d’entités associées selon des accords conventionnels, etc.
Il s’agit de parvenir à ce que le CARR puisse disposer dans un an, en 2008, de 5 équivalents temps plein (ETP) avec un objectif de 8 à 10 au terme des 4 années suivantes. Ce nombre devant être doublé par la présence de doctorants et de post doctorants recrutés sur projets.
Ainsi défini, le projet de centre sur le risque pourra s’affirmer dans un délai raisonnable comme un lieu de référence capable d’intégrer connaissances académiques et action publique, sciences de la vie et sciences de l’homme de la société, tout en veillant à concilier les enjeux nationaux avec une large ouverture internationale.
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DISCUSSION
M. Raymond ARDAILLOU
La notion de risque était présentée sous une forme très complexe, comment ce risque peut-il être calculé de façon précise ?
Si la notion de « risque » est présentée de façon complexe, cela est dû aux sens multiples que recouvre ce concept. Les individus, les groupes sociaux et aussi les disciplines (économie, sociologie, épidémiologie, toxicologie, etc.) ont des définitions du terme ou des contenus largement différents : pour certains un risque est synonyme de perte, pour d’autres de menace, de danger ou d’incertitude, d’autres encore définissant le risque comme la possibilité d’attacher des probabilités à des résultats non connus (le risque étant pour eux l’incertitude mesurable) ! La difficulté augmente avec le risque perçu qui mélange des estimations subjectives et des sentiments (peur, plaisir, empathie, etc).
Pour qu’un risque soit calculable il faut disposer de données d’observation rétrospectives afin de pouvoir « estimer le risque » de façon quantifiée ou bien à partir d’un modèle.
Mais cela ne suffit pas : estimer un risque n’est qu’une étape (pas toujours accessible compte tenu des connaissances disponibles), l’étape déterminante étant de lui donner une valeur, donc d’en évaluer l’importance. Est-ce qu’une incidence estimée de vMCJ dans la population permet de déduire la valeur à accorder au risque prion ou au contraire ce calcul est-il sans effet sur les décisions de protection qui seront prises ? La seconde alternative est la plus fréquente et montre que calcul du risque et décision peuvent être indépendants, du fait que la terreur qu’inspire cette maladie suffit pour agir quelles que soient les estimations du risque.
M. Georges DAVID
Dans la mesure où vous insistez sur la nécessité de créer au sein de l’EHESP un « centre de recherche et d’enseignement, d’analyse et de régulation du risque », comment envisagezvous la complémentarité avec l’InvS qui a pour mission de gérer le risque sanitaire ?
La mission de l’InVS est de surveiller la santé de la population, d’alerter s’il apparaît des phénomènes susceptibles de la menacer et dans certains cas d’évaluer le risque. La finalité de l’InVS est donc à la fois d’observer et d’informer les autorités sanitaires. Le centre sur le risque de l’EHESP est ouvertement dédié à la recherche et à la formation. Si la
complémentarité est réelle, il n’existe pas de véritables zones de superposition, mais de bonnes potentialités de partenariat et de coopération. Ainsi, cette perspective a été anticipée (avant que notre centre soit opérationnel) à travers la mise en place d’une convention pour réaliser une enquête commune à Mayotte sur l’épidémie de chikungunya en décembre 2006. Cette première expérience (en cours) rend compte d’une complé- mentarité entre la surveillance qui détecte un problème et la recherche qui en investigue certains aspects, ici les relations entre la distribution de la contamination d’un virus au cours d’une épidémie et les facteurs socio-comportementaux qui la favorisent.
M. Pierre GODEAU
La confusion possible du facteur de risque et des simples marqueurs de risque est un problème crucial. Mettre en évidence l’association statistique d’un marqueur avec une situation pathologique n’indique pas un rôle de causalité et la prise de décision et la communication à un grand public sont deux écueils à éviter.
Vous avez raison de souligner la différence entre un facteur de risque d’une pathologie et l’association statistique qui permet d’identifier un marqueur ou plus largement une corrélation. Cette confusion doit être évitée, surtout quand le marqueur est perçu comme synonyme de « cause » de la pathologie et qu’il détermine des actions publiques. Néanmoins, quand certains comportements sont identifiés comme facteurs de risque (par exemple, des rapports homosexuels non protégés ou des pratiques d’injection de drogues intraveineuses dans le cas du sida), les corrélations statistiques établies sur la base d’une enquête (correctement conçue) permettent d’en savoir plus : par exemple, en identifiant des catégories sociales, des fréquences plus élevées de certaines pratiques à risque selon la tranche d’âge ou l’existence de croyances non fondées scientifiquement qui les favorisent.
Dans ce cas, même s’il ne s’agit pas de facteur de risque au sens plein du terme, ces corrélations rendent possible d’ajuster les interventions publiques sur la base de cette connaissance.
* Sociologie. Directeur de recherche au CNRS — Aix-en-Provence Tirés à part : Professeur Michel SETBON, même adresse Article reçu le 15 janvier 2007 et accepté le 22 janvier 2007
Bull. Acad. Natle Méd., 2007, 191, no 2, 339-350, séance du 20 février 2007