Résumé
La chirurgie des cancers épithéliaux tend à devenir une chirurgie sur mesure : excision large de la tumeur primitive et contrôle focalisé des ganglions lymphatiques régionaux. Pour le cancer du col utérin une telle stratégie est applicable. C’est celle qui combine la lymphadé- nectomie pelvienne faite sous cœlioscopie et la « trachélectomie élargie » qui est une variante de la classique hystérectomie vaginale élargie ou opération de Schauta et ne s’en distingue que par le fait que l’utérus est divisé juste au-dessous de l’isthme utérin qui est ensuite anastomosé au fourreau vaginal. Une série personnelle de 82 cas recueillis entre 1987 et 2000 est rapportée. Le nombre des rechutes est de trois. Elles ont toutes été observées dans le sous-groupe des 21 patientes atteintes d’un cancer du col de diamètre égal ou supérieur à deux centimètres. Parmi les 38 opérées désirant et pouvant devenir enceintes, 29 y sont parvenues. Parmi les 47 grossesses enregistrées 35 ont évolué au-delà de la 14e semaine et 27 se sont terminées par la naissance au voisinage du terme d’un enfant vivant.
Summary
Surgery for epithelial cancer is more and more getting a tailored surgery : wide local excision of the primary and focused retrieval of the regional lymph nodes. As far as cancer of the cervix is concerned such a strategy is avoidable : laparoscopic pelvic lymphadenectomy and radical trachelectomy. This operation is a variant of the classical Schauta operation. The difference is the uterus is divided underneath the isthmus which is, at the end of the operation, stitched to the vagina. A personal series of 82 cases gathered between 1987 and 2000 is reported. The number of recurrences is three. All of them have been registered in the population of 21 patients who were affected by a cancer two cm or more large. Among the 38 patients who wanted and were able to become pregnant 29 succeeded. Among the 47 registered pregnancies 35 went on after the 14th week and 27 finished with the birth of a living baby.
L’incidence du cancer invasif du col utérin est, en France comme dans tous les pays industrialisés, en constante décroissance depuis le début des années 30. Le diagnostic se fait de plus en plus tôt. Les deux faits sont liés au dépistage. Ils aboutissent à un paradoxe : on voit de plus en plus de cancers chez des femmes qui n’ont pas encore d’enfant et ce d’autant plus que l’âge de la première grossesse a, dans les dernières décennies, nettement reculé. Par chance les cancers qu’on voit aujourd’hui sont, plus souvent qu’autrefois, des cancers au début ou, plus souvent encore, des états précancéreux. Il est admis depuis fort longtemps que les cancers in situ peuvent être traités sans recourir à l’hystérectomie. Une simple conisation suffit à condition que les marges de la pièce opératoire soient libres de tumeur. Il en est de même pour les « cancers in situ avec invasion stromale débutante » et, beaucoup l’acceptent aussi, pour les cancers mesurant moins de 7 mm × 7 mm × 3 mm (Stade IA1).
Au-delà de ce seuil, il est nécessaire de faire une opération radicale mais cette opération peut être une opération « radicale conservatrice ». C’est la trachélectomie élargie (terme préférable à celui de cervicectomie élargie, plus proche de nos habitudes de langage, mais étymologiquement impropre) que nous avons mis au point en 1987 [1] et dont nous entendons ici décrire sommairement la technique et exposer les résultats.
TECHNIQUE
La trachélectomie élargie se fait en deux temps. On commence par une cœlioscopie qui permet d’enlever et d’examiner les ganglions lymphatiques régionaux. La lymphadénectomie concerne à la fois les ganglions situés au contact des vaisseaux iliaques externes et iliaques communs et les ganglions situés dans la racine latérale des paramètres au contact des branches des vaisseaux iliaques internes (ou hypogastriques). Les ganglions en question sont extraits et envoyés au laboratoire où ils sont soit examinés immédiatement (après congélation) soit fixés puis inclus en paraffine avant d’être débités puis colorés pour être examinés ultérieurement.
L’opération radicale conservatrice est à réserver aux femmes dont les ganglions régionaux sont indemnes. En utilisant la première stratégie, on peut faire les deux opérations dans le même temps mais un risque existe de laisser passer une métastase (micrométastase surtout). La deuxième stratégie est plus sûre mais impose d’opérer en deux temps. Dans la série rapportée ici la deuxième stratégie a été suivie dans 49
cas et la première dans 33 cas. Trois cas de faux-négatifs ont été enregistrés (micrométastases ganglionnaires). L’injection d’un colorant vital dans la substance du col utérin, en focalisant l’attention sur le ganglion principal (le ganglion sentinelle), diminue le risque de faux-négatif : c’est la stratégie qui a actuellement notre préférence.
Le deuxième temps de l’opération, la trachélectomie élargie proprement dite, s’exé- cute par la voie vaginale. C’est une transposition de la classique hystérectomie vaginale élargie ou opération de Schauta dans la variante décrite par Stoëckel. Le tiers supérieur du vagin est séparé du tiers moyen et la « manchette vaginale » est saisie dans des pinces adaptées pour être tirée vers le bas. La vessie est séparée du vagin sur la ligne médiane. Les espaces paravésicaux sont ouverts et les piliers de la vessie qui séparent les espaces latéraux de l’espace médian sont identifiés. Les uretères, qui cheminent à l’intérieur des piliers, sont isolés et les artères utérines qui arrivent dans le champ opératoire dans la convexité du « genou » de l’uretère sont identifiées. On ne coupe pas les artères. On passe ensuite à la préparation de la face dorsale : ouverture du cul de sac de Douglas et section des ligaments recto-utérins.
Les faces ventrale et dorsale de la pièce opératoire à venir étant libres, des clamps sont posés sur les paramètres à deux centimètres environ de leur insertion sur le col.
Les paramètres sont coupés, puis les artères et veines cervico-vaginales. La partie haute du col est, à ce moment là, complètement libre. L’utérus est divisé juste en dessous du rétrécissement isthmique.
La pièce de trachélectomie élargie est adressée au laboratoire où on prélève sur la tranche supérieure un spécimen discoïde qu’on examine après congélation. La présence de cellules cancéreuses dans cette tranche est une contre-indication formelle à la conservation. En l’absence d’un tel symptôme, on peut procéder à la reconstruction qui commence par la mise en place d’un cerclage autour de l’isthme utérin, cerclage destiné à faire la prévention des avortements spontanés tardifs et des accouchements prématurés qui peuvent survenir au cours des grossesses consécutives. On ferme ensuite le cul de sac de Douglas en réamarrant l’utérus aux moignons des paramètres et on réalise une anastomose isthmo-vaginale.
RÉSULTATS
Nous avons, entre avril 1987 et septembre 2000, opéré 93 patientes qui étaient candidates à la trachélectomie (tumeur apparaissant, en IRM, développée à distance de l’orifice interne du col et désir de grossesse). Dans 11 cas le projet de conservation a dû être abandonné. Les 82 patientes ayant effectivement bénéficié de l’opération radicale conservatrice avaient de 22 à 43 ans (moyenne 32 ans). La moitié d’entre elles étaient nullipares. Le cancer était de type épidermoïde dans 66 cas et de type glandulaire ou adénosquameux dans 16 cas. La répartition en fonction du stade tel qu’il a pu être défini par l’examen de la pièce opératoire était la suivante (classification de la Fédération Internationale de Gynécologie Obstétrique) : stade
pIA1 13 cas, stade pIA2 (7 mm × 7 mm × 3 à 5 mm) 12 cas, stade pIB1 (plus de 7 mm × 7 mm × 5 mm mais diamètre maximal inférieur à 4 cm) 42 cas, stade pIB2 (diamètre tumoral maximal supérieur à 4 cm mais pas d’atteinte du vagin et/ou des paramètres) 1 cas, stade pIIA (atteinte du dôme vaginal) 7 cas, stade pIIB (atteinte des paramètres) 4 cas et stade pIII (micrométastases dans les ganglions lymphatiques régionaux) 3 cas. Le diamètre tumoral maximum était inférieur à 2 cm dans 61 cas et supérieur ou égal à 2 cm dans 21 cas. La tumeur était accompagnée d’emboles lymphatiques dans 28 cas. Une radiothérapie adjuvante a été délivrée à l’une des patientes atteintes de cancer au stade pIIA et à deux des patientes atteintes d’un cancer au stade pIIB.
L’opération s’est déroulée en moyenne en 163 minutes (92 pour le temps cœlioscopique et 71 pour le temps vaginal). On a enlevé en moyenne 20 ganglions. On a dû donner une transfusion à deux malades. Une laparotomie extrapéritonéale a dû être faite en complément de l’opération pour deux malades à la suite, respectivement, d’une plaie du dôme vésical et d’une plaie de l’uretère. Dans les suites, on a dû reprendre huit malades dont deux dans les premières 24 heures pour un saignement extériorisé par le vagin ou collecté dans le péritoine et six dans les jours ou les semaines suivantes pour évacuation d’une collection hématique, séreuse ou lymphatique. Cette reprise opératoire s’est faite par laparotomie dans quatre cas, par cœlioscopie dans trois cas et par la voie vaginale exclusivement dans un cas. Une transfusion a été donnée à six patientes (2 unités en moyenne). Une phlébite profonde du membre inférieur gauche a dû être traitée.
Le suivi moyen des 82 patientes est de 75,6 mois. Ce suivi a été marqué par quatre événements. Chez une patiente atteinte d’un cancer neuro-endocrine de 15 mm × 10 mm × 14 mm, un cancer bilatéral des glandes surrénales est devenu symptomatique 19 mois après l’opération. Cette patiente est morte en quelques mois. Trois récidives véritables sont survenues 7, 19 et 93 mois après l’opération. La première était une récidive paramétriale ; la patiente est morte 19 mois après l’opé- ration. La seconde était une récidive ganglionnaire iliaque commune ; la patiente est morte 26 mois après l’opération initiale. La troisième était une récidive pelvienne laté- rale ; la patiente est vivante et asymptomatique 71 mois après l’opération initiale. La première et la troisième récidive concernaient des cancers épidermoïdes. La deuxième concernait un adénocarcinome. Le diamètre tumoral était supérieur à 2 cm dans les trois cas. La tumeur était accompagnée d’emboles lymphatiques dans les trois cas.
Concernant la fertilité, les résultats sont consignés dans les Figures 1 et 2. Le nombre total de grossesses observées est de 47. Parmi celles-ci, 43 sont survenues sans assistance médicale, trois ont été obtenues soit par l’insémination intra-utérine du sperme du mari (2 cas) soit par la fécondation in vitro après échec de l’insémination intra-utérine (1 cas) et une spontanément après échec de tentative de fécondation in vitro . Parmi les 47 grossesses, 27 ont évolué normalement jusqu’au voisinage du terme et 20 se sont interrompues soit dans le premier trimestre (12 cas), soit dans le deuxième trimestre (8 cas). Les huit accidents du deuxième trimestre se sont toujours déroulés de la même façon : rupture des membranes aux alentours de la
Nombre d’opérées : 82 4 évolutions secondaires 78 femmes survivantes et en bonne santé 16 femmes non fécondables 14 femmes sous contraception orale 2 femmes irradiées 62 femmes susceptibles de devenir enceintes 21 femmes non déterminées 41 femmes déterminées à devenir enceintes 3 femmes mariées à un homme stérile 38 femmes désirant et pouvant devenir enceintes 9 stérilités 29 femmes devenues enceintes (1 ou plusieurs fois)
FIG. 1. — Nombre d’opérées devenues enceintes dans la série des patientes soumises entre 1987 et 2000 à la trachélectomie élargie.
Nombre de grossesses : 47 12 interruptions de grossesses 8 fausses-couches précoces 3 interruptions légales 1 grossesse extra-utérine 35 grossesses évoluant au-delà de 14 semaines 8 fausses-couches tardives 27 naissances au voisinage du terme
FIG. 2. — Déroulement des 47 grossesses survenues chez les patientes ayant subi entre 1987 et 2000 une trachélectomie élargie.
vingtième semaine, rapidement suivie d’une fièvre éventuellement accompagnée d’une bactériémie (3 cas). Au total, le nombre des stérilités irréversibles a été de 9 sur 38 parmi les femmes désirant et pouvant devenir enceintes. Ce taux est plus élevé que dans la population générale. L’absence de sécrétion cervicale en est la cause, comme en témoignent les trois succès obtenus par l’Assistance Médicale à la Procréation.
Parmi les 29 femmes qui sont devenues enceintes, 21 ont mis au monde un ou plusieurs enfants et 8 n’y sont pas parvenues. Le taux des pertes fœtales, qui est de 8 sur 35 si on ne tient compte que des grossesses évoluant au-delà de la quatorzième semaine, est supérieur à celui attendu : la béance isthmique, l’exposition des membranes et la chorio-amniotite en sont les causes.
DISCUSSION
Après la publication princeps que nous avons faite en 1992 [2] et la première communication que nous avons proférée dans un congrès international [3] plusieurs équipes, dans le monde, ont adopté la trachélectomie élargie. Les équipes de Québec [4], de Londres [5] et de Toronto [6] sont celles qui ont aujourd’hui la plus grande pratique de l’opération. Une session du congrès de la Société Internationale du Cancer Gynécologique (IGCS), qui s’est tenue à Buenos Aires du 22 au 26 octobre 2000, a été consacrée à la question. Nos résultats ont été additionnés aux résultats obtenus par les autres équipes. La série multicentrique comporte 224 observations.
Les résultats sont conformes à ceux rapportés par nous. Le taux des récidives est de 3,6 % (8/224). Une ou plusieurs grossesses sont survenues chez 61 patientes. Le taux global de fécondité est plus bas dans la série multicentrique (27,2 %) que dans notre série personnelle (29 sur 82 = 35,4 %). Parmi les 92 grossesses enregistrées, 51 se sont terminées par la naissance d’un enfant vivant et normal. Un seul d’entre eux est mort dans les deux semaines qui ont suivi sa naissance.
La valeur cancérologique de la trachélectomie élargie égale, dans les indications sélectionnées, celle de l’hystérectomie élargie. Notre série de 82 patientes appartient à une série globale de 241 patientes traitées soit par hystérectomie élargie « assistée par cœlioscopie » soit par trachélectomie élargie. A diamètre tumoral égal les taux de récidive sont identiques dans les deux sous-groupes : 0 pour les tumeurs de moins de 2 cm, 16,6 % et 20,6 % respectivement pour les tumeurs de 2 à 4 cm. Il est à noter, par ailleurs, qu’aucune des récidives ne s’est développée sur l’utérus laissé en place.
Un tel résultat est évidemment corrélé avec la sélection des cas. Seuls ont été retenues, et doivent être retenues pour la trachélectomie, les patientes atteintes d’une tumeur développée sur la partie basse du col. Si la tumeur apparaît, à l’examen par résonance magnétique (IRM), développée dans la partie haute du col ou si l’examen extemporané de la tranche supérieure de la pièce opératoire révèle la présence de cellules tumorales (11 cas dans notre série) on doit renoncer à la conservation de l’utérus. Si, après les coupes semi-sériées faites après fixation et inclusion en paraffine, la distance entre la tumeur et le trait de section est inférieure à 8 mm la
conservation doit finalement être considérée comme inopportune et la totalisation doit être envisagée. Cette contre-indication est la seule contre-indication absolue.
On peut aussi considérer comme contre-indications les situations dans lesquelles le risque de récidive et de mort n’est pas nul. Dans notre série, les trois récidives sont survenues chez des femmes dont la tumeur mesurait plus de 2 cm de diamètre et était accompagnée d’images d’emboles lymphatiques. En l’absence de ces deux symptô- mes, aucune récidive n’a été observée. Dans la série multicentrique les résultats sont analogues mais les différences sont moins tranchées : quatre récidives pour 28 tumeurs de plus de 2 cm (14,3 %) contre quatre pour 193 tumeurs de plus de 2 cm (3 %) et six récidives pour 56 tumeurs accompagnées d’emboles vasculaires (10,7 %) contre deux pour 128 tumeurs sans embole vasculaire (1,6 %). Il apparaît ainsi que le risque de récidive ne peut jamais être considéré comme nul. Il est plus important dans certaines présentations anatomiques mais il reste relativement faible au sein, en tout cas, de la population choisie. Sur le plan pratique cette constatation implique que la vérité soit dite à la malade. Même si la tumeur peut être réséquée en totalité (ce qui est la condition sine qua non ) la trachélectomie élargie ne peut pas être présentée comme une opération sans risque. Le niveau de risque dépend des facteurs anatomiques précités. La patiente doit en être informée et c’est à elle de décider si elle veut ou non bénéficier de l’opération conservatrice. Elle doit aussi savoir que la totalisation ne diminue pas le risque. La seule différence est que la grossesse devient impossible et ce fait peut, selon la situation de chaque personne, être vécu comme une sage précaution ou comme une inacceptable mutilation supplémentaire. On pourrait pousser plus loin le raisonnement et offrir aussi l’opération conservatrice aux patientes atteintes de métastases ganglionnaires. Par référence à ce que l’on sait pour les patientes traitées de façon classique, il apparaît en effet que la présence d’une métastase ganglionnaire n’a pas forcément une signification très péjorative :
une tumeur petite accompagnée d’une métastase ganglionnaire unique et petite a un pronostic plus favorable qu’une tumeur volumineuse non accompagnée de métastases ganglionnaires.
Les chances de grossesse sont indiscutablement diminuées chez les femmes ayant subi une trachélectomie élargie. Dans notre série, 29 des 82 opérées (35,4 %) ont eu une ou plusieurs grossesses. Dans la série multicentrique, les taux sont de 29 % pour l’équipe de Québec, 22 % pour l’équipe de Londres et 17 % pour l’équipe de Toronto. La plupart des patientes qui ne sont pas devenues enceintes s’en sont volontairement abstenues. Nous en avons la preuve dans notre série : 14 de nos opérées prenaient encore, au moment de la révision finale des dossiers, une pilule contraceptive. Plus significatives encore sont les histoires de nos deux opérées qui, devenues enceintes, ont demandé une interruption de leur grossesse pour « détresse psychologique ». D’autres femmes se sont trouvées dans l’impossibilité de devenir enceintes soit parce qu’on a jugé préférable de leur administrer une radiothérapie après l’opération soit parce qu’une récidive est survenue. Restent celles dont la fécondité a été altérée par l’opération. Il est difficile d’en connaître le nombre exact.
Dans notre série, 33 des femmes susceptibles de devenir enceintes n’ont pas eu de
grossesse. Pour trois d’entre elles on a su que le partenaire masculin était stérile. Pour neuf autres, l’opération elle-même est potentiellement en cause, les examens pratiqués n’ayant montré aucune anomalie autre. Pour les 21 patientes restantes, aucune enquête approfondie n’a été entreprise. La seule chose que nous sachions est qu’aucune de ces femmes n’a consulté pour stérilité. Ce paradoxe renvoie au problème très complexe du désir d’enfant : toutes nos opérées étaient désireuses de conserver leur potentiel de fertilité mais étaient-elles vraiment désireuses d’avoir un enfant ?
Le taux des pertes fœtales au cours des grossesses survenant chez les femmes ayant subi une trachélectomie élargie est incontestablement augmenté. Dans notre série, 27 des 47 grossesses observées ont évolué normalement. Dans la série multicentrique, le ratio est de 51 sur 92. La plupart des échecs sont la conséquence d’événements qui n’ont pas de lien avec l’opération : fausse-couche précoce, interruption « légale » et grossesse extra-utérine. Les autres accidents, à savoir les faussescouches tardives et les accouchements très prématurés sont, en revanche, spécifiquement liés à l’opération. L’amputation du col est doublement délétère : abolition de la fonction mécanique du « sphincter cervico-isthmique » et abolition de la fonction biologique du mucus qui agit normalement comme une barrière anti-infectieuse. Il est possible de suppléer les deux fonctions abolies en posant, au moment de l’intervention initiale, un lacet autour de l’isthme utérin et en faisant, à la fin du premier trimestre des grossesses consécutives, une « fermeture du col », opération que l’Allemand Saling [7] a lancé en 1981 et qui consiste à aviver les berges du col pour qu’elles se fusionnent de façon hermétique, ce qui isole la cavité utérine de la cavité vaginale. Parmi les 35 grossesses ayant, dans notre série, dépassé les 14 semaines on a observé deux interruptions tardives pour les quatre premières qui se sont déroulées en dehors de toute chirurgie prophylactique, quatre pour les 18 suivantes protégées par le seul cerclage isthmique et deux pour les 13 dernières protégées par le cerclage isthmique et par la fermeture du col.
La trachélectomie élargie réalisée par la voie vaginale après préparation cœlioscopique ou LVRT pour « Laparoscopic Vaginal Radical Trachelectomy » n’est ni la seule technique ni la seule stratégie permettant de préserver la fertilité des femmes jeunes atteintes de cancers invasifs du col utérin et désirant conserver leur potentiel de fertilité. On peut aussi faire l’opération par la voie abdominale. Deux pionniers l’avaient proposé au début des années 50 : le Slovène F. Novak [8] et le Roumain E.
Aburel [9]. L’Anglais JR Smith [10] tente actuellement de la remettre à l’honneur. Ni lui ni ses prédécesseurs n’ont jamais enregistré de grossesse chez les femmes qu’ils avaient soumises à l’opération. Ce fait est lié vraisemblablement au caractère plus délabrant de l’opération conduite par laparotomie : l’amputation est probablement excessivement large et l’opération laisse plus d’adhérences avec les conséquences nocives que ces dernières peuvent avoir sur la fécondité. D’un autre côté l’anastomose isthmo-vaginale, quand on la fait par la voie haute, est certainement moins précise. On sait que la chirurgie laparoscopico-vaginale est globalement moins traumatisante que la chirurgie laparotomique. On en a là une confirmation. Une
autre façon de préserver la fertilité est de renoncer à toute chirurgie ou de la limiter à une simple conisation de contrôle après avoir administré la radiothérapie ou la chimiothérapie à vocation curative.
Depuis le début des années 70, l’équipe de l’Institut Gustave Roussy à Villejuif traite les adénocarcinomes à cellules claires du vagin et du col en utilisant la curiethérapie endocavitaire après que les ovaires aient été transposés par laparotomie ou par laparoscopie. Lors de la dernière révision [11] cinq grossesses avaient été enregistrées dont une seulement s’est terminée par la naissance d’un enfant vivant. Le faible nombre des grossesses et, surtout, le grand nombre des pertes fœtales, sont clairement liés aux effets néfastes de l’irradiation sur le tissu utérin. Plus récemment l’équipe de l’hôpital San Gerardo à Monza (Italie) a proposé d’administrer aux femmes jeunes atteintes d’un cancer invasif de moins de trois centimètres une chimiothérapie au terme de laquelle les répondeuses sont soumises à une simple conisation. Dans une série de 12 cas, un décès a été observé. Parmi les huit patientes ayant répondu à la chimiothérapie, deux sont devenues enceintes et ont donné naissance à un enfant vivant. Cette stratégie est inspirée de celle appliquée aujourd’hui avec bonheur aux sarcomes des voies génitales et aux tumeurs malignes non séminomateuses des ovaires. Dans ces deux situations la combinaison « chimiothérapie-opération conservatrice » permet d’obtenir un nombre de succès inespéré tout en préservant le plus souvent la fonction de reproduction. Mais la menace d’un deuxième cancer pèse lourdement sur les jeunes femmes qu’on soumet à cette thérapeutique faute de pouvoir les traiter d’une façon moins lourde. La situation n’est pas la même dans le cancer du col où la LVRT permet d’obtenir un grand nombre de succès sans faire courir de risque à long terme.
CONCLUSION
La trachélectomie élargie s’inscrit dans un mouvement général qui est celui d’une révision en chirurgie cancérologique, des règles fixées il y a plus d’un siècle par Halsted à propos du cancer du sein. L’opération élargie classique qui enlevait, en même temps, la totalité de l’organe, les ganglions lymphatiques régionaux et les structures interposées est de plus en plus souvent remplacée par une simple « excision large » combinée à une dissection des ganglions lymphatiques régionaux, dissection dont on cherche à limiter l’étendue. Dans le cancer de la vulve par exemple, on ne fait plus la vulvectomie radicale. On la remplace par une simple excision large combinée à une lymphadénectomie inguinale ipsilatérale. La traché- lectomie radicale n’est autre qu’une application de ce principe au traitement du cancer du col. La technique, évidemment, est plus complexe que dans les tumeurs de la peau. Il faut en effet, dans les excisions larges pour cancer, passer à deux centimètres de la lésion visible. S’agissant du col utérin il est nécessaire, pour respecter cet impératif, de faire l’ablation du tiers supérieur du vagin et de la portion
juxta-utérine des paramètres. Un tel élargissement ne peut se faire sans identifier et éloigner les uretères terminaux. Il faut donc, pour faire cette opération, maîtriser la technique de la chirurgie vaginale élargie en même temps que la technique de la lymphadénectomie laparoscopique. C’est une contrainte. Mais le jeu en vaut la chandelle. Dans notre série de 82 cas, 29 des patientes susceptibles de devenir enceintes le sont devenues et parmi les 35 grossesses ayant évolué au-delà de 14 semaines, 27 se sont déroulées normalement. Ces résultats ont pu être obtenus sans que soit augmenté le risque de rechute qui est comparable à celui habituel : aucune rechute pour les 52 cancers de moins de deux centimètres et trois rechutes pour les 19 cancers de deux centimètres ou plus.
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DISCUSSION
M. Claude-Henri CHOUARD
Pouvez-vous nous donner quelques détails sur la mise en place et le mode de serrage du lien à demeure destiné à fermer l’utérus au 1er trimestre de la grossesse ?
Le lacet posé autour de l’isthme utérin n’est pas accessible car il est enfoui sous la suture isthmovaginale. Quand une grossesse survient ce n’est pas par son intermédiaire qu’on ferme le col mais en faisant autour de l’orifice du col une « desépidermisation » et un cloisonnement qui sépare les membranes de l’œuf de la cavité vaginale. Le lacet, quant à lui, reste en place. C’est lui qui supplée la fonction mécanique du « sphincter cervicoisthmique ». La fermeture du col supplée à la fonction bactéricide du mucus cervical.
M. Raymond BASTIN
En préambule vous avez bien souligné que l’âge auquel on observe ce cancer s’est « déplacé » : le cancer du col n’est plus constaté vers la cinquantaine, mais chez de jeunes femmes entre 20 et 40 ans. Dès lors, pouvez-vous nous confirmer que le cancer du col est bien un cancer sexuellement transmissible ? A ce sujet, nous souhaiterions savoir si les malades de la série, qui nous est présentée, ont eu antérieurement une infection virale du col, herpétique ou autre ?
Aucune recherche systématique n’a été faite sur la population de malades présentée ici.
Mais on sait, à partir d’autres populations examinées dans notre institution, que le cancer du col est bien un « cancer sexuellement transmis », le virus en cause appartenant à la famille des « virus du papillome humain ».
M. Gabriel BLANCHER
Quelle est la fréquence du cancer du col utérin en France et dans le monde ?
La prévalence du cancer du col est, en France, décroissante : moins de 4 000 nouveaux cas par an. Mais dans le monde le cancer du col reste, du fait de sa prévalence élevée et malgré sa relative bonne curabilité, le plus meurtrier des cancers humains.
M. René KÜSS
Quel est la mortalité au long cours de ces jeunes femmes ayant assumé une grossesse ?
Tout dépend du volume tumoral. Nous n’avons jamais observé de décès quand la tumeur mesurait moins de 2 cm. Entre 2 et 4 cm le taux des récidives est de l’ordre de 15 %. Les candidates à l’opération conservatrice doivent connaître ces chiffres et c’est à elles de se déterminer.
M. Philippe MONOD-BROCA
Lors de l’accouchement, faut-il retirer le cerclage ou recourir systématiquement à l’opération césarienne ?
Le recours à la césarienne est obligatoire.
M. François DUBOIS
La cellulectomie faite par coelioscopie fait-elle l’objet d’un examen extemporané et, en cas d’envahissement ganglionnaire, quelle est la conduite adoptée ?
Les ganglions prélevés par cœlioscopie font l’objet d’une évaluation microscopique. Si un envahissement métastatique est mis en évidence, il faut renoncer à l’opération conservatrice et recourir soit à l’opération abdominale soit à la radiothérapie soit aux deux.
M. Michel ARSAC
Cette intervention, très séduisante, comprend donc une exérèse des paramètres et du paravagin. Au cours de cette pratique, déjà étendue, avez-vous observé une répercussion sur la physiologie du col vésical ?
Au moment de l’ablation de la sonde vésicale (6ème jour) une malade sur trois présente une rétention d’urines. A 6 mois le fonctionnement vésical redevient normal. L’opération est une opération « modérément élargie ». La résection des paramètres ne dépasse pas 1 à 2 cm, c’est ce qui explique l’absence de retentissement vésical à long terme.
* Gynécologie Obstétrique, Hôpital Édouard Herriot, Place d’Arsonval — 69437 Lyon cedex 03. Tirés-à-part : Professeur Daniel DARGENT, à l’adresse ci-dessus. Article reçu le 2 février 2001, accepté le 26 février 2001.
Bull. Acad. Natle Méd., 2001, 185, no 7, 1295-1306, séance du 23 octobre 2001