Communication scientifique
Séance du 12 février 2008

La maladie d’Alzheimer : perspectives thérapeutiques

MOTS-CLÉS : anticholinestérasiques. immunothérapie.. maladie d’alzheimer/traitement médicamenteux
Alzheimer’s disease : therapeutic perspectives
KEY-WORDS : alzheimer disease/drug therapy. cholinesterase inhibitors. immunotherapy.

Bruno Dubois, Leonardo De Souza, Gilles Allali, Michel Kalafat, Marie Sarazin

Résumé

Les traitements de la maladie d’Alzheimer cherchent aujourd’hui à compenser les déficits biochimiques identifiés dans le cerveau des patients. Il s’agit de traitements purement symptomatiques. Pour l’essentiel, ils visent à restaurer le déficit cholinergique. Les inhibiteurs de l’acétylcholinestérase ont montré une efficacité modeste mais réelle sur les troubles cognitifs, les activités de la vie quotidienne et l’appréciation clinique globale. Les antagonistes des récepteurs glutamatergiques sont réservés aujourd’hui aux formes plus évoluées. Les traitements à venir pourraient être curatifs, en agissant notamment sur la cascade amyloïde, qu’il s’agisse des inhibiteurs des sécrétases bêta et gamma ou qu’il s’agisse de l’immunothérapie. Des essais vont débuter dans les mois qui viennent, ouvrant des perspectives nouvelles.

Summary

Current treatments for Alzheimer’s disease aim to compensate for biochemical deficits in the brain. They are purely symptomatic and restore the central cholinergic deficit. Acetylcholinesterase inhibitors have modest but significant efficacy on cognitive disorders, activities of daily living, and the global clinical impression. Glutaminergic receptor antagonists are used for more advanced forms. Future treatments may be curative, acting specifically on the amyloid cascade. Secretase inhibitors and immunotherapy are in the pipeline. Trials will begin within a few months and will open up new perspectives. La maladie d’Alzheimer touche 860 000 français et plus de 200 000 nouveaux cas par an sont diagnostiqués chaque année. Selon les prévisions de l’Insee, près de 1,3 million de personnes seront atteintes d’ici à 2020, soit un français de plus de soixante-cinq ans sur quatre. C’est la première cause de dépense de santé des français de plus de soixante-quinze ans, qui atteint un coût annuel de dix milliards d’euros, loin devant les maladies cardiovasculaires [1]. C’est dire qu’il est urgent de développer des traitements visant à ralentir le processus pathologique lui-même. Reculer l’âge de début, ne serait-ce que de un an, s’accompagnerait d’une diminution de la prévalence de 7 %, c’est-à-dire de plus de 60 000 patients ! [1] Cet article passe en revue la prise en charge actuelle de la maladie d’Alzheimer et les espoirs thérapeutiques qu’elle suscite. Les données scientifiques actuelles permettent de rendre compte des pistes thérapeutiques qui s’ouvrent dans la maladie d’Alzheimer (Duyckaerts et Octave, dans ce numéro ). Les lésions principales sont les dégénérescences neurofibrillaires ou DNF (altération de la structure des neurones, secondaires à une hyperphosphorylation anormale de protéines impliquées dans le transport axonal, appelées protéines tau) et les plaques amyloïdes (formées par les dépôts de peptide amyloïde libéré à partir d’un précurseur sous l’action des secrétases bêta et gamma) [2]. • les lésions débutent tôt dans la vie, puisqu’à cinquante ans il existe déjà des DNF au sein des régions temporales internes de la moitié de la population générale. • Une longue phase asymptomatique précède donc la maladie clinique. Elle témoigne sans doute de processus cérébraux de compensation maintenant une fonction normale pendant plusieurs décennies. Les symptômes apparaissent donc tardivement, souvent après quatre-vingts ans et ils sont alors liés à la dégénérescence de systèmes de neurones biochimiquement caractérisés : cholinergiques, glutamatergiques, sérotoninergiques, somatostatinergiques… Les médicaments actuels cherchent à compenser les déficits biochimiques identifiés. Ils sont purement symptomatiques et d’efficacité limitée, puisqu’ils visent à réparer l’un des anneaux d’une chaîne brisée à de nombreux autres endroits. Les médicaments d’avenir, en revanche, cherchent à bloquer la cascade biologique en intervenant : • soit sur l’amyloïdogénèse par l’inhibition des sécrétases ou la désagrégation des plaques amyloïdes déjà formées (immunothérapie ou vaccin), • soit sur la pathologie de la protéine tau par la préventive inhibition de sa phosphorylation anormale.

LA PRISE EN CHARGE ACTUELLE

Les inhibiteurs de l’acétylcholinestérase

La lésion massive des neurones cholinergiques du télencéphale basal, impliqués dans le phénomène de mémorisation, est à l’origine de l’hypothèse cholinergique dans la maladie d’Alzheimer [3] et du développement des molécules inhibant l’acétylcholinestérase.

Trois médicaments appartiennent à cette classe. Ils sont indiqués dans le traitement symptomatique de la maladie d’Alzheimer :

• le Donepezil-Aricept (une prise par jour à 5 puis 10 mg), • la Rivastigmine-Exelon (deux prises par jour à 1,5 puis 3 mg, dose qui peut être augmentée jusqu’à une posologie quotidienne totale de 12 mg), • la Galantamine-Réminyl (deux prises par jour à 4 puis 8 mg, jusqu’à une dose quotidienne totale de 24 mg ; ou sous forme LP avec une prise par jour).

Quant à la Tacrine-Cognex, le premier traitement commercialisé, il n’est plus prescrit en raison d’un risque d’hépatotoxicité.

Ces médicaments sont symptomatiques, puisqu’ils n’interviennent pas sur le mécanisme étiopathogénique de la maladie, mais sur les conséquences de la perte d’une seule des classes neuronales affectées : le déficit cholinergique. Outre leur action inhibitrice sur l’acétylcholinestérase, la Rivastigmine inhibe la butirylcholinestérase et la Galantamine a une action modulatrice allostérique sur les récepteurs nicotiniques. Les indications de l’Autorisation de Mise sur le Marché sont les mêmes pour les trois molécules : maladie d’Alzheimer de sévérités légère ou modérée. Les effets indésirables sont principalement liés à leurs propriétés cholinergiques : nausées, vomissements, diarrhées, crampes musculaires, bradycardie. Il est recommandé de faire un électrocardiogramme avant la mise en route du traitement, surtout chez les patients âgés et de l’instaurer à doses progressivement croissantes.

Efficacité des inhibiteurs de l’acétylcholinestérase (IAChE)

L’évaluation de l’efficacité des IAChE doit tenir compte de plusieurs éléments :

l’exploitation des seuls essais publiés ; la diversité des échelles utilisées pour mesurer les résultats fonctionnels ; le manque d’uniformité dans la présentation des résultats ; le manque de définition standard des effets indésirables et d’étude de leur impact socio-économique. Enfin et surtout, la pertinence des échelles utilisées reste à démontrer et il est souvent difficile d’estimer le lien entre significativité statistique et efficacité clinique. Les variables continues employées dans les essais concernant la maladie d’Alzheimer ont toutes des amplitudes importantes et une faible variation de score ne doit pas être forcément perçue comme ayant une pertinence clinique. Un consensus d’experts de la Food and Drug Administration, en 1989, a proposé
qu’une variation de quatre points de l’Alzheimer’ Disease Assessment Scale — cog (ADAS-cog) soit considérée comme cliniquement pertinente.

Ces réserves faites, plusieurs essais thérapeutiques randomisés en double insu versus placebo ont montré l’effet bénéfique des trois molécules sur les symptômes cognitifs, psycho-comportementaux et fonctionnels de la maladie. La méta-analyse Cochrane, réalisée sur treize études randomisées menées en double insu contre placebo sur une durée de six à douze mois, a confirmé l’existence d’un bénéfice thérapeutique. Il existait un gain de 2,7 points en moyenne si l’on utilisait l’échelle cognitive de l’ADAS-cog et de 1,4 points lorsque le Mini Mental Status (MMS) était étudié [4]. Cette méta-analyse confirmait aussi l’existence d’un effet bénéfique sur le comportement et les activités de la vie quotidienne. Il n’y avait pas de différence d’efficacité entre chacune des trois molécules. L’efficacité se maintient au moins deux ans, et même cinq dans certaines études comportant un suivi ouvert des patients [5]. Une autre méta-analyse a quantifié l’effet des IAChE sur les troubles neuropsychiatriques dans seize études randomisées et sur les données fonctionnelles dans dix-huit études [6]. Elle montre globalement une amélioration des échelles de la vie quotidienne sous IAChE de 0,1 écart type (ce qui reviendrait à prévenir deux mois de déclin par an chez un patient type) et de 1,7 points sur une échelle évaluant douze des symptômes neuropsychiatriques des démences, le « Neuropsychiatric Inventory ». Ces résultats sont statistiquement significatifs. Une méta analyse récente [7] a montré que les IAChE ont un effet favorable sur la charge et le temps consacrés à l’aide du patient.

Efficacité des IAChE selon les stades

Les IAChE sont donc efficaces aux stades léger et modéré de la démence de type Alzheimer, mais leur effet bénéfique au stade prédémentiel n’a pas été démontré.

Rappelons que les patients atteints de troubles cognitifs débutants sont inclus dans un cadre flou et hétérogène : le « Mild Cognitive Impairment » ou « MCI », anglicisme largement utilisé que l’on pourrait traduire par : « trouble cognitif léger ». Les essais conduits dans ce cadre n’ont pas été probants. Il est impossible de savoir si cela témoigne de l’absence d’efficacité des médicaments au stade prodromique de la maladie d’Alzheimer ou si leur effet ne peut être reconnu en raison de l’hétérogénéité des patients inclus dans le cadre du « MCI » [8].

Intérêt d’un traitement précoce

Au cours des essais randomisés en double insu contre placebo, il a été montré, pour chacun des IAChE, que les patients qui avaient reçu initialement le placebo puis la molécule active n’atteignaient pas, à la fin de l’essai, les performances de ceux qui avaient bénéficié du traitement en premier lieu [9].

Efficacité au long cours

Il n’est plus possible de proposer, pour des raisons éthiques, un groupe placebo dans les essais puisque l’efficacité des traitements a été démontrée. Les études en double insu contre les études en placebo les plus longues n’ont duré qu’un an [10, 11]. Deux études ouvertes de patients ayant participé aux études initiales avec le Donépézil [12] ou avec la Rivastigmine [13] ont été conduites pendant cinq ans. Elles ont montré une dégradation cognitive moindre que celle observée chez les patients non traités persistant au cours du temps. Enfin, un groupe de patients traités par IAChE et suivis pendant trois ans a été comparé à un groupe non traité [14]. Après trois ans, le risque d’entrer en institution était de 40 % chez les patients non traités et de 6 % chez les sujets traités (RR = 0.33 ; IC 95 %). On ne peut exclure, bien entendu, que cette différence soit liée à une surveillance et une prise en charge plus étroites.

Que retenir sur l’efficacité des IAChE ?

En résumé, les IAChE ont une efficacité modeste mais réelle sur les troubles cognitifs, les activités de la vie quotidienne et l’appréciation clinique globale. Cette classe pharmacologique a également un impact sur les troubles psychocomportementaux, notamment l’apathie, les hallucinations, les symptômes dépressifs, l’agitation et l’anxiété. L’effet symptomatique de ces médicaments n’est cependant pas à la hauteur de toutes les espérances, le système cholinergique ne soustendant pas l’ensemble des fonctions cognitives. Les effets observés consistent, au mieux, en l’amélioration mais surtout au maintien des fonctions attentionnelles, de la mémoire de travail et à un éveil comportemental pendant quelques mois. Ils n’empêchent pas la progression de la maladie, même s’ils peuvent en différer ou ralentir l’aggravation. Les IAChE n’entraînent pas d’effets indésirables graves.

Ceux-ci sont généralement contrôlés par une posologie lentement progressive.

Une controverse récente sur l’intérêt de ces traitements a été alimentée par la difficulté d’apprécier leur pertinence clinique et leur bénéficie médico-économique.

Les propositions du National Institute of Clinical Excellence (NICE) britannique ont jeté le trouble lorsqu’en mars 2005 cet organisme a recommandé leur abandon car le rapport coût/efficacité était jugé défavorable. Cette conclusion était fondée en partie sur l’étude AD 2000 [15]. L’étude n’avait pas montré de bénéfice médicoéconomique mais, en dépit de ses nombreuses limites méthodologiques, elle confirmait l’efficacité du traitement sur la cognition. Dans un rapport plus récent de novembre 2006, le NICE est revenu sur sa recommandation et a préconisé la prescription des trois inhibiteurs de l’acétylcholinestérase pour les patients à un stade modéré de la maladie, sous certaines conditions [16].

Quoi qu’il en soit, les IAChE ont modifié l’image de la maladie. Le diagnostic est posé plus fréquemment et plus tôt qu’autrefois. Ils ont impliqué les médecins dans la prise en charge globale des patients et ont ansi généré une meilleure organisation des soins. Ils préparent, enfin, le terrain pour les traitements futurs. De nombreux
espoirs sont fondés sur les traitements à visée étiopathogénique, dont certains sont en phase III de développement et, bien entendu, sur la prévention.

Les inhibiteurs des récepteurs glutamatergiques

La Mémantine est un antagonisme non compétitif des récepteurs NMDA dont le mécanisme d’action reste discuté. Le glutamate est le principal neurotransmetteur excitateur du cerveau. Selon le concept d’excitotoxicité, la mort des neurones peut être la conséquence de l’activité ou de l’hyperactivité des récepteurs NMDA. En fait, l’efficacité de la Mémantine n’est pas liée à l’inhibition de toxicité mais à une action purement symptomatique dont le mécanisme reste mal connu. Quoi qu’il en soit, la méta-analyse Cochrane des essais en double insu contre placebo avec ce médicament en a confirmé le bénéfice thérapeutique sur les fonctions cognitives et le déclin fonctionnel chez les patients aux stades modéré à sévère de la maladie d’Alzheimer.

Le produit a reçu une AMM pour les patients atteints de maladie d’Alzheimer ayant un MMS < 15. L’indication a été étendue plus récemment aux formes modérées à la suite de résultats d’une méta analyse de six études de phase III [17].

Critères de choix des différents traitements

En France, il est actuellement recommandé d’utiliser un inhibiteur IAChE en cas de maladie d’Alzheimer probable aux stades léger à modéré (MMS compris entre 10 et 26) et d’associer le cas échéant, la Mémantine lorsque le patient arrive à un stade plus sévère (MMS < 15). Les deux classes médicamenteuses n’ont pas d’interaction « in vitro . » Elles peuvent être associées. Un essai thérapeutique en double insu contre placebo a montré un bénéfice (modeste) de la bithérapie pour les formes modérées de la maladie d’Alzheimer [18]. Deux IAChE ont une indication élargie :

maladie d’Alzheimer associée à une maladie vasculaire cérébrale pour la Galantamine et démence associée à la maladie de Parkinson dans le cas de la Rivastigmine.

LES FUTURS TRAITEMENTS

Les perspectives thérapeutiques agissant sur la voie amyloïde

Une des hypothèses physiopathologiques de la maladie repose sur l’hypothèse de la cascade amyloïde dans laquelle la voie amyloïde pathogène joue un rôle central. Il existe des arguments en faveur d’un rôle central du peptide bêta-amyloïde : — les formes monogéniques, porteuses de mutations autosomales dominantes, sont toutes associées à une augmentation de la production du peptide Aβ ; — les patients trisomiques 21, porteurs de trois copies du gène précurseur de l’amyloïde, développent des lésions caractéristiques de la maladie d’Alzheimer à l’âge adulte ; et — les données des expérimentations animales chez les souris transgéniques confortent la neurotoxicité du peptide amyloïde.

De ce fait, plusieurs recherches sont en cours pour essayer d’enrayer la voie pathogène amyloïde. Trois pistes principales sont à l’étude :

Moduler la production du peptide A β

Le peptide Aβ est libéré après clivage par la secrétase bêta puis gamma à partir du 1-42 précurseur de l’amyloïde (protéine transmembranaire neuronale). La gamma secré- tase, complexe multiprotéique, est composée de la présélinine, de la nicastrine, de PEN et d’APH-1. Il faut donc développer une molécule qui ait une action spécifique sur la fonction catalytique de l’enzyme sans agir sur les autres fonctions physiologiques. Un premier inhibiteur de la gamma sécrétase, mis au point par les laboratoires LILLY, a été récemment testé en phase I et semble bien toléré [19]. Des inhibiteurs de la β-secrétase sont également à l’étude.

Enfin, une autre approche réside dans la stimulation de la voie non pathogène, qui vise à augmenter l’activité normale de l’alpha-secrétase afin d’éviter la libération du peptide Aβ 1-42, potentiellement pathogène.

L’inhibition de l’agrégation du peptide amyloïde, une fois produit

Il s’agit ici d’empêcher la formation d’agrégat d’oligomères du peptide Aβ, après qu’il a été libéré par clivage des sécrétases β puis γ. Un essai thérapeutique de phase II est en cours avec l’Alzhemed, un glyco-amino-glycane qui pourrait fixer le peptide Aβ et donc empêcher la formation d’agrégats potentiellement toxiques.

Les ions métalliques Cu2+ et Zn2+ pourraient également être impliqués dans les mécanismes d’agrégation et de toxicité du peptide amyloïde. Une diminution significative des dépôts d’Aβ dans un modèle de souris transgéniques a été ainsi observée après 9 semaines de traitement avec le Cliokinol, chélateur de Cu/Zn passant la barrière hémato-encéphalique. Une étude de phase II / III avec le Cliokinol vient cependant d’être interrompue [20].

L’immunothérapie A- β • La démarche expérimentale En 1996, Solomon a montré que des anticorps monoclonaux dirigés contre le peptide Aβ42 non seulement inhibent son agrégation in vitro mais peuvent aussi resolubiliser des précipités fibrillaires de Aβ42 [21]. L’étude génomique de formes familiales autosomiques de maladie d’Alzheimer a permis d’identifier des mutations particulières du gêne codant pour le précurseur du peptide amyloïde (APP) ; l’une de ces mutations a été exploitée pour créer un modèle murin de maladie d’Alzheimer sur des souris transgéniques. Des plaques amyloïdes et des troubles de mémoire spatiale assez comparables à ceux observés chez des patients atteints de maladie d’Alzheimer sont observés chez les souris. Schenk et col. [22] les ont immunisées avec un peptide Aβ 42 humain synthétique avant ou après qu’elles aient développé les lésions cérébrales (six ou onze semaines de vie). L’immunisation précoce évitait
l’apparition des plaques amyloïdes et l’immunisation tardive en freinait la progression. Il n’y avait ni complications immunologiques à distance (reins, cœur, etc.) ni lésions cérébrales adjacentes aux plaques. Janus et col. [23] ont montré, par la suite, que les performances des souris vaccinées s’amélioraient dans les tâches expérimentales de mémoire, en particulier spatiale. Plusieurs mécanismes peuvent expliquer cette réponse favorable chez l’animal : l’activation de la microglie par le complexe antigène-anticorps, la solubilisation passive du complexe anticorps-antigène produit, la mobilisation des dépôts Aβ 42 par gradient de concentration vers la circulation systémique.

De ces études sur les souris transgéniques est née l‘idée d’une sérothérapie ou d’une immunothérapie chez des patients souffrant de maladie d’Alzheimer. Rien, cependant ne permettait de prédire qu’un tel traitement puisse avoir les mêmes effets chez l’homme ; en effet, il n’y a pas chez l’homme de relation topographique démontrée entre les plaques séniles et les DNF et les souris transgéniques utilisées n’ont pas de DNF.

• Études précliniques Le groupe de Schenk (laboratoire Wyeth) a ultérieurement testé l’immunogénicité et la toxicité d’un vaccin anti-Aβ 42 humain (agrégats d’Aβ 42 : AN1792) en injections répétées, sur différentes espèces animales. En raison de l’absence d’effet secondaire, l’agence de la santé des États-Unis d’Amérique (FDA) donnait son aval pour une expérimentation humaine.

• Phase 2 vaccinale En accord avec différentes agences de contrôle sanitaire, en raison de la bonne tolérance de ce vaccin dans les études de phase 1 chez l’homme, les laboratoires Elan et Wyeth se sont engagés dans une étude de phase IIA. Elle avait pour objectifs de tester l’efficacité, le meilleur dosage et de vérifier la tolérance chez des patients atteints de maladie d’Alzheimer légère à modérée. Cette étude internationale a débuté à partir de l’automne 2001 aux États-Unis et en Europe (Angleterre, Espagne, Suisse et France, où dix centres ont participé ; trois cent-soixante patients dont quatre vingt dix-sept français étaient inclus.) ; il était prévu qu’elle dure dix-huit mois et que six injections IM à dose unique soit effectuées, en double insu contre placebo. L’efficacité devait être évaluée selon des critères neuropsychologiques et d’imagerie (atrophie de l’hippocampe en Imagerie par Résonance Magnétique).

Mi-janvier 2002, les promoteurs annonçaient la suspension des injections à la suite de quatre cas de méningo-encéphalite vaccinale chez des patients ayant reçu l’AN1792. Fin février 2002, onze nouveaux cas apparaissaient (dans trois pays) et les injections étaient définitivement arrêtées. Le mécanisme de ces encéphalites sous AN1792 est encore inconnu. Même rare, un tel effet secondaire n’était pas exclu par analogie avec d’autres vaccinations [24]. Il faut espérer que le recours à des antigènes de taille réduite ou par l’immunisation passive permette la mise au point d’une immunothérapie efficace et sans danger.

• Conclusion Les essais d’immunisation ont ouvert la voie aux thérapeutiques à visée préventive, freinatrice ou même curatrice de la maladie d’Alzheimer. Au stade actuel, l’utilité et la tolérance d’un vaccin anti-Aβ42 chez l’homme restent à démonter. Cette première déception permettra sans doute de progresser dans la connaissance de l’immunothérapie anti Aβ42.

Perspectives thérapeutiques ciblées sur la protéine tau et les dégénérescences neurofibrillaires

L’hyperphosphorylation de la protéine tau au cours de la maladie d’Alzheimer perturbe la fonction biologique normale de ces protéines. Cette perte de fonction peut être rétablie par la déphosphorylation à l’aide de phosphatases. De nombreux sites de phosphorylation ont été mis en évidence et de nombreuses kinases peuvent les phosophoryler : il s’agit en particulier de la glycogène cynthase kinase 3 bêta (GSK 3β), la cdc2-like kinase (cdk 5), la signal-regulating kinase-2 (ERK 2), la microtubule-affinity-regulating kinase (MARK), la protéine kinase A (PKA) [25].

Parmi celles-ci, les plus étudiées sont la GSK 3β et la cdk 5, au moins sur des modèles animaux. Mais il n’y a pas encore, à notre connaissance, d’étude clinique publiée ou en cours sur ces molécules.

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DISCUSSION

Mme Monique ADOLPHE

Pourriez-nous préciser la part de la génétique dans la maladie d’Alzheimer ? Existerait-il des marqueurs génétiques qui permettraient d’agir préventivement ?

La part des mutations génétiques dans la maladie d’Alzheimer est faible. Elle ne repré- sente que moins de 1 % des cas. Les mutations aujourd’hui identifiées concernent le gêne de l’APP, situé sur le chromosome 21, ou de la présénilline 1 située sur le chromosome 2 ou de la présénilline 2 situé sur le chromosome 14. Dans ces rares cas, la transmission se fait selon un mode autosomal dominant. La maladie s’exprime alors toujours tôt dans la vie, généralement avant cinquante-cinq ans. Cela dit, si toutes les maladies génétiques sont précoces, les formes précoces ne sont pas toutes génétiques. Loin de là. La mise en évidence d’une mutation chez un individu asymptomatique caractérise le statut de porteur sain. Ces sujets exprimeront la maladie. Il est probable que si, dans les années à venir, des médicaments démontrent leur efficacité sur le processus pathologique, ils seront à un moment donné proposés à ces porteurs sains, dans le but d’une action préventive. À côté des formes monogéniques, il existe des cas plus fréquents d’agrégation familiale. Ils peuvent être le fait, chez certaines familles, d’un facteur de risque qui favorise l’expression de la maladie. Un de ces facteurs de risque a été identifié : il s’agit de l’apolipoprotéine E, qui dans sa forme E4 multiplie par trois le risque de survenue de maladie d’Alzheimer. Ce facteur de risque est génétiquement déterminé. Cela dit, il ne s’agit que d’un facteur de risque qui ne renseigne pas sur l’existence d’une éventuelle maladie d’Alzheimer associée. C’est la raison pour laquelle la recherche du statut de l’apolipoprotéine E n’est pas recommandée en pratique courante.

M. Jean-Pierre NICOLAS

L’élimination des produits de dégradation de l’A.P.P. (en particulier de l’A β 42 responsable de la dégénérescence neurofibrillaire) peut être réalisée par trois voies : enzymatique, vasculaire et par le liquide céphalorachidien. Avec l’âge, la vitesse de renouvellement du L.C.R. diminue de façon importante. Pensez-vous que cela puisse jouer un rôle dans la genèse de la maladie ?

Une des pistes actuellement retenue concernant la physiopathologie de la maladie d’Alzheimer fait intervenir, effectivement, une augmentation intracérébrale du peptide Aβ, présent sous différentes formes : intraneuronale, oligomère neurotoxique ou plaques amyloïdes. Cette présence excessive peut résulter soit d’une production anormale, soit d’une diminution de la clearance, liée à un ralentissement de son élimination. Cette dernière hypothèse est à l’origine d’une tentative de diminution de la charge amyloïde cérébrale par dérivation ventriculopéritonéale. Une étude pilote, publiée en 2002 par Silverberg et col. a montré une tendance positive sur des paramètres cognitifs. Cependant, aucune étude ultérieure n’est venue confirmer ce fait, si bien que le rôle d’une diminution de la vitesse de renouvellement du LCR n’est généralement pas retenu comme un mécanisme explicatif de l’excès de peptide amyloïde dans le cerveau des patients.

M. Raymond BASTIN

Pourriez-vous détailler les effets secondaires des trois médicaments (aux effets analogues) dont vous avez parlé ?

Ces trois médicaments, qui ont reçu l’autorisation de mise sur le marché dans l’indication du traitement de la maladie d’Alzheimer, agissent en inhibant l’acétylcholinestérase, enzyme qui dégrade l’acétylcholine libérée dans la fente synaptique. Leur effet est donc d’augmenter la transmission cholinergique centrale, mais aussi périphérique. C’est cette stimulation cholinergique périphérique qui est à l’origine de leurs principaux effets secondaires : bradycardie sinusale, troubles digestifs avec nausées, vomissements et diarrhées, hypersécrétion bronchique, rhinorrhée, crampes musculaires, pollakiurie en particulier. Ces effets sont combattus par une augmentation progressive des doses et la mise au point, plus récente, de forme à libération prolongée ou de patch.

M. Henri LACCOUREYE

Le prélèvement de muqueuse olfactive est-il toujours pratiqué pour le diagnostic précoce de la MA ? Les tests olfactifs sont-ils toujours pratiqués ?

Le prélèvement de la muqueuse olfactive n’est pas pratiqué pour le diagnostic précoce de la maladie d’Alzheimer. Quant aux tests olfactifs, ils sont destinés à mettre en évidence deux types d’anomalie : une diminution du sens olfactif, qui n’est pas spécifique à la maladie d’Alzheimer et qui s’observe dans d’autres affections dégénératives voire au cours du simple vieillissement normal ; une diminution de la capacité à garder la trace mnésique d’une information olfactive dans le cadre d’un syndrome amnésique portant sur une modalité particulière. La lourdeur du dispositif nécessaire pour mettre en évidence ce trouble spécifique de la mémoire olfactive explique qu’en pratique clinique on recourt davantage aux tests qui étudient la capacité à mémoriser des informations présentées en modalité verbale (liste de mots présentés oralement) ou visuelle (liste de mots lus ou de figures). Les tests olfactifs sont donc principalement réservés aux travaux de recherche.


* Centre des Maladies Cognitives et Comportementales et Inserm U 610, Hôpital de la Salpêtrière, 47, boulevard de l’Hôpital, 75013 Paris. Tirés-à-part : Professeur Bruno DUBOIS, même adresse. Article reçu et accepté le 11 février 2008.

Bull. Acad. Natle Méd., 2008, 192, no 2, 333-344, séance du 12 février 2008