Résumé
Contrastant avec l’abondante littérature consacrée à la fibrillation atriale (FA) en général, et à l’étude de nouveaux anticoagulants oraux dans cette indication, très peu de travaux récents se sont penchés sur les patients ayant un accident vasculaire cérébral (AVC) et une FA. Une petite étude prospective conduite sur quatre mois, en 2010-2011, dans les USINV de Lariboisière et Bicêtre, a recensé 50 AVC consécutifs (14 % de l’ensemble des AVC) : 45 infarctus cérébraux (IC), 3 accidents ischémiques transitoires (AIT) et 2 hémorragies cérébrales (HC). Les données très parcellaires ainsi recueillies et l’analyse de la littérature correspondante permettent de souligner entre autres, les points suivants : population plus âgée et plus féminine que dans les grands essais thérapeutiques ; rareté des AIT ; grande fréquence des facteurs de risque vasculaire et des pathologies vasculaires cérébrales associées : athérome et leucoaraïose ; IC de grande taille, souvent hémorragiques ; FA découverte en USINV près d’une fois sur deux, paroxystique dans un tiers des cas et sans aucun consensus sur une régularisation éventuelle ; mauvaise utilisation des AVK en cas de FA connue avant l’AVC ; intérêt de la thrombolyse intraveineuse ; difficultés thérapeutiques en cas d’IC avec antécédent hémorragique cérébral ; gravité des HC sous AVK ; anticoagulants seuls ou avec anti-plaquettaires en cas de FA associée à un athérome sévère ? En résumé, la vision qu’a le Neurologue d’USINV de la FA diffère radicalement de celle du Cardiologue. C’est essentiellement celle d’une personne âgée, polyvasculaire, ayant un IC souvent sévère, oscillant entre le risque de récidive embolique et de transformation hémorragique symptomatique et ayant fréquemment des contre indications aux AVK au long cours. La gravité des IC dans la FA et des HC sous AVK souligne l’importance de la prévention qu’amélioreront peut-être les nouveaux anticoagulants oraux.
Summary
Contrasting with the abundant literature dedicated to atrial fibrillation (AF) and to the use of new oral anticoagulants in this setting, very few recent studies have focused on patients with AF-associated stroke. From November 2010 to March 2011, we conducted a small prospective 4-month study in the stroke units of Lariboisière and Bicêtre hospitals. Fifty patients with FA and stroke were included (14 % of all strokes), including 45 patients with cerebral infarcts (CI), 3 with transient ischemic attacks (TIA) and 2 with intracerebral hemorrhage (ICH). The results of this study, together with a review of the sparse relevant literature, underline the following points: these patients tend to be older and more frequently female than in recent clinical trials ; TIAs are rare ; these patients have numerous vascular risk factors and associated cerebrovascular diseases such as atheroma and leukoaraiosis ; CI is often extensive and hemorrhagic ; AF is discovered in a stroke unit in 40 % of cases and is paroxystic in 33 % of cases, with no consensus on the potential regulation ; there is massive underuse of VKA in patients with known AF ; rtPA intravenous thrombolysis is frequent ; treatment difficulties arise in patients with AF-related CI and a history of ICH ; the prognosis of VKA-related ICH is poor ; the use of oral anticoagulants alone or combined with aspirin is controversial in case of AF associated with severe atheroma. Patients with AF seen in stroke units are therefore very different from those seen by cardiologists: they are older and have many vascular risk factors, stroke, and other cerebrovascular lesions, raising difficult treatment issues owing to the dual risk of embolic recurrence and symptomatic hemorrhagic transformation. In addition, contraindications to long-term VKA use are frequent. Many of these issues will again be raised with the arrival of new oral anticoagulants.
INTRODUCTION
La fibrillation atriale (FA) est le trouble du rythme cardiaque le plus fréquent touchant environ 1 % de la population générale. Sa prévalence augmente avec l’âge, atteignant 9 % chez les sujets de plus quatre-vingt ans [1]. La FA est un facteur de risque important d’infarctus cérébral (IC) dont elle multiplie le risque par cinq [2]. Environ 15 % des patients ayant un IC sont en arythmie complète par fibrillation atriale (AC/FA) et cette proportion augmente fortement chez les sujets âgés. Le neurologue vasculaire est donc en première ligne pour accueillir les patients victimes de ce qui est la complication la plus grave de la FA : l’IC.
L’Académie nationale de médecine, dans une séance spéciale consacrée à la FA, a reconnu cette place cruciale du neurologue en inscrivant une communication sur « La FA en USINV ». En vue de cette séance, nous avons effectué une étude prospective, du 22 novembre 2010 au 31 mars 2011, dans les USINV de l’hôpital Lariboisière (Paris Xe) et de l’hôpital de Bicêtre (Le Kremlin-Bicêtre 94) afin de souligner quelques aspects de la prise en charge diagnostique et thérapeutique des patients ayant une FA et un AVC.
PATIENTS ET MÉTHODES
Cinquante patients avec une FA et un AVC récent, ont été inclus consécutivement pendant cette période. Pour ces cinquante patients, nous avons étudié les principales caractéristiques démographiques, les facteurs de risque cardio-vasculaires, les pathologies associées, la prise en charge à la phase aiguë à la fois diagnostique et thérapeutique et le traitement de prévention secondaire.
Pour tous les patients qui avaient une FA connue avant leur hospitalisation, nous avons calculé le score CHADS2 (Cardiac failure, Hypertension, Age, Diabetes, Stroke — doubled) et le score CHA2DS2-VASc (Congestive heart failure, Hypertension, Age J75 years, Diabetes mellitus, Stroke, Vascular disease, Age 65-74 years, Sex category). Pour ces mêmes patients, nous nous sommes également intéressés aux traitements anti-thrombotiques avant l’admission en USINV.
Quarante-six patients ont eu une IRM cérébrale sur laquelle nous avons recherché, l’existence d’une maladie des petites artères cérébrales (leucoaraïose, microbleeds), d’une transformation hémorragique et la présence d’athérome intracrânien. Tous les patients ont eu un écho-doppler des troncs supra-aortiques et ont eu un monitoring cardiaque continu pendant au moins 24 h à 48h.
Enfin pour chacun d’entre eux, nous avons relevé le type de traitement antithrombotique introduit en urgence puis en prévention secondaire et les raisons de nos choix thérapeutiques.
Aucune analyse statistique n’a été effectuée sur ce petit effectif de patients.
RÉSULTATS
Du 22 novembre 2010 au 31 mars 2011, 473 patients ont été admis dans les deux USINV. Parmi eux, 225 ont eu un IC, 91 un AIT et 38 une HC (Figure 1).
Cinquante patients avaient une FA, ils étaient âgés en moyenne de 76,8 ans (49-99 ans). Parmi eux, 3 ont eu un AIT (soit 3 % de l’ensemble des AIT), 45 ont eu un IC (soit 20 % de l’ensemble des IC) et deux ont eu une HC sous AVK (soit 2 % des HC).
Les principales caractéristiques de nos patients sont résumées dans le tableau 1.
Parmi les pathologies associées, 70 % avaient des lésions athéromateuses cervicales et 10 % intracrâniennes. Par ailleurs, 84 % avaient une leucoaraïose, modérée à sévère dans plus de la moitié des cas (Tableau 2).
Au plan clinique, le score neurologique NIHSS (National Institute of Health Stroke Score) moyen à l’entrée était de 7,9 fi 8 (0-25).
L’analyse de l’imagerie a montré que parmi les patients ayant eu un IC, 80 % ont eu un IC unique et 20 % des IC multiples. Il y avait 31 % d’IC avec une transformation hémorragique sur l’imagerie initiale avant traitement (Tableau 3).
Tableau 1. — Caractéristiques démographiques et facteurs de risque vasculaire Sexe 23 H / 27 F Age moyen 76,8 ans (49-99) J75 ans 32 (64 %) Facteurs de risque vasculaire — tabac 13 (27,5 %) dont 6 actifs (12 %) — dyslipidémie 21 (42 %) — HTA 40 (80 %) dont 37 traités — diabète 17 (34 %) dont 5 insulino-requérants — surpoids 16 (12 %) Artérite des membres 6 (12 %) inférieurs Antécédent d’AVC — AIC 6 IC (12 %) 2 AIT (4 %) — hémorragie 1 hémorragie sous-arachnoïdienne, 1 hématome sous-dural sous AVK CHADS2 pour les 28 patients avec une FA connue avant l’admission 0 1 (3,5 %) 1 6 (21,4 %) ≥2 21 (75 %) CHA2DS2VASC pour les 28 patients avec une FA connue avant l’admission 1 1 (3.5 %) 2 3 (10,7 %) ≥3 24 (85,7 %) Tableau 2. — Pathologies vasculaires cérébrales associées Athérome carotidien 35 (70 %) <50 % 27 (54 %) 50-70 % 5 (10 %) > 70 % 3 (6 %) Athérome intracrânien 5 (10 %) dont 4 avec des lésions athéromateuses cervicales Leucoaraïose — nulle 8 (16 %) — minime 16 (32 %) — modérée 25 (50 %) — majeure 1 (2 %)
Tableau 3. — Caractéristiques cliniques et radiologiques des AVC.
NIHSS 0-6 29 (58 %) 7-10 4 (8 %) 11-15 5 (10 %) 16-22 10 (20 %) ≥ 23 2 (4 %) IC — unique 36 (72 %) — multiples 9 (18 %) — aucun 3(6 %) HC 2 (4 %) Transformation 14 (31 % des IC) hémorragique Décès 4 (8 %) dont 1 hématome Fig. 1. — Patients hospitalisés en USINV à Lariboisière et à Bicêtre La FA était non valvulaire chez les cinquante patients. Elle était paroxystique dans 38 % des cas et permanente dans 62 % des cas. Celle-ci a été découverte à l’admission sur l’ECG initial dans 34 % des cas et plus tardivement dans 10 % des cas (5 patients), 2 le premier jour et 3 avant le cinquième jour parmi lesquels 4 ont été diagnostiqués sur le scope et un en interrogeant le pacemaker. La FA était connue avant l’hospitalisation chez 28 patients (56 %) dont 12 (42,8 %) étaient sous AVK et quatre (14 %) étaient correctement anticoagulés (Tableau 4). Seuls 7 patients (25 %) avaient un score CHADS2 avant leur hospitalisation I1.
Tableau 4. — Traitement antithrombotique des 28 patients avec FA connue avant l’admission.
Patients sous AVK seul 11 (39,3 %) — INR entre 2 et 3 4 (36.4 % des patients sous AVK seul) dont un hématome — INR<2 5 (45,4 % des patients sous AVK seul) — INR>2 2 (18,2 % des patients sous AVK seul) dont un hématome Patients sous AAP seul 11 (39,3 %) Aspirine + AVK 1 (3,6 %) avec un INR <2 Patients sans traitement 5 (17,8 %) anithrombotique 40 patients ont eu une ETT pendant l’hospitalisation et 20 % présentaient une insuffisance cardiaque avec un FEVG <60 %. Un seul patient a eu une ETO.
Sur le plan thérapeutique, à la phase aiguë, 9 patients ont eu une thrombolyse intraveineuse par rtPA (recombinant tissue plasminogen activator), 3 une thrombectomie mécanique et 1 une thrombolyse intraveineuse complétée par une désobstruction mécanique. Aucun des patients thrombolysés en intraveineux n’était sous anticoagulant. Ce chiffre de thrombolyse représente 30 % du nombre total de thrombolyses réalisées sur cette même période dans les deux USINV et 57 % des thrombectomies mécaniques. Parmi les 48 patients avec un accident ischémique, l’anticoagulation a été débutée d’urgence, dans les 48 premières heures, pour 13 d’entre eux qui avaient eu un AIT ou un IC de petite taille.
En ce qui concerne le traitement de prévention secondaire, 7 patients, qui avaient également un IC peu volumineux, ont été mis sous AVK entre le troisième et le dixième jour après l’IC, avant leur sortie d’USINV. L’introduction des AVK a été différée d’un mois pour 13 patients qui avaient un IC de grande taille ou une transformation hémorragique. Enfin 15 patients (31 %) n’ont pas été mis sous AVK en prévention secondaire (Tableau 5).
Deux patients ont été mis sous AVK et aspirine du fait d’un athérome intracrânien évolué. Ces deux patients étaient déjà sous AVK avant leur hospitalisation avec des INR de 1,88 et 6,41 respectivement à l’entrée. Deux patients ont eu ultérieurement une endartérectomie carotidienne pour une sténose athéromateuse de la carotide interne ipsilatérale à l’IC.
Par ailleurs, deux patients ont eu une HC sous AVK avec un INR supérieur à 2. Pour l’un d’entre eux, une prise en charge palliative a été décidée devant la gravité du tableau clinique, et l’étendue de l’hémorragie cérébrale. Le patient est décédé moins de 12 h après son admission. Le deuxième patient avait un INR à 2,73 à l’entrée et a reçu en urgence vitamine K et PPSB.
Tableau 5. — Patients considérés comme présentant une contre-indication aux anticoagulants Chutes + intoxication alcoolique 1 Chutes + troubles cognitifs 1 Démence + multiples antécédents d’infarctus secondairement hémorragiques 1 Age élevé 1 Risque de mauvaise observance 1 Age élevé et patient très déficitaire 4 Patiente âgée très déficitaire + athérome intracrânien évolué 1 Antécédent d’hématome sous-dural sous AVK + antiplaquettaire pour 1 FA + athérome intracrânien Patient grabataire toujours hospitalisé 1 Décès lié à un IC sévère ou à une transformation hémorragique 3 DISCUSSION
La FA, cause fréquente d’IC, représente 20 % des causes d’IC dans notre série, ce qui correspond aux données de la littérature [3, 4]. Il s’agit donc d’une affection fréquente pour le neurologue vasculaire.
Dans notre série, la moyenne d’âge est de 76,8 ans, chiffre plus élevé que dans la majeure partie des grands essais thérapeutiques récents sur la FA mais correspondant à ceux des grandes séries prospectives sur les AVC liés à la FA [3-8]. Contrastant avec la prépondérance masculine des essais thérapeutiques, nous observons une légère prépondérance féminine (54 %) comme à Copenhague (64 %) [3]. Par ailleurs tous nos patients avaient par définition un AVC contrairement aux grands essais thérapeutiques récents consacrés aux nouveaux anticoagulants où moins de 20 % des patients ont un AVC (Tableau 6) [9-12]. La généralisation des résultats de ces études aux patients hospitalisés pour une FA avec IC n’est donc pas aisée.
Les patients de notre série avaient comme dans la plupart des grands essais thérapeutiques, de nombreux facteurs de risque cardio-vasculaires associés [5, 6] (Tableau 7).
Une des particularités de notre série est la grande fréquence de la leucoaraïose (84 %) témoignant d’une maladie des petites artères cérébrales, dont on sait qu’elle est un facteur de risque d’HC sous AVK. Ce chiffre élevé s’explique essentiellement par l’âge et l’HTA mais dans une étude en population Leeuw et al. ont montré que la FA était un facteur de risque indépendant d’hypersignaux de la substance blanche périventriculaire [13].
L’association à la FA de lésions d’athérome cervical ou intracrânien est fréquente :
72 % au total dans notre étude et 30 % pour les sténoses artérielles cervicales J 50 % dans une étude coréenne récente [14]. Cette association, dont la fréquence augmente avec le score CHADS peut être source de difficultés à la fois diagnostiques, en ce qui concerne l’étiologie de l’IC, et thérapeutiques. Ainsi, deux de nos patients porteurs
Tableau 6. — Caractéristiques démographiques Lariboisière
PROTECT ACTIVE RELY AVERROES ROCKET AF Bicêtre
AF [5] A [9] [10] [11] [12] Age 76,8 72 71 71 70 73 %hommes 46 % 70 % 58 % 64 % 59 % 60 % AIC/AIT 100 % 19 % 13 % 20 % 13.5 % 55 % Tableau 7. — facteurs de risque vasculaires Lariboisière- Copenhague Japon [4] Chine [8] AMADEUS
PROTECT Bicêtre [3] [6] AF [5] HTA (%) 80 29 49 40 77 90 Diabète (%) 34 19 17 8 10 26 Tabac (%) 27 10 16 ?
?
Dyslipidémie 42 ?
10 4 ?
?
(%) Coronaropathie 14 46 ?
16 15 ?
(%) d’une sténose ipsilatérale à l’IC ont eu à la fois une endartérectomie carotidienne et un traitement anticoagulant.
Les IC liés à la FA sont le plus souvent territoriaux (environ 85 % des cas), carotidiens (>75 % des cas) plus que vertebro-basilaires [15]. Ils sont parfois multifocaux (18 % des cas dans notre série). Les IC sont classiquement de gros volume et volontiers hémorragiques [8, 16], (28 % dans notre série) expliquant leur sévérité, avec un score NIHSS moyen à l’admission double de celui des autres IC [4, 8, 16, 17], et une évolution plus péjorative en terme de handicap, de mortalité [3, 4, 8, 15, 16] et de risque de démence ultérieure [18]. Dans notre série, les patients étaient moins sévères, un tiers des patients ayant un NIHSS à l’entrée inférieur à 6. Les AIT étaient cependant rares, la FA n’étant présente que dans 3 % de l’ensemble des AIT.
La FA était connue avant l’hospitalisation dans plus de 50 % des cas ce qui est habituel, mais seuls 42,8 % des patients avaient un traitement par AVK malgré un score CHA2DS2-VASc2 [19-21] J 2 chez tous les patients sauf un. De plus, l’INR n’était entre 2 et 3 que dans 33 % des cas. Une telle sous-utilisation des AVK est également présente dans les autres séries avec seulement 24 % à 37 % des patients traités et un INR entre 2 et 3 dans seulement 26 % à 32 % des cas, aboutissant à une anticoagulation correcte dans seulement 7 à 12 % des cas [7, 22].
La FA a été découverte pendant l’hospitalisation chez 44 % des patients, dans environ trois-quarts des cas sur l’électrocardiogramme réalisé à l’admission et dans un quart des cas grâce à un monitoring cardiaque continu. La FA était le plus souvent permanente (62 % des cas) ce qui est comparable aux données de la littérature [7, 22, 23].
La place de l’échographie trans-oesophagienne (ETO) est souvent source de discussion entre neurologues et cardiologues. L’ETO décèle fréquemment des anomalies telles qu’un thrombus dans l’oreillette gauche ou un contraste spontané trouvés respectivement dans 13 % et 43 % des cas dans la série de Harloff et al. [24], mais ceci ne modifiait la thérapeutique immédiate que dans 1 % des cas, le clinicien ayant déjà pris la décision de débuter ou non l’anticoagulation. L’ETO n’est vraiment nécessaire que s’il existe une hésitation sur le rapport bénéfice risque immédiat des anticoagulants [24, 25], ce qui fut le cas chez un seul de nos patients.
En ce qui concerne le traitement antithrombotique d’urgence, 9 de nos patients ont reçu du rtPA en intraveineux, suivi chez l’un deux par une thrombectomie mécanique. Trois ont eu une thrombectomie mécanique d’emblée. Ces 9 patients représentent 30 % des thrombolyses intra-veineuses réalisées dans la même période, confirmant que les IC cardioemboliques dus à la FA sont plus souvent thrombolysés que les autres variétés étiopathogéniques d’IC, atteignant 42 % et 51,8 % dans deux séries récentes [17, 26]. Le bénéfice de la thrombolyse IV pour les IC d’origine cardioembolique a été démontré avec une recanalisation plus fréquente, plus rapide et plus complète que pour les autres variétés d’IC [27]. Après la thrombolyse et chez les patients non thrombolysés se pose la question du choix du traitement antithrombotique chez ces patients qui ont un risque de récidive précoce d’ischémie d’environ 2,5 % à une semaine et de 5 % à un mois, sachant que le bénéfice préventif de l’anticoagulation par rapport à l’aspirine est considérable, mais avec un risque plus important de transformation hémorragique symptomatique [28]. La situation est claire en cas d’AIT, toutes les recommandations préconisant d’introduire les anticoagulants en urgence [29]. En revanche, en cas d’IC, une méta-analyse regroupant sept études n’a pas montré de bénéfice du traitement anticoagulant débuté dans les 48 premières heures par rapport à l’aspirine ou au placebo [30]. Ainsi, seulement 13 de nos 48 patients (dont les 3 avec un AIT) ont été mis sous AVK dans les 48 premières heures et 7 dans les dix premiers jours. Les 25 autres patients ont tous reçu de l’aspirine au stade aigu. L’anticoagulation a été différée d’un mois chez 13 d’entre eux, en raison de la taille trop importante de l’IC, ou de l’existence d’une transformation hémorragique initiale. Le délai optimal d’introduction des AVK pour les patients ayant un IC demeure donc à évaluer au cas par cas selon une double stratification des risques embolique et hémorragique [29, 31, 32].
En prévention secondaire à long terme, les AVK avec un INR entre 2 et 3 constituent le traitement de référence [33, 34]. Ils réduisent le risque d’IC de 64 % tout en entraînant un risque d’HC symptomatique très limité (0,3 % sous AVK versus 0,1 % sous placebo) [35]. Ce bénéfice des anticoagulants reste hautement significatif chez les patients âgés : une étude a montré une réduction de moitié des évènements vasculaires sous AVK versus aspirine sans augmentation du risque d’hémorragie sévère [36]. Malgré cela, les AVK restent largement sous-utilisés pour des raisons diverses : âge avancé, défaut d’observance, antécédent hémorragique, handicap sévère, éthylisme chronique, risque de chute … [23, 37, 38]. Ainsi, un tiers de nos patients n’a pas été anticoagulé pour des raisons d’âge élevé, de déficit neurologique sévère, de risque de chutes, d’éthylisme chronique ou de troubles cognitifs. La littérature suggère toutefois que certaines de ces contre-indications devraient être tempérées : par exemple, le risque de chute ne semble faire perdre le bénéfice des anticoagulants que si elles sont très fréquentes [39, 40].
La question se pose, comme chez une majorité de nos patients, de l’adjonction aux anticoagulants oraux d’un traitement antiplaquettaire lorsque existent des lésions athéromateuses associées. Un traitement par AVK et aspirine n’a été prescrit que chez deux de nos patients qui avaient un athérome intracrânien sévère. Le bénéfice de cette association n’est pas démontré, contrairement au risque hémorragique qui est plus que doublé [41].
Si les neurologues d’USI sont confrontés le plus souvent aux IC chez les patients en FA, ce sont parfois des HC qu’ils accueillent : dans notre étude, 4 % des AVC associés à la FA étaient des HC, ce qui représente 5 % de l’ensemble des HC hospitalisés à la même époque. Les HC sous AVK, dont la fréquence est de 0,6 % à 2 % par an, sont particulièrement sévères, avec un risque d’augmentation du volume de l’hématome plus important que dans les HC spontanées [42] et une mortalité allant de 46 % à 67 % contre 30 % à 40 % [43, 44]. Un surdosage en AVK, un âge supérieur à 75 ans, une pression artérielle élevée, une instauration récente des AVK, des INR fluctuants, des antécédents d’AVC et la présence d’une leucoaraïose ou de microbleeds à l’IRM sont des facteurs de mauvais pronostic pour ces hématomes survenant sous AVK [45-49].
La survenue d’une HC chez un patient sous AVK ayant un INR dans la zone thérapeutique ou au-dessus impose d’arrêter les AVK et de les antagoniser en urgence par administration de complexe prothrombinique (CCP) et de vitamine K jusqu’à normalisation de l’INR. Les HC massives chez un patient dans le coma d’emblée justifient de ne pas adopter une attitude d’obstination déraisonnable.
Passée la phase aiguë, le clinicien est confronté au dilemme de la reprise ou non des anticoagulants oraux chez un patient qui a à la fois une indication (la FA) et une contrindication (l’HC). Les recommandations ne sont pas unanimes et le délai optimal de reprise du traitement reste incertain. Les recommandations américaines préconisent un arrêt d’au moins une à deux semaines, puis la mise initiale sous héparine non fractionnée et une réintroduction des AVK après trois à quatre semaines [31], alors que l’HAS recommande l’arrêt définitif du traitement en cas d’HC hémisphérique. Le siège lobaire de l’HC et la présence de microbleeds sont associés à un risque élevé de récidive hémorragique, possiblement du fait d’une angiopathie amyloïde associée, et incitent donc à ne pas reprendre les anticoagulants [31]. C’est donc à nouveau au cas par cas que la décision doit être prise en stratifiant les risques ischémique et hémorragique, essentiellement selon l’âge du patient, le siège de l’hémorragie cérébrale, et le risque embolique de la FA.
CONCLUSION
Les patients admis en USI NV pour un AVC avec FA sont le plus souvent âgés et polyvasculaires, ayant un AVC sévère à type d’IC dans 90 % des cas, soulevant des difficultés thérapeutiques en raison du double risque de récidive embolique précoce et d’HC avec les anticoagulants. La FA est en général non valvulaire, chronique ou paroxystique, souvent connue mais peu ou mal anticoagulée. Il reste encore à l’heure actuelle de nombreuses questions non résolues, telles que le délai optimal d’introduction des anti-coagulants oraux, la stratification précise du risque d’hémorragie cérébrale, les moyens optimaux de détection de la FA, notamment après la sortie de l’hôpital si le rythme est resté sinusal, le rapport bénéfice risque des anticoagulants oraux seuls ou associés aux antiplaquettaires. Nombre de ces questions continueront de se poser avec les nouveaux anticoagulants oraux, même si ceux-ci faciliteront l’adhésion au traitement.
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DISCUSSION
M. Emmanuel A. CABANIS
Cette série de 354 AVC, récente puisque établie de novembre à mai, en double équipe, est exemplaire. Nous avons observé des hémorragies intracérébrales en scanner RX d’une part, et des altérations que vous qualifiez « des petits vaisseaux » par IRM, d’autre part.
Comment vos équipes concluent-elles dans le vieux débat protocole, entre « scan RX premier » ou « IRM première — moderne avec utilisation +++ de la diffusion et des séquences très rapides d’acquisition « ?
En étant un peu schématique, plus le malade est vu tôt après l’installation des symptômes d’accident vasculaire cérébral, plus le scanner cérébral est suffisant pour éliminer une hémorragie cérébrale et débuter le plus tôt possible la thrombolyse intraveineuse. En effet, l’efficacité de la thrombolyse diminue extrêmement rapidement avec le temps, le maximum d’efficacité étant dans l’heure et demie qui suit le début des symptômes, même si elle garde une certaine efficacité jusqu’à quatre heures trente. Nos collègues allemands ont parfaitement compris cela et mettent sur pied, à Berlin, une étude de faisabilité du scanner dans l’ambulance de façon à éliminer l’hémorragie et à pouvoir démarrer aussitôt la thrombolyse IV. En revanche, si le patient est vu plus tard, par exemple trois à quatre heures après le début des symptômes, l’IRM est préférable et même indispensable pour voir s’il existe un ‘‘ mismatch ’’ diffusion-perfusion suggérant la présence d’une pénombre, c’est à dire d’une zone de tissu cérébral hypoperfusée mais non encore nécrosée et donc susceptible d’être sauvée si la thrombolyse permet une recanalisation efficace.
M. Jean-Jacques HAUW
Avez-vous remarqué si la fibrillation atriale à l’origine de l’accident vasculaire cérébral avait une incidence sur la durée de l’hospitalisation en USI neurovasculaire et, plus tard, en service spécialisé de neurologie et de rééducation spécialisée ?
Oui, ceci est bien établi, l’infarctus cérébral par embolie secondaire à une fibrillation atriale est globalement plus sévère que les infarctus cérébraux d’autres causes. Par ailleurs, il survient chez des sujets d’âge moyen plus élevé. Il en résulte une augmentation significative de la durée moyenne de séjour en USINV et dans les structures de suite, notamment les structures de réadaptation dans lesquelles il est d’ailleurs souvent bien difficile de trouver des places.
M. Emmanuel A. CABANIS
Cette série de 354 AVC, récente puisque établie de novembre à mai, en double équipe, est exemplaire. Nous avons observé des hémorragies intracérébrales en scanner RX d’une part, et des altérations que vous qualifiez « des petits vaisseaux » par IRM, d’autre part.
Comment vos équipes concluent-elles dans le vieux débat protocole, entre « scan RX premier » ou « IRM première — moderne avec utilisation +++ de la diffusion et des séquences très rapides d’acquisition « ?
En étant un peu schématique, plus le malade est vu tôt après l’installation des symptômes d’accident vasculaire cérébral, plus le scanner cérébral est suffisant pour éliminer une hémorragie cérébrale et débuter le plus tôt possible la thrombolyse intraveineuse. En effet, l’efficacité de la thrombolyse diminue extrêmement rapidement avec le temps, le maximum d’efficacité étant dans l’heure et demie qui suit le début des symptômes, même si elle garde une certaine efficacité jusqu’à quatre heures trente. Nos collègues allemands ont parfaitement compris cela et mettent sur pied, à Berlin, une étude de faisabilité du scanner dans l’ambulance de façon à éliminer l’hémorragie et à pouvoir démarrer aussitôt la thrombolyse IV. En revanche, si le patient est vu plus tard, par exemple trois à quatre heures après le début des symptômes, l’IRM est préférable et même indispensable pour voir s’il existe un ‘‘ mismatch ’’ diffusion-perfusion suggérant la présence d’une pénombre, c’est-à-dire d’une zone de tissu cérébral hypoperfusée mais non encore nécrosée et donc susceptible d’être sauvée si la thrombolyse permet une recanalisation efficace.
M. Jean-Jacques HAUW
Avez-vous remarqué si la fibrillation atriale à l’origine de l’accident vasculaire cérébral avait une incidence sur la durée de l’hospitalisation en USI neurovasculaire et, plus tard, en service spécialisé de neurologie et de rééducation spécialisée ?
Oui, ceci est bien établi, l’infarctus cérébral par embolie secondaire à une fibrillation atriale est globalement plus sévère que les infarctus cérébraux d’autres causes. Par ailleurs, il survient chez des sujets d’âge moyen plus élevé. Il en résulte une augmentation significative de la durée moyenne de séjour en USINV et dans les structures de suite, notamment les structures de réadaptation dans lesquelles il est d’ailleurs souvent bien difficile de trouver des places.
Bull. Acad. Natle Méd., 2011, 195, nos 4 et 5, 987-1001, séance du 17 mai 2011