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Séance du 13 novembre 2007

La privatisation des cliniques universitaires en Allemagne Fédérale. Un an d’expérience

Louis F. Hollender *

Au milieu de l’année 2005, a été réalisée, pour la première fois en Allemagne Fédérale, une fusion privatisation de Services Cliniques Universitaires (C.H.U.). Avant d’entrer dans le détail, quelques précisions s’imposent. En Allemagne Fédérale, existent trente-six Facultés de Médecine. Dans l’État de Hesse, qui en l’occurrence nous intéresse, les cliniques universitaires dépendent du Land (État) comme c’est d’ailleurs le cas pour l’ensemble du pays, les trois fonctions de soins, d’enseignement et de recherche étant totalement diligentées par les directions respectives de la santé, de l’enseignement et de la recherche du Land. Dans le Land de Hesse, il y a trois universités : Francfort (Main), Marburg et Giessen, ces deux dernières n’étant distantes que de trente kilomètres. Or, il est apparu souhaitable d’avoir une clinique universitaire pour deux millions d’habitants, alors que dans l’État de Hesse, il y en a une pour un million d’habitants, ce qui traduit une pléthore certaine.

Vers 2001, la Faculté de Médecine de l’Université de Giessen n’a plus d’argent et le Gouvernement de l’État de Hesse, envisage sa fermeture pure et simple.

Devant les protestations, on étudie dans un premier temps, la possibilité de créer une fondation, mais l’idée doit être abandonnée. La Faculté de Médecine de Marburg voisine, propose alors de fusionner le 1er juillet 2005 avec celle de Giessen et suggère le regroupement des différentes cliniques universitaires.

Puis, survient la deuxième étape qui sera la privatisation de l’ensemble.

En Allemagne existent plusieurs grands groupes réunissant maisons de santé, établissements de cure, hôpitaux généraux, petits hôpitaux communaux et cliniques privées. Parmi eux, nous en citerons trois : « Helios », « Asklepios » et « Rhön-Klinikum ». Tous les trois vont faire des offres d’achat ;

Rhön-Klinikum A.g. une S.A. l’emporte. Il s’agit en l’occurrence d’une chaîne qui regroupe quarante-cinq hôpitaux et établissements de santé, avec environ quinze mille lits et trente mille employés. Précisons que « Rhön Klinikum A.g. » Société par actions, a ses capitaux propres et ne comporte pas de fonds d’investissement.

* Membre de l’Académie nationale de médecine.

 

Pour l’achat de l’ensemble des cliniques universitaires de Giessen et Marburg, « Rhön Klinikum » paie cent-vingts millions d’euros à l’État de Hesse qui lui, ne conserve que 5 % du capital du Groupe lequel en détient 95 %, l’Université quant à elle n’ayant aucune participation financière dans ce montage.

Le Conseil d’Administration de la nouvelle entité, est présidé par le Président de la « Rhön-Klinikum A.g. », un économiste. En font partie : deux Directeurs médicaux, l’un désigné par l’État de Hesse, l’autre par le corps médical, les Doyens des Facultés de Médecine de Marburg et Giessen, un responsable élu par le personnel médical et un autre élu par le personnel infirmier.

Bien que l’activité de la « Rhön-Klinikum A.g. » concerne uniquement les Soins, le groupe s’engage à rendre la nouvelle entité également attractive pour l’enseignement et la recherche, dont elle reconnaît l’entière liberté, en s’abstenant d’intervenir dans aucun des deux domaines. De plus, le groupe s’est engagé à verser tous les ans, deux millions d’Euros, pour la recherche quel que soit le résultat de son bilan financier.

La répartition des activités du corps médical est d’environ 80 % de soins et 20 % d’enseignement et de recherche. Mais, ce pourcentage peut être variable et être régulièrement fixé d’un commun accord entre l’Université et Rhön Klinikum.

Quelles sont, après un an d’exercice, les conséquences de cette fusion privatisation ? Toutes les décisions ont pu être prises beaucoup plus rapidement : c’est ainsi qu’en trois mois le projet d’un nouveau bâtiment « mère et enfant » a été mis sur pieds, de même que celui de la construction d’un grand service d’irradiation par particules aux protons et aux ions lourds. Pour des raisons d’efficacité et de coût, il a été décidé pour l’ensemble des cliniques universitaires, la centralisation en un lieu unique de tout le matériel d’investigations complémentaires. Cette règle garantit la disposition d’un équipement de pointe régulièrement renouvelé, grâce à son amortissement rapide. A également eu lieu le regroupement des salles d’opérations en un grand bloc unique, avec de nombreuses salles d’opérations contiguës fonctionnant du matin sept heures au soir dix neuf heures, alors relayées par des salles réservées aux urgences, ce qui entraîne de notables allègements en personnels médical et infirmier. Il a aussi été mis sur pieds la création d’une pharmacie centrale commune, et le regroupement en un site unique de tous les laboratoires, ainsi que des bibliothèques.

Le règlement global des soins pour chaque malade est versé directement à la « Rhön Klinikum » par les multiples organismes payeurs qui existent en Allemagne, Caisses d’assurances publiques de tous types ou privées.

Le corps médical a, dans son ensemble, salué cette décision. Et pour cause, la « Rhön Klinikum A.g. » étant une Société privée, n’a aucune obligation de respecter des salaires officiels. De ce fait, l’ensemble du personnel, du bas au haut de l’échelle, est mieux rémunéré que dans les autres cliniques universi- taires du pays. A un montant de base supérieur à celui que pratique le public, viennent s’ajouter à tous les niveaux de la hiérarchie, des primes de performance basées sur l’implication, la productivité et la rentabilité. Se pose certes, la question de savoir comment les juger ? Je prendrai toujours pour exemple la chirurgie car c’est avec un chirurgien, le Professeur M. Rothmund, titulaire de la Chaire de Clinique Chirurgicale Universitaire de Marburg, que je me suis entretenu. Tout d’abord, le champ de la chirurgie ambulatoire a été très développé et continue à croître régulièrement, ce qui diminue notablement le coût de beaucoup d’actes de chirurgie. Ainsi, hernies, appendices, vésicules, chirurgie proctologique et mammaire, goitres non toxiques, sont exécutés en ambulant, avec, en plus de l’avantage chiffré des économies ainsi réalisées, une nette diminution des infections pulmonaires, des thromboses, des embolies et des maladies nosocomiales. Pour la chirurgie d’hospitalisation, chaque acte est doté d’un coût global dans l’évaluation duquel sont pris en compte : le matériel utilisé, la durée de l’acte opératoire, celle de l’hospitalisation, les éventuelles complications, la rapidité de reprise du travail du patient, la durée d’une éventuelle incapacité provisoire, etc….

La formation des jeunes chirurgiens n’a connu aucun changement, « Rhön Klinikum A.g. » acceptant que certaines opérations durent davantage quand elles entrent dans le cadre de formation d’un jeune chirurgien qui les exécute, toujours avec l’assistance d’un senior. « Rhön Klinikum A.g. » prend également en charge coûts et risques de l’introduction de techniques et procédés nouveaux et originaux. De même, il n’est exercé aucune discrimination en ce qui concerne les actes de chirurgie lourde et majeure.

L’accueil du grand public a été favorable ; il n’y a eu ni récrimination, ni plaintes quant à la qualité des soins. En un an, le nombre global de malades hospitalisés a augmenté de plus de 5 %.

Du point de vue financier, des quatorze millions d’euros de perte en 2005, la « Rhön-Klinikum A.g. » a réussi, grâce à une gestion rigoureuse, à ramener en 2006, le déficit à sept millions et pense fin 2007, quitter définitivement les chiffres rouges ! Ces progrès ont pu être réalisés grâce à deux actions :

économies en matière d’achats. « Rhön A.g. » ayant obtenu, entre autres, des baisses importantes du prix des médicaments coûteux, ainsi que de tout le matériel médical lourd ou courant, mais aussi moyennant une économie en personnel.

Les grands bénéficiaires de cette évolution sont avant tout les soins qui ont vu leur prix de revient diminués sans que pour autant leur qualité en aient pâti. La chirurgie ambulatoire limite certes la durée d’hospitalisation du patient, mais l’enseignement au lit du malade a pu se faire lors de son arrivée au Service et avant son retour à domicile, le problème n’étant évidemment pas le même en médecine interne et pour les spécialités médicales. Quant à la recherche, nous n’avons pas pu savoir si elle était orientée vers la seule recherche clinique ou également vers une recherche fondamentale. Quoi qu’il en soit, les fonds mis à disposition sont confortables puisqu’aux deux millions d’euros déjà mentionnés s’ajoute le fait que sur les cent-vingts millions d’euros que « Rhön Klinikum » a payés au Land de Hesse, celui-ci a placé vingt millions d’euros à 4 %, lesquels intérêts vont également à la recherche et aux innovations. On a cependant fait comprendre aux intéressés qu’il ne suffisait pas de chercher, mais qu’il faudrait également un jour trouver…

Mais, s’il existe de très importants investissements en constructions et en matériels, on n’en retrouve par contre peu ou prou en personnels. Au contraire, 15 % environ des actes effectués par des médecins donnent progressivement lieu à délégation croissante à des infirmiers spécialisés et formés spécialement par un diplôme complémentaire sanctionné par un examen. Quelques exemples, pour l’échographie, la manipulation de l’appareil enregistreur est réalisée par un non-médecin, en chirurgie cardiaque le prélèvement de la veine saphène interne est pratiqué par une infirmière, en chirurgie générale, il en est de même pour les fermetures incisionnelles. Et, dans les années à venir, il est envisagé un transfert de personnels de près de 20 % et le renouvellement des contrats signés il y a quelques années, qui seront caducs en 2010, ne sera pas automatique.

La liberté de fonctionnement et d’investissement des services universitaires est certes un facteur dynamisant. En fait, ce sont surtout les soins qui sont bénéficiaires du système, encore que l’obligation de respecter des normes fixées ne s’avère peut-être pas anodine. Autres points négatifs : la représentation insuffisante de la composante médicale dans le Conseil d’Administration et surtout le fait que l’on s’éloigne de plus en plus de tout esprit universitaire lequel cède la place à celui d’une grande entreprise qui doit produire et rentabiliser, avoir un bilan d’exploitation positif et fournir des dividendes à ses actionnaires.

Je dois ajouter que ce qui s’est passé à Marburg se répand. Devant le nombre important de cliniques universitaires un vaste mouvement de fusion suivi de privatisations est en train de s’amorcer ; ainsi, pour les Facultés de Médecine d’Aix-la-Chapelle et de Münster, de Kiel et de Lübeck, pour les deux Universités de Berlin, sans oublier la seule privatisation des Facultés de Médecine de Mayence et de Hombourg en Sarre.

Je termine en précisant que toutes ces informations doivent être placées dans le contexte de l’Allemagne fédérale où l’influence américaine est très forte où domine le pragmatisme organisationnel et fonctionnel, où le « Ranking de Shanghai » a eu un énorme impact sur les esprits et où les Facultés de Médecine sont de plus en plus soumises à un marché concurrentiel effréné.

Bull. Acad. Natle Méd., 2007, 191, no 8, 1759-1762, séance du 13 novembre 2007