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Séance du 8 avril 2008

Le rôle et la place du médecin généraliste en France

Marie-Thérèse HERMANGE **, Pierre AMBROISE-THOMAS*, Daniel COUTURIER*, Daniel LOISANCE*

Quel sera l’avenir des médecins généralistes (MG), maillon indispensable de notre système de soins ? L’Académie nationale de médecine s’est penchée sur cette question et a réalisé une enquête auprès de médecins généralistes, de jeunes internes, ainsi que du ‘‘ grand public ’’.

A la demande de l’Académie nationale de médecine, l’institut BVA a donc réalisé une étude portant sur la perception du médecin généraliste et de son rôle en France.

Cette étude a été menée en deux temps :

— Une phase quantitative auprès d’un échantillon représentatif de mille français d’une part et d’un échantillon représentatif de cinq cents médecins généralistes d’autre part — Une phase qualitative constituée de quatre réunions de groupe de deux heures (deux groupes de médecins, un groupe d’internes se préparant à l’installation, un groupe de jeunes étudiants ayant été tentés de faire médecine mais y ayant renoncé).

La phase quantitative a permis de disposer de statistiques fiables sur les perceptions et les situations vécues alors que les réunions de groupe ont permis de mieux comprendre les freins et les leviers repérés lors de la phase quantitative.

*

Membre de l’Académie nationale de médecine **

Membre correspondant de l’Académie nationale de médecie

Ces résultats nous renseignent en premier lieu sur la perception de notre système de soins par le grand public et par les MG.

Ils montrent une adhésion au système actuel de soins et surtout une grande préoccupation pour la santé et la sécurité sociale qui est le deuxième domaine prioritaire pour les Français , juste après l’emploi. 69 % des français et 82 % des MG ont le sentiment que le système de soin va se détériorer dans les années à venir . Les Français s’y sentent donc d’autant plus attachés et le jugent utile à 83 % (82 % pour les MG).

Le présent rapport s’attachera à faire apparaître les enseignements principaux qui se dégagent de cette étude :

— La bonne image du médecin généraliste — L’attractivité de la profession de MG — Des études au contenu insatisfaisant, jugées comme un obstacle au choix de cette profession — L’étape dramatisée de l’installation — Les conditions d’exercice jugées positivement par les professionnels — La question des zones démédicalisées — Les recommandations du groupe de travail I. Concernant les images et perceptions des MG La profession de médecin est celle qui est jugée la plus prestigieuse de toutes, par les Français qui sont 58 % à la plébisciter.

 

Question. Parmi les professions suivantes, dites-moi quelles sont les 3 que vous jugez les plus prestigieuses :

Base : Ensemble Grand Public (1004) 91 % des Français ont une bonne opinion de leur MG (89 % des MG en sont conscients), contre 90 % pour les médecins spécialistes et 88 % pour les médecins hospitaliers.

Mais 1 Français sur 2 estime que l’image des MG s’est détériorée depuis 10 ans. Cette perception d’une tendance à la dégradation du système de soins est plus marquée encore chez les médecins généralistes.

Question : Avez-vous le sentiment que la bonne image des médecins généralistes, voire même leur prestige s’est plutôt amélioré ou plutôt détérioré depuis ces dix dernières années ?

 

Base : Ensemble Grand Public (1004)

II. Concernant l’attractivité de la profession de MG — L’enquête révèle un grand paradoxe : alors qu’il apparaît tout à fait prestigieux, le métier est peu attractif.

— La profession de médecin n’arrive en effet qu’en 5e position, avec seulement 14 % des Français qui ont déjà envisagé de l’exercer.

Question. Parmi les métiers suivants, quels sont ceux que vous avez vous-même déjà envisagé d’exercer, en dehors du métier qui est le votre aujourd’hui : Base : Ensemble

Grand Public (1004)

III. Concernant le choix des études de médecine a. Le choix 76 % des Français et des MG reconnaissent que le choix de ce métier répond avant tout à une vocation .

 

Question Grand Public : Selon vous pour quelle raison un médecin généraliste choisit-il d’exercer ce métier. Est-ce avant tout… ?

Question Médecins : Vous personnellement, et en toute franchise, dites-moi laquelle des deux raisons suivantes vous a le plus poussé à exercer votre métier. Est-ce avant tout…

Base : Ensemble Grand Public (1004) / Ensemble des médecins (503)

Les trois éléments qui arrivent en tête pour expliquer l’orientation vers des études de médecine sont :

• l’envie de soigner des gens : 96 % (grand public et MG) • le goût du contact humain : 89 % grand public, 92 % MG • la vocation sans savoir pourquoi : 79 % grand public, 73 % MG Les MG mettent aussi l’accent aussi sur le débouché concret de ces études et le niveau de vie satisfaisant auquel ce métier donne accès.

b. Les études de médecine

Les études de médecine sont peu attrayantes , 80 % des 15-17 ans interrogés affirment ne pas envisager de suivre de telles études .

 

Question : Vous personnellement, souhaiteriez-vous suivre des études de médecine à l’avenir ?

Base : Grand Public : Aux jeunes (15-17 ans) (52, 5 %) — Pour les jeunes qui ont renoncé à s’inscrire :

• Des angoisses quant au concours • Des études trop longues et discriminantes socialement.

Des fantasmes autour du métier de médecin généraliste.

Pour les MG : Une critique sur l’organisation des études …

• … sur le cursus et sur la difficulté des études ;

• … la médecine en tant que telle est abordée trop tard dans le cursus.

Un regret par rapport au manque de spécialisation « médecine générale » c. Le choix de la spécialisation 71 % des MG dont les amis étudiants en médecine n’ont finalement pas choisi de devenir médecin généraliste pensent que c’est pour une meilleure qualité de vie, et 45 % , parce que le prestige du métier de généraliste n’est plus.

 

Question : Pourquoi selon vous certains de vos amis étudiants en médecine qui en auraient eu la compétence ont-ils finalement choisi de ne pas devenir médecin généraliste ? Base : Ensemble Médecins (503)

IV. Installation et évolution de carrière a. L’installation

Une étape assez abstraite, relativement dramatisée.

• Peur d’une « l’aliénation » pour plusieurs décennies aux patients ;

• Une gestion libérale (‘‘ paperasserie ’’ administrative) qui semble difficile • Peur de la relation et de la confrontation avec le patient • Angoisse du diagnostic b. Des perspectives d’évolution de carrière mal connues

De nombreuses possibilités offertes :

• Diversifier leur activité : homéopathie, psychothérapie, nutrition ;

• Réorientation professionnelle : conseil, salariat dans une grande entreprise, engagement humanitaire.

Des internes pourtant mal informés : Ils ne perçoivent pas d’évolutions de carrière (mais cela n’apparaît pas comme un problème).

V. Sur les conditions d’exercice des MG

Sur leur métier, les MG, jeunes et plus âgés, ont une image positive de leur propre profession et aucun, malgré les difficultés rencontrées, ne regrette d’avoir choisi celle-ci.

Question : Par rapport à votre exercice professionnel, diriez-vous que vous êtes … :

Base : Ensemble médecins (503) a. la relation avec les patients

Des MG installés qui déclarent avoir de bonnes relations avec leurs patients, mais elles ont fortement évolué dernièrement, notamment avec l’apparition d’internet :

Les patients sont de plus en plus experts = 31 % des Français ont déjà fait des recherches sur Internet ou dans de la documentation médicale avant ou après avoir eu le diagnostic d’un médecin pour s’assurer de celui-ci.

La figure du médecin a évolué , il est désormais accessible et peut subir la contradiction. = 24 % des français ont déjà contesté le diagnostic ou le traitement que lui avait fourni son médecin.

Une désacralisation de la parole médicale jugée enrichissante pour toutes les parties, les patients comme les médecins.

— Pour autant, des MG qui ont l’impression de se diriger vers une relation de prestation de service : Où le médecin répond à un besoin circonscrit et ponctuel alors même qu’ils aspirent à une médecine holistique et préventive = un phénomène principalement urbain.

b. L’épanouissement personnel

Une relation au travail qui s’est profondément transformée = Des MG qui refusent de se laisser phagocyter par leur vie professionnelle et qui clivent vie privée et vie professionnelle.

• Nouvelle culture et évolution du temps de travail et du développement des loisirs.

Des changements réglementaires majeurs très appréciés

Les vacances et le temps libre : la possibilité de fermer le cabinet sans l’obligation de trouver un remplaçant constitue une des mesures qui a le plus amélioré la vie des médecins.

Les gardes et les astreintes : leur suppression en 2003 est aussi une mesure très populaire auprès des participants interrogés.

• Les visites à domicile : une diminution importante très appréciée induite par l’évolution des quotations.

Nombre de ces médecins cherchent à s’associer, ou bien à monter un cabinet de groupes :

• dégager du temps libre, faciliter l’organisation des vacances • rompre la solitude de l’exercice —

Pour les internes : des conditions d’exercice imaginées difficiles et contraignantes

Un métier chronophage : visites à domicile, obligation de suivi, heures sup, urgence, et contraintes administratives.

• une conciliation vie privée / vie professionnelle perçue comme difficile : Ne pas prendre des vacances, ne pas être absent c. Exercer le mieux possible la médecine

Les généralistes estiment que les conditions de réception des patients ne sont pas optimales . Pour 48 % des Français, le temps en salle d’attente serait, en effet, le 1er aspect à améliorer .

La rémunération qui a une relative importance, constitue un motif d’insatisfaction pour les MG. ex : le dépistage n’est pas rémunéré car intégré à une autre consultation.

Question. A partir de votre propre expérience, quels seraient parmi les aspects ci-dessous, ceux sur lesquels les médecins généralistes devraient le plus s’améliorer ?

Base : Ensemble Grand Public (1004)

VI. Sur la question des zones démédicalisées 87 % des Français pensent que les médecins généralistes sont trop nombreux en centre ville et pas assez en banlieue et en zone rurale.

Pourtant, 58 % des MG interrogés déclarent qu’ils accepteraient d’exercer à l’avenir en zone rurale, et 50 % en banlieue.

Le principal obstacle à l’installation des MG en zone sous-médicalisée semble dès lors être la solitude de l’exercice. L’encouragement des maisons de santé pluridisciplinaires est donc une bonne piste à poursuivre.

Pour autant moins d’un MG sur deux (47 %) se déclare prêt à déménager en zone sous médicalisée même si les mesures jugées les plus convaincantes pour cela, étaient mises en place…

Question : Si les mesures que vous jugez les plus convaincantes étaient effectivement mises en place, pensez-vous que vous pourriez vous-même envisager d’exercer en zone démédicalisée ? Base : Ensemble des médecins (503)

VII Recommandations du groupe de travail

Il est urgent de revaloriser la médecine généraliste .

 

Il est essentiel de communiquer sur la réalité de cette profession a) A propos des études qui sont jugées…

— trop longues et trop coûteuses :

Rappeler que l’entrée dans le monde du travail se fait dès l’internat • Augmenter les allocations de bourses pour les étudiants des milieux les plus défavorisés — trop sélectives/manque d’effectif à venir

Ouvrir davantage le numerus clausus (ne prendra effet que dans 10 ans) — frustrantes du point de vue de l’enseignement médical

Concentrer les évaluations sur les disciplines médicales • Augmenter les occasions d’expériences concrètes de l’exercice de la médecine généraliste b) A propos de la dramatisation de l’exercice médical…

Surévaluation du sacrifice et de la responsabilité demandés par le métier :

Communiquer sur la qualité réelle de vie des MG • Limiter la responsabilité des MG Favoriser la coopération médicale et partager les diagnostics — Surévaluation des conditions d’exercice et du temps passé en cabinet :

Communiquer sur les dernières dispositions réglementaires : garde, astreinte, visite, fermeture du cabinet

Favoriser les cabinets de groupe, et les maisons de professionnels de santé.

c) A propos des conditions d’exercice…

— Face aux craintes liées à l’installation et à l’exercice quotidien du métier :

Limiter et simplifier les démarches administratives Favoriser les cabinets de groupe et les maisons de professionnels de santé en zones démédicalisées — Face à l’évolution du rapport patient-médecin vers une logique consumé- riste :

Repenser le mode de rémunération • Rémunérer la prévention et le dépistage d) A propos des zones sous médicalisées…

— Les mesures jugées les plus convaincantes à l’installation en zone démé- dicalisée convaincraient moins d’un MG sur deux à s’y implanter…

Conditionner l’obtention d’une bourse (par ailleurs plus importante) à l’engagement d’exercer X nombre d’années dans une zone démé- dicalisée

Faciliter l’installation dans ces zones par la mise à disposition de locaux… et faciliter le partage des responsabilités (maisons de professionnels de santé

Les mesures autoritaires, comme l’obligation d’une installation dans une zone médicalisée au terme des études médicales pour une période prolongée ou comme un régie spécial des remboursements selon la zone d’installation seront mal acceptées.

Rappeler que l’exercice de cette profession est en grande partie subventionnée par l’État (par le conventionnement) un devoir d’assurer la continuité de ce service public sur tout le territoire s’impose — Le futur MG sera une femme dans la plupart des cas…

Penser à la situation professionnelle du conjoint masculin e) A propos de l’évolution de carrière • Faire évoluer concrètement la carrière des médecins généralistes (sur le modèle des infirmières et des médecins spécialistes Ces différentes voies de réflexion sont actuellement poursuivies au sein de la Commission XV (Problèmes hospitalo-universitaires) et de la Commission XVI (La médecine libérale), présidées respectivement par Daniel Loisance et Pierre Ambroise-Thomas.

*** Constitué de : Pierre AMBROISE-THOMAS, Daniel COUTURIER, Daniel LOISANCE, Marie-Thérèse HERMANGE, Sénateur de Paris.

 

Bull. Acad. Natle Méd., 2008, 192, no 4, 805-816, séance du 8 avril 2008