Résumé
Le viol était un crime mal défini par la loi jusque dans les années 70. La forte mobilisation des mouvements féministes a permis d’obtenir en décembre 1980 une définition pénale et la possibilité pour les associations de se porter partie civile. En 1985, à la suite de viols perpétrés en public, la création d’une permanence téléphonique est décidée. Depuis 1986, plus de 39 000 femmes ont appelé pour viol. D’autres études récentes confirment la fréquence des viols. Au cours des dernières années, des avancées capitales ont été faites, d’une part dans le domaine de la justice à l’encontre de victimes mineures : allongement de la prescription des crimes sexuels, d’autre part dans le domaine de la santé : ouverture de centres d’accueil, développement de consultations médico-judiciaires, création de services de prise en charge des victimes, meilleure prise de conscience des personnels de santé. La conduite à tenir consiste à mieux informer les femmes sur la fréquence des viols, la loi et le code pénal, la stratégie de l’agresseur, les troubles psychiques, physiques, notamment gynécologiques. Elle consiste aussi à expliquer à la femme que l’agresseur est le seul coupable. Elle consiste enfin à engager une action pluridisciplinaire impliquant les associations et les services hospitaliers qui prennent en charge ces victimes.
Summary
The French legal definition of rape was somewhat vague until the 1970s. In December 1980, the increased awareness created by the feminist movement led to a precise legal definition and to the possibility for self-help groups to participate in legal actions. In 1985, a telephone helpline was created after several rapes were following several rapes committed in public. Since 1986, more than 39 000 women have called this hotline. Other recent studies confirm the frequency of rape. Major advances have been made in recent years, in terms of justice for minors who are victims of rape (lengthening of the statutory limitation on sexual crimes) and healthcare provision (opening of refuges, medical-legal consultations, victim management centers, greater awareness among healthcare professionals, etc.). Women need to be better informed of the frequency of rape, its legal implications, rapists’ strategies, mental disorders, and the physical (especially gynecological) repercussions of rape. Women must also be aware that the rapist is the only guilty party. Finally, a multidisciplinary strategy is needed, notably involving self-help associations and hospital units that deal with rape victims.
Un rapport de février 2001 sur « Les femmes victimes de violences conjugales, le rôle des professionnels de santé » [1] a permis de mettre en lumière les attentes des femmes et des associations en matière de suivi médical des femmes victimes de violences conjugales. De même la publication des recommandations d’un colloque sur « Les mutilations sexuelles féminines. Un autre crime contre l’humanité » en juin 2004 [2], a permis d’agir au quotidien pour prévenir, prendre en charge et soigner les graves répercussions des mutilations sexuelles sur la santé et la sexualité des femmes. De 2001 à aujourd’hui, il n’est pas douteux que beaucoup de progrès ont été accomplis, mais que beaucoup reste à faire.
Dans sa déclaration sur l’élimination de la violence contre les femmes adoptée par l’assemblée générale en novembre 1993, l’Organisation des Nations Unies définit ainsi ces violences : « la violence faite aux femmes désigne tout acte de violence fondé sur l’appartenance au sexe féminin, causant ou susceptible de causer aux femmes des dommages ou des souffrances physiques, sexuelles ou psychologiques, et comprenant la menace de tels actes, la contrainte ou la privation arbitraire de liberté, que ce soit dans la vie publique ou dans la vie privée ». Le continuum des multiples formes de violences masculines envers les femmes comprend : l’inceste, les violences dans la relation de couple, le harcèlement sexiste et sexuel au travail, les mutilations génitales féminines, les mariages forcés, la vente de femmes, les violences liées aux intégrismes religieux, le proxénétisme et la prostitution, l’exploitation sexuelle des enfants, la pornographie.
Ces actes apparemment distincts sont caractérisés par des éléments communs, au point qu’ils peuvent aisément se transformer et passer de l’un à l’autre, maintenant les femmes sous l’emprise masculine. Le viol est présent à la fois par sa menace et sa mise en œuvre tous les jours et dans toutes ses formes de violence à l’encontre des femmes.
Le code pénal parle de crimes, de délits, de criminels, de délinquants, mais les mots de tous les jours traduisent encore une indulgente tolérance. On dit « abus sexuel » pour « agression sexuelle », « pédophile » quand il s’agit de « pédocriminel ». On dit même « elle s’est faite violer » alors « qu’elle a été violée ». Mots et expressions procèdent du système des agresseurs qui minimisent la gravité des faits et attribuent une part de responsabilité à la victime.
En fait, le viol était un crime mal défini par la loi, dans les années 70. La forte mobilisation des féministes a permis d’obtenir en décembre 1980 une définition pénale et la possibilité pour des associations de se constituer partie civile.
En 1985 à la suite de viols perpétrés en public devant des témoins passifs, la mobilisation reprend. Choquées de constater que rien n’existe pour accueillir les femmes victimes de viol, fortes de notre expérience d’accueil et d’écoute des femmes, nous formons le projet d’ouvrir une permanence téléphonique, projet soutenu par Yvette Roudy, alors Secrétaire d’Etat aux Droits des femmes.
LA FRÉQUENCE
La permanence téléphonique « Viols-Femmes-Information »
C’est un numéro d’appel gratuit dont l’ouverture, le 8 mars 1986, a été très médiatisée. Dès le premier jour, des femmes appellent. Elles ont été violées, parfois très longtemps auparavant des années, voire, des décennies, mais n’ont trouvé ni écoute, ni soutien et vivent avec cette blessure qui ne cicatrise pas.
Chaque année, la permanence reçoit près de 7 000 appels dont environ 3 800 appels pour viol ou agression sexuelle. Dans 89 % des situations, les agresseurs sexuels sont connus de la victime et dans 50 % des cas, les agresseurs sont des proches avec un lien familial ou assimilé ; 93,6 % des victimes sont des femmes et des jeunes filles. Dans 62,7 % des situations les agressions relatées par les victimes ont eu lieu quand elles étaient mineures et 50 % des victimes ont été agressées avant quinze ans. Dans 92,5 % des cas, les agresseurs étaient majeurs, dans 7,5 % ils étaient mineurs.
Il y a dix fois plus de filles victimes que de garçons.
Depuis le 8 mars 1986, c’est plus de 39 000 femmes qui ont appelé le 0 800 05 95 95.
Avec l’expérience de la réponse téléphonique, la mesure de la cruauté des violences sexuelles, de leur nombre, de leur gravité, a été prise. Très vite, les femmes qui résident en Ile-de-France demandent à se rencontrer et le premier groupe de parole pour des femmes victimes de viol par inceste est ouvert début 1987. Ensemble, elles se mobilisent pour agir. Leurs témoignages enregistrés dans la vidéo « La conspiration des oreilles bouchées » constituent toujours aujourd’hui un élément précieux pour la formation des professionnels. Elles témoignent pour protéger les petites filles, pour que ça n’arrive plus, pour que d’autres n’aient pas à vivre ce qu’elles ont subi. Elles disent les viols que leur font subir des pères, des frères, des membres de leur famille, des médecins, des thérapeutes, des prêtres, des collègues, des amis, des inconnus…
Elles apprennent à comprendre comment ces crimes étaient si longtemps restés secrets et impunis et à percevoir ce dont elles ont besoin : de soin, de justice, de sécurité. Avec elles, la décision d’agir est prise pour que ça change, pour dénoncer, pour prévenir, pour restaurer.
Dans ces premières années de «
Viols-Femmes-Informations » pour quasiment toutes ces femmes, le traumatisme subi dans la famille, au travail ou dans la vie sociale, n’a été pris en compte ni par l’entourage proche, ni par les médecins, ni par les professionnels de l’aide psychologique, ni par les institutions qui n’ont pas pu, ou pas voulu entendre leur parole de victime. Certes, le crime de viol fait horreur à chacun. Toutefois, malgré la loi qui le sanctionne, la société a du mal à écouter les victimes et à condamner les violeurs. C’est grâce à la parole, au courage et à la ténacité des femmes que notre association a pu réfléchir et agir. A partir des appels reçus des études et des recherches ont été publiées dans un bulletin, consultable sur le site www.cfcv.asso.fr.
D’autres études confirment la fréquence des violences et des viols
La première étude a été réalisée en 2004 par le Dr Gilles Lazimi, médecin généraliste au Centre Municipal de Santé (CMS) de Romainville (Seine-St-Denis). Il a questionné de façon systématique 100 patientes (âgées de 18 à 92 ans) au cours de ses consultations, quel qu’en soit le motif. Publiés dans son mémoire de DIU Formation complémentaire en Gynécologie et Obstétrique pour le médecin généraliste, les résultats montrent que parmi les femmes interrogées : 54 % ont déclaré avoir été victimes de violences : 49 % de violences verbales, 31 % de violences physiques, 21 % de violences sexuelles. 90 % des victimes en parlaient pour la première fois à un médecin.
La deuxième étude a été faite en 2007, toujours par le Dr Gilles Lazimi, dans le cadre d’un mémoire pour le DU Stress Traumatique et Pathologies avec la participation de cinquante et un médecins généralistes et de deux sages-femmes. Ceux-ci ont posé les mêmes questions, de façon systématique à 557 patientes pour dépister d’éventuelles violences subies. Les résultats montrent que parmi les femmes interrogées, 63 % ont déclaré avoir été victimes de violences : 62,8 % étaient verbales, 42,7 % physiques et 17,8 % sexuelles.
La troisième étude a été faite en 2008 , par la Dr Laure Gazaine, médecin urgentiste à Poissy, pour son mémoire de
DES de Médecine Générale . Elle a repris le même procédé d’enquête systématique sur cent femmes fréquentant les urgences hospitalières. Les résultats montrent que parmi les femmes interrogées, 74 % ont déclaré avoir été victimes de violences : 63 % étaient des violences verbales, 52 % psychologiques, 41 % physiques, et 19 % sexuelles.
Une quatrième étude a été réalisée en 2007, pour son mémoire de D.E. de SageFemme par Mathilde Delespine auprès d’un public de 90 femmes enceintes. Les résultats montrent que parmi les femmes interrogées , 66 % ont déclaré avoir été victimes de violences : 59 % étaient verbales, 21 % physiques, et 12 % sexuelles.
Enfin, dans une cinquième étude, réalisée en 2009 , pour son mémoire de DU de victimologie par Cécile Sarafis et quinze conseillères conjugales de Seine-Saint-
Denis, les résultats montrent que parmi cent femmes en demande d’interruption de grossesse : 68 % ont été victimes de violences verbales, 56 % de violences physiques, 30 % de violences sexuelles ; 23 % des IVG sont en lien direct avec des violences subies. Dans 6 % des cas, il s’agissait de viols, dans 14 % de violences conjugales, dans 3 % de violences familiales graves.
Les évolutions dans les domaines de la justice et de la santé
En matière de justice, une première avancée capitale a créé une brèche dans la réglementation de la prescription des crimes. Depuis la loi du 13 juillet 1989, la prescription des crimes sexuels à l’encontre de victimes mineures débute non plus de la date des faits mais à la majorité de la victime ce qui allonge le temps pendant lequel elle peut porter plainte ; brèche qu’ont élargie des lois plus récentes. Actuellement, la victime mineure au moment du viol peut agir en justice durant vingt ans à dater de sa majorité.
Dans le domaine de la santé, s’il reste encore beaucoup à faire, des initiatives pionnières se sont manifestées : ouverture de centres d’accueil pour les femmes victimes, développement des consultations médico-judiciaires, création de services de prise en charge des victimes de psycho-traumatisme, prise de conscience de la nécessité pour les personnels médicaux de développer leurs connaissances en victimologie.
Dans les psychothérapies , des courants progressistes s’écartant du dogmatisme freudien mettent en œuvre des modalités de soutien psychologique répondant par une aide appropriée aux attentes et besoins des victimes de viols.
Il reste cependant beaucoup à faire comme l’a montré l’Enquête nationale sur les Violences Envers les Femmes en France (ENVEFF) [3]. Parmi les femmes de 20 à 59 ans, 48 000 femmes ont été victimes de viols durant l’année 1999. Pourtant, en cette même année, n’ont été enregistrées que 3 490 plaintes pour viols déposées par des victimes majeures (femmes et hommes confondus).
Cet impressionnant décalage témoigne de la nécessité d’entendre les victimes et de sanctionner les auteurs de crimes sexuels. Nous sommes encore loin du moment où, à la suite d’un viol, chaque victime pourra faire valoir ses droits. Toutefois, les femmes cherchent désormais de l’aide plus rapidement après le viol et elles sont plus nombreuses à faire valoir leurs droits en justice.
Les femmes qui appellent ont été victimes de crimes odieux mais cela ne signifie pas qu’elles soient des « victimes à vie ». Leur révolte contre le mal qui leur a été fait, leur aspiration à faire reconnaître leurs droits, le travail qui leur est nécessaire pour retrouver un sens à leur vie se renforcent lorsqu’elles peuvent s’appuyer sur le soutien solidaire et éclairé que peuvent leur apporter des proches lucides, des médecins attentifs, des professionnels compétents, des structures spécialisées, des institutions policières et judiciaires efficaces.
Conduite à tenir
Lorsqu’une femme a été victime de viol et qu’elle se confie au médecin, elle a besoin d’entendre dire que l’agresseur n’avait pas le droit de faire ça, qu’elle n’y est pour rien et qu’on peut l’aider. Ensuite, il convient de les informer:
Informer les femmes sur les violences sexuelles par des chiffres et des statistiques.
Dans l’enquête CSF de 2006, une personne sur cinq déclare avoir été victime au cours de sa vie de tentative de viol ou de viol. Près d’une femme sur six, moins d’un homme sur vingt. Parmi les femmes de 18 à 39 ans, 11 % ont été victimes d’une tentative de viol ou d’un viol avant 18 ans. Les deux tiers des femmes ayant subi une tentative de viol, ou viol, l’ont subi avant 18 ans. Plus de 90 % (92 % des femmes et 95 % des hommes) ont été victimes d’un seul agresseur.
L’agresseur est un proche, ou quelqu’un connu de la victime dans 83 % des situations.
D’après l’enquête, 4 % seulement des tentatives de viol ou viol, subis par les femmes sont signalés à la police ou la gendarmerie. Seule une infime minorité de viols font l’objet d’une plainte.
Dans l’enquête INSEE 2005-2006 intitulé « Cadre de vie et sécurité 2007 », 1,5 % des femmes entre 18 et 59 ans ont subi un viol ou une tentative de viol, soit 120 000 femmes en une seule année. Les jeunes femmes sont plus exposées. L’enquête souligne que 25 % des agressions (4,7 % des viols) sont commises sur le lieu de travail.
Un sondage organisé par la SOFRES à la demande de l’Association des Victimes d’Inceste (AIVI) permettait d’évaluer à deux millions le nombre de personnes victimes d’inceste.
Les informer sur la loi et le Code pénal
Le viol est un crime : « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui, par violence, contrainte, menace ou surprise, est un viol. » Article 222.23 du Code Pénal. Chaque terme a son importance :
— pénétration sexuelle distingue le viol (crime) des autres agressions sexuelles (délits) ;
— de quelque nature qu’il soit désigne toute pénétration sexuelle, qu’elle soit vaginale, anale (sodomie), orale (fellation), ou effectuée par la main ou des objets ;
— commis sur la personne d’autrui désigne soit une femme, soit un homme, soit un enfant — fille ou garçon — que la victime soit connue ou inconnue de l’agresseur ; ce dernier peut être extérieur à la famille ou lui appartenir (viol incestueux, viol conjugal).
L’auteur de viol est passible de quinze ans de réclusion criminelle, ou de vingt ans en cas de circonstance(s) aggravante(s).
Les informer sur la stratégie de l’agresseur
De très nombreuses victimes se sentent coupables d’avoir été violées, elles se reprochent de ne pas avoir pu se défendre, de s’être trouvées à cet endroit-là, d’être habillées comme ça, d’avoir souri ou d’avoir parlé ou, à l’inverse, d’avoir contesté, d’avoir gardé le silence… Si leurs efforts avaient abouti, elles n’auraient pas été violées. Mais, en face d’elle, il s’agissait d’un agresseur et non d’un « partenaire », qui avait un projet. Il appliquait une stratégie. Dans son mode opératoire, il a mis en place ce qui lui était nécessaire pour piéger sa victime et la contraindre. Il a organisé le déroulement de l’agression pour pouvoir la violer. Le viol a eu lieu et elle va, souvent longtemps, se considérer comme responsable de n’avoir pas su l’éviter. En fait, elle n’est en rien responsable ; elle a fait le maximum pour se défendre ;
l’agresseur l’a piégée, contrainte. Elle ne « s’est pas faite violer », elle a été violée.
Elle n’y est pour rien. L’agresseur est seul responsable de ses actes que la loi condamne.
Les informer sur les troubles psychiques et les troubles somatiques
Le retentissement d’une agression sexuelle sur la victime est tel qu’il va modifier de façon brutale et plus ou moins durable sa vie, sa pensée, l’image qu’elle a d’ellemême, son caractère, son humeur, sa vie sociale, ses relations, sa sexualité, son fonctionnement au quotidien. Les viols sont les violences les plus fréquemment à l’origine de traumatisme psychologique.
Les troubles psychiques comportent un état de stress aigu, de détresse ; un syndrome post traumatique avec la triade : syndrome de reviviscence, syndrome d’évitement, hyper réactivité neurovégétative mais aussi cauchemars, angoisse, sensation de vivre en perpétuelle insé- curité ; des symptômes de dissociation importants (état de conscience altérée, troubles de la mémoire, de la concentration, de l’attention, sentiments d’étrangeté, d’être spectateur de sa vie, dépersonnalisation, compagnon imaginaire) ; idées suicidaires, tentatives de suicide, suicide.
Les troubles somatiques sont chroniques et résistent souvent à toute prise en charge.
Les patientes sont difficiles à examiner, difficiles à prendre en charge. On observe une fatigue et des douleurs musculo-squelettiques chroniques intenses dues à une hyper vigilance, une tension entraînant des contractures musculaires, des dorsolombalgies. Dans d’autre cas, il s’agit de troubles cardio-vasculaires telles que palpitations, hypertension artérielle, coronaropathies, ou troubles pulmonaires à type d’asthme, de bronchites chroniques, de dyspnées. Ce peut être aussi des troubles neurologiques (épilepsie), endocriniens (thyroïdiens, diabète), allergiques, dermatologiques (eczéma, psoriasis, prurit), oto-rhino-laryngologiques (acouphènes, otites, angines à répétitions, asthme), voire stomatologiques. Les troubles gastro-intes- tinaux sont très fréquents (gastralgies, nausées, vomissements, troubles du transit, colites spasmodiques…..). On observe des prises de poids importantes ou des amaigrissements notables.
L’ensemble de ces troubles peut conduire la femme à une invalidité permanente, faute de soins adaptés.
Les troubles gynécologiques sont fréquents : troubles de la sexualité avec dyspareunie, absence de désir, anorgasmie, vaginisme, images projetées de l’agresseur ou de l’agression, au moment des rapports avec le partenaire ; troubles gynécologiques avec dysménorrhée, douleurs pelviennes chroniques, endométriose, cystites à répétition. On peut noter également une intolérance aux moyens contraceptifs. Enfin, l’examen gynécologique peut être impossible à pratiquer.
Leur donner des explications sur leur malaise
Pour ce qui est de la prise en charge des femmes violentées, plusieurs impératifs se conjuguent. L’objectif global est de contrecarrer, réduire, annihiler l’autodépréciation, la conviction d’être « nulle, moche, bête, coupable ».
Pour être efficace il faut agir à plusieurs et expliquer à la femme que l’agresseur est le seul responsable et le seul coupable des actes qu’il commet, des violences qu’il inflige.
L’agresseur isole sa victime, la dévalorise, l’humilie, la traite comme un objet, fait régner la terreur transfert la responsabilité des violences à la personne qui la subit, assure sa propre impunité. A nous de repeupler autour d’elle : le kiné, l’assistante sociale, l’association, le club de théâtre, la piscine… Et tous ces partenaires diront la même chose : il n’avait pas le droit, vous n’y êtes pour rien, nous allons vous aider.
Expliquer les processus qui accompagnent le fait de subir de graves violences
Au moment où s’exerce la violence à son encontre une partie du cerveau de la victime est à l’arrêt. Elles disent : « Je n’étais pas là » « C’était comme si j’étais morte » « Je me voyais du dehors, comme si ce n’était pas moi ». Il faut rattacher ces symptômes au premier traumatisme et l’aider à retrouver, reconstruire, sa pleine intégrité psychique.
Se mettre en danger, ne pas assurer sa sécurité personnelle, rechercher les situations à risque sont autant de comportements qui sont les conséquences de traumatismes anciens, enfouis et non traités. Il ne s’agit pas là d’irresponsabilité majeure , ou d’une manifestation psychiatrique de folie mais bien des conséquences des agressions subies antérieurement.
Évaluer la dangerosité de l’environnement des femmes . Il n’est pas utile de les recevoir longuement, il vaut mieux les recevoir souvent. Pour ma part, ce sont des consultations rapides, dix à quinze minutes, mais tous les quinze jours.
Interroger sur les mauvais souvenirs est aussi efficace. Elles ont des devoirs à faire :
écrire la pire fois, la dernière fois, comme elles se sont senties, écrire un cauchemar, ou bien quelque chose qui leur a fait, ou leur ferait plaisir, décrire leur rêve, quelque chose de positif…. C’est à elles de travailler, de reconstruire et à nous de les soutenir, de les encourager. Leur faire confiance, c’est renforcer leur capacité à être autonomes et libres.
La prise en charge c’est aussi ne pas rester seul, connaître le réseau victimo, les associations qui travaillent sur ces questions, les services hospitaliers qui prennent charge ces victimes, les faire connaître aux patientes, mettre à disposition des dépliants, afficher des informations…
CONCLUSION
Il reste du travail à faire : former des professionnels au dépistage, à la prise en charge des personnes violées, créer des structures de soins pour personnes victimes, des consultations de victimologie, assurer la gratuité des soins.
Le Collectif Féministe Contre le Viol se constitue partie civile, au côté des victimes dans certaines affaires. Dans quatre affaires, il a accompagné plusieurs victimes de médecins : psychiatres, sexologues, qui violaient leurs patientes dans le cadre de leur exercice. Dans chacune de ces affaires, le médecin connaissait la fragilité de ses patientes et utilisait son savoir pour les contraindre. Il est hautement souhaitable que l’Académie rappelle que les relations sexuelles entre médecin et patiente ne sont jamais thérapeutiques et contreviennent à la déontologie.
BIBLIOGRAPHIE [1] Les femmes victimes de violences conjugales, le rôle des professionnels de santé.
La documentation Française , Paris 2001.
[2] Les mutilations sexuelles féminines. Un autre crime contre l’humanité. Connaître, prévenir, agir.
Supplément au Bull. Acad. Natle Med, 2004, 188, no 6.
[3] Les violences envers les femmes en France. Une enquête nationale.
La documentation Française ,
Paris, Juin 2002.
Bull. Acad. Natle Méd., 2010, 194, no 8, 1535-1543, séance du 23 novembre 2010