Résumé
Une cohorte de près de cinq cents enfants suivis depuis un premier épisode démyélinisant pendant huit ans avec 9 % de perdus de vue nous a permis de changer totalement notre connaissance de la SEP pédiatrique. Nous avons pu aussi démontrer l’absence d’augmentation de risque de SEP après vaccination contre l’hépatite B et une augmentation de risque lié au tabagisme passif.
Summary
An 8-year cohort study of nearly 500 children with a first demyelinating event, with only 8 % of losses to follow-up, has changed our view of pediatric MS. The risk of MS was not increased by HBV vaccination, but was increased by passive smoking at home.
Une approche épidémiologique systématique nous a permis de changer totalement la connaissance de la sclérose en plaques survenant à l’âge pédiatrique.
Nous avons, il y a dix ans, établi une cohorte nationale suivant tous les enfants de moins de seize ans hospitalisés en neurologie pédiatrique entre 1990 et 2003 pour un premier épisode démyélinisant d’allure inflammatoire. Nous avons ainsi pu réunir les données cliniques radiologiques et biologiques initiales et en suivi de quatre cent soixante-sept enfants [1-10]. Le relevé d’information est prospectif depuis 1997. Le
suivi moyen est désormais de huit ans et le nombre de sujets perdus de vue est très faible (9 %). Parmi ces quatre cent soixante-sept enfants, cent quatre vingt dix-sept (42 %) ont présenté une nouvelle poussée et sont donc atteints d’une SEP [1]. L’âge moyen à la première poussée d’une future SEP est de 11,3 fi 3,8 ans avec 30 % des enfants ayant moins de dix ans et 14 % moins de six ans (le début le plus jeune était à deux ans). L’écart médian de temps entre la première et la deuxième poussée (qui établit le diagnostic de SEP) a été de 7,8 mois (médiane : 15,5 fi 20,5) mais il est intéressant de voir que l’écart le plus long a été de presque dix ans. Une autre donnée importante est un mode de début très particulier : 20 % des enfants débutent leur maladie avec un aspect d’encéphalite (encéphalomyélite aiguë disséminée), une situation rare chez l’adulte [1, 3]. Ce mode de début avec des troubles de la conscience est d’autant plus fréquent que l’enfant est plus jeune. Au cours de différents travaux, nous avons pu établir les facteurs de risques cliniques et radiologiques de récidive après une première poussée et un score de gravité évolutive après le diagnostic de SEP (et donc la deuxième poussée) [1-4]. Nous avons également démontré l’efficacité de l’utilisation précoce de l’interféron béta [10].
Une autre partie de notre travail a cherché à évaluer les facteurs environnementaux qui pourraient ou non augmenter le risque de survenue d’une SEP chez l’enfant.
Plusieurs équipes dans le monde travaillent sur ce thème général. Une infection précoce par le virus Epstein-Barr et un déficit en vitamine D (par défaut d’exposition au rayon solaire) sont probablement des situations qui augmentent le risque [7].
Pour notre part nous avons étudié deux facteurs : le risque induit par une vaccination contre l’hépatite B, compte tenu de l’inquiétude du public en France, et le risque induit par le tabagisme passif (parents fumant au domicile) [5, 8, 9].
La méthode utilisée a été celle d’un cas témoin. Les cas étaient ceux de SEP pédiatrique de notre cohorte (limités à la période 1993-2003). Les témoins ont été sélectionnés par un institut de sondage par appels téléphoniques systématiques pour obtenir pour chaque cas douze témoins du même âge, du même sexe et dont l’adresse avait le même code postal. Cas et témoins sont ensuite comparés par régression logistique conditionelle. Chacun a reçu le même questionnaire sur les maladies autoimmunes dans la famille, l’existence de SEP dans la famille, le niveau socio-économique, différentes maladies virales et la présence d’un ou de deux parents fumant à la maison avant la date index (date de la première poussée ou date identique pour les témoins du cas). Il était demandé en plus une copie des pages « vaccinations » du carnet de santé.
Pour l’étude sur le tabac, nous avons comparé cent vingt-neuf enfants atteints de SEP à mille trente-huit témoins. L’exposition des enfants au tabagisme à la maison a été de 62 % pour les cas et 45,1 % pour les contrôles. Le risque relatif ajusté de premier épisode de SEP associé à une exposition au tabagisme passif était de 2,12 (intervalle de confiance 95 % : 1,43-3,15). La stratification par âge montre une augmentation de risque significativement associée à une plus longue exposition chez les enfants les plus âgés : le risque est de 2,49 (1,53-4,08) chez les enfants de plus de dix ans [8].
L’étude sur les vaccinations contre l’hépatite B, récemment reprise dans une communication de l’académie de médecine, n’a pas démontré d’augmentation de risque de survenue de SEP [5, 9]. Nous poursuivons actuellement le travail en testant l’ensemble des premières poussées et en analysant plus avant la légère différence observée entre les différents types de vaccins.
BIBLIOGRAPHIE [1] MIKAELOFF Y., SUISSA S., VALLÉE L., LUBETZKI C., PONSOT G., CONFAVREUX C., TARDIEU M. — Prognostic factors after a first episode of acute inflammatory demyelination of the central nervous system in childhood. J. Pediatr ., 2004, 144 , 246-52.
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[9] MIKAELOFF Y., CARIDADE G., TARDIEU M., SUISSA S. — Parental smoking at home and the risk of childhood onset multiple sclerosis in children. Brain , 2007, 130 , 2589-95.
[10] MIKAELOFF Y., CARIDADE G., TARDIEU M., SUISSA S. — Effectiveness of early beta interferon on the first attack after confirmed multiple sclerosis : a comparative cohort study. Eur. J. Pediatr.
Neurol ., 2008, sous presse.
DISCUSSION
M. Bernard PESSAC
Quel est le mécanisme du tabagisme passif dans le déclenchement de la SEP ?
Le mécanisme par lequel un tabagisme passif (ou actif car cela a été aussi démontré) n’est pas connu mais la possibilité que le tabac puisse modifier la barrière hémato-cérébrale a été proposée. De même certains de composés de la fumée pourraient altérer la myéline.
M. Patrice QUENEAU
En attendant les bénéfices espérés des stratégies thérapeutiques innovantes, je vous demande si l’importance et la fréquence des lésions infracliniques plaident — en faveur de traitements prolongés par immuno-suppresseurs ? — en faveur de traitements anti-inflammatoires intenses (bolus de corticoïdes) lors des poussées aiguës, voire de traitements antiinflammatoires prolongés lorsque le paramètre inflammatoire paraît important ?
Le traitement des poussées aiguës par hautes doses de methylprednisolone est habituel. Il réduit probablement la longueur de la poussée (encore que ceci n’a pas été formellement démontré) mais il ne modifie pas le risque de récidive ou de handicap. Le traitement par interferon beta est utilisé chez l’enfant et efficace pour réduire le nombre de poussées. Le choix des autres immuno modulateurs est difficile et fonction de la gravité de l’évolution.
M. Bernard SALLE
Comment les canadiens ont-ils pu mettre en évidence une relation entre carence en vitamine D et SEP ?
La littérature sur l’influence de la vitamine D sur la réponse immune est abondante. C’est probablement par ce point de vue et par la constatation de la différence d’incidence nord sud que l’idée est venue.
* Neurologie pédiatrique, Hôpital Bicêtre, 78 rue du Général Leclerc, 94275 Kremlin Bicêtre — Inserm U802 Tirés à part : Professeur Marc TARDIEU, même adresse
Bull. Acad. Natle Méd., 2008, 192, no 3, 507-510, séance du 4 mars 2008