Communication scientifique
Séance du 19 juin 2001

Le DARI. Unité de mesure adaptée à l’évaluation de l’effet des faibles doses d’irradiation.

MOTS-CLÉS : dosimétrie rayonnement.. rayonnement ionisant
Le DARI. A unit of measurement adapted to the evaluation of the effects of low-dose radiation exposure
KEY-WORDS : radiation dosage.. radiation, ionizing

G. Charpak, R. Garwin

Résumé

La dissémination de corps radioactifs par l’industrie nucléaire rend indispensable une vision claire, par un public très large, de l’impact des radiations sur la santé. L’affichage soigneux et permanent des doses induites dans la population par l’industrie nucléaire est insuffisant car il est donné en grandeurs obscures pour les non-spécialistes. Nous proposons de choisir pour unité de mesure la dose d’irradiation subie par les êtres humains en raison de la radioactivité naturelle des tissus humains : Le « DARI », pour « Dose Annuelle due aux Radiations Internes ». Cette radioactivité est due à 90 % au potassium 40, de vie moyenne 1,3 milliard d’années, survivant des poussières cosmiques dont l’agglomération, il y a près de 4,5 milliards d’années, a conduit à la formation de la terre. Le DARI représente moins de 10 % de l’irradiation naturelle due aux roches et aux rayons cosmiques. Son usage pour l’affichage de l’effet d’un incident ou d’un accident impliquant des corps radioactifs, permettrait de juger aisément de leur gravité et éviterait les peurs injustifiées.

Summary

A clearer understanding by a wider public of the health effects of radioactive materials arising in the nuclear industry is essential if the public interest is to served. Clear and continuous information provided to the public about radiation dose from industry is inade* Prix Nobel de Physique 1992, Membre de l’Académie des Sciences. quate to an intuitive and correct understanding of relative risk in part because radiation exposure is expressed in units that non-specialists find difficult to comprehend. We propose the establishment of a unit of irradiation dose to the individual that is equal to that provided to a human being by the naturally occurring radioactivity of human tissue : the « Dari » from the French for « Dose Annuelle due aux Radiations Internes » annual dose from internal radioactivity. To the extent of 90 %, this radiation is due to potassium 40, of mean life 1.3 billion years, that was present in the cosmic dust from which the Earth was formed about 4.5 billion years ago. The DARI amounts to less than 10 % of the natural radiation to which the body is subject, arising from external irradiation from rocks and from cosmic rays. The use of this unit for expressing the individual’s radiation dose from an incident or an accident involving radioactive materials would facilitate a proper judgment of its impact, and would avoid unwarranted concerns.

INTRODUCTION

Dans les sciences physiques un rôle important est joué par l’adoption d’unités de mesure permettant une estimation aisée de l’ordre de grandeur des objets mesurés.

Le mètre, le kilogramme et la seconde se sont ainsi imposés dans l’art de l’ingénieur.

Dans les domaines où les ordres de grandeur des objets étudiés sont considérablement plus petits ou plus grands, il a fallu introduire des unités dérivées adaptées à la pratique routinière. Il en est ainsi en astronomie avec l’année-lumière et le parsec ou en microscopie avec l’angström et le nanomètre.

Ces dernières décennies ont connu un développement massif de l’usage des sources de rayonnements ionisants. Après quelques tâtonnements ont été choisies des unités pour la mesure de l’intensité des sources émettrices du rayonnement et la mesure de leur effet sur l’être humain.

L’extrême sensibilité des mesures en radioactivité, qui va jusqu’à la détection d’un seul atome qui se désintègre, conduit les praticiens, suivant leur domaine, à manipuler des chiffres comportant un nombre considérable de zéros. C’est ainsi que le Becquerel, qui est l’intensité d’une source dont un atome se désintègre par seconde, est utilisé pour les sources faibles, tandis que le megacurie est souvent utilisé par un ingénieur s’occupant de déchets nucléaires, le curie étant l’intensité d’une source dont 3.7x10I atomes se désintègrent par seconde.

La mesure des effets des rayonnements sur le corps humain soulève des problèmes plus complexes. La nature des rayonnements : alphas, bêtas, gammas, ions lourds, oblige à prendre en compte la grande variabilité du dépôt d’énergie le long de leur trajectoire et de leur efficacité à perturber le matériel génétique des cellules vivantes.

Les mécanismes de leurs effets sont sujets à débats et l’existence ou non de seuils d’innocuité donne encore lieu à polémique.

Les unités d’irradiation actuelles

Les unités adoptées, imposées aux différents acteurs de la vie sociale qui ont à prendre des décisions sur les doses de rayonnement acceptables, pour le public et les professionnels, sont basées sur l’énergie déposée par les rayonnements. Or celle-ci ne correspond à rien d’intuitif en matière de nocivité des rayonnements. Qu’il nous suffise de préciser que la dose mortelle pour un humain correspond au dépôt d’une énergie qui élève la température du corps d’un millième de degré seulement.

Le gray correspond à un dépôt de 1 joule par kg de tissu vivant. On prend en compte la dépendance de la sensibilité des divers organes humains en pondérant ce dépôt d’énergie par un coefficient d’efficacité, ce qui conduit à définir un sievert. Finalement, à partir de mesures assez bien définies sur la relation doseeffet entre la fréquence des cancers survenus chez les irradiés de Hiroshima et Nagasaki après des doses supérieures à 1 Sv pour un être humain, on suppose, par précaution, que l’échelle des risques pour induire un cancer mortel est linéaire avec la dose, sans seuil. Ceci a permis de calculer le coefficient de risque cancérogène et de choisir les seuils d’irradiations admissibles pour un risque acceptable aux populations concernées, estimé à 0,04 cancer létal par Sv pour une irradiation de tout le corps.

Proposition pour des unités nouvelles liées à l’irradiation du corps humain par les corps radioactifs qu’il recèle naturellement

Nous proposons une démarche différente pour définir les doses d’irradiation acceptables lorsqu’il s’agit de faibles irradiations. L’unité pratique que nous proposons a l’avantage de donner une idée immédiate de l’ordre de grandeur des risques encourus par une irradiation. Elle est aussi rigoureuse que les unités jusqu’alors pratiquées auxquelles elle se rattache de façon quantitative précise.

L’unité que nous préconisons est le « DARI », pour « Dose Annuelle due aux Radiations Internes ». C’est l’irradiation subie pendant une année, par un être humain, due aux radiations émises par les corps radioactifs que recèle un corps humain indépendamment de l’activité professionnelle. Elle correspond à une dose efficace de 0,17 mSv.

Les deux corps radioactifs qui contribuent principalement à cette irradiation interne sont le K, isotope naturel du potassium qui est un composant inéluctable des tissus vivants et le IC produit dans l’air par les rayons cosmiques, qui est présent dans tous les organismes qui respirent.

Nous avons d’abord hésité, pour le choix de cette unité, entre l’irradiation interne et l’irradiation naturelle totale due à toutes les sources qui y contribuent et dont l’intensité est près de 12 fois plus grande. Mais celle-ci est trop variable avec la géographie et l’altitude.

Nous avons été guidés par le fait que des irradiations bien plus faibles que cette irradiation interne donnaient lieu à des frayeurs puériles et pouvaient jouer un rôle social non négligeable dans des débats cruciaux comme ceux qui concernent l’énergie pour les siècles à venir.

Précisons davantage l’origine de cette irradiation interne naturelle. Elle va nous permettre d’estimer sans difficulté l’importance de certains incidents ou accidents liés aux sources d’énergie nucléaire.

Les sources naturelles d’irradiation interne ou externe

Notre planète s’est formée par l’agglomération des poussières d’étoiles mortes. Tous les éléments chimiques qui composent la terre ont été synthétisés au cours des réactions nucléaires qui ont marqué la vie des étoiles. Certains éléments sont radioactifs et ont une vie moyenne qui se chiffre en centaines de millions ou en milliards d’années et sont toujours présents.

L’uranium, le thorium et le potassium jouent ainsi un rôle majeur dans l’équilibre thermique de la planète puisqu’ils contribuent, pour l’essentiel, à assurer son chauffage interne. L’énergie de leurs rayonnements produit la chaleur nécessaire au maintien en fusion de la sphère de fer et de nickel, de 3 500 km de rayon, qui constitue l’essentiel du cœur de la planète.

Ces déchets radioactifs primordiaux sont présents partout. Le K a une vie moyenne de 1,3 milliard d’années. Il entre dans la composition de tous les organismes vivants et le corps d’un humain de 70 kg en recèle environ 6 000 Becquerels.

L’uranium est largement répandu et constitue environ 3 millionièmes de la croûte terrestre. Sa présence dans les roches contribue à une part notable de l’irradiation naturelle des humains, en partie par l’activité d’un descendant de sa filière de désintégration, le radon, qui est un gaz rare émetteur d’alphas. Celui-ci est responsable, pour les humains, de plus de la moitié de l’irradiation naturelle provenant des roches et des rayons cosmiques et le gouvernement américain a recommandé l’aération fréquente des maisons en pierre qui, en hiver, emploient un système de chauffage en circuit fermé.

L’énergie nucléaire et la sécurité des populations

L’uranium a une importance particulière depuis la découverte de l’énergie nucléaire.

Il apparaît qu’en raison de l’énergie que permet d’extraire sa fission, il est suffisamment abondant pour qu’une épaisseur quelconque de la croûte terrestre recèle autant d’énergie que celle qu’on pourrait extraire de la même épaisseur de charbon pur.

Bien sûr, en raison du coût d’extraction de l’uranium de minerais pauvres, l’abondance de gisements rentables est limitée. Leur richesse en uranium varie de 0,1 % à 14 %. Mais des études ont montré qu’il était possible d’extraire l’uranium de l’eau de
mer, avec un coût 15 fois supérieur, pour le moment, à celui qui provient des gisements alimentant les centrales nucléaires, ce qui donne un caractère illimité à cette source d’énergie.

Dans un futur qui, à plus ou moins long terme, est menacé du tarissement des ressources énergétiques basées sur les énergies fossiles, il est donc normal que des espoirs sérieux aient été fondés sur l’énergie nucléaire. Mais la production massive de corps radioactifs qui accompagne cette forme d’énergie, soulève aujourd’hui des interrogations et des inquiétudes quant aux dangers présentés, pour les générations futures, par l’adoption massive de cette source d’énergie. Son acceptation est variable. Elle dépend des ressources des pays mais aussi d’une estimation réaliste des dangers et inconvénients des diverses alternatives qui se présentent à l’espèce humaine. Elle est rendue difficile par le caractère parfois irrationnel des débats, concernant les effets sur les humains des radiations ionisantes de diverses origines auxquelles ils sont soumis, volontairement ou involontairement.

Le problème majeur à présent, pour l’industrie nucléaire, est de montrer qu’elle est capable de gérer les déchets radioactifs des centrales nucléaires, de façon satisfaisante pour les générations à venir et de maintenir à zéro les risques de catastrophes comme celle de Tchernobyl…

Pour juger de la validité des stratégies proposées, il est essentiel de prendre en compte l’irradiation à laquelle sont soumis les humains indépendamment de l’énergie nucléaire.

Importance relative des sources d’irradiation naturelle, internes ou externes

L’irradiation interne nous semble être un plancher absolu au-dessous duquel il est puéril de chercher à descendre. L’irradiation naturelle, qui est 12 fois plus grande environ, représente la valeur à laquelle il faut se référer pour juger des limites à imposer à l’industrie nucléaire et évaluer la gravité d’incidents ou d’accidents.

Examinons quelques sources qui contribuent à l’irradiation naturelle et utilisons comme unité d’irradiation le sievert (Sv) ou le millième de sievert (mSv) pour évaluer leur valeur.

Les rayons cosmiques arrosent la terre et proviennent surtout des réactions nucléaires produites dans la haute atmosphère par des protons énergiques. Au niveau de la mer, ils contribuent à une irradiation annuelle de près de 0,5 mSv. L’intensité croît avec l’altitude, ce qui pose aujourd’hui un problème pour les pilotes de ligne qui peuvent subir une irradiation supérieure aux limites réglementaires fixées pour les travailleurs des industries nucléaires, 20 mSv par an.

Les rayons cosmiques provoquent dans l’atmosphère la transmutation de l’azote en un carbone radioactif, le IC, dont la vie moyenne est de 5 000 ans et qui se trouve présent sous forme de CO dans l’air. En raison des échanges avec les êtres vivants, il imprègne les tissus et à côté du K, d’origine fossile, c’est un élément de l’irradiation interne. Pour un être humain de 70 kg son activité est de 4 000 Becquerels
environ. Mais en raison de la faible énergie du son rayonnement, il ne contribue qu’à 10 % de l’irradiation interne totale.

Le potassium et le carbone radioactifs ont donc ensemble une activité de 10 000 Becquerels environ dans un humain de 70 kg. Une estimation de leur effet sur le corps humain, en tenant compte de l’efficacité de leur rayonnement sur les différents organes, est de 0,17 mSv par an. Notons que cette valeur est la même pour un enfant et un adulte car le sievert mesure l’énergie déposée par kg du corps irradié.

Il faut comparer ce chiffre à celui du total des irradiations subies par les humains en raison des autres sources naturelles.

Celles-ci sont environ 12 fois plus élevées. Il faut prendre en compte la radioactivité des roches qui contiennent plus ou moins d’impuretés radioactives fossiles.

Cela conduit en France à une variabilité voisine d’un facteur 3, de l’ordre de 1 mSv dans la région parisienne contre 3 mSv en Bretagne. Il existe sur la planète de vastes régions peuplées où l’activité naturelle est beaucoup plus grande, 20 à 100 mSv par an. Il faut tenir compte de la radioactivité due au radon produit par la désintégration de l’uranium et à celle des rayons cosmiques variant avec l’altitude.

L’irradiation naturelle d’un français, comme celle d’un américain, se trouve être au niveau de 2,5 mSv à laquelle il faut ajouter l’irradiation due à la radiologie médicale, d’environ 1 mSv par an.

Les variations d’irradiation naturelle en France se trouvent donc être supérieures au niveau de 1 mSv par an, qui est la limite imposée par la loi à l’effet de l’industrie nucléaire et l’ensemble des sources industrielles de rayonnements ionisants sur les populations civiles. Cette irradiation entre ainsi dans la gamme de doses où des polémiques sont engagées pour savoir s’il existe ou non un seuil de nocivité à l’action des rayonnements. C’est pourquoi il nous a semblé plus judicieux de choisir pour unité d’irradiation celle due aux isotopes radioactifs internes à tous les êtres humains, à savoir 0.17 mSv par an pour un individu de 70 kg, qui est plus uniforme, que nous avons nommée DARI, pour « Dose Annuelle due aux Radiations Internes ». L’estimation de l’effet d’une telle irradiation sur la santé en choisissant les critères les plus pessimistes imposés par les commissions de sécurité internationales, est de l’ordre de sept chances sur un million de contracter un cancer mortel. Si nous admettons 20 années de perte de la durée potentielle de vie, chaque DARI coûte une réduction d’une heure de l’espérance de vie. C’est payer peu pour la chance que nous avons d’avoir un corps hérité de la poussière des étoiles mortes ! Cette estimation est certes catégoriquement rejetée par ceux qui pensent que les très faibles doses sont dépourvues de nocivité. Peu importe ! La variabilité des autres causes d’irradiation naturelle, qui est égale en France à 20 DARIS, rend futile toute discussion des effets de l’ordre du DARI sur la santé publique.

TABLEAU 1. — L’importance relative de quelques sources d’irradiation répandues.

0,1 dari Dose reçue en France du fait de l’énergie nucléaire 5 daris Le sol en Île-de-France 10 daris Le sol en Bretagne 5 daris Rayonnement cosmique au niveau de la mer Accroissement de 1 dari pour 50 m de variation d’altitude 5 daris Moyenne en France de la radiologie médicale1 40 daris Examen au scanner X d’un corps entier. Elle est variable 6 daris Limite tolérée pour les effets sur le public de l’industrie nucléaire et l’ensemble des sources industrielles de rayonnements ionisants.

600 daris Dose annuelle maximum, pendant 5 années consécutives, pour un travailleur de l’industrie nucléaire.

30 000 daris Dose mortelle, pour un individu 300.000 à 500.000 daris Dose délivrée en irradiation régionale pour traiter un cancer 1 Le DARI est une dose efficace. Si 1,7 milligray de radiation gamma est donnée au côté gauche du corps, la dose efficace équivalente pour tout le corps est 5 DARIS. D’après l’hypothèse linéaire pour les effets des faibles doses, la même probabilité de cancer va en résulter, bien que la tumeur n’apparaîtra que sur le côté gauche du corps. La même approche est appliquée pour évaluer l’effet d’une faible dose d’iode radioactif qui n’irradiera que la thyroïde, mais qui pourra être exprimé en dose efficace, pour la dose à tout le corps en microsieverts ou en DARIS.

La dose de 600 DARIS imposée à un travailleur de l’industrie nucléaire correspond à une estimation de réduction de l’espérance de vie égale à celle produite par la consommation de 10 cigarettes par mois. Elle doit se comparer aux risques spécifiques associés à des occupations professionnelles variées. Par exemple, la conduite d’un véhicule automobile produit, en raison du caractère cancérigène des fumées d’échappement, un risque potentiel plus grand.

On a pu voir récemment des polémiques engendrées par des irradiations accidentelles dont l’impact est inférieur au centième de DARI.

L’adoption du DARI éliminerait donc totalement du débat les polémiques dont l’importance médiatique ou politique est disproportionnée. Cela permettra de centrer le débat concernant les énergies du futur sur des problèmes essentiels :

— quels sont les dangers réels et comparés des diverses sources d’énergie qui s’offrent aujourd’hui à l’humanité ?

— après l’épuisement assuré de toutes les sources d’énergie fossile, quelles sont les options qui s’offriront à l’humanité ?

Nous attendons 9 milliards d’humains au milieu du siècle, contre 6 milliards à présent. Dans les pays industriels, près de 20 % de la population meurent d’un cancer. Parmi ses causes une partie, plus de la moitié, est due au mode de vie (tabac, alcool, suralimentation, obésité, absence d’exercice physique) et serait évitable.

Environ 2 % des cancers sont dus aux produits cancérigènes utilisés dans l’industrie ou aux rejets des automobiles.

Il faut veiller à réduire au minimum toutes les nuisances. Celles qui sont dues à la radioactivité sont les plus faciles à mesurer et il faut veiller à les maintenir à un niveau qui soit acceptable. Un critère de comparaison qui prend en compte l’irradiation naturelle permanente des humains nous semble raisonnable car il n’a pas été possible de démontrer, jusqu’à présent, qu’elle a un effet mesurable sur la santé publique.

Avec les critères sévères de sécurité imposés par les pouvoirs publics à l’industrie nucléaire, en tenant compte des critères les plus pessimistes sur l’effet des radiations, on peut juger de la justesse des choix des sources d’énergie en tenant compte de la dangerosité propre aux divers choix, sans avoir besoin d’amplifier de façon irréaliste les nuisances d’une source quelconque. L’adoption du DARI comme unité de mesure facilitera la transparence dans l’estimation de la gravité d’incidents conduisant à des irradiations.

COMMENTAIRES ET DISCUSSION

M. Étienne FOURNIER

Le pouvoir vert s’est emparé du Becquerel précisément parce qu’il s’agit d’une unité physique indiscutable, compréhensible, facile à utiliser pour agiter les masses crédules. Pourquoi les verts accepteraient-ils une unité fortement dépendante des variations biologiques sans la traduire immédiatement en Becquerels ou « équivalents Becquerels » ?

Le Becquerel est une unité indiscutablement simple à condition de dire, et pour le dire il faut le savoir, que le corps humain recèle environ 10 000 Becquerels de corps
radioactifs naturels, le potassium 40 et le carbone 14. Cela coupe tout effet dramatique à une contamination de quelques dizaines de Becquerels. Le problème, c’est que la CRIRAD aime donner les contaminations en Sieverts, dont la signification est hors de portée des non-spécialistes. Le DARI est une unité de même nature que le Sievert mais rattachée, en ordre de grandeur, à un phénomène physique compréhensible par tous :

l’irradiation du corps par les radioéléments naturels qui sont présents dans chaque corps vivant, 40K et 14C.

M. Maurice TUBIANA

Il faut distinguer les unités fondamentales et les unités pratiques. Le DARI ne peut pas être une unité fondamentale car il n’entre pas dans le système des unités. En revanche, on peut le proposer comme une unité pratique, telle l’année lumière qui est très utilisée par les astronomes comme unité de longueur car le mètre, pour ces distances, ne parle plus à l’esprit. Dans le domaine des unités pratiques, l’Académie de médecine peut effectivement proposer le DARI mais nous devrons négocier avec la Commission internationale des unités radiologiques et nous appuyer sur le Conseil supérieur d’hygiène publique.

M. Émile ARON

Votre communication a un intérêt considérable. Depuis avril 1986, le nuage de Tchernobyl est l’objet d’une controverse opposant les pouvoirs publics qui déclarent que notre pays a été épargné par les retombées radioactives aux organismes indépendants qui mesurent une radioactivité excessive sur le sol de certaines régions et signalent l’augmentation des cancers de la thyroïde et des leucémies, particulièrement en Alsace et en Corse. Le Parquet de Paris aurait reçu des plaintes contre l’État pour défaut de protection. À propos de cette définition du DARI, je propose qu’un groupe de travail s’en inspire pour propager cette découverte et organiser la recherche de la radioactivité dans les zones incriminées. Ce travail de l’Académie de médecine serait une œuvre utile appelée à dorer notre blason.

L’intérêt d’une intervention de l’Académie de médecine dans ce débat est capital.

Une clarification du caractère réel de l’augmentation des leucémies et des cancers de la thyroïde est importante. La tâche peut-être rendue plus facile en menant de front une discussion sur le DARI.

M. Guy de THÉ

Dans le débat sur les risques Santé liés à l’énergie nucléaire, l’utilisation du DARI comme unité pratique serait très utile. L’Académie nationale de médecine prépare
un rapport sur le risque santé lié aux faibles doses et se doit d’aider à la promotion d’une unité pratique. Pour ce faire, il faut insister sur le fait que le DARI reflète une énergie de même nature que celle définie dans les autres unités telles que le Becquerel ou le milli-sievert. Cette unité DARI doit être utilisée en Santé Publique et en communication avec le public.

M. André AURENGO

Je partage sans réserve votre avis quant à la gravité de la campagne de diabolisation systématique du moindre Becquerel, qui pourrait aboutir à des mesures fortement contre-productives en termes de santé publique. Il est trop réel que les notions de radioprotection sont complexes, utilisant par exemple de nombreuses unités dont certaines désignent sous le même nom des concepts différents, comme le Sievert « équivalent » et le Sievert « efficace », ce qui conduit à des confusions même pour les spécialistes, sans parler du grand public ou des médias. Il faut insister sur le fait que la désinformation s’appuie tout d’abord sur la notion de « relation linéaire sans seuil » entre dose et risque, créée pour les besoins de la radioprotection et présentée abusivement comme si elle avait une validité scientifique et permettait le calcul d’une probabilité de cancer pour de très faibles doses. Cette relation conduit à une surestimation grossière des effets des faibles doses de rayonnements. Vous avez bien montré l’absurdité de cette démarche à travers l’exemple de « l’effet moquette » : en utilisant une relation linéaire sans seuil, on peut calculer que mettre de la moquette dans toutes les habitations du globe conduirait à des centaines de cancers… par l’infinitésimale augmentation de l’irradiation par les rayons cosmiques étendue à six milliards d’individus ! D’autre part, ceux qui tiennent les propos les plus alarmistes bénéficient de l’absence d’une autorité indiscutée qui pourrait classer les incidents de radioprotection, comme la DSIN classe les incidents de sûreté nucléaire sur l’échelle INES. Il serait très utile que l’Académie conduise une réflexion sur cette grave carence. On constate avec les nouvelles normes européennes, fixant à 1 milli-sievert par an les limites d’irradiation de la population, que les seuils de sécurité sont rapidement interprétés par le public et les médias comme des seuils de dangerosité. Une telle dérive pourrait concerner le DARI qui représente pourtant une dose extrêmement faible. De plus, certaines doses couramment rencontrées, par exemple la dose maximale à la thyroïde d’enfants due aux retombées de Tchernobyl, correspondent à un nombre élevé de DARIS (100 ou plus) ce qui n’est pas réellement rassurant bien que de telles doses n’aient aucune conséquence sanitaire connue. Quels qu’en soient les avantages, indéniables, il faut donc bien réfléchir avant de proposer une nouvelle unité comme le DARI, dans un domaine qui n’en manque pas.

Il est vrai qu’il faut préciser, quand on introduit le DARI, qu’il correspond au sixième environ de la dose d’irradiation naturelle dans la région parisienne, au sixième de la dose d’irradiation moyenne due en France à la radiologie et au vingtième environ de la dose moyenne d’irradiation totale, médicale et naturelle, d’un Français ou d’un Américain.


** Membre de la National Academy of Sciences 210. Constitution Avenue Washington. — D.C. 20418 / États-Unis. Tirés-à-part : Professeur Georges CHARPAK, CERN — 1211 Genève (Suisse). Article reçu le 24 mai 2000, accepté le 30 octobre 2000.

Bull. Acad. Natle Méd., 2001, 185, no 6, 1087-1096, séance du 19 juin 2001