Résumé
La médecine moderne, basée sur des évidences est trop scientifique. Elle a oublié la façon artistique, très importante pour la chirurgie et pour les malades âgés. Face au patient gériatrique le chirurgien doit être un politique, plutôt qu’un technocrate, un artiste plutôt qu’un scientifique. Comme Léonard de Vinci, il doit faire appel à ses connaissances scientifiques avec habileté, intelligence et sensibilité, transformant les derniers jours de la vie du malade en une peinture harmonieuse et belle, et non pas en quelque chose de l’ordre d’une usine atomique, qui est sans doute très utile, mais dépourvue de beauté et parfois dangereuse.
Summary
Modern medicin, which is evidence-based and overly scientific, has forgotten its artistic component, which is very important for surgery in general and for geriatric surgery in particular. The surgeon treating and old patient must be a politician more than a technician, more an artist than a scientist. Like Leonard de Vinci he or she must use scientific knowledge with intelligence and sensitivity, transforming the elderly patient’s last days of life into a beautiful and harmonious painting and not into something like an atomic power station — which, while no doubt useful, is deprived of beauty and sometimes very dangerous.
La médecine est un art et une science. De nos jours, la science est devenue la déesse qui dirige la conduite et la pensée humaines. Le médecin moderne est un scientifique, la science étant désormais considérée par la majorité comme le fondement de la conduite humaine. Il est reconnu que la médecine repose sur des évidences et que les merveilleuses réalisations dans n’importe quel domaine scientifique nous étonnent,
en simplifiant notre vie quotidienne, en nous offrant des possibilités jusque-là insoupçonnées.
Ce progrès a été réalisé grâce aux calculs mathématiques, aux ordinateurs, aux statistiques, aux calculs de probabilité et aux analyses du marché. L’homme est dominé par la pensée mathématique et statistique, faisant fi des caractéristiques fondamentales de l’être humain : l’émotion, le sentiment fraternel, la tendresse et l’intuition.
Les décisions sont prises à partir de données numériques et toute recherche quelle qu’elle soit, médicale ou autre, n’est acceptable que si elle est basée sur des études prospectives et en double aveugle, suivies de méta-analyses, sans quoi la presse médicale ne reconnaît pas les travaux scientifiques. Les calculs sont faits par des ordinateurs et l’analyse des résultats est réalisée par des statisticiens qui, le plus souvent, ne sont pas spécialisés dans le domaine médical.
Comme conséquence immédiate de cette attitude dite ‘‘ scientifique ’’ nous faisons face aujourd’hui à des problèmes tels les déchets nucléaires, le réchauffement de la surface terrestre et la faim dans le monde. En ce que concerne la médecine, on retrouve une multitude d’articles, que j’appelle ‘‘ les ordures scientifiques ’’, vu la nécessité d’obtenir des ressources pécuniaires pour le renouvellement financier de recherches qui sont, la plupart du temps, mal conduites et mal interprétées.
La pensée médicale est devenue mathématique et ne tient pas compte du fait que l’organisme humain n’est pas encore complètement connu. La physiologie, l’immunologie, le rapport entre les organes et les systèmes sont sujets à des variables si nombreuses qu’aucun ordinateur n’est capable de les analyser et on ne dispose pas d’informations suffisantes pour mener à bien cette analyse avec certitude.
La science moderne nous présente des concepts scientifiques abstraits qui ne sont pas encore confirmés, comme la ‘‘ masse incertaine ’’, la ‘‘ limitation d’énergie ’’ et, actuellement, l’énergie obscure ou noire. Ceci, en ce qui concerne le microcosme.
Quant au macrocosme, l’univers, l’incertitude domine, même la théorie cosmogonique du ‘‘ big-bang ’’ est discutable, faisant l’objet de débats entre les savants.
Il est un fait évident, au début de ce siècle, que la science nous livre des explications fabuleuses sans nous en donner les définitions fondamentales. La science n’a pas encore expliqué le grand univers et on est loin de connaître le petit univers, celui de l’homme. L’être humain, homme ou femme, reste encore inconnu.
Science et vie. Technologie et mort. La science et la technologie ont prolongé la durée de la vie, mais ont-elles amélioré sa qualité ? Le médecin moderne est devenu un technocrate qui agit sous l’emprise de la science et de la technologie dont les hypothèses ne sont pas toujours confirmées.
Ces médecins technocrates oublient le plus bel aspect de la médecine, sa composante artistique. Dans cette optique, le médecin doit faire appel à l’intuition, à la sensibilité, à la tendresse et accorder à son patient une attention toute personnelle et
délicate. Les actes doivent toujours être confirmés par de solides données scientifiques, indispensables à l’établissement d’un diagnostic fiable. Aucun test, aucun théorème n’est en mesure de former le talent artistique du médecin. La science doit guider le raisonnement, mais l’intuition inspire le véritable artiste. S’il est vrai que tout artiste peintre doit connaître la perspective, la géométrie, les couleurs, leur composition et leur combinaison, c’est la sensibilité qui fait le véritable artiste. On aura beau introduire toutes les données possibles dans un ordinateur, il est très improbable qu’il puisse peindre une Mona Lisa.
On constate que le sujet âgé qui s’approche de la mort est soigné aujourd’hui plutôt par les ‘‘ scientifiques ’’ que par les ‘‘ artistes ’’. La qualité de la vie et même celle de la mort sont reléguées à un second plan en faveur de la longévité, au prix de souffrances et de conditions de vie pénibles. Les technocrates n’ont pas compris que la science n’a pas répondu à la plupart de nos questions. En tant que médecins, nous sommes des bergers de la vie et non pas des combattants contre la mort. Le médecin doit combattre les maladies, pas la mort. Tous ceux qui veulent combattre la mort seront toujours frustrés car tous les êtres humains sont condamnés à mourir un jour.
La seule certitude de la vie, c’est la mort.
La chirurgie gériatrique pose deux types de difficultés. La première, liée à l’âge avancé, est bien décrite dans la littérature mondiale. On peut la résumer en trois points : — les particularités de la physiologie de la personne âgée ; — les maladies associées ; — la chirurgie d’urgence.
La seconde concerne les difficultés techniques de l’anesthésie et la tactique chirurgicale. N’importe quelle révision statistique des chirurgies sur des personnes âgées fait apparaître que la mortalité est d’environ quatre fois plus élevée en situation d’urgence. Cela est facilement compréhensible, car au delà du ‘‘ stress ’’, la gravité de la maladie, le retard pris pour la recherche de soins médicaux et le peu de temps pour contrôler des affections préexistantes augmentent de beaucoup la possibilité de complications, entraînant la mortalité élevée. Il n’est pas conseillé de retarder une opération d’urgence sur une personne âgée, car la persistance des conditions morbides qui indiquent la chirurgie rendra cet organisme déjà miné, de plus en plus vulnérable à des complications graves.
Pour obtenir l’efficacité souhaitée, il faut s’astreindre à une discipline rigide pour faire le diagnostic exact et pour prendre des décisions rapides. La règle de base dit qu’un diagnostic correct correspond à un traitement correct.
La chirurgie gériatrique est bien connue et très bien étudiée par la science médicale moderne et je ne veux pas m’étendre en citant la série de ces problèmes. Le plus important, c’est l’application de l’art dans le traitement des sujets âgés.
Nous utilisons dans notre clinique privée et dans les hôpitaux une classification affectueuse pour désigner nos malades âgés. On les appelle ’’vieillard relique ’’ et ‘‘ vieillard entrave ’’. Le premier est considéré comme quelqu’un d’une grande valeur, il est bien soigné, entouré de sa famille qui lui manifeste beaucoup d’affection. Le second est traité comme un vieux meuble encombrant, vieux et inutile, mal
soigné et négligé. Les siens ne sont pas à son écoute et le plus souvent il est seul et abandonné.
On peut comprendre que le ‘‘ vieillard relique ’’ est mieux placé pour être bien soigné, s’il est malade. A sa première plainte il est conduit à l’hôpital ou en consultation chez son médecin et ses chances d’un diagnostic précoce et d’un traitement efficace sont très différentes de celles du ‘‘ vieillard entrave ’’. A l’Hôpital, les attentions données par la famille du ‘‘ relique ’’ en période pré et post-opératoire sont différentes de celles de ‘‘ l’entrave ’’. En tant que médecins, nous devons assurer les soins aux ‘‘ entraves ’’, mais nous devons aussi nous substituer à leur famille, leur prodiguer l’attention qu’ils ne reçoivent pas des leurs, en cherchant, de quelque façon que ce soit, à alléger leurs souffrances.
En cas d’opération, nous devons redoubler nos attentions. La chirurgie est une agression, certes nécessaire, mais toujours traumatisante, ce qui accentue momentanément les douleurs dues à une maladie parfois grave. Du point de vue psychologique, le malade âgé qui arrive en salle d’opération se sent comme puni par la vie, peu souriante dans la plupart des cas. Si à cela s’ajoute le détachement de sa famille, on peut comprendre la situation émotionnelle du vieux malade. Par ailleurs, il arrive parfois que l’attitude trop empressée de la famille du vieillard ‘‘ relique ’’ complique inutilement le traitement et les soins, pouvant même l’empêcher de vivre sa vie avec un minimum de plaisir.
Il existe un autre type de ‘‘ vieillard relique ’’ qui mérite notre attention. C’est celui qui, au delà de sa famille, joue un rôle important dans la vie publique : politique, économique ou sociale. Trop de sollicitudes prodiguées à l’illustre Député ou Sénateur, peuvent nuire au traitement et perturber le travail des médecins. Le chirurgien doit être très ferme, en faisant remarquer à ses associés, amis, employés et familiers qu’il soigne un être humain et ne tient pas compte des privilèges éphémères dont peut jouir telle ou telle personnalité. Si l’on oublie ces normes, en donnant de petits privilèges à l’illustre personnalité, des complications peuvent survenir, avec de mauvais résultats.
Face au patient gériatrique le chirurgien doit être un politique, plutôt qu’un technocrate, un artiste plutôt qu’un scientifique. Comme Léonard de Vinci, il doit faire appel à ses connaissances scientifiques avec habileté, intelligence et sensibilité, transformant les derniers jours de la vie du malade en une peinture harmonieuse et belle, et non pas en quelque chose de l’ordre d’une usine atomique, qui est sans doute très utile, mais dépourvue de beauté et parfois dangereuse.
BIBLIOGRAPHIE [1] NETTO A.P., RENATO ROCHA E. — Adversidades na cirurgia do idoso. Passos in Clinica e cirurgia geriatrica. Editores Andy Petroianu e Luiz Gonzaga Pimenta, Editora Guanabara
Koogan , 1999, Rio de Janeiro, pp. 165-168.
[2] RENATO ROCHA E., NETTO P. — Hemorragia digestiva alta em pacientes idosos.
Rev. Col. Bras.
Cir., 1981, 8 , 214-218.
[3] NETTO A.P. — Atitude do cirurgico geral ante o paciente geriatrico,
Bol. Col. Bras. Cir., 1985,
Ano XVII , 4-5
DISCUSSION
M. Daniel LOISANCE
La chirurgie cardiaque chez les personnes âgées permet, le plus souvent, un résultat remarquable, en terme de durée de vie et de qualité de vie. Parfois cependant le résultat est discutable. Rétrospectivement, il est clair que la volonté de vivre du candidat à l’intervention sépare ces deux groupes. Comment évaluez-vous cette volonté de vivre avant de confirmer l’indication opératoire ?
Cette évaluation est faite par le chirurgien lui-même ou par la personne en charge de l’étude psychologique de son groupe de travail. Si ‘‘ l’envie de mourir ’’ est évidente, il serait nécessaire de proposer une consultation psychiatrique avant la chirurgie.
M. Pierre BANZET
La chirurgie du vieillard doit être exempte de risque si son but est de diminuer les séquelles du vieillissement. La demande doit être légitime, spontanée, dans un contexte acceptable.
Ces critères sont-ils acceptables à vos yeux ?
Oui, par la chirurgie cosmétique des séquelles corporelles extérieures du vieillissement.
Pour la correction des maladies arterielles, cardiaques, orthopédiques et autres, elles seront indiqués par le médecin et à la demande du patient. Il y a une différence entre la ‘‘ chirurgie du vieillissement ’’ et la ‘‘ chirurgie du veillard ’’. La première est cosmétique, la deuxième est corrective. L’acceptation du patient de l’indication chirurgicale est toujours nécessaire.
M. Pierre VAYRE
Qui décidera s’il faut soigner ou laisser mourir nos aînés ?
Il faut toujours soigner nos malades, aînés ou non. Un bon médecin doit suivre les lois de la nature. Si la mort est inévitable, il faut laisser mourir avec dignité. La décision appartient à la famille éclairée par les médecins du patient.
M. Denys PELLERIN
La chirurgie des vieillards, et notamment celle des fractures du col du fémur, appelle des soins rapides et de qualité. Mais le soin chirurgical perd de son intérêt si les soins de suite ne sont pas de qualité permettant le retour rapide au domicile, facteur essentiel pour éviter le « syndrome de glissement » Nous disposons en Europe de deux exemples démonstratifs : en
Suède, la prise en charge des fractures du col du fémur et des pathologies cardiaques, accessibles à la chirurgie des personnes âgées voire très âgées, est inscrite dans les objectifs prioritaires de santé publique, autour du maintien au domicile — adapté — de la personne âgée. Les résultats de cette politique sont aujourd’hui une diminution de 40 % du nombre de lits hospitaliers mais aussi l’un des taux mondiaux les plus élevés de la longévité des personnes âgées. En France où par la loi, chaque personne a « droit » aux soins de son choix, il est manifeste que cela ne conduit pas nécessairement chacun à bénéficier effectivement des meilleurs soins. Ne pensez-vous pas que c’est le refus de nos sociétés de reconnaître les exigences globales de la chirurgie des vieillards et d’en méconnaître le bénéfice en dépît de son coût qui conduit à ne voir dans la personne âgée et selon votre propre terminologie, que le vieillard « entrave » ?
Selon notre terminologie, qu’on appelle ‘‘ affectueuse ’’, les veillards ‘‘ reliques ’’ et ‘‘ entraves ’’ son classés d’après les soins qu’ils reçoivent de leurs familles. Les vieillards ‘‘ reliques ’’ auront un meilleur traitement chez eux alors que les ‘‘ entraves ’’ n’auront que 1’hôpital. Le taux élevé de la longévité sont un problème actuel et les pays dévelopés ont déjà connu ça. Il est possible que notres sociétés aujourd’hui considèrent les vieillards comme une ‘‘ entrave ’’, mais il est important qu’à l’avenir, la société en géneral devienne une grande famille considérant tous les vieillards comme ‘‘ reliques ’’. La grande difficulté sera toujours le coût.
* Président de l’Académie nationale de médecine du Brésil Tirés à part : Professeur Augusto PAULINO-NETTO, Rua Araucaria 140 Rio de Janeiro, RJ 22461-160 Brésil Article reçu et accepté le 10 octobre 2005
Bull. Acad. Natle Méd., 2005, 189, no 7, 1393-1398, séance du 11 octobre 2005