Communication scientifique
Séance du 2 avril 2008

L’alimentation du nouveau-né et du nourrisson. État des lieux en France en 2007

MOTS-CLÉS : nouveau né, nourrisson, lait maternel, formules lactées
Newborn and infant nutrition in France in 2007
KEY-WORDS : formule. human milk. infants. newborn

Jean-François Duhamel, Bernard Salle

Résumé

L’alimentation du nouveau né et du nourrisson se partage entre allaitement maternel et alimentation artificielle. L’allaitement maternel est rapidement abandonné en France dans les huit premières semaines après l’accouchement bien que les propriétés nutritionnelles du lait de femme soient adaptées, à la croissance du petit nourrisson, à son éveil psycho moteur et sensoriel et jouent un rôle dans la prévention de l’obésité et du diabète de type1. Les préparations industrielles ont été considérablement améliorées ces dernières années pour se rapprocher de la composition du lait maternel ; mais leur nombre sur le marché et leurs indications dans des situations particulières sont source de difficultés ou d’erreurs de prescription. Néanmoins, les préparations lactées sont essentielles pour la croissance et la minéralisation osseuse du nourrisson jusqu’à trois ans.

Summary

Newborns and infants are mainly fed with maternal and/or formula milk. In France, breast-feeding is abandoned about 8 weeks after delivery on average, even though it is well known that it is best for growth and sensory development. Several formulas are claimed to mimic maternal milk, but their large number is a source of confusion. Up to three years of age, formula milk and cow’s milk are important for growth and skeletal mineralization.

Dans notre pays, le mode d’alimentation des nouveau-nés et nourrissons se partage de façon très inégale entre l’allaitement maternel et l’alimentation artificielle et il nous paraît justifié d’aborder successivement ces deux chapitres en y ajoutant une troisième partie intéressant les laits spéciaux qui représentent également une part importante des prescriptions.

*

Membre de l’Académie nationale de médecine.

 

LE LAIT DE FEMME [1]

Les connaissances concernant le lait de femme se sont largement complétées au cours des dernières années. Sur le plan nutritionnel, aux données déjà connues concernant les protéines et leur répartition, les lipides ou le lactose, sont venues s’ajouter celles intéressant de façon plus précise les acides gras essentiels, acide linoléïque, acide alpha-linolénique mais aussi acide arachidonique et docosahexaenoïque avec la mise en évidence de leur rôle dans le développement cérébral, celui de la vision et du développement psychomoteur permettant ainsi de souligner le privilège des nouveau-nés et nourrissons allaités. La faible minéralisation du lait de femme et sa richesse en vitamines A, E, C, folates et B 12 comme celle en oligoélé- ments hormis le fer avec une biodisponibilité inégalée renforce l’importance de ce côté nutritionnel. Tous ces éléments sont en outre adaptés à l’immaturité digestive, enzymatique et surtout rénale des premiers mois de la vie. A ceci vient s’ajouter le rôle du lait de femme dans la prévention des infections ; en effet, sont présentes d’une part des cellules vivantes, monocytes, macrophages et lymphocytes ; d’autre part des immunoglobulines IgA S, lyzozyme, lactoferrine, nucléotides et oligosaccharides qui sont en concentration les troisièmes composants du lait de femme c’est-à-dire 8 à 10g/litre. L’ensemble de ces éléments intervient de façon parfaitement démontrée dans la prévention contre les agressions virales et bactériennes.

En complément mais ceci est plus discuté, l’allaitement maternel pourrait avoir un rôle de prévention contre certaines manifestations allergiques, intolérance aux protéines du lait de vache surtout, manifestations cutanées et respiratoires plus partiellement.

Une revue récente de Laetitia Niers illustre le rôle fondamental du lait de femme dans la prévention de l’infection ; elle développe les mécanismes d’action des oligosaccharides mais aussi celui des cytokines et des chemokines [1 bis].

Dans le lait de femme, celui recommandé à tous les nouveau-nés et nourrissons par l’OMS et les pédiatres, seuls manquent pour le nouveau-né à terme la vitamine D et à moindre degré la vitamine K. Pour les prématurés, la situation est plus complexe et des compléments énergétiques et minéraux sont en règle nécessaires.

Néanmoins, trois types de risque doivent être soulignés :

— le passage des virus, hépatite B ou HIV ce qui pose un difficile problème dans les pays en voie de développement, — le passage des médicaments reçus par la mère, — le passage des toxiques, tels que nicotine, alcool, drogues et dioxine.

Ceci ne correspond qu’à un nombre limité de situations, comme d’ailleurs les rares anomalies métaboliques du nouveau-né du type galactosémie congénitale ou déficit enzymatique du cycle de l’urée qui interdisent alors ce mode d’alimentation.

 

Il faut rappeler les recommandations de l’OMS : les avantages multiples et complé- mentaires ne sont observés de façon complète que si l’allaitement maternel est exclusif et prolongé au moins six mois. Ce choix est renforcé dans son intérêt, par son rôle dans la prévention de la mort subite du nourrisson mais aussi dans celui de prévention contre les risques ultérieurs d’obésité, pathologie en évolution exponentielle en France depuis vingt ans, et de certains diabètes.

En conclusion, nos deux messages pourraient être que médecins et paramédicaux doivent unir leurs efforts pour faciliter l’allaitement maternel, par des informations et implications au niveau des maternités et des consultations prénatales, mais que de leur côté, les pouvoirs publics devraient adapter la législation actuelle sur les congés maternité pour les femmes qui désirent allaiter. Il existe une discordance entre les deux mois post-nataux actuels et les recommandations de l’OMS de six mois d’allaitement exclusif. Ces mesures sont essentielles pour que l’incidence de l’allaitement maternel en France 50 % à un mois et 10 à 15 % à trois mois rejoigne celle des pays du nord de l’Europe ou plus de 80 % des nourrissons sont encore allaités de façon exclusive à six mois de vie.

L’ALIMENTATION ARTIFICIELLE

Dans la situation actuelle, la France, avec ses 830 000 naissances en 2006 et un faible niveau d’allaitement maternel est confrontée de façon très majoritaire au choix d’une alimentation artificielle. C’est pourquoi depuis 1976 et 1978, les pédiatres nutritionnistes et les organismes nationaux type CNRS, AFSSA, CNERNA ont défini des règles quant à la composition des préparations artificielles destinées aux nouveau-nés et nourrissons et publiés au Journal Officiel [2, 3].

Le 10 janvier 1994, un arrêté est venu modifier ceux de juillet 1976 et mars 1978.

L’ensemble des produits est issu de transformations du lait de vache. L’objectif sur le plan nutritionnel d’abord était de se rapprocher le plus possible de la composition du lait de femme d’une part, et de couvrir le mieux possible les besoins énergétiques, minéraux et vitaminiques de l’enfant de l’autre [4, 5]. Le lait de vache contient par litre trois fois plus de protéines, six fois plus de caséine, trois plus de minéraux, sodium, potassium, calcium et six fois plus de phosphore avec comme conséquence une charge osmotique rénale trois fois plus élevée que celle du lait de femme.

En outre, le lait de vache manque d’acides gras essentiels, de vitamines, d’oligoéléments mais aussi d’oligosaccharides, d’IgAS et autres anticorps, de nucléotides, lactoferrine et lyzozyme. C’est dire que des transformations sont considérables pour répondre aux besoins des nourrissons depuis la période néonatale.

Les préparations artificielles ont été divisées en trois groupes :

— préparations pour nourrissons de la naissance jusqu’à cinq mois, — lait de suite de cinq à douze mois, — lait de croissance pour la période de un à trois ans.

 

Les plus grandes modifications ont été les suivantes : réduction de la concentration en protéines et rééquilibrage entre protéines solubles et caséine. Les formules les plus récentes n’en contiennent plus que 12 à 14 g/litre pour celles destinées aux nouveaunés et jeunes nourrissons (préparation pour nourrissons) contre 33 g/litre dans le lait de vache avec parallèlement, une réduction du pourcentage de caséine. La taurine 50 mg/litre a été ajoutée.

Parallèlement, les concentrations en sodium, protéines, calcium et phosphore ont été réduites avec le souci de rapprocher le rapport calcium phosphore de deux c’est-à-dire celui de lait de femme. Ces premières modifications ont permis la réduction de la charge osmotique rénale autour de 100 mosmol/l.

Au niveau des lipides, l’évolution la plus importante a d’abord été l’adjonction d’acides gras essentiels c’est à dire acide linoléïque et acide alpha-linolénique dans un rapport de cinq à dix à partir d’huiles végétales, palme, coprah, tournesol, soja, colza, coco. Depuis deux ans et sur les conseils de l’European Society of Pediatric Gastroenterology Hepatology and Nutrition (ESPGHAN) des acides gras polyinsaturés à longue chaîne ont été ajoutés dans la majorité des formules : 0,5 % des acides gras totaux pour l’acide arachidonique, 0,3 % pour ceux de la lignée n-3 acide docosahexaenoique en raison de leur intérêt quant au développement neurologique et de la vision [6, 7]. Par contre, ils n’influent pas la croissance [8]. De plus, l’ensemble des préparations a été enrichie en carnitine : autour de 15 mg/l.

Sur le plan des glucides, les préparations pour nourrissons en contiennent 70 à 80g/litre donc plus que le lait de vache avec dans la majorité des préparations 70 % de lactose et 30 % de dextrine maltose. Pour couvrir les apports nutritionnels conseillés en 2001 par l’AFSSA chez le nourrisson et l’enfant, les concentrations en vitamines et en oligo-éléments particulièrement vitamines A, E, C, Folates et en fer ont été complétées.

Dans ces conditions, nous disposons actuellement de préparations dont la qualité est très améliorée depuis ces dernières années et ceci compense d’une certaine façon la place trop réduite de l’allaitement maternel.

Il est également utile de rappeler la nécessité de reconstitution des biberons avec une eau plate peu minéralisée, de préférence eau minérale naturelle et insister sur les mesures d’hygiène rigoureuse concernant les biberons et les tétines.

SITUATIONS PARTICULIERES

Dans des situations cliniques particulières, de nouvelles préparations sont maintenant proposées : nourrissons à risque d’infection ou d’allergie, troubles du transit intestinal, pathologies métaboliques.

Le premier chapitre intéresse celui des risques infectieux ou allergiques avec la nécessaire réflexion concernant les prébiotiques et les probiotiques.

 

Les prébiotiques dont le concept a été décrits par Gibson et Roberfroid en 1995 sont des ingrédients non digestibles qui exercent un effet bénéfique chez l’homme sur la croissance et l’activité d’un nombre limité de bactéries dans le côlon [9]. Il s’agit essentiellement de fructo ou galacto-oligosaccharides, qui présent à des concentrations proches de celles du lait de femme exerceraient un rôle de prévention contre les risques allergiques ou infectieux. Plusieurs études récentes sont venues confirmer cette hypothèse dans le domaine de la dermatite atopique [10]. Des présentations à l’ESPGHAN de E. Bruzzese en 2006 apportent aussi des arguments quant à leur rôle de prévention contre les infections respiratoires et la diarrhée aiguë.

Les probiotiques, souches bactériennes vivantes de type bifido-bactéries ou lactobacillus dont la présence limite le développement d’une flore pathogène et intervient de façon bénéfique sur le développement des fonctions immunitaires, ont fait l’objet de très nombreuses études chez le nourrisson. Ils interviennent de façon positive sur les risques et la gravité des diarrhées aiguës, de façon plus discutée sur celui des atopies [11, 12]. Ils sont actuellement présents dans plusieurs préparations pour nourrissons ; dans l’avenir, leur présence associée à celle des prébiotiques devrait faire l’objet d’études complémentaires.

D’autres préparations intéressent des populations particulières ou des situations pathologiques particulières :

— Préparations pour prématurés, 7 à 9 % de l’ensemble des nouveau-nés, plus riches en protéines et calories, en acides gras essentiels et minéraux et micronutriments, — Préparations destinées aux nouveaux-nés présentant des régurgitations, situation très fréquente dans les premiers mois de la vie, elles sont épaissies en caroube 4 g/l ou en amidon de riz, maïs ou/et pommes de terre, au niveau de 20g/l.

— Préparations transit et acidifiées pour les situations de constipation ; plus riche en lactose et contenant des fibres.

— Préparations (hypoallergéniques) HA dont les protéines sont partiellement hydrolysées et proposées par certaines équipes en prévention des manifestations allergiques dans des familles à risque. Une méta-analyse récente met en doute leur efficacité [13].

— En cas d’intolérance prouvée aux protéines du lait de vache, il faut proposer pour une durée d’un an, des formules dont les protéines, caséïne, ou protéines solubles sont hydrolysées de façon plus ou moins poussée avec un poids molé- culaire inférieur à 1 500 pour certaines, à 4 000 pour d’autres et même une formule exceptionnelle où il n’existe que des acides aminés libres, le « néocate » ainsi venu compléter cette gamme, et indiquée en cas de rares intolérances aux petits peptides.

— Reste encore les préparations pauvres ou sans lactose pour les diarrhées aiguës en relais des solutés hydroélectrolytiques et les préparations élaborées en fonc- tion d’une anomalie enzymatique telle la phénylcétonurie ou pour la mucoviscidose tel le Cystilac que nous avons mis au point il y a huit ans avec Gérard Lenoir.

CONCLUSION

Un effort important devrait être fait par le corps médical et para-médical mais aussi par les pouvoirs publics en terme de congés maternité pour faciliter l’allaitement maternel. Pour le choix entre les préparations artificielles, la tache des médecins est d’une extrême difficulté puisqu’il porte sur environ deux cents propositions en excluant les formules très spécifiques à une pathologie.

Les formules ont bénéficié au cours des dernières années d’améliorations successives considérables mais leur nombre en rend la connaissance et la prescription précise bien difficiles, les choix sont souvent arbitraires. Les ventes en grande surface limitent en outre le poids des conseils. Pour l’avenir, nous ne pouvons que souhaiter une amélioration de la formation du corps médical et paramédical et des pharmaciens dans ce domaine ; une réduction du nombre de formules et une commercialisation de nouvelles préparations plus limitée et appuyée par des études nutritionnelles contrôlées comme le recommande le Comité de Nutrition de la Société Française de Pédiatrie [14] et la Société Européenne de gastro-entérologie et Nutrition (ESPGHAN) [15] seraient nécessaires.

Ces évolutions complémentaires devraient assurer une plus grande logique et une plus grande rigueur dans l’alimentation de zéro à trois ans.

BIBLIOGRAPHIE [1] Salle B.L. — Le lait de femme. In : Ricour C., Ghisolfi J., Putet G., Goulet O. — Traité de nutrition Pédiatrique. 1rt ed. Paris Maloine, 1993, 373-400.

[1bis] Niers L., Stasse-Wolthwis M., Rombouts F.M., Rijkers G.T. — Nutritional support for the infant’s Immune system. Nutr. Rev. 2007, 65 , 347-60.

[2] Les aliments diététiques et de régime dans l’enfance.

Journal officiel de la République Française.

1976, 5519-24.

[3] Dispositions relatives aux aliments diététiques. Journal Officiel de la République Française . 1978, 4070-2.

[4] Fomon S.J. — Requirements and recommanded dietary intakes of protein during infancy Pediatr. Res ., 1991, 30 , 391-5.

[5] Beaufrère B., Briend A., Ghisolfi J., Goulet O., Putet G., Rieu D. et al. — Nourrissons, enfants et adolescents. In : AFSSA, CNERNA-CNRS. Apports nutritionnels conseillés pour la population française 3ed Tec et Doc. Ed. — Londres-Paris- New York 2001 : 255-291.

[6] Uauy R., Hoffman D.R., Mena P., Llanos A., Birch E.E. — Term infant studies of DHA and ARA supplementation on neurodevelopment results of randomized controlled trials. J.

Pediatr ., 2003, 143 , S 17-S25.

[7] Lapillone A., Clarke S.D., Heird W.C. — Plausible mechanism for effects of long-chain poly-unsaturated fatty acids on growth . J. Pediatr ., 2003, 143 , S9-S16.

[8] Makrides M., Gibson R.A., Udell T., Ried K. — and the International LCPUFA investigators. Supplementation of infant formula with long-chain polyunsaturated fatty acids does not influence the growth of term infants. Am. J. Clin. Nutr ., 2005, 81 , 1094-1101.

[9] Gibson G.R., Roberfroid M.B. — Dietary modulation of the human colonic microflora :

introducing the concept of prebiotics. J. Nutr ., 1995, 125 , 1401-12.

[10] Moro G., Arslanoglu S., Stahl B., Jelinek J., Wahn U., Boehm G. — A mixture of pediatric oligosaccharides reduces the incidence of atopic dermatitis during the first six months of age.

Arch. Dis. Child , 2006, 91 , 814-9.

[11] Salminen S. — Human studies on probiotic : aspects of scientific documentation.

Scand. J.

 

Nutr ., 2001, 45 , 8-12.

[12] Taylor A.L., Dunstan A., Prescott S.L. — Probiotic supplementation for the first 6 months of life fails to reduce the risk of atopic dermatitis and increased the risk of allergen sensitization in high-risk children : a randomized controlled trial. J. Allergy Clin. Immunol ., 2007, 119 , 184-91.

[13] Osborn D.A., Sinn J. — Fomula containing hydrolysed protein for prevention of allergy and food intolerance in infants. Cochrane Database Syst. Rev ., 2006, 4 , CD003741.

[14] Comité de Nutrition de la Société Française de Pédiatrie. Préparations pour nourrissons et préparations de suite : pour une commercialisation et une communication basées sur les preuves.

Arch. Pediatr ., 2007, 14 , 319-21.

[15] Koletzko B., Baker S., Cleghorn G. and al . — Global standard for the composition of infant formula : recommandations of an ESPGHA N coordinated international expert group.

JPGN , 2005, 41 , 584-599.

 

<p>** Membre correspondant de l’Académie nationale de médecine Tirés à part : Professeur Jean-François Duhamel, Clinique de Pédiatrie — Caen Article reçu et accepté le 5 novembre 2007</p>

Bull. Acad. Natle Méd., 2008, 192, no 4, 723-729, séance du 2 avril 2008