Communication scientifique
Séance du 1 juin 2010

Asphyxie périnatale et paralysie cérébrale : implications médico-légales

MOTS-CLÉS : acidose/ embryologie, asphyxie néonatale/complications, césarienne/effets indésirables, hypoxie fœtale, obstétrique/législation et jurisprudence, paralysie obstétricale, paralysie/ congénital, responsabilite légale.
Perinatal asphyxia and cerebral palsy : medicolegal implications
KEY-WORDS : asphyxia neonatorum/complications. fetal hypoxia.

Claude Racinet *, Pascale Hoffmann.

Résumé

Au cours des trente dernières années, la pratique obstétricale s’est notablement modifiée (monitorage fœtal systématique perpartum, augmentation importante du taux de césarienne,) dans le but de prévenir l’asphyxie périnatale et tout particulièrement sa fraction perpartum. Mais l’amélioration des paramètres néo-natals ne s’est pas accompagnée d’une évolution parallèle du taux de paralysie cérébrale qui est resté stable autour de 2 ‰ au cours des trente dernières années. De fait, les causes de la paralysie cérébrale sont très majoritairement anténatales, ce qui explique l’échec de la technologie perpartum censée prévenir ce risque, de même que celui de la césarienne préventive. A partir de l’analyse exhaustive de la littérature des trente dernières années, des critères ont été proposés pour pouvoir établir une éventuelle relation causale entre une asphyxie aiguë perpartum et une paralysie cérébrale : des études en population ont démontré que cette relation était très minoritaire. Mais l’obstétrique est une discipline qui est tout particulièrement soumise à une inflation des primes d’assurance pour faire face à une sinistralité néonatale, très souvent attribuée à une mauvaise gestion de l’accouchement, en particulier pour le cas de la paralysie cérébrale, à un défaut ou une réalisation trop tardive d’une césarienne. L’expertise périnatale judiciaire est encore trop souvent basée sur des notions devenues obsolètes. Une réforme de l’expertise s’impose mais sera probablement inefficiente tant qu’elle se contentera d’améliorer les problèmes uniquement structurels en amont de l’expertise. Le modèle américain, initié par les neurologues et adopté par de nombreuses disciplines s’avère séduisant pour tous, y compris avocats et magistrats : il consiste à vérifier le caractère éthique des expertises contestées par les parties qui les saisissent et à en tirer éventuellement des conséquences sur le plan professionnel.

Summary

Over the last 30 years, improvements in obstetric practice (systematic fetal perpartum monitoring, Caesarean section, etc.) have markedly reduced the incidence of perinatal asphyxia, especially in the perpartum period. Yet the incidence of cerebral palsy has remained stable, at around 2 per 1000 live births, owing to the fact that this disorder is generally due to antenatal factors. Population-based studies have further demonstrated that acute perpartum asphyxia is a rare cause of cerebral palsy. Obstetrics is a discipline particularly subject to insurance claims, often because of late use or non use of Cesarean section. Perinatal judicial expertise is too often based on obsolete notions. Reform is necessary, focusing on upstream structural problems. The American model initiated by neurologists and adopted by many other disciplines should be widely adopted, including by lawyers and magistrates. It involves verifying the ethical character of the expertise challenged by the injured party, and drawing conclusions for professional practice ?

DE QUOI PARLE-T-ON ?

La paralysie cérébrale est un terme universel qui inclut les appellations françaises d’Infirmité motrice cérébrale (sans troubles intellectuels associés) ou IMC et d’Infirmité motrice d’origine cérébrale ou IMOC.

La paralysie cérébrale de l’enfant (PC) est un syndrome complexe aux multiples aspects cliniques et étiologiques, associé à divers facteurs de risque, et dont la définition a été souvent révisée. La définition la plus actuelle a été proposée par Bax et al. en 2005 [1] : c’est un groupe de troubles du développement de la motricité (des mouvements et des postures), entraînant une limitation de l’activité, qui sont attribués à des perturbations non progressives qui surviennent lors du développement du cerveau fœtal ou infantile. Les troubles moteurs sont souvent accompagnés de troubles sensitifs, cognitifs, de la communication, de la perception et/ou du comportement et/ou de crises épileptiques.

Ce syndrome a été initialement décrit par William John Little, orthopédiste londonien, qui en attribuait la cause essentielle (outre la prématurité) aux complications de l’accouchement conduisant à l’asphyxie pernatale [2]. En fait, d’autres causes survenant dès la conception ou au cours de la grossesse peuvent être en jeu.

L’asphyxie désigne étymologiquement l’arrêt du pouls mais plus habituellement le manque d’oxygène conduisant à un arrêt imminent de la vie [3]. En pratique, on rencontre plus souvent une hypoxie c’est-à-dire une réduction plutôt qu’un manque total d’apport d’oxygène.

 

Une hypoxie périnatale par définition peut survenir à partir de la viabilité théorique du fœtus soit 22 semaines d’aménorrhée (SA) jusqu’à la fin de la première semaine de vie, incluant donc la période de l’accouchement, estimée à risque plus élevé d’hypoxie aiguë.

Cependant il faut souligner que la confusion continue à régner du fait de l’utilisation persistante du concept de « souffrance fœtale aiguë » (SFA), pourtant supprimé de la nomenclature des maladies depuis 1998 (CIM 9). Ce terme était estimé trop imprécis et conduisait à des diagnostics par excès du fait de l’assimilation abusive avec le concept plus restrictif et plus précis d’asphyxie aiguë perpartum.

Cette utilisation du terme de SFA par les praticiens était et malheureusement est encore souvent — la règle devant la moindre anomalie de l’état fœtal lors de l’accouchement ou de l’état de l’enfant à la naissance, notamment des anomalies du rythme cardiaque fœtal. Elle équivalait à la reconnaissance implicite de la responsabilité obstétricale en cas de problèmes neurologiques post-natals, et le diagnostic suivait définitivement l’enfant dans son carnet de santé, sans remise en cause d’une origine présumée asphyxique, même en l’absence des critères objectifs qui seront développés plus loin.

LES CONSTATS EPIDEMIOLOGIQUES : LA BAISSE DE L’ASPHYXIE PERINATALE ET DE L’ENCEPHALOPATHIE ANOXO-ISCHEMIQUE MAIS LA STABILITE DE LA PC

La politique française de rationalisation des choix budgétaires avait en 1971 décidé de réagir devant des données périnatales et de morbidité neurologique peu satisfaisantes, avec l’objectif affiché de réduire de 50 % la mortalité périnatale ainsi que la paralysie cérébrale (PC). Pour cela, la principale pratique obstétricale recommandée a été la généralisation progressive du monitorage cardiaque fœtal (RCF) lors des accouchements, censé dépister la « SFA » et de ce fait induire des conduites adaptées pour en éviter les conséquences.

La mortalité périnatale a de fait rapidement chuté et l’objectif principal a été atteint dans un délai remarquable de neuf ans. Si la corrélation apparaît indiscutable, la relation causale entre développement du monitorage fœtal et baisse régulière de la mortalité périnatale n’a cependant pas été vérifiée par la méta-analyse de Graham [4, 5].

Ainsi, de façon a priori surprenante, le taux de PC est resté sans variation significative au fil du temps…. Et ceci malgré une augmentation spectaculaire du taux de césarienne passé de 5 % dans les années 70 à plus de 20 % en 2008, suivant ainsi l’évolution de tous les pays du monde sans exception.

De fait, le constat de cette stabilité du taux de PC (tout au moins pour la fraction des enfants nés à terme ou proches du terme) est général et touche aussi bien les pays développés que les pays en développement, où la surveillance du travail n’est souvent pas optimale, ce qui sous-entend que la qualité des soins périnatals intervient peu dans la prévalence des PC [6].

En France, les données du Registre du Handicap de l’Enfant (RHEOP) démontrent une stabilité des taux allant respectivement de 1,6 ‰ à 1,7 ‰ pour les enfants nés en 1980 et en 2000 [7]. Clark et Hankins [6] ont démontré que la stabilité du taux de PC ne traduisait pas une baisse chez les naissances à terme (effet supposé de l’efficacité du RCF pour la prévention des PC) masquée par une augmentation des PC chez les prématurés du fait de leur meilleure survie. Cet argument a été invalidé par la baisse déjà ancienne des PC chez les prématurés survenue avant la généralisation du monitorage fœtal.

Enfin, les études en population basées sur des critères standardisés, démontrent que l’association PC-Asphyxie fœtale aiguë per-partum, n’est pas aussi fréquente qu’on le croyait et qu’elle se situe à un niveau <5 % [11, 12].

Cependant cette stabilité du taux de PC n’apparaît pas — au premier abord — compatible avec la baisse des marqueurs d’asphyxie et d’encéphalopathie postasphyxique. Cette discordance s’explique en fait par une meilleure définition de ces marqueurs (conformément à la suppression du concept de SFA) revus à la baisse et une meilleure identification des causes non asphyxiques revues à la hausse.

L’asphyxie périnatale avait de tous temps été pointée comme étant une importante cause de mortalité et morbidité périnatales. Dans le rapport 2009 du RHEOP, on constate que la mortinatalité spontanée est restée stable allant de 3,4 ‰ naissances en 1988 à 3,7 ‰ en 2008 [7], mais que la part des décès perpartum après 27 SA a chuté de façon très significative de 23 % à 6 %.

L’étude en population faite en Californie sur plus de 5 000 000 de nouveau-nés de 1991 à 2000 a porté sur les cas d’asphyxie à la naissance et a démontré une réduction drastique de 91 %, le taux passant de 14,8 à 1,3 pour 1 000 naissances vivantes. Ce résultat suggère une implication restreinte de cet item dans la genèse d’une PC dont le taux est resté stable en Californie pendant la même période [8].

L’encéphalopathie néo-natale, intermédiaire obligatoire entre asphyxie fœtale avé- rée et paralysie cérébrale, a longtemps été qualifiée par le terme hypoxo-ischémique (EHI), sa genèse étant historiquement considérée d’origine asphyxique quasi exclusive. Graham et al. ont estimé que, dans une méta analyse observationnelle colligeant 386 enfants dont le pH néonatal était <7,00, on observait 17,2 % d’encéphalopathie néonatale présumée post-asphyxique mais sur des critères très hétérogènes et de spécificité discutable.[9]. Les données ne permettent aucune hypothèse sur l’évolution dans le temps. Or, la baisse régulière de l’EHI a été constatée par Smith [10] dans une population homogène de 75 000 enfants nés à terme de 1976 à 1996 en Grande-Bretagne : le taux s’abaisse de 7,7 ‰ à 4,6 ‰ puis à 1,9 ‰ naissances vivantes, alors que le chiffre de PC après EHI est respectivement de 2, 1, et 2.

En résumé, on surveille de mieux en mieux les accouchements par le monitorage fœtal, on fait — en partie de ce fait — de plus en plus de césariennes, on observe certes une amélioration de la morbidité perpartum et néonatale, mais on a toujours autant de PC… qui par ailleurs est reconnue comme étant un mauvais marqueur de la qualité des soins obstétricaux. Cette stabilité désespérante permet d’évoquer que la PC, sauf rares exceptions, est une pathologie liée au développement, d’autant que nos efforts de prévention sont très majoritairement mis en échec [13].

LES CRITÈRES DE LA RELATION CAUSALE PARALYSIE CÉRÉBRALEASPHYXIE AIGUË PERPARTUM

Dès 1992, le Collège américain des gynécologues-obstétriciens (ACOG) avait établi des critères permettant de confirmer que, en présence d’une asphyxie fœtale aiguë per-partum, celle-ci était suffisamment intense pour expliquer la survenue d’une PC.

Il faut bien reconnaître que ce travail est resté sans grand impact et n’a pas eu le retentissement des conférences ultérieures : celle de la Task Force on Cerebral Palsy en 1999 [14] et celle de l’ACOG en 2003 rédigée en collaboration avec l’Académie américaine de Pédiatrie (AAP) [15]. Ce dernier rapport, qui a fait une analyse exhaustive de toutes les publications des vingt-cinq dernières années, représente le niveau de preuve le plus élevé (niveau de preuve 2, recommandations de grade B) de la littérature et reste toujours d’actualité, bien que certains critères soient à complé- ter ou à préciser.

Cette dernière conférence, préparée en amont par la sous-commission de Neuropé- diatrie de l’Académie américaine de Neurologie, a reçu l’appui d’institutions sanitaires prestigieuses (Center for Disease Control, March of Dimes Birth Defects Foundation, National Institute of Child Health and Human Development,…). La Société américaine de Neuro-pédiatrie en a fait une recommandation forte pour ses membres et en France le Collège National des Gynécologues-obstétriciens français (CNGOF) a inclus ces critères dans les Recommandations pour la pratique clinique sur la surveillance fœtale pendant le travail en 2008 [16] Lorsqu’un enfant est atteint de PC, il est fréquent d’avoir à réexaminer le dossier à l’occasion d’une plainte en recherche de responsabilité. Il est habituel que la plainte s’appuie sur des signes de « SFA » reposant sur l’interprétation du RCF dont on connaît le nombre élevé de faux positifs donc la valeur prédictive médiocre pour prédire une PC [17].

Si un évènement potentiellement hypoxémiant est repéré, il est alors recommandé d’utiliser les critères de l’ACOG-AAP pour vérifier si cet évènement est suffisamment intense pour être susceptible d’être à l’origine de la PC. Ces critères sont classés en deux groupes : quatre critères essentiels car tous indispensables pour affirmer cette possibilité puis cinq critères dits non spécifiques.

La première étape consiste à vérifier si les quatre critères essentiels sont présents avant que l’on puisse considérer qu’une hypoxie intra partum puisse être la cause d’une PC :

— La PC doit être de type quadriplégie spastique ou dyskinétique (ce qui exclut les hémiplégies, monoplégies et diplégies strictes).

— L’enfant a présenté une encéphalopathie néonatale précoce (<24h.) de grade modéré ou sévère, pour les enfants nés à terme ou proches du terme (>34 SA).

— Il existait à la naissance une forte acidémie (pH<7.00) due à une composante métabolique (Déficit de base >12mMol/l) — Il n’y a pas d’autres causes identifiables de PC (traumatisme, troubles de la coagulation, infections, maladies génétiques,…).

Si un seul des quatre critères essentiels n’est pas présent, cela fournit une preuve très forte que l’hypoxie intra partum n’est pas la cause de la PC.

Quand les quatre critères essentiels sont présents, et seulement alors, il devient important de déterminer si l’hypoxie est attribuable soit à une hypoxie chronique ou intermittente établie de longue date (plusieurs jours voire plusieurs semaines) avant l’accouchement ou s’il s’agit d’une hypoxie aiguë survenue pendant le travail chez un fœtus préalablement sain.

La deuxième étape consiste donc à examiner le deuxième groupe de cinq critères qui suggèrent collectivement une origine intra partum.

À l’exception du premier critère (événement sentinelle hypoxémiant) les quatre autres critères décrits (anomalie marquée du RCF, score d’Apgar I 3 à 5 min et au-delà, installation d’une défaillance multiviscérale dans les 72h, imagerie céré- brale précoce en faveur d’une atteinte aiguë non focalisée) ne sont pas, chacun pris isolément, spécifiques d’une asphyxie aiguë intra-partum. La présence des cinq critères en totalité n’est d’ailleurs pas nécessaire pour établir la relation entre hypoxie et paralysie cérébrale, et certains [11] précisent que les trois premiers sont suffisants.

A contrario, le rapport ACOG-AAP précise que la présence de certaines données (un RCF normal ou proche de la normale, un bilan d’Apgar J7 à 5 min, une IRM incompatible avec une hypoxo-ischémie récente,…) permet d’exclure la survenue d’un évènement dommageable pendant l’accouchement.

EN RÉSUMÉ — L’asphyxie fœtale peut être le mécanisme responsable d’une PC sous certaines conditions d’intensité et de durée suffisantes d’une part et, de susceptibilité cérébrale d’autre part, en relation avec le degré de maturation cérébrale.

La présence des marqueurs intermédiaires que sont une acidose métabolique sévère et une encéphalopathie néonatale modérée ou sévère (lesquels sont très sensibles mais non spécifiques) est obligatoire pour retenir un lien causal [19]. Si la recherche d’une étiologie non asphyxique identifiable est positive, l’hypothèse asphyxique n’est plus retenue tout au moins de façon prioritaire.

— Si les quatre critères essentiels sont retenus, l’hypothèse asphyxique peut être alors confirmée (mais non déduite).

Si tel n’est pas le cas, l’étude des critères du deuxième groupe n’est plus nécessaire, l’identification de l’étiologie de la PC devant s’orienter vers la recherche de causes non asphyxiques (en général anténatales).

— Finalement si l’asphyxie perpartum aiguë est rejetée, il devient alors très secondaire de s’intéresser au RCF, puisque ses anomalies (très fréquentes) ne peuvent pas être liées à une cause asphyxique entièrement responsable ou, au pire, d’intensité insuffisante pour pouvoir générer une PC. Par exemple Nelson et Perlman ont bien démontré qu’une bradycardie fœtale sévère ne prenait toute sa signification péjorative que si elle était suivie d’une sévère dépression néonatale dont témoigne l’acidose métabolique [17, 18].

LA RÉALITÉ JUDICIAIRE ET SES CONSÉQUENCES SOCIO-ÉCONOMIQUES

Négligence professionnelle, dommage cérébral et relation causale

Il persiste encore dans le public, et même chez les professionnels de santé, la croyance très répandue que la PC résulte essentiellement des évènements qui ont émaillé les quelques heures de durée d’un accouchement, alors que l’on oublie facilement les sept mille heures de durée moyenne de la grossesse, souvent cliniquement silencieuses il est vrai [20]. On peut regretter que la lecture histopathologique du placenta, véritable boîte noire de la grossesse, soit encore trop souvent négligée, alors qu’elle témoigne de cette importance des altérations materno-fœtales tout au long de la grossesse dans la genèse de la PC, de même que l’imagerie cérébrale parfois probante.

L’asphyxie perpartum est donc souvent suspectée en cas de PC, ce qui conduit à une plainte des parents d’un enfant atteint qui invoquent un retard de décision médicale lors de l’accouchement. C’est la qualité des soins, jugée par rapport aux recommandations professionnelles, qui tient souvent lieu d’argument péremptoire pour affirmer un lien de causalité avec le dommage cérébral observé. Il faut reconnaître que cette qualité des soins est souvent jugée sévèrement, car il est difficile de s’affranchir du biais d’information sur l’issue post-natale auquel sont soumis les experts.

Ainsi une démarche expertale encore fréquemment relevée consiste à rechercher prioritairement une anomalie soit dans le déroulement du travail soit dans le RCF, et/ou un retard à la décision d’extraction fœtale en faisant l’hypothèse qu’elles sont à l’origine d’une PC via une asphyxie fœtale ; mais on néglige trop souvent l’étude objective des liens de causalité (= 4 critères essentiels). Il faut également reconnaître que cette démarche est souvent induite par le libellé de la mission établie par les magistrats qui inverse les priorités et pointe en premier lieu la recherche d’une mauvaise pratique. Il faut admettre que celle-ci est parfois bien réelle par référence aux recommandations professionnelles en vigueur à l’époque des faits, mais est-elle responsable de la PC ? Y a-t-il ou non un lien de causalité qui relie la pratique estimée incorrecte et le dommage que constitue la PC [21] ?

Le problème réside dans le fait que la cause asphyxique perpartum est souvent retenue sans argumentation scientifiquement étayée et qu’un réexamen approfondi des dossiers litigieux retrouve dans la majorité des cas une cause bien antérieure à l’accouchement, et ceci en accord avec les données neuro-épidémiologiques. Dans notre expérience personnelle, nous avons réexaminé quatorze dossiers de PC entre 2001 et 2007, qui avaient été attribués à une « souffrance » fœtale aiguë : treize d’entre eux étaient en réalité liés à des pathologies malformatives, métaboliques ou placentaires [22].

La crise de l’obstétrique libérale

La crise qui se développe depuis plusieurs années dans l’obstétrique libérale est universelle. Le coût des primes d’assurance des obstétriciens est environ le décuple de celui des autres spécialités médicales, car les indemnités allouées aux enfants atteints de PC sont très élevées. de l’ordre de cinq à septM, sans compter les réévaluations qui s’étalent sur une vingtaine d’années et peuvent entraîner un triplement de ces indemnités.

En fait, la raison essentielle des plaintes envers les obstétriciens réside dans des évènements qui surviennent avant l’accouchement, véritables aléas de la vie, à l’origine du handicap physique et mental des enfants atteints de PC, situation qui n’a pas d’équivalent dans les autres spécialités [21]. Il est indiscutable que bon nombre d’obstétriciens ont été condamnés par défaut pour une « souffrance fœtale aiguë » jugée responsable des lésions cérébrales de l’enfant, sans que des signes objectifs d’asphyxie aient été formellement identifiés sur la base de données factuelles.

« WHO WILL DELIVER OUR GRANDCHILDREN » [23] ?

L’évolution démographique inquiétante de l’obstétrique libérale s’est déjà manifestée aux USA et en Australie et atteint irrémédiablement la France.

Les obstétriciens expertisés (responsables ou non), parfois victimes d’expertises à charge [24], se désengagent de la pratique de la salle d’accouchement par crainte d’un nouveau procès, d’autre les rejoignent du fait du plafonnement assurantiel qui ne les protège pas suffisamment des risques d’une condamnation civile et pour se consacrer à des activités moins stressantes et moins risquées sur le plan judiciaire.

Certaines associations d’usagers de l’Obstétrique en prennent conscience et s’en émeuvent.

Face à cette évolution, un certain nombre de propositions on été faites notamment aux USA et en Australie et ont été adaptées au contexte français [25] :

— La proposition d’une « déjudiciarisation » des plaintes pour PC a été avancée (no-fault system), toujours aux USA et en Australie : cette proposition est basée sur le constat que la PC n’est pas ou peu accessible à la prévention et que son origine est essentiellement congénitale ou anténatale, mais aussi que ce traitement spécifique économiserait des procès coûteux et stressants pour toutes les parties, au détriment de l’industrie florissante qui gravite autour des procès pour PC.

— Au niveau de l’expertise, une action de formation des experts, déjà initiée par le CNGOF depuis 2007, diffuse les recommandations et notamment les critères vus plus haut, et cette action porte indiscutablement ses fruits, et devient visible dans une amélioration indiscutable de la qualité scientifique des expertises. Cette action devrait également se porter vers les magistrats pour leur inculquer des principes concernant l’évaluation de la force probante de l’expertise (déjà initiée aux USA par l’introduction de critères visant à définir la réalité scientifique de la preuve, connues sous le nom de critères Daubert).

— Mais il n’en demeure pas moins que certaines expertises ne sont pas toujours acceptables. L’Académie américaine de Neurologie, suivie par d’autres disciplines dont l’ACOG, a estimé que in fine c’était les professionnels qui étaient les mieux à même d’évaluer le rapport d’expertise, considéré comme une activité médicale à part entière [26]. A cet effet a été créée une Commission de Recours, saisie par les parties mécontentes de la qualité de l’expertise, chargée d’évaluer la qualité scientifique de celle-ci et de proposer soit un rejet de la demande, soit une censure voire une exclusion de l’expert contesté de l’organisation professionnelle.

CONCLUSION la PC reste un sujet préoccupant du fait de sa prévalence stable, insensible aux actions qui tentent d’écourter voire de court-cuiter le travail d’accouchement. Il paraît indispensable d’approfondir les recherches périnatales pour identifier les causes d’un grand nombre de cas catalogués « cause inconnue » ou par défaut « asphyxie périnatale ». L’avenir réside certainement, dans une perspective de géné- tique clinique, dans l’identification de nouvelles pathologies par l’apport conjoint de la protéomique et de la métabolomique [27, 28].

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DISCUSSION

M. Bernard LECHEVALIER

Pourquoi n’avez-vous pas laissé une place à la neuropathologie dans la classification des accidents néo-nataux que vous nous avez présentée ? Les traités classiques de neuropathologie consacrent généralement un chapitre à ce domaine (Greenfield) néonatologique.

La paralysie cérébrale est un syndrome qui rassemble divers types de pathologies (malformations, inflammation, nécrose post-anoxo-ischémique, traumatismes, complications thrombo-emboliques…) agissant sur un cerveau encore très immature. Sa connaissance évolue rapidement avec les progrès de l’imagerie cérébrale, qui dépasse les connaissances anatomiques et topographiques et aborde les mécanismes physiopathologiques. Mais la neuropathologie, qui a fourni un cadre au classement des lésions céré- brales, n’est pas opérationnelle dans le domaine que nous avons abordé, puisque nous ne pouvons utiliser des prélèvements biopsiques sur le vivant.

M. Jacques BATTIN

Dans ma pratique pédiatrique, j’ai rencontré des cas d’hémiplégie et de syndrome de Little avec un développement normal de l’intelligence, mais sans aucun antécédent néo-natal d’asphyxie, de mauvais Apgar ou de défauts métaboliques. Comment en comprendre la cause ?

L’hémiplégie n’entre pas dans le cadre séméiologique de la paralysie cérébrale secondaire à une asphyxie périnatale, mais doit faire évoquer une pathologie thrombo-embolique en période périnatale, période à haut risque de ce type de complication. Rétrospectivement, il faut rechercher l’existence d’une vasculopathie thrombotique fœto-placentaire (si par chance le placenta a été examiné), qui illustre bien le point de départ des thrombi cérébraux. Quant au syndrome décrit par Little, il me semble qu’il s’agissait essentiellement de diplégie spastique secondaire à une leucomalacie périventriculaire, dont on connaît la fréquence après la grande prématurité. Dans les deux cas, il n’y a aucune relation avec une anoxie du travail et il n’est donc pas étonnant d’avoir un score d’Apgar en général non déprimé.

 

<p>* Registre du Handicap de l’Enfant, 23 Boulevard Albert 1er de Belgique, 38000 Grenoble Tirés à part : Professeur Claude Racinet, 189, Chemin de l’Enclos, 38320 Brié et Angonnes, email : claude.racinet@orange.fr Article reçu le 27 avril 2010, accepté le 31 mai 2010</p>

Bull. Acad. Natle Méd., 2010, 194, no 6, 891-901, séance du 1er juin 2010