Communication scientifique
Session of 11 octobre 2011

Le traitement de l’insomnie. Les possibilitées pharmacologiques et leurs limites

MOTS-CLÉS : hypnotiques. médiateurs. récepteurs. sommeil
Treatment of insomnia. Pharmacological approaches and their limitations
KEY-WORDS : hypnotics and sedatives. sleep disorders

Jean Costentin

Résumé

Les plaintes exprimées sur l’insuffisance du sommeil sont très au-delà de ce qui doit être considéré comme une insomnie vraie, qui justifierait le recours à un hypnotique. Les hypnotiques disponibles ont vu leur nombre se réduire notablement. De nombreuses structures cérébrales, de nombreux médiateurs et leurs récepteurs, sont impliqués dans le sommeil. Les principaux hypnotiques actuels (des benzodiazépines et les « 4 Z » : Zolpidem, Zopiclone, Eszopiclone, Zaleplon) agissent en intensifiant la transmission GABAergique en agissant à proximité des récepteurs GABA sur des éléments constitutifs du canal A, aux ions chlorure des membranes neuronales, accroissant la conductance de ces ions qui, pénétrant dans ces neurones les hyperpolarise. Cette prééminence de la transmission GABAergique ne doit pas occulter l’intervention de divers autres médiateurs et de leurs récepteurs, qui constituent d’attrayantes pistes pour le développement de nouveaux hypnotiques : l’histamine et ses récepteurs H , la dopamine (D et D ), la noradrénaline ( α ), la 1 1 2 1 sérotonine (5HT ), le glutamate (NMDA), l’acétylcholine (nicotiniques), l’hypocrétine 2 (OX et OX ), la mélatonine (MLT et MLT ), la prostaglandine E2 (EP) et la prosta1 2 1 2 glandine D2 (DP ), les endocannabinoïdes (CB ). La connaissance des caractéristiques 1 1 pharmacodynamiques, pharmacocinétiques et de pharmacologie clinique des hypnotiques actuels a permis d’élaborer une sorte de « cahier des charges » de l’hypnotique idéal, vers lequel devraient tendre les molécules innovantes à venir.

Summary

Far more people complain of inadequate sleep than of true insomnia warranting prescription of a hypnotic drug. The number of available hypnotics has fallen markedly in recent years. Numerous brain areas, transmitters and receptors are involved in sleep. Currently, the main hypnotics (benzodiazepine derivatives and the so-called 4Z group: Zolpidem, Zopiclone, EsZopiclone and Zaleplon) increase GABAergic transmission by acting on components of chloride channels, thereby inducing Cl- entry to neurons and resulting in their hyperpolarisation. This pre-eminence of GABAergic transmission should not make us ignore other important transmitters and their receptors as potential targets for new hypnotic drugs ; these include histamine (and H1 receptors), dopamine (D1 and D2), norepinephrine ( α 1), serotonin (5HT2), glutamate (NMDA), acetylcholine (nicotinic), hypocretin (OX1 and OX2), melatonin (MLT1 and MLT2), prostaglandin E2 (EP), prostaglandin D2 (DP1), and endocannabinoids (CB1). Knowledge of the pharmacodynamic, pharmacokinetic and clinical characteristics of current hypnotic drugs has allowed us to establish the profile of an ideal hypnotic for the future.

INTRODUCTION

L’adulte passe environ un tiers de sa vie (250 000 heures) à dormir, dont 20 % de ce temps à rêver (sommeil paradoxal). De la qualité et de la quantité de ce sommeil dépend la qualité de l’éveil diurne et, partant, la disponibilité, avec une réactivité optimale, aux évènements de la vie. Certes, les besoins individuels varient d’un individu à l’autre et, pour un même individu, d’une période à une autre. Trop dormir réduit la période d’activité et peut constituer un handicap avec des conséquences sociales. Michel Jouvet [1] a imaginé que la consommation de plantes à caféine, aux effets éveillants, aurait pu être déterminante pour la prééminence de certains hominiens ; plus longtemps disponibles de ce fait pour concevoir, apprendre, bâtir, surprendre leurs adversaires dans leur sommeil. Une mauvaise nuit est payée en retour d’une sédation diurne, qui peut avoir des conséquences fatales sur la route. Il a été estimé que 30 % des accidents de la circulation pourraient être reliés à un accès de sommeil [2].

Le recours à des hypnotiques ou à des agents facilitant le sommeil, pour n’être pas galvaudé, doit s’appuyer sur des critères précis pour définir l’insomnie, tels ceux du DSM-IV. Ils stipulent que le patient doit présenter au moins un trouble du sommeil tel : un endormissement différé, des réveils spontanés, un réveil précoce / une réduction de la durée totale du sommeil ; avec un retentissement sur le fonctionnement diurne, et ce au moins trois fois par semaine, depuis au moins un mois. Avec ces critères, il est constaté dans la population générale que si des plaintes portant sur le sommeil émanent de près de 70 % des individus, seuls 20 % d’entre eux, à l’aune de ces critère, seraient effectivement des insomniaques [3].

Les hypnotiques ont été plus nombreux sur le marché qu’ils ne sont actuellement.

Leur toxicité a été, pour beaucoup d’entre eux, à l’origine de leur invalidation.

Récemment [4], l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) a annoncé le retrait du marché du Noctran® (association d’une benzodiazépine et de deux phénothiazines ; l’une antagoniste des récepteurs D2 de la dopamine, et toutes deux antihistaminiques H1, anticholinergiques muscariniques et adrénolytiques α1) et de la Mépronizine® (association de méprobamate et d’une phénothiazine antihistaminique H1). Le constat fréquent d’abus, avec installation d’une dépendance, incite à être plus avare de la prescription des hypnotiques et à limiter la durée de ces traitements (4 semaines, incluant la période de réduction finale de la posologie).

Parmi les hypnotiques du passé on citera divers uréides, certains à chaîne ouverte (Adaline®, Bromural®, Sédormid®), d’autres à chaîne fermée ; certains barbituriques, d’autres étant utilisés comme anesthésiques généraux (le seul survivant, le phé- nobarbital, n’est plus utilisé qu’à doses infra-hypnotiques, comme antiépileptique dans le « grand mal ») ; divers alcools (Rectanol®, Dormisone®, N-Oblivon®) ; des carbamates (Merinax®, Valmid®) ; des aldéhydes (l’hydrate de chloral, le chloralose α, le paraldéhyde) ; des dérivés pipéridiniques (Doridéne®, Noludar®) ; des dérivés de la quinazolone (Toraflon®, Nubaréne®) ; des phénothiazines antihistaminiques H (Dorévane®, Nuital® et le Nozinan®, qui ne survit que comme neuroleptique 1 sédatif). Les vertus sédatives de divers végétaux (valériane, tilleul, lavande, aubépine, cimifuga, ballote, camomille, mélisse, passiflore, kawa-kawa, eschscholtzia…) aux confins de l’effet placebo, conservent les faveurs de certains patients [5]. Ces phytothérapies ne sont plus remboursées par la sécurité sociale.

Il ne sera question ici que des traitements symptomatiques de l’insomnie essentielle.

Les insomnies relevant de pathologies somatiques ou psychiatriques, ou encore d’origine iatreuse doivent bénéficier d’une thérapeutique étiologique.

LES MÉDIATEURS DU SOMMEIL ET LES STRUCTURES IMPLIQUÉES

Les états d’éveil ou de sommeil sont la résultante d’influences contradictoires qui s’exercent en faveur de chacun de ces états. Parmi les principales structures cérébrales impliquées on peut mettre en exergue [6] :

— dans le tronc cérébral : la formation réticulée (point de départ de neurones glutamatergiques), le noyau du raphé antérieur (origine de neurones sérotonergiques), le locus cœruleus (origine de neurones noradrénergiques), les noyaux mésopontins (origine de neurones cholinergiques) ;

— dans le diencéphale :

l’hypothalamus , avec dans sa partie postérieure le tubercule mamillaire (origine des neurones histaminergiques) ; et dans sa partie antérieure l’aire préoptique (dont la destruction crée une insomnie durable, corrigée par l’administration in situ du précurseur immédiat de la sérotonine) ; le noyau suprachiasmatique , sorte d’horloge du rythme veille/ sommeil au cours du nycthémère ;

le thalamus et ses noyaux réticulaires , dont l’activité est inhibée lors de l’éveil, sous l’influence d’afférences cholinergiques, histaminergiques, noradrénergiques, sérotonergiques ;

— dans le télencéphale :

le noyau basal de Meynert , (d’où partent des neurones cholinergiques projetant sur le cortex) et l’hippocampe ;

le cortex , tant dans ses régions supérieures que dans ses aires basales.

Ces structures sont reliées entre elles : par une voie dorsale : réticulo-thalamocorticale ; et par une voie ventrale : réticulo-hypothalamo-corticale .

Le pharmacologue, à défaut de pouvoir cibler une structure cérébrale particulière, n’est pas inféodé à ces aspects anatomiques. Par contre, sont déterminants pour ses actions les neuromédiateurs et neuromodulateurs impliqués qui dans l’éveil, qui dans le sommeil, et plus encore les types de récepteurs qu’ils mettent en jeu. Ces récepteurs correspondent aux cibles pour lesquelles il va sélectionner des ligands, agonistes ou antagonistes, afin d’influer sur les fonctions qu’ils contrôlent.

Quand certains de ces médiateurs développent des effets contradictoires, selon la structure dans laquelle ils opèrent, s’ils agissent ce faisant par l’entremise de mêmes types de récepteurs on ne pourra prendre appui sur ceux-ci pour manipuler une seule de ces fonctions.

Tableau I. — Principales cibles biologiques affectant le sommeil MÉDIATEURS

RÉCEPTEURS

ÉVEIL (+) SOMMEIL (-)

Histamine H ( + ) 1

Dopamine D D ( + ) 1 2

Noradrénaline α ( + ) 1

Glutamate NMDA ( + )

Acétylcholine Nicotinique ( + )

Sérotonine 5HT ( + ) 2

Hypocrétine Ox et Ox ( + ) 1 2 Mélatonine MLT et MLT ( ) 1 2

Prostaglandine E2 EP ( + )

Prostaglandine D2 DP1 ( )

Ac. GammaAminoButyrique GABA ( )

A Adénosine A2a ( )

HYPNOTIQUES INFLUANT SUR LA TRANSMISSION GABAERGIQUE

L’acide Gamma Amino Butyrique (GABA) est un médiateur ubiquiste, dont les effets s’expriment par la stimulation de deux types de récepteurs : GABA et A GABA .

B

Sa participation à la physiologie du sommeil implique essentiellement les récepteurs GABA qui, ainsi, sont la cible de la majorité des hypnotiques actuellement A utilisés ; à savoir certaines benzodiazépines et les « 4 Z » (zolpidem, zopiclone, zaleplon, eszopiclone). Les différences d’actions, entre ces molécules sont quantitatives mais aussi qualitatives, soulignant qu’elles n’affectent pas les mêmes sous-types (nombreux) des récepteurs GABA .

A Ce récepteur ionotrope constitue un canal pour les ions chlorure. Sa stimulation accroît leur entrée dans les neurones porteurs de ces récepteurs, ce qui aboutit à l’hyperpolarisation de leur membrane et à l’inhibition de leur activité électrique.

Le récepteur GABA est constitué de 5 sous unités protéiques des types α, β, γ, δ, ε, A π, θ, qui circonscrivent le canal aux ions Cl-. On connaît pour ces sous unités de nombreuses isoformes e.g. α1, α2, α3, α4, α5, α6 ; β1, β2, β3 ; γ1, γ2, γ3 ; ce qui aboutit à une vingtaine de sous types de récepteurs GABA [7], diversement exprimés par A différents types neuronaux et desservant des fonctions différentes dans des structures cérébrales différentes.

Ces récepteurs sont composés de 2 sous unités α, 2 sous unités β et 1 sous unité γ.

Le site de liaison des benzodiazépines se situe à l’union des sous unités γ2 et α1 (ou 2 ou 3 ou 5).

La liaison n’ouvre le canal aux Cl- que pour autant que deux molécules de GABA occupent leurs propres sites de liaison (situés sur les sous unité β).

L’association α1 — β2-γ2 est trouvée dans la plupart des aires cérébrales, associée particulièrement à des interneurones de l’hippocampe, du cortex, des cellules de Purkinje du cervelet.

À la sous unité α 1 sont associés : un effet sédatif / hypnotique, des effets amnésiants, un potentiel addictif, un effet anticonvulsivant.

À la sous unité α 2 sont associés : une anxiolyse, une myorelaxation, un effet antihyperalgésique.

α 3 : un effet anticonvulsivant, une myorelaxation, un effet antihyperalgésique.

α 5 : une ataxie, des troubles cognitifs [8].

Les benzodiazépines hypnotiques (triazolam, témazépam.) n’ont pas de spécificité marquée pour une isoforme et de ce fait recrutent, à des degrés divers, les différents effets précités. Leur choix tient à leur action développée sous leur forme native (ce ne sont donc pas des promédicaments), à leur demi-vie brève, à leur affinité prédominante pour les récepteurs GABA ayant une sous unité α1.

A Les « 4 Z » (Zolpidem, Zopiclone ; Zaleplon, Eszopiclone) ont une assez bonne spécificité pour les récepteurs GABA ayant une sous unité α1.

A Ils sont hypnotiques et amnésiants mais n’ont pas d’effet anxiolytique, myorelaxant, ni ataxiant.

Tableau II. — Hypnotiques par interaction avec le GABA Cible biologique

D.C.I. Nom commercial®

Dose t1/2 (famille chimique) (mg) Récepteurs GABAA Sous unité α1

Zaleplon (Sonata*®) 10 mg 1h (pyrazolopyrimidine) Sommeil, amnésie fi Zolpidem (Stilnox®) 5 mg 2,5h anticonvulsivant (imidazopyridine) Zopiclone (Imovane®) 5 mg 5,5h (cyclopyrolone) α1-α6 Indiplon 1,5h (pyrazolopyrimidine) α1-α2 Eszopiclone (Lunesta*®) 5,8h (isomères du zolpidem) Sous unités α1 et α2 BENZODIAZEPINES 2 mg 17h Myorelaxant Estazolam Nuctalon® 2,5h Dépendance Triazolam ex Halcion*® Témazépam Normison® 10 mg 10h Loprazolam Havlane® 1 mg 8h Lorazépam Témesta® 1 mg 13h Flunitrazépam Rohypnol® 1 mg 70h Lormétazépam Noctamide® 1 mg 10h Nitrazépam Mogadon® 5 mg 32h Modulateur allostérique Gaboxadol Transporteur GAT1 du

GABA — Inhibiteur Tiagabine Gabitril ® 4 mg 8h Récepteurs GABA B et autres

Gamma-OH Oxybat® 5000 mg 3,5h Le Gamma hydroxy butyrate sodique = Oxybat® = γOH.

Formule chimique : HO-CH -CH -CH -COO-. Na+. C’.est un métabolite du GABA 2 2 2 (dans lequel la fonction amine — NH2 est remplacée par une fonction alcool — OH). Ce γOH pourrait être un neuromédiateur à part entière [9] ; il est présent dans différentes aires cérébrales, au sein de vésicules neuronales, d’où il est libéré par dépolarisation. Il peut être recapturé par les boutons synaptiques qui l’ont libéré. Il se lie aux récepteurs GABA , ainsi qu’à d’autres récepteurs qui lui seraient propres.

B Son administration systémique, à doses très élevées (supérieures à 5 g), induit un sommeil privilégiant les stades III et IV du sommeil à ondes lentes (phase la plus réparatrice de celui-ci). Il inhibe la libération de dopamine, suivie d’un accès de libération en toute fin d’effet du γOH. Ce phénomène pourrait expliquer des usages abusifs, ayant justifié son classement comme stupéfiant en 1999. Il a une A.M.M.

européenne (2005) pour le traitement des patients narcoleptiques. Il est actif sur : les attaques de cataplexie, les accès d’endormissement diurnes et les perturbations du sommeil nocturne. Il a un effet dépresseur ventilatoire avec coma en cas de surdoses ;

Il fait l’objet de détournement comme agent de soumission chimique.

AUTRES MÉDIATIONS AU SERVICE DU SOMMEIL

La transmission dopaminergique, si importante pour l’éveil [10], n’est pas ciblée par des inhibiteurs/antagonistes aux fins de développer des effets hypnotiques. Cela tient à la diversité et à l’importance des autres actions qu’elle contrôle et que l’on ne veut éteindre.

Les effets multiples et souvent très délétères du tétrahydrocannabinol (THC), principe actif majeur du cannabis, dont la pharmacodépendance qui lui est associée, interdisent son usage à des fins hypnogènes. Néanmoins une stratégie paraissait pouvoir prendre appui sur le système endocannabinoïdergique, l’inhibition de l’enzyme (Fatty Acid Amide Hydrolase = FAAH) qui assure l’inactivation par l’hydrolyse d’un ligand endogène des récepteurs CB , l’anandamide (arachidonoyl 1 éthanolamide) [11]. Mais l’inhibition de cette enzyme préserve aussi de leur dégradation deux autres dérivés éthanolamides d’acide gras : l’oléyl éthanolamide et le palmitoyl éthanolamide, aux effets éveillants [12]. Ils agissent peut-être par une stimulation du récepteur CB ou par une activation du PPAR-α avec pour consé- 2 quence de faire baisser le taux endogène d’anandamide [13] ?

D’autres dérivés d’acides gras polyinsaturés, certaines prostaglandines, influent sur le sommeil. La prostaglandine E2 est éveillante en stimulant les récepteurs EP ; ceci invite à étudier des antagonistes de ces récepteurs [14]. La prostaglandine D2 est la prostaglandine la plus abondante du cerveau. Elle a des effets hypnogènes [15] par la stimulation des récepteurs du type DP (que réverse l’antagoniste ONO 4127). Par 1 ailleurs, l’inhibition de la synthèse de la PG D2, par le tétra chlorure de sélénium (SeCl ), a des effets éveillants [15, 16], un agoniste direct des récepteurs DP pourrait 4 1 dès lors constituer un agent hypnotique.

Les effets éveillants de la caféine sont à l’origine de l’énorme engouement pour les boissons qui en contiennent [17]. Ils procèdent d’un antagonisme des effets de l’adénosine sur ses récepteurs des types A et A . Le taux extracellulaire de ce 1 2a nucléoside s’accroît dans le cortex et le télencéphale basal chez le chat privé de sommeil alors qu’il diminue au cours du sommeil consécutif. L’administration d’un agoniste des récepteurs A — la N6 cyclopentyladénosine — a des effets hypnotiques 1 [18].

Les effets éveillants de la caféine ne survivent pas à l’invalidation du gène codant les récepteurs A2a de l’adénosine, de même que sa capacité à réverser l’anesthésie générale par une très haute dose d’alcool [19].

Un agoniste direct et spécifique des récepteurs A induit un effet hypnotique [20].

2a Les neurones histaminergiques cérébraux, au nombre de quelques milliers seulement, naissent dans l’hypothalamus postérieur, dans le noyau tubéro mamillaire, d’où ils projettent, de façon très diffuse, sur la plupart des structures cérébrales.

L’histamine qu’ils libèrent agit sur plusieurs types de récepteurs (H → H ). L’éveil 1 4 est attaché à la stimulation des récepteurs H . Aussi, pour induire le sommeil, il 1 importe, soit de bloquer les récepteurs H (antihistaminiques H ), soit d’inhiber la 1 1 libération d’histamine. Cela peut être obtenu en stimulant les autorécepteurs du type H par un agoniste de ces récepteurs tel la R-α méthylhistamine [21].

3 Une autre stratégie hypnogène vise à supprimer l’activité tonique des neurones histaminergiques, soit en renforçant les afférences inhibitrices, soit en supprimant les afférences activatrices, qui s’exercent sur ces neurones.

— Activatrices (à inhiber) : z l’orexine A, via ses récepteurs OX et OX [22] 1 2 z la prostaglandine E2 (PG E2) via ses récepteurs ⎢ EP [14] 4 — Inhibitrices (à stimuler) : le GABA, via ses récepteurs GABA (conf. supra) ; en A rappelant que beaucoup de médiateurs, avec leurs récepteurs spécifiques, sont capables d’accroître la transmission GABAergique.

Le noyau suprachiasmatique, l’horloge biologique du cerveau est sous l’influence de la mélatonine. Cette hormone aux effets chronobiologiques est synthétisée à partir de la sérotonine par l’épiphyse, en réponse à l’absence de lumière. Elle agit par la stimulation de deux types de récepteurs (MLT et MLT ). Elle peut être utilisée pour 1 2 recaler un cycle circadien déphasé (décalage horaire du « Jet lag »), mais aussi les troubles du sommeil, tout spécialement de la personne âgée [23], qui produirait moins de mélatonine que lorsqu‘elle était plus jeune. Les doses longtemps utilisées sont jugées désormais trop élevées ; pour pallier sa faible durée d’action une forme à libération prolongée est désormais disponible (Circadin®, à 2mg de principe actif, avec une Cmax à 3h, et une t ½ de près de 4h) La diversité des cibles impliquées dans l’éveil et dans le sommeil peut inciter au recours à des agents pharmacologiques affectant simultanément plusieurs cibles à leurs doses thérapeutiques.

Ainsi la trazodone associe des activités antagonistes des récepteurs sérotonergique 5HT [24], des récepteurs histaminergiques H et des récepteurs adrénergiques α .

2 1 1 Elle manifeste par ailleurs une activité antidépressive opportune lorsque l’insomnie est associée à un état dépressif (situation fréquente). Cependant, sa toxicité cardiaque et la survenue de priapisme l’ont invalidée.

Etre mieux éveillé le jour permet de mieux dormir la nuit. Ceci est particulièrement vérifié chez le sujet âgé qui, par des assoupissements diurnes, consomme une part de son capital de sommeil nocturne. Aussi des psychoanaleptiques tels la caféine, l’adrafinil (Olmifon®, promédicament du modafinil — Modiodal®), pourront être utiles, pour autant que leur effet ait disparu à l’heure du coucher.

Dans la mise au point de l’Afssaps déjà citée [3] sont rappelées des règles d’hygiène du sommeil, dont : le renforcement du contraste veille-sommeil, en s’exposant tôt le matin à la lumière du jour ; le soutien psychologique ; « l’éventuel accompagnement non médicamenteux tel que phytothérapies, thérapies cognitivocomportementales, particulièrement en cas d’anxiété concomitante » ; ne dormir que selon ses besoins ; éviter les siestes de plus d’une heure ou trop tardives (après 16h) ; ne rester au lit que pour dormir ; limiter le bruit, la lumière, sortir les animaux domestiques de la chambre, qui ne doit être à une température excessive ; éviter la caféine et autres excitants dans la deuxième partie de la journée ; pratiquer un exercice physique dans la journée, mais en général pas après 17h ; éviter les dîners trop copieux.

Tableau III. — Agents affectant le sommeil par d’autres cibles que les récepteurs du GABA Récepteurs de cannabinoides Cannabidiol (éveillant) (antagoniste) Récepteur aux endocannabinoides CB1 THC (sédatif) agoniste Agoniste inverse des 5HT A Eplivanserine 2 Trazodone ex Pragmarel® Récepteurs EP de la PGE 4 2 (antagoniste) Récepteurs PD de la PGD (agoniste) 1 2 Récepteurs H de l’histamine Doxylamine t 1 1/2 10 h (antagonistes) Doxépine t1/2 7 h Hydroxyzine t1/2 16 h Diphenydramine t1/2 > 12 h Autorécepteurs H (agoniste) 3 R-α méthylhistamine Récepteurs de l’orexine A — OX et OX Almorexant 1 2 (antagoniste) Récepteurs α adrénergiques 1 (antagonistes) Récepteurs de la mélatonine Ramelteon Rozerem® 1,5 h MLT — MLT Mélatonine Circadin® 1 2 L.P.

0,6 h agoniste Agomélatine Valdoxan® t1/2 2-3 h Tasimelteon LES CARACTÉRISTIQUES D’UN HYPNOTIQUE IDÉAL

Viser les mêmes cibles aboutit à recruter les mêmes effets primaires, mais aussi latéraux et, le cas échéant, adverses. Néanmoins chaque molécule d’une même famille chimique et thérapeutique est unique. Elle doit sa singularité aux caractéristiques : de son « réceptogramme », i.e. des différentes cibles qu’elle est capable d’affecter aux concentrations atteintes à partir de sa posologie usuelle ; à son activité intrinsèque (α) et celle de ses métabolites sur chacune des cibles affectées, à ses principaux paramètres pharmacocinétiques (résorption, biodisponibilité, temps après lequel culmine la concentration plasmatique (tmax), liaison aux protéines plasmatiques, passage de la barrière hémato-encéphalique ; métabolisme, demi-vie plasmatique (t ), accumulation (V ) ; à l’activité de ses métabolites ; à la toxicité de ½ D la molécule mère et des molécules qui en sont issues.

Alors qu’une action simultanée sur plusieurs cibles peut conduire à des synergies additives, voire potentialisatrices, elles associent les effets secondaires. C’est la raison de la suppression récente des Noctran® et Mépronizine®.

Aucune des molécules actuellement disponibles, ne réunit toutes les qualités que l’on s’est appliqué, dans le Tableau IV, à imaginer pour l’hypnotique idéal.

Tableau IV. — Caractéristiques d’un hypnotique idéal — Efficacité — Relation effet-dose prévisible — Relation effet-temps prévisible — Ne modifiant pas l’architecture du sommeil (rapport sommeil à ondes lentes/sommeil paradoxal) — Permettant l’accès aux phases III et IV du sommeil à onde lente — Ne générant ni dépendance psychique, ni dépendance physique — N’induisant pas de tolérance — Sans reliquat d’effet matinal (t1/2 bref) — Ni inducteur, ni inhibiteur des Cytochromes P450 — Sans interactions pharmacologiques notables — Non toxique aux doses élevées (en cas de surdose accidentelle ou délibérée) — Sans interaction avec l’alcool — Sans effet psychodysleptique (type propofol ou kétamine) — Ne s’accumulant pas chez le sujet âgé — Sans effet dépresseur respiratoire — N’induisant pas ou n’aggravant pas les apnées du sommeil — N’induisant pas de troubles de l’équilibre — Utilisable chez la femme enceinte (non tératogène) — Sans méfaits somatiques — Rapide réversibilité de l’effet des surdoses par un antidote / antagoniste — N’induisant pas de rebond d’insomnie ou de cauchemars à l’arrêt du traitement — Bas coût — N’allongeant pas l’espace QT de l’électrocardiogramme — Ne perturbant pas la mémoire pendant son délai d’action — Non utilisable comme agent de soumission chimique — Non contre-indiqué en cas de porphyrie — Non mutagène, non clastogène

CONCLUSION

La classe pharmacologique des hypnotiques est très sollicitée, il se vend chaque jour dans notre pays cent mille boîtes de ces médicaments ; ce qui est à la mesure de la fréquence des plaintes d’insomnie et de la sollicitude des médecins prescripteurs (à 85 % des généralistes). Aucun des médicaments actuellement disponibles ne satisfait à tous les critères d’un hypnotique idéal. Afin de limiter la tentation très forte de la patientèle de commander par un hypnotique à son sommeil, durablement et d’une façon systématique, des recommandations ont été exprimées par la Haute Autorité de Santé, limitant à quatre semaines la durée des traitements. Une thèse en cours [25] nous donne à penser, en l’état présent de l’analyse, que cette recommandation est peu suivie.

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[24] Monti J. — Serotonin control of sleep-wake behaviour.

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[25] Mabilais G. — La recommandation d’une limitation à 4 semaines du traitement par un hypnotique est elle respectée en médecine de ville ? 2012-Thèse de doctorat d’exercice de Pharmacie (en cours).

DISCUSSION

M. Roger NORDMANN

Pouvez-vous nous indiquer quels sont les critères du DSM IV qui ont permis de réduire à environ 20 % la prévalence de l’insomnie alors que cette prévalence était considérée préalablement comme beaucoup plus élevée ?

Ces critères du DSM IV stipulent que le patient doit présenter au moins un trouble du sommeil tel : un endormissement différé, des réveils spontanés, un réveil précoce/une réduction de la durée totale du sommeil, ayant un retentissement sur le fonctionnement diurne, et ce au moins trois fois par semaine, depuis au moins un mois.

M. Jean-Pierre OLIÉ

A défaut d’un hypnotique idéal peut-on différencier les facilitateurs du sommeil ; quant à leur impact sur l’architecture du sommeil ? En est-il certains qui respectent mieux cette architecture ? D’autre part, les molécules qui agissent sur les prostaglandines telles que les AINS, l’aspirine en particulier, ont-elles un effet hypnotique ?

La cyclopyrolone, Imovane® et l’imidazopyrimidine, Stilnox® revendiquent, relativement aux benzodiazépines utilisées comme hypnotiques, un plus grand respect de l’architecture du sommeil, respectant mieux le sommeil paradoxal, en fréquence, ainsi qu’en durée, et permettant l’accès à des stades plus profonds du sommeil à ondes lentes (stades III et IV) auxquels les benzodiazépines n’assureraient pas l’accès ; or ce sont les stades les plus « réparateurs » du sommeil. Ceci souligne que le sous type de récepteurs GABA mis en jeu, en fonction des neurones qui les portent, peuvent influencer diffé- A remment le sommeil. S’agissant des relations entre les prostaglandines et le sommeil, on sait qu’elles sont complexes ; ainsi la prostaglandine E2 (en stimulant des récepteurs du type EP) est hypnogène, tandis qu’au contraire la prostaglandine D2 (en stimulant des récepteurs du type DP ) est éveillante. Les anti-inflammatoires non stéroïdiens ou AINS, 1 par inhibition des enzymes de leur synthèse, les cyclooxygénases des type 1 et /ou 2 peuvent inhiber leur production ; mais prévenir, en la circonstance, simultanément deux effets opposés sera sans conséquence perceptible. Pour manipuler de façon univoque ces systèmes, il faudrait les aborder par des ligands spécifiques de l’un ou l’autre type de ces récepteurs

<p>* Membre de l’Académie nationale de médecine et de l’Académie nationale de pharmacie, e-mail : jeanhenri.costentin@orange.fr Tirés à part : Professeur Jean Costentin, même adresse Article reçu le 24 août 2011, accepté le 10 octobre 2011</p>

Bull. Acad. Natle Méd., 2011, 195, no 7, 1583-1595, séance du 11 octobre 2011