Communication scientifique
Séance du 1 juin 2010

L’accompagnement des parents face à une mort annoncée en périnatalité : pour l’introduction d’une démarche de soins palliatifs en maternité et en néo-natalogie

MOTS-CLÉS : accompagnement de la fin de la vie. diagnostic prénatal. information aux parents.. maladies du nourrisson et du nouveau-né/mortalité. soins intensifs néonatals. soins palliatifs
Dealing with parents facing imminent death of their neonate : introducing palliative care in maternity wards and neonatal intensive care units
KEY-WORDS : intensive care, neonatal.. prenatal diagnosis

Laurent Storme *, Isabelle de Mézerac **

Résumé

Dans le cadre du diagnostic anténatal d’une maladie potentiellement létale pour un enfant à naître, les parents se retrouvent pris dans une telle tourmente que l’interruption médicale de grossesse apparaît souvent comme la moins mauvaise des solutions. Pourtant l’approche de la mort et le deuil à venir laissent entrevoir une situation d’une grande complexité. Face à ce drame, un certain nombre de parents souhaite redonner du sens à leur fonction, en accompagnant leur bébé jusqu’à son décès. Une démarche de soins palliatifs peut alors s’appliquer dans ce contexte, en considérant le bébé à naître « comme un vivant parmi les vivants », la grossesse comme le premier chapitre de toute vie humaine et la mort comme un processus naturel. Cette démarche qui vient s’inscrire en maternité et en néonatologie implique une cohérence dans le temps des informations données aux parents et la mise en œuvre d’un projet de vie leur laissant une large place. Une procédure collégiale, ancrée sur le refus de l’obstination déraisonnable et la primauté du confort du bébé, permet de constituer un cadre porteur où chacun peut trouver sa place. Ces nouvelles demandes parentales méritent d’être comprises afin d’être bien accompagnées.

 

Summary

Following antenatal diagnosis of a lethal disorder, some parents are so overwhelmed by grief that therapeutic abortion is seen as the least traumatic option. However, the impending death and anticipated mourning create a particularly complex emotional situation. When faced with such dramatic circumstances, some parents seek to restore meaning to their parenthood by accompanying their baby through to the end of its life. Methods derived from hospice care may be appropriate in such situations, considering the unborn child as ‘‘ a living being among the living ’’, pregnancy as the first chapter of every life, and death as a natural process. This approach, which may be adopted in maternity wards and neonatal intensive care units, requires the medical team to provide consistent information to the parents and to ensure their close involvement. These new parental demands must be clearly understood if they are to be met as effectively as possible.

INTRODUCTION

La mort restera toujours la grande épreuve de la vie. Quand elle s’introduit dans le temps périnatal, le défi à relever est majeur tant ce désordre dans l’ordre de la vie vient perturber le sens de la maternité. « Moins le défunt aura vécu, plus sa vie restera une vie en puissance » (Aristote) : tel est bien le drame des parents qui perdent un tout-petit et ne peuvent garder en mémoire que quelques fragments de vie pour se reconstruire. Le paradoxe de ces toutes petites vies, coincées entre une naissance et une fin de vie, est bien de nous interpeller dans ce qui est le plus innommable pour l’avenir d’un enfant, sa mort déjà annoncée.

La démarche des soins palliatifs, en introduisant un autre rapport au temps et un nouveau regard sur le malade, en rappelant l’exigence de l’accompagnement et des soins à donner, permet de redonner sens à la fin de vie, même s’il est impossible d’en évacuer tout le tragique. Vouloir introduire dans le contexte de la maternité le paradigme des soins palliatifs peut sembler inconvenant, voire inconcevable pour certains. Et pourtant, ne serait-ce pas là l’occasion de tenter de remettre du sens dans ces situations dramatiques, en étendant cette démarche « comme la suite logique du mouvement, à l’accompagnement des familles dans l’anticipation d’un deuil périnatal » [1] ? Afin de permettre à chacun, soignants et parents, d’aborder ensemble ce temps raccourci entre vie et mort pour « vivre paisiblement et que peut-être il n’y avait pas grand chose à faire de plus pour l’autre » [2].

 

Les enjeux de ces situations périnatales

Devenir parents quand la vie et la mort s’entremêlent

Le premier enjeu d’une maternité est bien celui de ce devenir parent qui, en décidant de donner la vie, propulse une femme, un couple dans un à-venir avec un autre que soi-même et fait émerger une nouvelle identité dans sa propre vie. Au-delà du rêve d’immortalité et de la valorisation de soi-même que cela peut chercher à combler, la grossesse devient un investissement majeur, parfois très précoce, qui fait passer la future mère de l’expression « je suis enceinte » à celle annonciatrice de l’autre, « j’attends un enfant ». Cette attente est bien une période de maturation, mais aussi de fragilité psychologique en raison de tous les remaniements intérieurs qui sont en cours. Les grossesses d’aujourd’hui sont devenues, pour beaucoup, le temps d’une nouvelle relation avec l’enfant à naître, en raison de la qualité des échographies actuelles et de leur signification : « Si l’échographie confère au fœtus le statut d’un être vivant autonome, ce n’est pas uniquement par la grâce de la simple image. C’est surtout par l’animation de cette image en temps réel »[3]. L’enfant quand il naîtra n’est plus complètement ce merveilleux petit inconnu, pour avoir été pendant des mois suivi et reconnu dans son développement.

Dans un tel contexte, l’annonce d’une maladie grave et incurable crée un cataclysme émotionnel où plus rien ne sera jamais comme avant et il n’existe pas de bonne manière de rompre le rêve parental [4]. La rupture engendrée dans l’identité émergente des parents va soulever toutes les réactions psychiques habituelles pour tenter de s’en protéger : confusion, déni, sidération, fuite, colère, dépression. La fragilité de l’être et l’éphémère de la vie émergent là brutalement au cœur de cette vie naissante et font perdre sens au projet de devenir parent, en raison de l’effet antinomique entre maternité et mort, de l’invasion de l’anomalie dans la représentation de l’enfant et de la culpabilité ressentie autour de sa conception. Dans ce temps suspendu du diagnostic anténatal, seul le concept de « souffrance globale » (« total pain »), élaborée par

Cicely Sanders, initiatrice du mouvement des soins palliatifs, permet de rendre compte de l’étendue indicible de cette souffrance.

Le deuil à venir, ce deuil périnatal enfin sorti de la conspiration du silence qui l’entourait jusque-là, sera tout sauf un deuil minimal. Quand l’enfant ne survit pas à ses parents, le rêve du prolongement de soi est brisé mais aussi l’image de soi. Le processus de parentalité est brutalement stoppé, la représentation de tout ce qui ne sera plus est sans fin dans la tête des parents. Cet à-venir devient sans avenir ; tous les futurs se sont effondrés ; mais en plus, ce passé trop court, où il n’y a pas eu grand chose à vivre, doit être admis comme une vie en soi, la vie de son enfant à naître ou juste né. C’est bien un double deuil qu’il faudra surmonter, le deuil de son enfant et le deuil de soi-même comme parent de cet enfant, dans l’unicité du lien qui se noue :

« la mort de cet enfant, c’est comme l’ombre de la mère indissociable de son image créée » [5].

 

Pour l’émergence d’une liberté

En raison de son caractère sidérant et profondément injuste, l’approche de la mort en maternité est si bouleversante qu’elle en fait parfois oublier la vie. Comme « événement humain vécu sous le double signe de l’irréversibilité et de l’unicité » [6], la mort crée toujours une rupture inéluctable dans la relation et son anticipation ne règle en rien le vide de l’absence qu’il faudra supporter un jour : «

Parce que la vie n’est pas indéfinie, parce que les jours sont comptés, ils comptent. L’acceptation de la mort permet à l’homme de conquérir intensité et authenticité » [6]. Puisque tout être humain est unique et imbriqué dans l’humanité entière, par les liens qui le relient à son histoire familiale, sa mort en maternité doit pouvoir être abordée avec une profonde attention afin d’ouvrir un espace où une très courte destinée d’enfant n’aurait pas moins de sens qu’une autre [7].

Face au chaos intérieur provoqué par le diagnostic d’une maladie potentiellement létale, les parents sont comme remis entre les mains des soignants qui ont à contenir ce chaos et doivent les aider à reconstruire l’unité en eux, par leur empathie et leur attitude congruente, afin de leur faire retrouver une certaine autonomie et leur ouvrir le champ de tous les possibles. L’interruption de la grossesse peut apparaître comme la moins mauvaise des solutions mais, pour un certain nombre de parents, elle semble bien incohérente face à une mort annoncée et contraire à leur désir profond, inexprimable parfois, eux qui cherchent à vivre autre chose devant la surprenante destinée de leur enfant. Ces demandes d’accompagnement viennent alors bousculer les habitudes des services de maternité et soulèvent la question de leur prise en charge [8].

Cohérence du projet, de la période anténatale au post natal

L’organisation des soins périnatals en réseaux, avec transfert in utero d’une maternité à une autre en cas de diagnostic grave, amène à une multiplication des intervenants auprès des parents ; elle accroît le risque d’incohérence dans ce qui peut leur être transmis. La difficulté à assurer cette continuité et cette cohérence est accentuée par les différences de point de vue sur une même situation que peuvent avoir les soignants. Des divergences dans les informations pronostiques sont aussi source d’incompréhension et de perte de confiance. Dans le temps du dialogue entre les parents et les soignants, il apparaît pourtant essentiel que la prise en charge offre un cadre cohérent, montrant que tous les intervenants travaillent ensemble pour les mêmes objectifs, afin de contenir les angoisses de chacun.

Une meilleure cohérence spatiale — entre les différents sites successifs — et temporelle — entre les périodes ante et postnatale — semble donc nécessaire à la mise en place d’un projet de soins palliatifs. La succession d’interlocuteurs au sein d’un même service rend important l’effort de transmission de l’information dispensée.

Des entretiens communs obstétrico-pédiatriques doivent être organisés. Il faut pouvoir décrire la prise en charge dans sa globalité en anticipant sur les différentes modalités évolutives possibles. Les équipes élaborent un document écrit destiné à assurer la continuité et la cohérence de l’information : le dossier médical est le support de cette transmission entre les soignants. Cela impose qu’on y fasse mention de l’état du dialogue avec les parents. L’identification d’un référent au sein de l’équipe soignante est aussi un moyen de faciliter la continuité et la cohérence de l’information. La cohésion d’équipe devient effective lorsqu’il y a consensus sur les choix opérés dans une démarche collégiale.

 

Les soins palliatifs en maternité et en néonatologie, une démarche d’accompagnement

Bases légales et humaines

La démarche d’accompagnement d’un tout-petit vers son décès s’inscrit dans le cadre légal actuel : au-delà de la loi du 17 janvier 1975, dite loi Veil, qui autorise l’interruption de la grossesse à la demande des parents mais n’en fait pas une obligation de faire , il est rappelé par la loi du 4 mars 2002, dite loi Kouchner, l’obligation donnée au médecin d’informer son patient de toutes les possibilités qui s’offrent à lui, afin de respecter le principe d’autonomie de la personne. Enfin la loi du 25 avril 2005, dite loi Leonetti, ouvre à chacun, quel que soit son âge, l’accès aux soins palliatifs. Dans le cadre d’une information loyale et éclairée, les possibilités d’accompagner, dans une démarche palliative, un enfant à naître atteint d’une maladie potentiellement létale doivent pouvoir être présentées et expliquées aux parents.

Parce que la médecine guérit parfois, soigne souvent mais peut toujours accompagner , les soins palliatifs sont une pratique médicale faite autant de soins, d’attentions que de moyens techniques, « dans une approche globale de la personne atteinte d’une maladie grave, évolutive ou terminale », où le malade est considéré comme « un être vivant » et « la mort comme un processus naturel » [9]. Avec l’accueil de la fragilité de l’autre, c’est toute notre société qui manifeste alors son humanité. Cette démarche peut alors s’appliquer en maternité en cas de diagnostic anténatal défavorable :

l’enfant à naître porteur d’une anomalie ou d’une maladie ne se réduit pas à ce diagnostic. Poursuivre sa grossesse n’est pas l’attente d’une mort, mais l’accompagnement d’une vie aussi courte soit-elle, dans un temps considéré comme le premier chapitre de toute vie humaine. Cette relation à l’enfant restaure les parents dans leurs compétences : malgré le drame à vivre, ils peuvent redevenir acteurs de la situation par la nomination de leur enfant, par l’attention à son quotidien et le suivi de soins qui se met en place [10]. Ce regard de parents, même distancié sur la maladie, permet de s’ouvrir, dès la période prénatale, à l’accompagnement d’un tout-petit entouré de sa famille.

Une vie naissante qui se termine est toujours un cursus hors norme de la vie, mais reste bien un parcours de vie en lui-même. « Etre enfant n’est pas d’abord une question d’âge, mais de filiation » [11]. La naissance, même si elle est devenue aujourd’hui une frontière bien souvent transparente dans la fonction parentale, permet la rencontre d’un visage, d’une voix, d’un corps vivant à déposer dans des mains de parents. Les rites qui vont alors suivre viennent inscrire l’enfant dans une histoire familiale pour que cette vie, si elle doit être courte, soit pleinement une vie qui compte pour chacun [12].

Définition des soins palliatifs en maternité et néonatologie

Les soins palliatifs sont des « soins actifs et continus d’accompagnement physiques, psychologiques, spirituels et sociaux envers des personnes et leur entourage » [9]. Ils ont pour objectifs de soulager la douleur et l’inconfort, d’améliorer le confort et la qualité de vie et d’éviter les investigations et traitements déraisonnables. Les soins palliatifs impliquent implicitement le refus de provoquer intentionnellement la mort. Tous ces traits généraux peuvent s’appliquer à l’égard d’un nouveau-né atteint d’une malformation ou d’une maladie potentiellement létales, que le diagnostic soit posé en anténatal ou en postnatal. Il s’agit donc bien d’un nouveau projet de vie, même si celle-ci doit être brève, au cours duquel le décès est probable et accepté.

Mise en œuvre de ces soins

La mise en œuvre des soins palliatifs implique l’identification de situations d’obstination déraisonnable, la décision de renoncer à certains soins curatifs et la mise en place d’un autre projet de soins. La loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie indique que la décision de soins palliatifs appartient au médecin en charge du patient, après une discussion collégiale et après avoir recueilli l’avis d’un consultant indépendant de l’équipe soignante. Les titulaires de l’autorité parentale sont informés de la décision. Dans ce texte législatif, l’implication des parents dans le processus décisionnel n’est pas explicite. Seul le recueil de leur avis, et non leur consentement, est nécessaire.

Pourtant il semble difficilement concevable qu’un projet de soins palliatifs concernant un nouveau-né ne soit pas élaboré conjointement avec les parents, en raison de la qualification de ces soins comme actifs et continus d’accompagnement. Un des objectifs des soins palliatifs est bien de donner du sens à ce lien parental et d’en faciliter l’expression. Comment le garantir si les parents n’adhèrent pas totalement au nouveau projet de soins ? C’est aussi reconnaître leur compétence parentale que de leur permettre de participer au processus décisionnel.

Par ailleurs, il convient de rappeler que l’établissement d’un pronostic est particulièrement aléatoire en période néonatale. Si la description de la lésion est un constat objectif, l’incapacité et/ou le moment de la mort dont elle sera responsable sont parfois difficiles à préciser. Le degré de handicap, et encore moins la qualité de vie, ne sont habituellement pas prévisibles, d’autant plus que la façon dont les parents vont accepter le handicap de leur enfant conditionne sa qualité vie ultérieure [13, 14]. De même, il apparaît qu’une vie « bonne » est difficile à définir et que son appréciation est par nature subjective, entre les différents acteurs que sont les parents, les soignants ou la société [14, 16]. Dans ce contexte, prétendre que les soignants détiennent le savoir objectif et que les parents n’auraient qu’une vision subjective de la réalité est un fantasme de toute-puissance [14-18]. Les parents doivent être les interlocuteurs privilégiés pour déterminer la limite entre ce qui leur semble une vie de qualité acceptable ou non. Ces décisions engagent leur propre destinée. Outre le fait qu’ils sont les représentants légaux garants du meilleur intérêt de leur enfant, la perception que les parents ont de la situation prend en compte les spécificités de leur histoire et de leurs personnalités. Cette perception subjective doit être considérée comme un des aspects essentiels des données à intégrer dans le processus décisionnel.

 

L’élaboration d’un projet de soins palliatifs implique : — de renoncer à certaines investigations ou à certains traitements curatifs jugés disproportionnés, lorsque les inconvénients sont plus élevés que les bénéfices attendus ; — d’accepter que le confort de vie prime sur la durée de vie ; — que le projet de soins ne soit pas décidé dans l’intention de provoquer la mort. Ce projet de soins palliatifs doit être imaginé aussi dans le but de redonner aux parents la place qui leur revient, afin de leur permettre de prendre soin de leur enfant. Leur présence sera largement facilitée, le « peau à peau » et l’allaitement maternel seront encouragés, les soins courants (bain, change) seront proposés et le retour au domicile sera envisagé, dans la mesure du possible.

Dans leurs principes, les soins palliatifs n’excluent pas la possibilité de poursuivre certains traitements habituellement considérés comme potentiellement curatifs ou même comme nécessaires s’ils sont la condition de la survie. Des traitements curatifs sont régulièrement mis en œuvre lorsqu’ils sont susceptibles de réduire les symptô- mes douloureux ou inconfortables. C’est le cas, par exemple, de la transfusion de culot globulaire, pour limiter la dyspnée de l’anémie ou de l’iléostomie, pour traiter les symptômes de l’occlusion intestinale. Dans ces conditions, les traitements curatifs ne remettent pas en cause l’intentionnalité du projet de soins palliatifs. L’objectif n’est pas la sauvegarde à tout prix de la vie du patient mais bien l’amélioration de son confort de vie, surtout si celle-ci doit être courte.

Place pour des bénévoles ?

Depuis l’origine, les soins palliatifs ont laissé, dans leurs services, une place essentielle aux bénévoles, garants d’un lien social jusqu’à la mort et témoins de la nécessaire solidarité envers autrui. La dernière circulaire relative à l’organisation de ces soins, en date du 25 mars 2008, y consacre une annexe pour rappeler les missions et obligations du bénévolat. À la faveur d’une enquête réalisée en 2008 dans un service de réanimation néonatale, les parents rencontrés ont largement manifesté leur intérêt pour un tel accompagnement, afin de bénéficier d’un surcroît de soutien, de réconfort et d’écoute [19]. La mort d’un bébé étant une épreuve si difficile à partager, détresse profonde et isolement guettent souvent les parents qui y sont confrontés. En attendant la mise en place d’un réseau de bénévoles, un site Internet et un forum de parents [20] ont été ouverts pour ceux qui s’inscrivent dans cette démarche des soins palliatifs afin de leur faire bénéficier d’une liberté de paroles inégalable et leur apporter, dans ces temps si douloureux de l’accompagnement et du deuil, l’ incroyable sentiment d’être enfin compris .

 

Difficultés et perspectives

Quel regard sur les poursuites de grossesses ?

Cette démarche, pourtant émergente dans les services de maternité, n’est pas encore présente dans les documents émanant du ministère de la Santé : la dernière circulaire du 19 juin 2009 sur l’accompagnement du deuil périnatal n’en fait pas état. Pour un bon nombre de soignants, ces demandes sont incompréhensibles et font l’objet de qualifications tout à fait surprenantes : refus maternel d’IMG [21], déni de réalité , état de sidération [22], acharnement relationnel, obscurantisme religieux [23], alors que les parents qui les vivent témoignent d’un surplus de vie transmis au travers d’une relation menée à son terme. Sans parler des refus de soins parfois rencontrés ou de la négligence dans le suivi médical de ces grossesses, cette forme de blâme social entraîne une dévalorisation des parents et une énergie gaspillée à tenter de faire respecter leur choix, au lieu de pouvoir la consacrer à accueillir cette situation qui reste marquée par le chagrin et l’anticipation de la perte d’un être cher. Pourtant, « rien n’est aussi efficace pour faire tomber la résistance que l’observation directe de ces familles en train de mener avec dignité des grossesses difficiles grâce au soutien des soignants » [1].

Il semble donc important de travailler à un meilleur soutien de ces parents, afin de solliciter leur compétence et leur redonner confiance. Chaque situation familiale et médicale étant unique, il s’agit de ne pas trop protocoliser ces démarches et d’élaborer les possibles projets de vie autour de cet enfant, dans les limites des contraintes de chaque service. La meilleure source d’informations à solliciter restera de fait les parents eux-mêmes et l’ouverture d’un espace de rencontres hors du champ médical, autour d’une sage-femme, d’un psychologue ou d’un bénévole, peut être un soutien inestimable dans l’élaboration de ce projet et la préparation de la séparation.

Des cas de survie possibles en néonatologie

L’intentionnalité d’un projet de soins palliatifs n’est ni la guérison de l’enfant, ni la simple attente de son décès. Le décès est alors accepté comme étant l’évolution naturelle de la maladie de l’enfant, et non comme le résultat d’une décision. Dans ce cadre, le devenir n’est pas connu. Cette incertitude sur le devenir doit être expliquée aux parents ainsi qu’à l’équipe soignante. Il est clair que cette démarche requiert de consentir à perdre la maîtrise de l’évolution de la maladie, quelle qu’en soit son issue.

La survie reste néanmoins possible, le plus souvent avec des séquelles. Cette éventualité aura été préalablement envisagée, discutée, mais aussi acceptée par l’équipe soignante et les parents. Parce que le projet de soins palliatifs aura été pensé sur cette base, la probabilité de survie sera d’autant plus élevée que les séquelles attendues sont incertaines et acceptées par les parents. On peut penser légitimement qu’en cas de survie, les parents seront d’autant plus aptes à affronter la réalité des séquelles de leur enfant et de leurs prises en charge, qu’elles auront été envisagées et acceptées.

Dans ce cas, l’alliance de l’équipe soignante et des parents qui s’est nouée autour de l’enfant nouveau-né devra se poursuivre au-delà de la période néonatale. Il s’agit d’un contrat moral qui engage l’équipe soignante à organiser le suivi et la prise en charge de l’enfant et de sa famille. À l’opposé, la probabilité de survie sera d’autant plus faible que les risques de séquelles sévères sont importants et que les traitements seront considérés comme une obstination déraisonnable par les parents et les soignants.

 

Le sentiment d’un temps hors contrôle peut être difficile à accepter par l’équipe médicale. Pour les autres soignants et pour les parents, au contraire, cette incertitude contribue clairement à faire de ce temps, un temps de vie plutôt qu’une attente de la mort, un temps pour s’engager dans un réel projet de soins privilégiant la relation, le confort et la qualité de vie.

Formation des soignants et cohésion de l’équipe

Permettre aux parents qui le demandent d’être les partenaires des décisions implique une information loyale. Cette information sur le pronostic ne doit pas être le jugement d’une personne, mais le fruit d’une réflexion collégiale (parce que la définition de la sévérité, l’incapacité attendue et encore plus l’appréciation de la qualité de vie sont éminemment subjectives). Hormis certaines situations extrêmes et rares qui laissent peu de place à l’incertitude pronostique, ces discussions d’équipes, lorsqu’elles permettent l’expression libre de tous les avis, qu’ils soient médicaux ou non, mettent en évidence combien les appréciations pronostiques divergent. La même diversité d’appréciation et d’acceptation du risque s’observe chez les parents.

Cette réflexion d’équipe implique l’acceptation d’un débat contradictoire, dont les enjeux sont de mettre en évidence les éléments potentiels de tension et l’expression des désaccords. La décision — contenu de l’information faite aux parents — se prend par consensus, et doit être acceptable par tous. Chacun partage le poids de la décision et en assume la responsabilité.

Dans ces conditions habituelles d’incertitudes, la poursuite des traitements et investigations à visée curative ou les soins palliatifs excluant l’ensemble des traitements curatifs apparaissent bien souvent à l’équipe soignante et aux parents comme inappropriés. C’est naturellement alors que se négocie avec les parents et en alliance avec l’équipe soignante, un projet de soins « proportionnés » associant soins de confort et certains traitements curatifs, qui tiennent compte de la singularité de chaque situation. Ce type de projet, loin de remettre en cause l’intentionnalité des soins palliatifs, permet aux parents de ne pas sentir leur enfant comme « abandonné » par l’équipe soignante, mais au contraire de le voir respecté dans sa dignité d’être humain : il favorise l’expression des liens parentaux et en fait un vrai temps de vie dans la rencontre et l’attachement mutuel. Ce projet implique d’accepter le principe d’un temps partiellement hors contrôle, et exige l’engagement moral de l’équipe soignante d’accompagner la famille dans le cadre d’une alliance durable qui vise au bien être de l’enfant.

Il est certain que l’ensemble du processus requiert une formation spécifique de l’ensemble de l’équipe soignante. Mais il a le mérite, en outre, d’assurer la cohésion de l’équipe dans ces situations émotionnellement lourdes et potentiellement conflictuelles. La première étape de cette formation est de faire découvrir qu’il y a du « sens » à mettre en œuvre des soins palliatifs pour un nouveau-né, comme pour toute autre personne, pour en préserver, dans sa fin de vie, l’image et le souvenir. Par ailleurs, la formation spécifique des soignants à l’évaluation de l’inconfort et à sa prise en charge est un autre pré requis. Il faudra apprendre aux équipes à évaluer et à soulager la douleur, dont les symptômes peuvent être difficiles à repérer, notamment chez les enfants porteurs de lésions cérébrales. Enfin la place des parents dans les décisions et l’élaboration du projet de soins impliquent une réflexion sur leur accompagnement. L’équipe doit être formée à l’écoute et apprendre à faire face, tout en se préservant.

La poursuite d’une grossesse, un temps pour rien ?

La mort que chacun connaîtra un jour est toujours sidérante quand elle touche un enfant. Vouloir laisser cette mort à sa place, sans anticipation, permet un cheminement intérieur face à la courte destinée de l’enfant, qu’il soit à naître ou juste né.

C’est accorder à cet enfant sa dignité d’être humain, déjà inscrit dans une lignée familiale. Prendre le temps de son accompagnement redonne de la valeur au présent à vivre, dans un quotidien de parents, avec la certitude d’avoir tout fait pour lui. Sans acharnement, ni souffrance imposée à l’enfant, cette démarche manifeste respect et attention face à l’aléa de la vie qui peut toucher toute personne, à chaque instant.

C’est un vrai chemin d’humilité et d’humanité qu’il est impossible de vivre seuls mais qui prend tout son sens dans la rencontre avec l’autre.

Face à ce terrible désordre de la vie, l’accompagnement d’un petit d’homme permet alors de connaître l’accomplissement d’une vie, avant que la mort n’impose sa douloureuse séparation : « La douce tristesse du souvenir fait du bien et du mal à la fois, entraînant avec elle un tourbillon de moments de bonheur ressuscité face au vide de l’absence […] J’ai toujours perçu ces moments comme des alertes, des conseils et des messages d’amour qui prolongent la vie au-delà de la vie conférant à nos morts l’immortalité du cœur. Ils sont faits pour nous rappeler la fragilité du bonheur, la vanité des choses et la force de l’essentiel […].

 

Donner du sens à la mort revient inévitablement à donner du sens à la vie. C’est l’évident paradoxe de cette obscurité finale qui éclaire l’existence. C’est au bout du chemin seulement que l’on peut saisir le cheminement lui-même » [24].

 

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[11] Hanus M. — La mort d’un enfant, Vuibert, 2007, Coll Espace Ethique, p. 9.

[12] De Mezerac I. — Les pratiques autour du fœtus ou de l’enfant mort, in THIEL M.J. (dir), Quand la vie naissante se termine, P.U.S., 2010, p. 439-447.

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[19] De Mezerac I., Jacquemin D., Storme L. et al — L’accompagnement des parents, face à la fin de vie de l’enfant à naitre ou du nouveau-né. Place du bénévolat en maternité et en réanimation néonatale ? Rev. Méd. Périnat. , 2010, 2, 77-83.

[20] www.spama.asso.fr [21] Sirol F. — Le refus maternel d’interrompre la grossesse. Ethique médicale, éthique maternelle, la part du psychiatre. Med. Fœtale Echo. Gynecol ., 2000, 41 , 29-35.

[22] Betremieux P. — Soins palliatifs aux nouveaux-nés : une réponse aux questions posées par le diagnostic anténatal ? Congrès SFAP. Nantes 2008.

[23] Voyer M. — Évolution, des années 1960 aux années 2000, de la réflexion éthique en médecine périnatale. J. Pediatr. Puericult ., 2003, 16, 159-64.

[24] Leonetti J. — A la lumière du crépuscule, Ed Michalon, 2008 p. 17-18.

DISCUSSION

M. Yves VILLE

L’accompagnement palliatif post-natal est une démarche admirable qui reste basée le plus souvent sur une incertitude du pronostic final ou en tous cas du délai de survie de l’enfant. La prise en charge pré-natale est donc rendue délicate par l’assurance souvent incomplète que les parents aient bien compris ces éléments d’une part, et par la prise en charge du travail et de l’accouchement quand survient une souffrance fœtale. La médecine fœtale et périnatale est volontairement nataliste, encourageant les couples touchés vers un futur meilleur. Quelle est votre expérience de l’avenir comparé des couples ayant vêcu un deuil périnatal dans ce contexte et dans le cadre d’une interruption médicale de grossesse ?

À notre connaissance, aucune étude comparative n’a encore été menée. Il est donc difficile de répondre de manière scientifique à la question. Pour autant, on peut dire que les parents ayant vécu un accompagnement de leur enfant ne connaissent pas la part de culpabilité souvent éprouvée au détour d’une IMG et semblent rentrer plus facilement dans le processus de deuil. À ce jour, nous ne connaissons pas de parents, ayant fait le choix de cet accompagnement, qui l’aient regretté après le décès de leur enfant. Au contraire, la naissance et la rencontre de leur enfant les ont confortés dans cette décision prise en anté-natal.

M. Jean DUBOUSSET

Je trouve le mot « palliatif » particulièrement mal choisi : palliatif de quoi ? de la vie ? de la mort ? Pourquoi ne pas garder le mot accompagnement et faire disparaître le mot palliatif de toutes les instances administratives et hospitalières non seulement en France mais aussi en Europe ?

L’adjectif palliatif signifie en terme médical : « qui atténue les symptômes d’une maladie sans agir sur sa cause » (cf Le petit Robert). Il a donc toute sa place dans la qualification des soins dispensés quand la maladie décelée est d’emblée reconnue comme létale ou comme ayant atteint un seuil de non curabilité. Il vient donc préciser la finalité de ces soins, sans pour autant évacuer la place de l’accompagnement, dans toutes ses dimensions. Les deux notions sont totalement imbriquées l’une dans l’autre et font partie intégrante du projet de vie mis en œuvre autour de la personne concernée.

Mme Marie-Thérèse HERMANGE

Ne croyez-vous pas que le terme de soins palliatifs est inapproprié et qu’il convient de parler d’une démarche d’accompagnement ? Ne convient-il pas d’offrir systématiquement une démarche d’accompagnement à tout parent au moment de l’annonce du handicap ? L’Académie nationale de médecine ne pourrait-elle pas en faire une proposition ?

Face à l’annonce prénatale d’une maladie ou d’un handicap potentiellement létal pour l’enfant à naître, la démarche d’accompagnement permet aux parents de redonner du sens à la douloureuse situation qu’ils vivent auprès de cet enfant attendu. C’est pour cela qu’il conviendrait effectivement de la proposer et de l’expliquer à tout parent confronté à ce drame, après en avoir mesuré personnellement l’importance.

 

<p>* Service de réanimation néonatale, Hôpital Jeanne de Flandre, 59037 Lille cedex, laurent.storme@chru-lille.fr ** Bénévole d’accompagnement, présidente de l’association SPAMA (Soins Palliatifs et Accompagnement en Maternité), 18, chemin de la Vacquerie, 59170 Croix, contact@spama.asso.fr Tirés à part : Professeur Laurent Storme, même adresse Article reçu le 18 mai 2010, accepté le 31 mai 2010</p>

Bull. Acad. Natle Méd., 2010, 194, no 6, 879-890, séance du 1er juin 2010