Communication scientifique
Séance du 29 novembre 2011

Le paludisme chez les hominidés

MOTS-CLÉS : . hominidae
Malaria in hominids
KEY-WORDS : . hominidae

Georges Snounou *, Ananias Escalante, John Kasenene, Laurent Rénia, AnneCharlotte Grüner, Sabrina Krief

Résumé

Les parasites du paludisme (Plasmodium) qui infectent les grands singes sont particulièrement méconnus. Les premières descriptions des infections paludéennes chez les gorilles, chimpanzés et orangs-outans remontent aux premières décennies du XXe siècle, mais leur étude a été limitée dans les années 1930-1950 à quelques chimpanzés et dans années 1970 à quelques orangs-outans. Chez les grands singes d’Afrique, trois espèces fortement semblables à celles des humains furent répertoriées, parmi lesquelles P. reichenowi fut le plus étudié de par sa forte parenté phylogénétique à P. falciparum, le parasite le plus répandu en Afrique et le plus dangereux pour l’homme. Au cours de ces dernières trois années, des études moléculaires menées indépendamment sur des échantillons provenant de diverses populations de chimpanzés et de gorilles, ont montré non seulement une diversité inattendue des espèces de Plasmodium qui sont phylogénétiquement proche de P. falciparum, mais aussi des infections paludéennes dues à des espèces du paludisme humain. Ces observations ont générés des nouvelles perspectives sur l’origine et l’évolution de P. falciparum et fournissent une opportunité unique pour élucider les bases de la spécificité biologique de cette espèce néfaste.

Summary

Malaria parasites (Plasmodium spp) that infect great apes are very poorly documented. Malaria was first described in gorillas, chimpanzees and orangutans in the early 20th century, but most studies were confined to a handful of chimpanzees in the 1930-1950s and a few orangutans in the 1970s. The three Plasmodium species described in African great apes were very similar to those infecting humans. The most extensively studied was P. reichenowi, because of its close phylogenetic relation to P. falciparum, the predominant parasite in Africa and the most dangerous for humans. In the last three years, independent molecular studies of various chimpanzee and gorilla populations have revealed an unexpected diversity in the Plasmodium species they harbor, which are also phylogenetically close to P. falciparum. In addition, cases of non human primate infection by human malaria parasites have been observed. These observations shed fresh light on the origin and evolutionary history of P. falciparum and provide a unique opportunity to probe the biological specificities of this major human parasite.

INTRODUCTION

L’agent infectieux du paludisme est un protozoaire du genre

Plasmodium transmis par le moustique. Depuis sa description initiale par Alphonse Laveran (communication à L’Académie de médecine à Paris le 23 novembre 1880) plus de deux cents espèces ont été décrites chez les mammifères, les oiseaux et les reptiles. Environ cent espèces, dont la transmission est assurée uniquement par des femelles du genre Anopheles , infectent un nombre restreint d’hôtes mammifères, principalement des primates et des rongeurs. Les quatre espèces spécifiques à l’homme sont ceux de la fièvre tierce maligne ( P. falciparum ), de la fièvre tierce bénigne ( P. vivax et P. ovale ), et de la fièvre quarte (

P. malariae ). Malgré des prévalences très variables, ces parasites sont globalement distribués quoique certains considèrent que

P. ovale ne se transmet pas aux Amériques. Les infections par

P. falciparum et P. vivax sont tenues pour responsables de la quasi totalité des accès cliniques et mortalités attribués au paludisme.

LE PALUDISME ET SES PARASITES CHEZ LES GRANDS SINGES.

APERÇU HISTORIQUE

La première observation de

Plasmodium chez les grands singes fut faite par

Alphonse Laveran en 1905 [1], mais ne consista que d’une seule phrase « J’ai observé au mois de mai 1905 des hémamibes dans le sang d’un orang-outan à l’Institut Pasteur ». Il est probable que ce soit cette espèce que Halberstaeder et Prowazeck décrivirent en 1907 à Berlin comme P. pitheci dans le sang d’un orang-outan de Java [2]. Hormis une observation mineure en 1910 et deux notes, le paludisme de l’orang-outan ne fut étudié qu’au cours de deux expéditions à Bornéo en 1972 et 1974 [3, 4]. Une nouvelle espèce y fut décrite, P. silvaticum .

Au début du siècle dernier, Hans Ziemann trouva des

Plasmodium chez un chimpanzé au Cameroun. Cette première observation du paludisme chez les grands singes africains fut mentionnée en quelques lignes par Max Lühe ( Handbuch der Tropenkrankheiten de Carl Mense, 1906). Ce n’est que dix ans plus tard, au Cameroun aussi, que le protozoologiste Eduard Reichenow observa des

Plasmodium non seulement dans le sang de chimpanzés mais aussi dans celui de gorilles, la première et dernière observation du paludisme chez le gorille. Reichenow décrivit trois espèces [5, 6] qu’il considéra comme étant les mêmes que celles infectant l’Homme, une conclusion confortée par la démonstration de Mesnil et Roubaud de la réceptivité du chimpanzé à P. vivax [7]. Quelques années plus tard, Blacklock et Adler au

Sierra Leone ont pu étudier le parasite du type falciparum chez un chimpanzé, et ils tentèrent sans succès d’infecter deux personnes avec ce parasite ainsi qu’un jeune chimpanzé avec P. falciparum [8, 9]. Ces échecs les menèrent à conclure que ce parasite (qu’ils nommèrent

P. reichenowi ) était une nouvelle espèce propre au chimpanzé. Cependant la notion que le paludisme des grands singes africains était une anthroponose fut retenue par Jacques Schwetz qui observa au début des années 1930 des parasites similaires à ceux des humains chez des chimpanzés capturé près de Stanleyville au Congo Belge. Ce sera Jérôme Rodhain (père de la médecine tropicale Belge) qui infirmera cette notion, en démontrant la spécificité de l’hôte des Plasmodium des grands singes africains. Ceci conduit par la suite Émile Brumpt (père de la médecine tropicale Française) à donner le nom de

P. schwetzi et P.

rodhaini aux deux espèces qui étaient respectivement du type vivax et du type malariae [10].

En effet, Rodhain se passionna pour l’étude de ces parasites dès Juin 1937, date à la quelle un chimpanzé impaludé arriva de Léopolville (Congo Belge) à l’Institut de Médecine Tropicale Prince Léopold à Anvers [11], et ses investigations ne cessèrent qu’avec sa disparition en 1956. Rodhain a rapporté quinze ans d’observations (l’occupation de la Belgique par l’Allemagne de 1940 à 1944 ne fut pas une période propice à ce type de recherche) sur le paludisme chez le chimpanzé dans vingt-cinq articles, dont le dernier fut publié huit ans après sa mort [12]. Les travaux de Rodhain portèrent sur un total de vingt-cinq chimpanzés et ont concerné une série complexe d’inoculation de chimpanzé à chimpanzé, de l’homme au chimpanzé, du chimpanzé à l’homme, et aussi de quelques essais de transmission par Anopheles .

Pour résumer, il fut établi : — que

P. rodhaini et P. malariae sont vraisemblablement deux souches d’une seule espèce à laquelle homme et chimpanzé sont également susceptibles ; — que le chimpanzé est réceptif à P. vivax et à P. falciparum (par inoculation de sporozoïtes ou de globules rouges infectés) ; et — que

P. schwetzi mais pas P. reichenowi infecte l’homme.

C’est Robert S (Bill) Bray, jeune protozoologiste formé à la

London School of Tropical Medicine and Hygiene par Percy Garnham et Henry Shortt, les découvreurs du stade hépatique de

Plasmodium en 1948, qui prit la relève de Rodhain.

Bray profita de la disponibilité d’une colonie de chimpanzés au

Liberian Institute of the American Foundation for Tropical Medicine pour étudier les Plasmodium du chimpanzé au Libéria [13-15] et surtout pour des travaux sur les stades hépatiques des Plasmodium de l’homme qui se développent normalement dans le foie des chimpanzés [16-20]. De plus, en vue de leur ressemblance entre elles et de leur différences avec les autres Plasmodium qui infectent les primates, Bray proposa d’octroyer le genre

Laverania à P. falciparum et P. reichenowi .

 

Les dernières observations sur les

Plasmodium de grands singes d’Afrique portent sur un isolat de

P. reichenowi originaire d’un chimpanzé de la République Démocratique du Congo [21] dont le sang envoyé en 1968 au Centre for Disease Control (Atlanta, États-Unis) servit à infecter un chimpanzé (Fuji) splénectomisé. Quatorze and plus tard, un échantillon sanguin cryopréservé de Fuji servit à infecter Oscar, un chimpanzé splénectomisé [22]. Les infections d’Oscar représentent les dernières observations in vivo publiées (à notre connaissance) des Plasmodium de grands singes africains.

Plusieurs observations importantes ont été faites au cours de ces infections expérimentales. Les chimpanzés et les orangs-outans étaient souvent simultanément infectés par plusieurs espèces de Plasmodium . Les infections étaient chroniques, persistant souvent pendant des mois (voire des années) au cours desquels le nombre de parasites dans le sang était faible, souvent au-dessous du seuil de détection microscopique. L’état de santé des animaux n’était que peu affecté par l’infection, et les signes cliniques au moment des accès de parasitémies, aussi bien primaires que recrudescentes, étaient pour la plupart modestes et transitoires. Cependant il faut noter que ces infections expérimentales n’ont pas été comparées aux infections naturelles chez les chimpanzés sauvages, du fait de manque de données sur le cours naturel de l’infection. En effet, la totalité des observations n’a concerné que cent deux individus d’origines géographiques divers dont la grande majorité avaient été exposés au parasite avant leur capture, et qui été infectés par la suite lors de leur captivité. Enfin, les moustiques qui assurent la transmission naturelle ne sont pas connus, et tous les essais de transmission de P. reichenowi par A. gambiae ont échoué.

 

LE PALUDISME ET SES PARASITES CHEZ LES GRANDS SINGES. LES DONNÉES RÉCENTES

L’élaboration d’un vaccin et la découverte de nouvelles drogues contre

P. falciparum , le parasite le plus dangereux pour l’homme ont été, et demeurent, des axes de recherches prioritaires depuis les années 1980. Du fait de sa morphologie identique à celle de P. falciparum , impliquant une grande affinité phylogénétique, P. reichenowi a spécialement intéressé les paludologues pour amener des réponses à deux questions qui se posent pour

P. falciparum . Premièrement, des analyses moléculaires ont indiqué que les quatre espèces qui infectent l’homme étaient polyphylétiques ayant divergés en Afrique avant l’origine des hominidés, mais l’histoire évolutive de P.

falciparum et son âge en tant que parasite de l’homme restent méconnus. Deuxiè- mement, des polymorphismes ont été trouvés chez les protéines de

P. falciparum qui sont proposées comme candidats vaccins. Pour ces protéines, l’identification des domaines sous pressions sélectives fonctionnelles et/ou immunologiques pourrait aider à optimiser les formules vaccinales. Pour répondre à ces questions, il faut pouvoir évaluer la diversité des espèces proches de P. falciparum et le nombre d’isolats de chacune de celles-ci par des analyses moléculaires et phylogéniques, qui se basent principalement sur le séquençage de l’ADN parasitaire. Or, seule une souche cryopréservée de P. reichenowi existe, de plus le nombre des échantillons qui en sont disponibles est en diminution car l’infection expérimentale des chimpanzés est fortement limitée pour des raisons éthiques et budgétaires. Néanmoins, plusieurs gènes de cette souche ont été caractérisés (pour exemple [23-26]) et un séquençage incomplet du génome a été obtenu [27]. Cependant, les données obtenues, quoiqu’intéressantes, n’ont que partiellement répondu aux deux questions décrites plus haut.

L’EXPANSION DE LA DIVERSITÉ DES PLASMODIUM CHEZ LES GRANDS SINGES ET SES CONSÉQUENCES

Il est maintenant admis que les populations actuelles de

P. falciparum sont issues d’une expansion qui coïnciderait avec la sédentarisation des populations humaines suite à l’adoption d’un mode de vie agraire. Par contre, l’origine de P. falciparum et l’époque à laquelle il a commencé à parasiter Homo sapiens fait l’objet d’hypothèses contradictoires, les unes préconisant une origine très récente (10 000 ans) [28], les autres anciennes (des centaines de milliers d’années) [29, 30]. Les méthodes molé- culaires comparatives n’ont pu mettre un terme à cette dispute, car la robustesse des analyses est handicapée par la pénurie de données disponibles sur les Plasmodium infectant les hôtes les plus apparentés aux humains, chimpanzés et gorilles. En effet, l’histoire évolutive des

Plasmodium chez les hominidés demeure spéculative, car elle se base principalement sur quelques séquences ADN dérivés d’une seule souche de P. reichenowi .

Le besoin de nouvelles données a donc incité plusieurs chercheurs à obtenir des échantillons de chimpanzés, gorilles et orangs-outans. Étant donnes que ces trois grands singes sont des espèces fortement menacées et donc universellement proté- gées (Annexe I de CITES), l’accès à des échantillons sanguins qui requiert une anesthésie est fortement restreint. Néanmoins il est possible d’en obtenir lors des examens médicaux que reçoivent les animaux en captivité, vivant dans des sanctuaires, ou en cas d’interventions d’urgence prodigués aux individus en liberté. D’autre part, d’importantes collections d’échantillons, souvent d’origines fécales car faciles à obtenir ne nécessitant pas de procédure invasive, ont été constituées lors des recherches sur les réservoirs de virus tels que ceux d’Ebola ou du VIH.

Après une cinquante d’années de disette (92 ans pour les gorilles), neuf études concernant du paludisme chez les grands singes ont été publiées entre mai 2009 et décembre 2010 et ont dévoilé la complexité, auparavant insoupçonnée, des Plasmodium qui infectent ces animaux [31-39]. Les Plasmodium ont été recherchés par amplification génique (PCR) dans 2360 échantillons de chimpanzés (

Pan troglodytes , toutes sous-espèces confondues), 902 de gorilles (des plaines de l’ouest Gorilla gorilla gorilla , et des plaines de l’est ( Gorilla beringei graueri ), et 149 de bonobos ( Pan paniscus ). Les individus échantillonnés provenaient de diverses régions géographi- ques, certains de populations sauvages et d’autres de groupes maintenus dans des sanctuaires. Des Plasmodium ont été décelés chez 446 (19 %) des chimpanzés, 125 (14 %) des gorilles, et 12 (8 %) des bonobos, avec des prévalences pour les différents groupes échantillonnés variant de 0 % à 70 %. Cependant, ces données ne sont pas adéquates pour conduire à une meilleure connaissance de la parasitologie comparée des parasites des grands singes. En effet, les stratégies d’échantillonnages, la nature des échantillons, ainsi les méthodes de détection de parasites et leurs sensibilités ne permettent pas des comparaisons fiables entre les différentes études. Cependant, on peut conclure que le paludisme est répandu chez les grands singes d’Afrique.

Les résultats les plus passionnants de ces études découlent de l’analyse des séquences d’ADN (majoritairement du génome mitochondrial) des parasites. Premièrement, il y aurait plusieurs nouvelles espèces de parasites du type Laverania ( P. falciparum et P. reichenowi ), avec trois espèces nouvelles chez le gorille (

P. blacklocki , P. adleri et P. praefalciparum ), et quatre, dont trois nouvelles, chez le chimpanzé (

P. reichenowi , P. gaboni , P. billbrayi et P. billcollinsi ). Chez un nombre plus restreint d’individus, des parasites apparentés à

P. vivax [37], P. ovale [31] et

P. malariae [36] ont aussi été décelés. Deuxièmement, certains chimpanzés, gorilles ou bonobos, étaient apparemment infectés par les parasites de l’Homme :

P.

falciparum [35, 37, 39], P. vivax [36, 38], P. malariae [32, 35, 37, 38], ou P. ovale [31, 36, 38]. Même s’il est probable que le répertoire des espèces

Plasmodium chez les

Grands Singes sera surement modifié en raison de futures analyses moléculaires comprenant un nombre plus élevé de gènes, la complexité et la nature des parasites du paludisme chez les grands singes est clairement établie.

La découverte de nouvelles espèces, autres que P. falciparum et P. reichenowi , dans le groupe

Laverania a infirmé les hypothèses que le premier a évolué à partir du second, et ce par le biais d’un transfert du chimpanzé à l’homme il y a dix milles ans [34].

Deux éléments pertinents à retenir pour la question de l’origine de P. falciparum :

 

P. praefalciparum , est un parasites très proches de P. falciparum chez le gorilles [38], et une population de

P. falciparum trouvée chez les bonobos est génétiquement distincte de celles infectant l’homme [37]. Ceci implique que

P. falciparum est un parasite qui est passé du gorille à l’homme, et que

P. falciparum est passé du bonobo à l’homme. Ces deux scenarios, quoique plausibles, ne sont pas les seuls possibles.

Les données moléculaires sont encore fragmentaires pour favoriser les uns au dépends des autres, et encore moins pour dater les transferts entre hôtes, si ceux-ci ont en fait eu lieu.

La richesse des espèces Plasmodium chez les grands singes remet en cause les conclusions des études qui ont été menées le siècle dernier. Par exemple, si les quatre espèces du groupe Laverania chez les chimpanzés se ressemblent morphologiquement, ce qui semble probable mais reste à démontrer, on ne saurait établir laquelle de ces quatre espèces aurait servi pour les différentes infections expérimentales dites par « P. reichenowi ». Les niveaux de prévalence du paludisme observés chez les grands singes sont élevés et probablement sous-estimés, et ceci soulève la question de l’impact du paludisme sur leur santé. La perception que les infections palustres des grands singes sont relativement peu pathogènes pourrait être erronée. En effet la prévalence enregistrée au cours d’une enquête transversale chez les résidents des zones de forte endémicité est généralement du même ordre de grandeur, mais la morbidité et mortalité que subissent ces populations n’est apparente que lors de suivis longitudinaux, difficiles à mener chez les grands singes dans leur environnement naturel.

Enfin, la présence de Plasmodium de l’homme chez les grands singes implique que ceux-ci pourraient constituer un réservoir pour ces parasites. Inversement l’homme pourrait servir d’hôte pour un ou plusieurs des Plasmodium des grands singes. Ceci pourrait être le cas pour les groupes grands singes et les communautés humaines vivant en proche proximité. Cette éventualité serait d’un intérêt pour les programmes d’éradication du paludisme. D’un point de vu fondamental, il serait important de revoir la susceptibilité de l’homme aux parasites du groupe Laverania , mais surtout de comprendre pourquoi l’infection par

P. falciparum , d’une grande virulence chez l’homme, est aisément contrôlée chez le chimpanzé.

La richesse des espèces Plasmodium chez les grands singes remet en cause les conclusions des études qui ont été menées le siècle dernier. Par exemple, si les quatre espèces du groupe Laverania chez les chimpanzés se ressemblent morphologiquement, ce qui semble probable mais reste à démontrer, on ne saurait établir laquelle de ces quatre espèces aurait servi pour les différentes infections expérimentales dites par « P. reichenowi ». Les niveaux de prévalence du paludisme observés chez les grands singes sont élevés et probablement sous-estimés, et ceci soulève la question de l’impact du paludisme sur leur santé. La perception que les infections palustres des grands singes sont relativement peu pathogènes pourrait être erronée. En effet la prévalence enregistrée au cours d’une enquête transversale chez les résidents des zones de forte endémicité est généralement du même ordre de grandeur, mais la morbidité et mortalité que subissent ces populations n’est apparente que lors de suivis longitudinaux, difficiles à mener chez les grands singes dans leur environnement naturel.

Enfin, la présence de Plasmodium de l’homme chez les grands singes implique que ceux-ci pourraient constituer un réservoir pour ces parasites. Inversement l’homme pourrait servir d’hôte pour un ou plusieurs des Plasmodium des grands singes. Ceci pourrait être le cas pour les groupes grands singes et les communautés humaines vivant en proche proximité. Cette éventualité serait d’un intérêt pour les programmes d’éradication du paludisme. D’un point de vu fondamental, il serait important de revoir la susceptibilité de l’homme aux parasites du groupe Laverania , mais surtout de comprendre pourquoi l’infection par

P. falciparum , d’une grande virulence chez l’homme, est aisément contrôlée chez le chimpanzé.

CONCLUSION

La découverte d’une grande richesse d’espèces de

Plasmodium chez les grands singes, surprend plus le paludologue moléculaire d’aujourd’hui que le paludologue classique d’antan. En effet rare a été le cas où une recherche concertée de parasites chez un groupe d’hôte a manqué de conduire à la découverte de plusieurs espèces nouvelles. Pour les grands singes, espèces très protégées car fortement menacées, les approches moléculaires sont devenues presque les seules disponibles pour appréhender les Plasmodium qui les infectent. Il serait important de préserver la biodiversité des ces parasites par une campagne d’échantillonnage sanguin, en vue d’obtenir un séquençage plus complet de leurs génomes ainsi que des isolats cryopréservés qui, peut-être un jour, pourraient servir à mieux les comprendre. Il nous semble que l’étude de ces Plasmodium si semblable aux nôtres, et qui ont évolué chez nos cousins les plus proches, offre une opportunité unique pour élucider les mécanismes qui font du paludisme un des fléaux des plus néfastes et des plus anciens de l’humanité.

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<p>* Inserm Umr S945, Université Pierre et Marie Curie — 75013 Paris, e-mail : georges.snounou@upmc.fr Tirés à part : Professeur Georges Snounou, même adresse Article reçu et accepté le 28 novembre 2011</p>

Bull. Acad. Natle Méd., 2011, 195, no 8, 1945-1954, séance du 29 novembre 2011