Résumé
Les erreurs médicamenteuses sont une des causes les plus fréquentes des effets indésirables en milieu hospitalier. Leur prévention repose sur quatre conditions : — une meilleur connaissance des caractéristiques générales du fonctionnement systémique dans les activités technologiques complexes et des caractères spécifiques, dans ce cadre, du circuit médicamenteux hospitalier ; — l’attribution au patient d’un rôle plus actif, non seulement dans la décision thérapeutique mais également dans l’application des soins ; — le développement de l’informatisation, allant de la prescription à l’administration du médicament, intégrée dans une informatisation générale de l’hôpital ; — la prise de conscience par chaque soignant d’une double responsabilité, une responsabilité individuelle dans l’exécution de ses tâches personnelles et une responsabilité collective dans la bonne marche de l’ensemble du système.
Summary
Medication errors are the most frequent source of adverse drug effects in the hospital setting. Improvements can be made in four ways : — understanding how systems function within complex technological systems such as hospitals, with a focus on medications ; — increasing patient involvement, not only in the choice of treatment but also in its implementation ; — greater computerization, including all stages of the drug supply chain (from prescription to administration), integrated within the overall hospital computer network ; and — encouraging all healthcare professionals to be aware that they are dually accountable : with regard to their personal work, and also to the efficiency and safety of the overall system.
Nul exemple n’illustre mieux l’évolution de la médecine moderne que le médicament. D’une efficacité encore bien modeste au début du 20ème siècle il a progressivement acquis une puissance grandissante, s’accélérant dans la seconde moitié de ce siècle [1], réussissant à contenir les grands fléaux, celui des infections, puis celui des
maladies cardio-vasculaires, commençant de nos jours à affronter celui du cancer.
Cette montée en puissance n’a pas été sans s’accompagner d’une augmentation des effets indésirables dont le poids apparaît d’autant plus intolérable qu’une large proportion d’entre eux se révèle, en fait, évitable [2].
Les pays anglo-saxons ont largement précédé la France dans cette prise de conscience. Dans notre pays, les alertes initiales, de Robin et Nativi en 1987 [3], puis de Klotz en 1994 [4] n’avaient pas attiré l’attention, sans doute parce que trop précoces par rapport à la pensée médicale de l’époque. Il fallut l’accumulation des travaux multicentriques de Queneau et de l’APNET [5, 6, 7] pour reconnaître leur importance, vérifiée récemment par la grande enquête nationale ENEIS [8].
Dans une remarquable synthèse de l’ensemble des travaux internationaux parus jusqu’alors Schmitt [9] a tout spécialement analysé les modalités et les mécanismes des accidents médicamenteux en les inscrivant dans une défaillance systémique de ce que l’on désigne maintenant comme le « circuit du médicament ».
L’objectif de cette note est de reprendre la notion de défaillance systémique, d’en définir les caractéristiques générales, puis les particularités propres au domaine médical, pour démontrer ensuite que l’erreur médicamenteuse en représente, en quelque sorte, un modèle de référence.
LE FONCTIONNEMENT SYSTEMIQUE
Définition
Quel que soit le domaine à propos duquel est utilisée cette terminologie — et ces domaines débordent largement le seul champ de la médecine — on peut ainsi définir un fonctionnement systémique : c’est la mise en œuvre coordonnée d’un ensemble d’acteurs humains et de dispositifs matériels (mécaniques, électroniques, instrumentaux) dans un processus comportant des étapes successives pour la réalisation d’un objectif qui peut être celui d’une production (fabrication d’objets ou de produits) ou celui de la réalisation d’un service (par exemple transports de passager ou soins à des patients).
Les premières applications ont été industrielles. C’est dans ce domaine qu’est apparu le concept de chaîne de production. Ce concept est encore applicable au domaine de la médecine. De nos jours, le patient qui entre dans un service hospitalier est pris en charge par une chaîne thérapeutique qui fait intervenir non seulement le personnel médical et infirmier de ce service mais aussi le personnel soignant de bien d’autres services, pharmacie, imagerie, biologie, exploration fonctionnelle.
Cependant l’analogie entre chaîne soignante et chaîne industrielle a ses limites. A l’inverse de cette dernière dont le principe même est la rigidité de fonctionnement dans un processus répétitif hautement standardisé et automatisé, la chaîne médicale est fonction d’une part de la maladie présentée et d’autre part pour une même
maladie des particularités du patient. La chaîne médicale est spécifique de chaque cas pris en charge.
Cette considération nous conduit à préciser les facteurs qui modulent la robustesse ou au contraire la faiblesse d’une chaîne.
Facteurs de robustesse d’une chaîne systémique
Ils sont au nombre de cinq :
— la robustesse est fonction de la longueur de la chaîne ; plus nombreuses sont les étapes (on pourrait aussi parler de maillons) plus grands sont les risques de défaillance — la robustesse est encore fonction du degré d’automatisation permettant de limiter les interventions des acteurs humains dont on sait qu’ils comportent des fragilités propres en rapport avec des causes psychophysiologiques multiples. Ce qui peut encore s’exprimer par un principe bien établi par l’expérience systémique : ce sont les maillons humains qui représentent toujours les points faibles d’une chaîne. Le remplacement d’une intervention humaine par un dispositif matériel apporte une constance de fonctionnement, qui, doublée de la possibilité de dispositifs d’alarme et de sécurité, permet toujours une diminution des risques de défaillances. On sait, par exemple, combien les appareils de surveillance des principales fonctions vitales ont apporté de sécurité en réanimation.
— à défaut de pouvoir se dispenser de l’intervention d’acteurs humains, la robustesse sera, en ce cas, dépendante des possibilités de standardisation, c’est-à-dire d’interventions programmées et exécutés selon un processus précis. La mise au point de protocoles a une particulière importance dans les situations d’urgence où les gestes à accomplir et la coordination des intervenants doivent relever de l’ordre des conditionnements automatiques.
— dans les systèmes à forte participation humaine, comme l’est la chaîne de soins, l’appartenance des différents acteurs à une même structure est un facteur de robustesse. Elle assure, en effet, une meilleure cohésion du personnel à l’intérieur des équipes et une meilleure articulation des équipes entre elles.
— enfin il est un dernier facteur de robustesse que nous proposons de désigner sous le terme de « résilience ». Ce terme initialement adapté aux caractéristiques d’un métal pour désigner son aptitude de résistance aux chocs et à la déformation a trouvé une première extension dans le domaine de la psychologie pour désigner l’aptitude d’une personne à retrouver un équilibre psychologique après une grave épreuve morale. Dans le cas du système nous entendons par ce terme l’aptitude à corriger les conséquences d’une défaillance survenue en un point quelconque de la chaîne afin d’éviter la constitution d’un accident. Leap accorde une grande importance à cet autre objectif du système, la possibilité d’ « absorber » l’erreur [2].
LE CIRCUIT DU MEDICAMENT, EXEMPLE DE FONCTIONNEMENT SYSTEMIQUE.
Lorsque l’on envisage le circuit du médicament il convient de distinguer la situation de la médecine de ville et celle de la médecine hospitalière.
En médecine de ville un circuit court
En ville le circuit ne comprend que deux acteurs :
— le médecin qui prescrit le traitement lors d’un échange destiné d’une part à donner l’information diagnostique au patient et à indiquer ses conséquences thérapeutiques, et d’autre part à s’assurer non seulement de son consentement mais de son adhésion au traitement proposé, gage de son efficacité. C’est l’occasion d’en expliquer les modalités d’action et les effets indésirables éventuels. Cette recherche d’adhésion et de coopération du patient prend ici son importance particulière du fait que c’est le patient qui tient la clé de l’administration puisque c’est lui-même qui l’assure.
— le pharmacien qui intervient pour la délivrance. Etape non négligeable du point de vue de la sécurité puisqu’elle peut être une occasion de relever une éventuelle anomalie dans la prescription ou de répondre à une interrogation du patient sur les conditions d’utilisation.
En dehors de ces deux professionnels il faut insister sur le fait que la prise du médicament relève, dans les conditions habituelles, de la totale responsabilité du patient.
On a donc affaire à un circuit court avec deux acteurs seulement bien personnalisés et un rôle non négligeable joué par le patient. Il est difficile de considérer que l’on est dans le cadre d’un fonctionnement systémique.
C’est tout différent en médecine hospitalière Le circuit du médicament en milieu hospitalier : l’exemple même d’un fonctionnement systémique
Le circuit du médicament à l’hôpital est beaucoup plus complexe. Pour au moins deux raisons. Tout d’abord parce qu’il comporte trois étapes successives : médicale pour la prescription, pharmaceutique pour la préparation et la dispensation, enfin infirmière pour l’administration. Mais surtout parce que chaque étape fait intervenir plusieurs acteurs différents. Au cours d’un séjour hospitalier plusieurs médecins peuvent être appelés à prescrire pour un même malade, en fonction des jours ou des situations d’urgence. Au niveau de la pharmacie interviennent de même plusieurs pharmaciens ou préparateurs. Enfin pour l’administration des médicaments la rotation obligée du personnel infirmier entraîne la même multiplicité des inter-
venants. La nécessité de cohérence entre ces multiples acteurs successifs exige une multiplication des transmissions, écrites ou orales, augmentant évidemment les risques d’erreur.
Le patient, un rôle à lui reconnaître
Ce schéma, classique, réduit à trois maillons mais à de nombreux intervenants est en fait bien incomplet. En effet il lui manque un maillon, pourtant essentiel, celui d’où part et sur lequel se referme le circuit, à savoir le patient. L’oublier comme c’est habituellement le cas est une omission regrettable. Outre qu’elle témoigne d’un manque de considération à l’égard du principal intéressé, c’est aussi dénier l’obligation d’information qui conditionne son consentement. C’est, encore plus, se priver d’une participation doublement utile de sa part. En effet, dans la mesure où il s’agit d’un malade conscient et ayant un degré de discernement suffisant, ce qui est bien la situation la plus fréquente, les médecins auraient avantage à dépasser le niveau de la seule information pour aller jusqu’à rechercher une véritable adhésion au programme thérapeutique. Une telle démarche transforme le rôle du patient. De passif qu’il ne peut qu’être lorsqu’il est considéré comme le simple objet de l’application des soins, il devient un acteur effectif de la chaîne de soins, celui capital, sur lequel se referme le dernier maillon du circuit. Celui aussi qui, à l’inverse de tous les autres participants, reste permanent durant tout le séjour hospitalier et qui est évidemment le plus intéressé au bon déroulement des soins. Il convient, pour toutes ces raisons, de le mettre en situation de jouer un rôle de contrôle, évitant éventuellement une erreur survenue en amont dans la préparation ou dans l’attribution. En somme avec sa participation active et vigilante on introduit un facteur de résilience dont nous avons vu précédemment l’intérêt théorique.
Cette association du patient à son traitement est d’autant plus légitime que c’est un tel état d’esprit et de fait qui prévaut en médecine de ville. Avant ou après l’hospitalisation c’est bien le patient qui a la pleine responsabilité de la prise correcte de ses médications. Il est grand temps de lui reconnaître également à l’hôpital le rôle qu’il joue en ville et dont on mesure de plus en plus l’importance dans la gestion des maladies au long cours.
Evolution du rôle du pharmacien.
Le rôle du pharmacien mérite également d’être reconsidéré. Il est resté longtemps marginal, sous le régime de la distribution globale. Il ne répondait qu’à une commande globale du service clinique pour l’approvisionnement de la réserve du service, sans avoir la possibilité d’accès aux prescriptions. Les choses ont changé avec la dispensation individuelle et nominative (DIN) qui peut revêtir deux modalités, soit hebdomadaire (DHIN) soit, mieux encore, journalière (DJIN). Le bénéfice de cette modalité est double. D’une part la préparation des doses exige la prescription nominative, ce qui permet un contrôle de la part du pharmacien évitant
certaines erreurs de prescription (notamment erreurs de dosage ou contreindications d’associations). D’autre part elle évite la manipulation des produits au niveau du service puisque celle-ci est exécutée au niveau de la pharmacie, beaucoup mieux qualifiée pour cette manipulation. Ainsi le rôle du personnel infirmier est limité à la délivrance du produit comportant l’identité du destinataire. Cette modalité répond d’ailleurs aux dispositions réglementaires en vigueur (arrêté du 9 août 1991), mais sa généralisation en France semble loin d’être assurée, bien qu’il soit difficile d’évaluer exactement la situation qui est variable d’un établissement à l’autre et même à l’intérieur d’un même établissement.
L’informatisation, un apport, mais à certaines conditions.
L’informatisation est susceptible d’apporter une aide efficace au niveau de chacun des trois maillons [10].
Au niveau de la prescription par le recours à un logiciel d’aide à la prescription qui permet :
— une prescription en temps réel avec intégration dans le dossier du patient — la consultation des recommandations de bonne pratique des agences (HAS et AFSSAPS) — la consultation de bases de données sur les médicaments (soit locales soit extérieures telles que la base Thériaque ou le dictionnaire Vidal).
Au niveau de la pharmacie par la possibilité d’accéder au dossier médical et de consulter également les bases de données précitées.
Au niveau du personnel infirmier par la possibilité de consulter le dossier des soins infirmiers.
L’informatisation a encore trois avantages. Elle facilite les transmissions, supprime les recopiages avec leurs causes d’erreur et elle permet une traçabilité des actes de soins.
Au total l’informatisation, en favorisant la mise en œuvre des bonnes pratiques médicales, pharmaceutiques et infirmières est susceptible d’augmenter l’efficacité et la sécurité de l’utilisation hospitalière des médicaments.
De plus elle est susceptible d’apporter une aide appréciable dans la gestion des approvisionnements, dans le suivi de la consommation des produits. Elle devient de ce fait un instrument indispensable dans l’élaboration et le suivi des contrats de bon usage des médicaments qu’impose le décret du 24 août 2005.
Du fait de ces multiples avantages la demande d’informatisation de la part des hôpitaux, encore relativement peu équipés en France, se fait de plus en plus pressante. Elle rencontre une offre commerciale très active. C’est l’occasion de souligner que l’introduction de l’informatisation du circuit du médicament nécessite une étude préalable d’adaptabilité à l’environnement informatique existant, l’idéal
étant qu’elle vienne compléter et s’intégrer dans une informatisation de la gestion administrative et des dossiers des patients [11]. Par ailleurs la mise en œuvre nécessite une adaptation du personnel aux nouvelles pratiques qu’elle entraîne.
Enfin, une évaluation de ses bénéfices réels devrait être prévu. Car elle n’est pas à l’abri de certains effets négatifs imprévus [12].
Conclusion
La prévention des erreurs médicales médicamenteuses doit être appréhendée, de nos jours, dans le cadre du fonctionnement systémique. Cette conception d’un ensemble complexe dont le fonctionnement dépend non seulement d’une bonne organisation mais aussi d’une coordination implique de la part de chaque soignant un nouvel état d’esprit et la conscience d’une double responsabilité. D’une part une responsabilité individuelle concernant l’exécution de sa fonction propre, d’autre par une responsabilité collective concernant la bonne marche du système.
BIBLIOGRAPHIE [1] CHAST F. — Histoire contemporaine des médicaments. La découverte édit. Paris 2002.
[2] LEAP L.L., BATES D.W., CULLEN D.J., COOPER J., DEMONACO H.J., GALLIVAN T., et al . — Systems analysis of adverse drug events.
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[6] QUENEAU P., CHABOT J.M., RAJOANA H., BOISSIER C., GRANDMOTTET P. — Iatrogénie observée en milieu hospitalier. II Analyse des causes et propositions pour de nouvelles mesures préventives. Bull.Acad.Méd. 1992, 176 , 651-667.
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