Communication scientifique
Séance du 12 novembre 2002

Le génome du chien : un modèle alternatif pour l’analyse fonctionnelle des gènes de mammifères

MOTS-CLÉS : chien. déséquilibre linkage.. génotype. phénotype. polymorphisme (génétique)
The canine genome : an alternative model for mammalian gene function analysis
KEY-WORDS : dogs. genotype. linkage desequilibrium.. phenotype. polymorphism (genetics)

F. Galibert, C. André

Résumé

Au cours des 25 dernières années l’efficacité de la détermination de la séquence nucléotidique des génomes a progressé de façon quasi exponentielle. Aux dizaines de génomes bactériens totalement séquencés se sont ajoutés plusieurs génomes d’eucaryotes. En 2000 deux versions d’un brouillon de la séquence du génome humain ont été publiées, tandis qu’une version finale est attendue pour 2003. Cette avalanche de données d’une extrême importance oblige à considérer le développement de nouvelles approches pour aborder la détermination de la fonction des gènes mis à jour par le séquençage. Depuis que l’homme en a fait son compagnon de tous les instants et plus particulièrement au cours des deux derniers siècles, le chien a été l’objet de croisements et de sélections intenses visant à améliorer ses performances pour accomplir les tâches auxquelles il était destiné ou pour satisfaire à certaines modes. Il en résulte qu’aucun autre mammifère ne présente un tel degré de variation phénotypique. Malheureusement la sélection d’allèles visant à modifier son allure ou ses capacités s’est bien souvent accompagnée d’une co-sélection d’allèles délétères ou morbides et de nos jours toutes les races canines sont atteintes de très nombreuses affections à caractères héréditaires ou présentent des susceptibilités exagérées vis-à-vis de certaines affections comme le cancer ou les maladies cardiaques, les allergies, etc. Dans cet article nous présentons différents résultats récemment obtenus dans l’analyse du génome canin ou de certaines maladies affectant le chien. De ceci il découle que le chien constitue un modèle de choix pour l’étude des relations génotype/phénotype et l’analyse fonctionnelle des milliers de gènes découverts par le séquençage.

Summary

The pace of genome sequencing has been tremendously accelerated during the last few years leading to the determination of dozens of entire bacterial genome sequences in addition to several eukaryotic genome sequences and to the publication in 2000 of a draft of the human one. Nowadays scientists have to face a new challenge that corresponds to the elucidation of the function(s) of the thousands of genes uncovered by sequencing. Obviously this task will necessitate a large panel of methodologies. Since its domestication, dog has been the subject of intense breeding and selection practices that result in the creation of many breeds that differ one from the others by a huge variation in shape, size, coat colour, aptitude. Unfortunately these breeding practices along the selection of specific alleles governing those characters have co-selected various deleterious or morbid alleles and nowadays most of the canine breeds suffers from many different diseases of genetic origin. In addition many breeds have developed susceptibility toward many diseases very often similar to those affecting humans such as cancers, heart diseases, allergies…. In this paper we present arguments in favour of the utilisation of the canine model to sort out through linkage disequilibrium studies the phenotype/genotype relationship as an aid to understand the function(s) of the thousands of genes uncovered by sequencing.

INTRODUCTION

C’est en 1978, soit il y a près de 25 ans, que Frederic Sanger et coll. [1] d’une part et Maxam et Gilbert [2] d’autre part proposaient, indépendamment, deux méthodes d’analyses de la séquence des molécules d’ADN. Si la méthode des dégradations chimiques proposée par Maxam et Gilbert a dans un premier temps été la plus utilisée, elle a par la suite été supplantée par la méthode des terminaisons de chaînes, plus rapide et dont les différentes étapes ont pu au cours du temps être largement automatisées, rendant l’ensemble du processus encore plus efficace et plus économique. Avec le développement parallèle de l’informatique pour la prise des données, la manipulation de celles-ci et leur stockage, en à peine 25 ans la connaissance des génomes et au premier chef celle du génome humain aura progressé de façon spectaculaire.

Le génome humain n’a pas été le seul bénéficiaire de cet effort gigantesque d’analyse et nous avons assisté à une avalanche de données de séquences de génomes de virus, de bactéries et d’organismes eucaryotes des plus simples comme ceux des levures ( Saccharomyces cerevisiae et pombe ) aux plus complexes — souris et rat — en passant par ceux de nombreux modèles biologiques, comme la mouche du vinaigre ( Drosophila melanogater ), un nématode ( Caenhorabditis elegan s), ou la plante fétiche des végétalistes, l’arabette des dames (

Arabidopsis thaliana ) représentant ainsi tous les règnes sinon tous les ordres et toutes les familles. L’aventure ne s’est pas déroulée dans l’unanimité et certains scientifiques de grande qualité n’ont pas saisi toute l’importance de ces opérations trop analytiques et technologiques à leurs yeux
et risquant de détourner des soutiens financiers importants de recherches plus intégrées. Ce n’est pas le lieu de faire la liste des retombées déjà énormes sur le plan strictement biologique des connaissances de la structure primaire des génomes. Pour autant, la détermination d’une séquence n’est pas une fin en soit mais un nouveau début. Le défi majeur auquel la communauté des biologistes doit faire face maintenant, en dehors d’une poursuite de cet effort, consiste à interpréter ces milliers de données de séquences pour découvrir le nombre et la nature des gènes qui y sont contenus, leur(s) fonction(s) individuelle(s) et collective(s) permettant d’assurer reproduction et développement, en situation normale et pathologique, des organismes dont ils sont la mémoire.

Il s’agit d’une entreprise de très longue haleine et beaucoup plus complexe que la phase de séquençage précédente. Elle va nécessiter une myriade d’approches complémentaires regroupées sous le vocable de génomique. Certaines seront très spécifiques, d’autres au contraire génériques comme celles visant à comparer les séquences de gènes d’espèces plus ou moins éloignées sur le plan phylogénétique ou au contraire à l’intérieur d’une même espèce mais dans des races diverses.

LE MODÈLE CANIN

Le chien représente dans ce contexte un modèle particulièrement riche et singulier pour étudier les relations entre le polymorphisme génétique et les différentes expressions phénotypiques qui en résultent, même si celles-ci sont également sous l’emprise de phénomènes épigénétiques ou plus largement environnementaux.

Canis familiaris a accompagné l’homme tout au long de son histoire comme le montrent les traces de domestication du loup qui remonteraient à plus de dix mille ans selon les données archéologiques, voire beaucoup plus selon les données biologiques récentes [3]. Tout au long de cette longue coexistence, l’homme a exercé sur le chien de fortes pressions de sélection pour le façonner et le rendre plus apte à l’accomplissement de certaines tâches. Au cours des deux derniers siècles, les pratiques de croisements orientés et de sélections se sont considérablement accrues et ont abouti à la création de près de 350 races recensées de nos jours par les associations d’éleveurs [4]. Le polymorphisme phénotypique observable d’une race à l’autre est extrême et aucune autre espèce de mammifère n’en présente de semblable [5, 6].

Ainsi, le rapport pondéral entre les plus petites espèces comme le Chihuahua et les plus grandes comme le saint Bernard dépasse largement 150 à l’âge adulte. De même un rapport de taille de 10 existe entre certains lévriers et des races naines. Le polymorphisme affecte également la forme du corps ou certaines parties de celui-ci ainsi que la couleur de la robe par exemple. Le comportement et les aptitudes à remplir diverses tâches sont également différents selon les races. Cette grande variabilité phénotypique, propre à l’espèce canine, tire son support de variations alléliques subtiles et combinées qui résultent des croisements faits par les éleveurs et de la pression de sélection exercée par le choix des reproducteurs et de leurs descendants.

Malheureusement, les pressions de sélection qui ont été exercées pour fixer tels ou tels caractères ont en parallèle fixé des allèles moins bénéfiques à la santé des animaux et de nos jours beaucoup de races canines souffrent de nombreuses maladies génétiques souvent homologues de maladies humaines [7]. Plus de 60 races de chien ont des déficits auditifs comme les dalmatiens chez lesquels près de 30 % des individus sont atteints. De même de très nombreuses races de chien souffrent de tares oculaires diverses, telles que le glaucome chez le basset, le beagle, le bouvier des Flandres ou le caniche ou de cataractes, fréquentes chez les beagles, le berger allemand ou le husky de Sibérie sans omettre les atrophies progressives rétiniennes (PRA) pour lesquelles on ne dénombre pas moins d’une centaine de races sévèrement touchées, etc. L’épilepsie, d’un autre côté, se rencontre fréquemment chez le berger allemand, le keeshond , le golden retriever et d’autres encore [8].

Par ailleurs les dix maladies les plus fréquemment rencontrées dans la population des chiens de race incluent celles qui correspondent aux désordres les plus préoccupants pour la santé des populations humaines comme le cancer, les allergies, les maladies cardiaques [9].

LE GÉNOME CANIN

C’est dans l’espoir de pouvoir tirer parti de cette diversité dans l’analyse de la fonction des gènes, de leurs allèles et plus généralement du fonctionnement des génomes de mammifères que nous développons depuis plusieurs années une carte du génome canin dont la dernière édition, publiée en octobre 2001, comporte 1 800 marqueurs et une définition précise du caryotype canin [10, 11]. Jusqu’à la publication de ce travail, le caryotype canin était très imparfaitement décrit en raison du grand nombre de chromosomes, 38 autosomes et deux chromosomes sexuels, mais aussi et surtout de l’impossibilité de les distinguer par la taille ou la mise en évidence de bandes caractéristiques par les méthodes de cytogénétique. Pour surmonter cette difficulté nous avons d’une part cartographié sur un panel d’hybrides cellulaires irradiées un grand nombre de marqueurs et d’autre part hybridé sur des chromosomes métaphasiques étalés certains de ces marqueurs marqués par un composé fluorescent (FISH pour Fluorescent In Situ Hybridization ). Ceci a permis d’ancrer la carte sur le caryotype et d’identifier sans ambiguïté chaque paire de chromosomes par un ou plusieurs marqueurs fluorescents. Actuellement, nous achevons la construction d’une nouvelle carte dans laquelle le nombre de marqueurs est doublé et nous avons en projet pour les trois années à venir la construction de cartes de très haute densité contenant plus de 10 000 gènes et si possible autant de clones recombinant BAC ( Bacterial Artificial Chromosome ). Ces cartes à très haute densité de marqueurs poursuivent deux objectifs : faciliter l’identification et l’isolement de gènes morbides et le travail de séquençage du génome canin, prévu par la communauté américaine avec le support du NIH ( National Institute of Health ) pour les toutes prochaines années.

L’analyse du polymorphisme nucléotidique montre qu’on retrouve chez le chien des variations ponctuelles de séquence (SNP pour Single Nucleotide Polymorphism ) avec une fréquence identique à celle observée chez l’homme. La variabilité intra-race est encore peu documentée. Les résultats préliminaires que nous avons obtenus, grâce à l’appui de plusieurs vétérinaires qui nous ont adressé des prélèvements sanguins de plus d’une cinquantaine de races, montreraient une bien plus faible variation génétique, permettant à certains égards d’assimiler les diverses races à autant d’isolats génétiques. Ce résultat, s’il était confirmé, serait conforme à l’hypothèse selon laquelle les régions du génome soumises à pression de sélection auraient un niveau d’homozygotie plus élevé.

En raison de la structuration des populations humaines et de leur brassage, il a été calculé qu’une densité de un SNP tous les six kilobases, soit quelque 500 000 SNP, serait nécessaire à la réalisation d’analyses de déséquilibre de liaison, seule approche susceptible de permettre la localisation de gènes impliqués dans des situations génétiquement complexes telles celles rencontrées dans l’ostéoporose, le diabète, les affections cardiovasculaires et psychiatriques [12]. En revanche, dans cette même étude et dans d’autres, il est indiqué qu’en raison des modalités qui ont présidé à la création des races canines (faible nombre de générations, nombre de géniteurs réduits), un nombre beaucoup plus faible de SNP serait suffisant. Ainsi dans le cas, peut-être extrême, du rottweiler , moins de un millier de SNP analysés sur une centaine d’individus correctement sélectionnés pourraient être suffisants pour localiser par déséquilibre de liaison le ou les gènes impliqués dans la genèse des ostéosarcomes qui affectent particulièrement cette race [13]. Ces chiffres sont évidemment extrêmes mais ils indiquent que le nombre de marqueurs SNP et d’individus à génotyper pour des analyses de déséquilibre de liaison sont beaucoup plus faibles que dans le cas d’une population humaine panmictique. Dans ce contexte il y aurait grand intérêt à développer en parallèle une carte à haute densité de SNP du génome canin pour réaliser des études de déséquilibre de liaison entre l’hérédité de certains marqueurs polymorphes et divers traits pathologiques ou non.

LES RÉTINITES PIGMENTAIRES

Chez l’homme, les rétinites pigmentaires (RP) dont souffre approximativement un individu sur 4 000 correspondent à des dégénérescences de la rétine dont le caractère dominant, récessif ou lié au chromosome X, a été reconnu. Par des analyses de liaison génétique quelque 37 locus du génome humain et 22 gènes ont été mis en cause. Toutefois, en dépit de ces progrès tout à fait remarquables, on estime qu’à peine la moitié des gènes responsables de RP est actuellement identifiée. Les dégénérescences rétiniennes d’origine héréditaire, appelées PRA pour ‘‘ Progressive Retinal Atrophies ’’ équivalentes des rétinites pigmentaires, sont très répandues dans la population canine et plusieurs modèles à caractères dominants, récessifs ou liés au chromosome X ont été identifiés. L’analyse génétique de plusieurs familles atteintes
de PRA a permis de mettre en évidence pour partie les mêmes gènes fautifs que ceux identifiés en médecine humaine et, pour partie, d’autres gènes. De plus, ces modèles canins de PRA sont à l’origine d’analyses de biologie cellulaire et de développements thérapeutiques tout à fait remarquables, comme nous le verrons plus loin.

Plus encore, pour la grande majorité de la centaine de races souffrant de PRA, aucun gène n’a été à ce jour mis en cause, constituant de ce fait une opportunité unique d’analyse au bénéfice mutuel des personnes atteintes de rétinites pigmentaires et des chiens souffrant d’atrophies rétiniennes progressives [14-16].

CANCER

Les cancers constituent l’affection la plus fréquemment rencontrée dans la population canine : un chien sur trois est statistiquement susceptible d’en développer [17].

Toutefois, ce qui rend le modèle canin particulièrement attractif pour des études étiologiques voire thérapeutiques se trouve dans la distribution hétérogène de certains types de cancers dans les diverses races, révélant des susceptibilités raciales très particulières. Ainsi les chiens de grande taille (boxer, airedale, danois, saint Bernard) développent deux fois plus de tumeurs des tissus mous que la population générale [17]. Des races comme le cocker spaniel, le terrier de l’île de Skye ou le Boston terrier montrent une susceptibilité particulièrement grande aux cancers mammaires [18]. Les ostéosarcomes sont notablement plus fréquents chez les chiens de grande taille (danois, lévrier écossais, saint Bernard) [19, 20]. Une forte incidence de lymphomes est rapportée chez les boxers et les pointers, de mélanomes toujours chez le boxer mais aussi le scottish terrier [21] et d’histiocytose chez le bouvier bernois [22]. Chez le berger allemand, un locus responsable d’un cancer rénal à foyers multiples (RCND) a été récemment identifié [23, 24].

Ainsi pour la plupart des formes de cancers on peut identifier une race ou un ensemble de races dans lequel certaines formes prédominent, suggérant fortement l’existence d’allèles particuliers ayant un fort impact. Ici encore des études de déséquilibre de liaison s’appuyant sur un nombre adéquat de SNP seraient de nature à identifier les bases moléculaires de ces diverses susceptibilités. En réalité ces études pourraient, dans certains cas, être encore facilitées par l’existence de pedigrees particuliers offrant des susceptibilités accrues.

LA NARCOLEPSIE

A l’inverse du cancer qui représente une entité fréquente et impliquant de nombreux gènes, il est des situations moins fréquentes, pour lesquelles le modèle canin peut apporter beaucoup et dont l’analyse peut in fine offrir des solutions à d’autres problèmes plus généraux. C’est le cas de la narcolepsie. Alors que la narcolepsie
elle-même est relativement rare [25] et par voie de conséquence difficile à étudier sur les plans génétique et moléculaire, les troubles du sommeil sont fréquents et communs chez l’homme. Récemment, l’existence d’une colonie de doberman pinshers et de labradors souffrant de narcolepsie transmise de façon autosomale récessive avec une très forte pénétrance a permis l’identification du gène en cause [26]. Celui-ci a été identifié comme étant le récepteur à l’hypocrétine aussi bien chez le doberman que chez le labrador avec toutefois des mutations différentes. Une mutation ponctuelle altérant la maturation correcte du messager avec perte du 4ème exon a été identifiée chez le doberman tandis qu’une rupture de la phase codante par insertion d’un élément mobile était observée dans le gène du labrador. Ces deux évènements différents et donc d’origine indépendante, abolissent à l’état homozyote toute synthèse correcte du récepteur à l’hypocrétine [26]. La recherche de mutation dans le gène codant pour ce même récepteur chez les personnes souffrant de narcolepsie, s’est dans un premier temps révélée décevante. En revanche, le dosage de son ligand, l’hypocrétine, dans le liquide céphalorachidien des malades a révélé un déficit important dont l’origine a pu secondairement être attribuée à une mutation affectant le gène de l’hypocrétine [27, 28]. Alors que l’hypocrétine avait primitivement été principalement impliquée dans les phénomènes de satiété, la découverte de son rôle dans la narcolepsie permet d’envisager son implication dans la physiologie du sommeil [29]. Des études, non encore publiées, concourraient à lui attribuer un rôle clé dans l’horloge circadienne par l’intégration de signaux hypothalamiques pour la libération de neuropeptides, la régulation du métabolisme basal de l’appétit, de l’humeur en général et du sommeil.

BIOLOGIE DU DÉVELOPPEMENT

Cet axe de recherche qui tend à déchiffrer les étapes du développement de l’œuf fécondé jusqu’à la formation d’un être capable d’assurer sa reproduction n’a pas pris en compte, jusqu’à présent, le développement des organes et des différentes parties du corps du point de vue quantitatif. En d’autres termes, quels sont les signaux et leur régulation qui permettent à un organisme de se développer harmonieusement en assurant à chacune de ses parties des dimensions et une forme correcte ou du moins caractéristique de l’espèce ou de la race auquel il appartient. L’énorme diversité phénotypique des races canines offre un support unique pour comprendre dans ce domaine les relations génotype/phénotype. Dans une étude récente et encore très préliminaire, 90 mesures différentes établies à partir d’examens radiologiques du squelette de 330 chiens d’eau portugais ont été croisés avec les résultats de l’analyse du polymorphisme de séquence de 550 marqueurs génétiques [30]. À partir de cette étude non encore complètement exploitée, on a identifié deux QTL ( Quantitative Trait Loci ) qui seraient impliqués dans la détermination de la taille générale du squelette, dont l’un correspond au gène du facteur de croissance IGF-1.

APPLICATIONS BIOMÉDICALES/THÉRAPIE GÉNIQUE

Le développement de protocoles de transplantation de moelle a, dès le début, fait largement appel au modèle canin. Comparé aux primates, il est d’accessibilité aisée et moins coûteuse. Par ailleurs sa taille lui procure d’indéniables avantages par rapport aux souris. De sorte que beaucoup des principes et des approches thérapeutiques développés sur le modèle canin ont pu être directement transférés à la clinique. Ainsi les études menées sur le modèle canin ont été les premières a démontrer la valeur prédictive du typage préliminaire in vitro du complexe majeur d’histocompatibilité (MHC) pour le devenir de la greffe ou la possibilité d’utiliser après sélection des donneurs extérieurs et mettre l’accent sur les problèmes liés aux réactions mutuelles du greffon et de l’hôte [31-33].

Très récemment dans le difficile domaine de la thérapie génique, le modèle canin aura fourni des résultats spectaculaires pour le traitement de mucopolysaccharidose de type VII [34] et d’une affection oculaire homologue de l’amaurose congénitale de Leber [35]. Par l’administration d’un vecteur rétroviral recombiné à l’ADNc de la bêta glucuronidase (GUSB) à sept chiens nouveau-nés porteurs d’un gène déficient et souffrant de mucopolysaccharidose de type VII, l’activité sérique de la bêta glucuronidase a pu être maintenue pendant plus de 18 mois à des valeurs s’échelonnant de 50 % à 70 fois la normale. Alors que les chiens témoins non traités ont très tôt accusé un retard pondéral, ne pouvaient plus se tenir debout dès l’âge de six mois, souffraient d’opacité cornéenne et de troubles cardiaques, les six chiens traités n’ont à ce jour, après 18 mois d’observation, manifesté aucun des symptômes précités. De façon tout aussi spectaculaire, le groupe de G. Aguirre à Cornell University a utilisé un vecteur recombinant dérivé d’un adénovirus associé (AAV) porteur du gène RPE65 pour traiter par injection des chiens briards homozygotes RPE 65-/-, atteints de cécité congénitale stationnaire nocturne (CNSB) et souffrant de troubles oculaires sévères semblables à ceux rencontrés chez les patients atteints d’amaurose congénitale de Leber [35]. Les troubles oculaires ont disparu, et après 18 mois d’observation la vision demeure totalement restaurée. Le rapprochement de ces résultats plus qu’encourageants et des espoirs souvent déçus par les résultats des essais de thérapie génique en médecine humaine, laisse évidemment perplexe, car les protocoles sont similaires et la physiopathologie canine est peu éloignée de l’humaine. Reste que ces succès récents donnent des raisons d’espérer et démontrent qu’il convient de poursuivre dans cette voie.

CONCLUSIONS

Ainsi qu’on vient de le voir, le chien, de par sa diversité phénotypique extrême s’exprimant dans les quelques 350 races artificiellement créées pour satisfaire divers besoins ou en réponse à des caprices esthétiques, constitue un modèle unique pour l’analyse fonctionnelle des génomes de mammifères et celui de l’homme en particu-
lier. Les nombreuses maladies génétiques, à transmission mendélienne simple ou complexe, très souvent homologues aux maladies rencontrées en médecine humaine ajoutent à l’intérêt du modèle, d’autant que le chien est certainement parmi les animaux celui pour lequel nos connaissances médicales sont les plus développées.

La reconnaissance de l’intérêt du modèle canin est encore récente, même aux Etats Unis. En Europe, elle reste pour l’instant presque nulle si on en juge par la rareté des financements de contrats de recherches s’appuyant sur ce modèle ou en vue de le développer.

Récemment, un ‘‘ white paper ’’ (livre blanc) exposant les mérites et avantages du modèle canin a été soumis aux instances dirigeantes du NIH pour hâter la décision de procéder à l’analyse de la séquence de ce génome [9]. Sans préjuger de ce que sera la décision finale et si le génome du chien sera dès à présent préféré à celui de tel ou tel autre mammifère, il est certain qu’en raison des complémentarités d’analyse qu’il présente avec le génome humain son génome sera séquencé dans un proche avenir. En réalité, si nous avons participé à l’écriture de ce ‘‘ white paper ’’ convaincu que nous sommes de l’intérêt du modèle canin, nous pensons que d’autres actions moins lourdes comme une analyse systématique des SNP devrait être entreprise au plus vite. Comme cela a été rapporté plus haut, l’originalité du modèle et son intérêt proviennent de sa diversité génétique, qui s’exprime par un énorme polymorphisme phénotypique, comportemental, de capacité à réaliser des tâches diverses, par le nombre de maladies génétiques simples ou complexes touchant spécifiquement certaines races. L’exploitation de cette ressource nécessite de faire des corré- lations entre génotype et phénotypes. Ainsi il apparaît que l’identification et la cartographie d’un très grand nombre de sites polymorphes, principalement des SNP, et des analyses de déséquilibre de liaison constitueraient une démarche plus adaptée et beaucoup moins coûteuse en temps et en argent qu’une analyse de séquence qui fournira une connaissance peut-être exhaustive des gènes mais dont on n’attend pas a priori de nouveauté par rapport aux séquences humaines, de souris ou de rat.

REMERCIEMENTS

Les auteurs adressent leurs remerciements au CNRS, à l’Université de Rennes1 et au Conseil Régional de Bretagne pour leur aide précieuse ainsi qu’aux Drs. vétérinaires PILORGE, DAVID et AUDY (Ille et Vilaine), CHAUDIEU (Puy de Dôme), CADIERGUE (Toulouse), LEFEVRE (Enghien, Belgique) et au Dr. BIOURGE (Royal Canin, France) pour la fourniture d’échantillons biologiques sanguins. Nos remerciements s’adressent également à l’American Kennel Club et à l’US Army pour leurs généreuses aides financières.

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Nat. Genet., 2001 , 28, 92-95.

DISCUSSION

M. Guy DIRHEIMER

Vous nous avez parlé du génome nucléaire. Qu’en est-il du génome mitochondrial ?

Celui-ci a été entièrement séquencé et a été l’objet d’analyse de polymorphisme dans différentes races. Son analyse a été une des premières données permettant d’affirmer le loup ( canis lupus ) comme ancêtre du chien ( canis familiaris ).

M. Charles PILET

Quelles sont les maladies génétiques du chien pour lesquelles il est possible d’établir actuellement un diagnostic prédictif ?

Près d’une trentaine de maladies génétiques ont été analysées au niveau moléculaire soit en mettant à profit les connaissances acquises en génétique humaine soit directement à partir de pedigree canin comme dans le cas de la narcolepsie ou de certaine surcharge en cuivre ou encore dans plusieurs formes d’atrophies rétiniennes progressives. Plusieurs tests génétiques sont actuellement offerts par différentes sociétés, essentiellement aux États-Unis. En France Labogéna propose plusieurs tests de dépistage.

M. Michel BOUREL

Avec quelles équipes vétérinaires est fait ce travail ? Quel est le pourcentage approximatif de gènes et de pseudogènes chez le chien ?

Pour la construction de cartes à partir d’hybrides cellulaires irradiés, nous avons bénéficié de quelques biopsies qui ont permis la préparation de fibroblastes utilisés pour les fusions cellulaires. Par ailleurs nous avons établi des contacts avec des vétérinaires praticiens pour la collecte de sang à partir de pedigrees dans lesquels sévissent des maladies à composantes génétiques. En revanche nous n’avons pas établi de collaboration avec des équipes de recherche vétérinaires. En ce qui concerne notre deuxième question et le pourcentage de gènes et de pseudogène, il n’existe pas d’information propre au génome canin mais rien ne laisse à penser que la situation observée chez l’homme ou la souris soit différente.

M. René MORNEX

Cette démonstration physiologique et de médecine comparée a comme application pratique l’identification d’un modèle animal essentiel pour préparer les essais de thérapies géniques.

Quelle est la raison de privilégier le chien par rapport à d’autres espèces domestiques ?

L’extraordinaire polymorphisme physique comportemental ou mettant en jeu des aptitudes particulières ainsi que des susceptibilités très différentes selon les races vis-à-vis de nombreuses maladies à composantes génétiques font du chien une ressource unique pour étudier dans toutes ces situations l’importance de la composante génétique. Par ailleurs la taille de l’animal et une connaissance particulièrement développée de la médecine propre à cet animal explique l’intérêt voire le caractère unique de ce dernier .

M. Gérard MILHAUD

Compte tenu des grandes variations du phénotype du chien dans les différentes races, le séquençage de l’ADN vous donne-t-il des résultats compatibles avec les différences de ces races. Si le polymorphisme est du même ordre chez l’homme et chez le chien, il y a un problème.

La séquence du génome canin n’est pas de nature à fournir la clé du polymorphisme phénotypique. C’est la connaissance du polymorphisme génétique au contraire qui, du
moins pour partie, pourrait nous l’expliquer. Pour autant celui-ci n’a pas besoin d’être quantitativement plus important que dans l’espèce humaine ou toute autre espèce de mammifère. Ce qui importe à ce stade c’est la pression de sélection qui a été exercée par les éleveurs et a co-sélectionné dans certaines races des groupes d’allèles aux dépens d’autres. La limitation de flux génique entre les différentes races a accentué les différences et les a fixées.

M. Georges DAVID

Ma question comporte un préalable. Est-il possible d’obtenir dans l’espèce canine une invalidation génique ? Si oui, dans la narcolepsie, chez le chien, l’invalidation du gène codant le ligand donne-t-il le même phénotype que le déficit du récepteur ?

Je ne vois pas pourquoi techniquement il serait impossible de faire des invalidations de gènes chez le chien. Pour autant je ne suis pas au courant qu’il y ait eu d’essais ou qu’ils auraient été négatifs. Ceci étant dit, des chiens narcoleptiques par mutation invalidante naturelle du gène codant le ligand ont été identifiés.

M. Jacques BATTIN

Le chien et le loup ont-ils le même génome ? Les cancers mammaires de certaines races canines ont-ils été étudiés qui pourraient éclairer la pathologie humaine ?

Oui le loup et le chien ont le même génome, à vrai dire il serait plus exact de les regrouper dans la même espèce. Bien plus, toutes les espèces du genre Canis ont en réalité exactement le même génome et sont parfaitement inter fertiles de même que leurs descendants et pourraient donc ne constituer qu’une seule espèce. Les tumeurs mammaires sont les tumeurs les plus fréquentes chez les chiennes chez qui elles représentent la moitié de toutes les tumeurs, toutefois la moitié de celles-ci sont bénignes, les adénocarcinomes étant les plus fréquents. Aucune susceptibilité particulière de races n’a été à ce jour enregistrée. En revanche il semble bien établi que le statut hormonal est très important. Parmi les gènes mis en évidence on retrouve les mêmes qu’en cancérologie humaine.

M. Maurice TUBIANA

L’observation naïve des chiens montre qu’il y a une proportionnalité inverse entre la taille et la longévité et que les chiens de races pures ont une longévité plus courte que les corniauds.

Peut-on aborder ce problème sur le plan de l’analyse génétique ?

Oui très certainement, les facteurs génétiques influençant la longévité comme ceux déterminant d’autres caractéristiques ou susceptibilités pourraient très certainement être plus facilement étudiés dans l’espèce canine. En réalité pour aborder toutes ces questions il faudrait tout d’abord développer une carte très dense de marqueurs polymorphes et procéder à des études de déséquilibre de liaisons. Malheureusement nous n’avons jusqu’à présent pas su faire reconnaître le modèle canin pour ce qu’il pourrait être et attirer les financements nécessaires à ces études qui, j’en suis persuadé, seront faites aux États-Unis dans un avenir relativement proche.

M. André-Laurent PARODI

La prévalence de certaines tumeurs dans des races canines particulières est attribuée davantage au phénotype des animaux, notamment à leur taille, qu’à une influence génétique directe. Je pense en particulier aux ostéosarcomes des membres dont la prévalence est très élevée dans les races géantes (dogue allemand, rottweiller..). Ces tumeurs à localisation métaphysaire sont considérées comme résultant des microtraumatismes subis par les plaques de croissance des os du fait de la masse pondérale élevée alors que le chien est encore en croissance. Qu’en pensez-vous ?

La question de faire la part de ce qui serait la conséquence directe d’une surcharge pondérale et/ou d’un fond génétique particulier dont dépendrait entre autres la taille est certes importante. Je ne suis pas certain, loin de là, qu’en l’état actuel de nos connaissances on puisse trancher, aucune analyse génétique sérieuse n’ayant pu être à ce jour réalisée.


* UMR 6061 « Génétique et Développement », CNRS, Faculté de Médecine, 2 avenue Léon Bernard — 35043 Rennes cedex. Tirés-à-part : Professeur Francis GALIBERT, à l’adresse ci-dessus. Article reçu le 4 septembre 2002, accepté le 7 octobre 2002.

Bull. Acad. Natle Méd., 2002, 186, n° 8, 1489-1502, séance du 12 novembre 2002