Communication scientifique
Séance du 17 janvier 2012

Invité discutant

Bernard Guiraud-Chaumeil *

 

INVITÉ-DISCUTANT

L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêt en relation avec le contenu de cet article

Bernard GUIRAUD-CHAUMEIL *

Encore quelques minutes, Messieurs les Académiciens, encore cinq minutes.

Permettez-moi de vous proposer trois réflexions.

La première vient du passé. Imaginez que Cohn, le premier chercheur à avoir fragmenté les protéines plasmatiques, il y a 70 ans, soit avec vous aujourd’hui et réponde à vos questions.

Il dirait, l’immense fierté d’avoir apporté, à des millions de patients, un avenir meilleur. Il dirait sa tristesse devant le désastre des années quatre-vingts où le sang et ses dérivés ont transmis des maladies mortelles. Il évoquerait les surcoûts immenses que la maîtrise des risques a imposés à la production industrielle. Il se laisserait convaincre que ce coût est probablement incompressible. Il devrait convenir que les IgIV, en raison de leur prix mettent en difficulté les finances des organismes payeurs.

Il se ferait à l’idée d’encadrer les prescriptions.

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La deuxième réflexion vient du présent. Elle est une interrogation. Est-il possible d’améliorer l’organisation mise en place, dans notre pays, pour que les IgIV soient prescrites aux seuls patients qui en tirent profit ?

Avant de répondre, je tiens à rendre hommage au Cedit de l’APHP. Le Cedit, dans les années 95-2000, sous la direction d’Elisabeth Fery Lemonnier, a, le premier, évalué la valeur médicale et médico-économique des indications des IgIV. Produit de l’analyse critique de la littérature, cette évaluation a permis de définir les indications.

Le Cedit a aussi proposé le contrat de bon usage, régulateur des prescriptions. Enfin il a constitué le groupe de professionnels chargés d’encadrer, dans l’établissement, les prescriptions d’IgIV.

L’expertise était facile pour les maladies aiguës qui guérissent avec les IgIV. le syndrome de Guillain et Barré en est l’exemple : il guérit en une injection et sa durée d’hospitalisation raccourcie fait faire des économies aux payeurs. Elle était difficile pour les maladies chroniques qui ne sont améliorées que transitoirement et qui nécessitent des injections tous les deux à trois mois entraînant de lourdes dépenses.

 

Les polyneuropathies démyénilisantes chroniques en sont l’exemple. Enfin elle a été et est particulièrement utile pour éliminer les erreurs d’indications comme les affections musculaires inflammatoires échappant à la corticothérapie.

Le travail du Cedit a fait école à l’Affsaps et dans les CHU. Cette régulation, proposée par les médecins en France, s’est avérée efficace. On estime à 10 % environ les prescriptions inutiles. Faire disparaître ces derniers 10 % est, évidemment un objectif. Peut-on l’atteindre ? Dans les cas où la décision médicale de prescription est particulièrement discutable, limite ou méritant une transgression des recommandations, le recours à l’avis des médecins des centres de référence pour les maladies rares pourrait bien être une source de progrès. Evaluer conduit à proposer le bon usage d’un produit mais aussi à organiser la disparition des produits dépassés.

Avant de passer à la troisième réflexion, permettez-moi un commentaire sur l’évaluation en médecine. Pendant dix ans, j’ai participé à l’animation des Agences d’évaluation, ANAES d’abord, HAS ensuite. Cela m’autorise-t-il à formuler un avis péremptoire sur l’expertise qui en ces temps vit des moments difficiles ? Certainement pas ! Mais une de mes formules favorites m’y pousse : « lorsque les médecins étaient ignares, ils étaient sacrés. Lorsqu’ils sont devenus savants mais encore inefficaces, ils étaient respectés. Maintenant qu’ils sont savants et efficaces, ils sont suspectés »… C’est en raison de la suspicion que je prends la liberté de commenter.

Je me demande, Messieurs les Académiciens, si sous la pression de puissants lobbys médiatisés, vos collègues du quai Conti ne vont pas devoir supprimer de leur dictionnaire le terme d’expert, en particulier dans le domaine de la médecine, au motif des conflits d’intérêt ? Je pense qu’une loi n’est pas la solution pour améliorer l’éthique des médecins. C’est affaire d’éducation et d’enseignement.

Alors que l’expertise médicale est de plus en plus nécessaire, tout s’organise, en France, pour que les experts soient choisis parmi nos confrères les moins compétents en matière de soins et de recherche, mais parmi ceux résolument hostiles, par principe, à l’industrie des produits de Santé.

Je tiens à affirmer ici que l’évaluation médicale est un métier. Elle doit être réalisée par des médecins, excellents cliniciens, soucieux du progrès, doués pour l’analyse critique et formés à cette tâche. Pour être pragmatique je proposerai qu’ils soient appelés ‘‘référents’’. Membres des Commissions d’évaluation des Agences où ils exerceraient à mi-temps. Nommés pour trois ans, non renouvelables pendant dix ans et raisonnablement rémunérés ils devraient être les fleurons du corps médical.

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La troisième réflexion concerne l’avenir et donc la recherche. Au nom du progrès les IgIV sont appelées à disparaître au bénéfice de thérapeutiques plus efficaces et moins onéreuses. Le monde des chercheurs doit être mobilisé sur la mise en évidence et l’extraction de la fraction efficace des immunoglobulines. Cette fraction pourra alors être produite sans la nécessité du recours au sang d’un donneur. Moins à risque, son coût de production devrait être moins élevé. Une autre voie de recherche mériterait d’être particulièrement soutenue : celle du traitement étiologique des maladies actuellement traitées par IgIV dont le mécanisme d’action n’est que physiopathologique.

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Ma conclusion prendra la forme d’un souhait, un souhait de ‘‘Nouvelle Alliance’’ entre médecine et économie.

Les médecins ont à restaurer leur confiance. Ils doivent, par leur exercice en équipe, garantir la valeur médicale et la permanence des pratiques. Prioritairement soignants, ils doivent être à la recherche d’innovations de moins en moins coûteuses. Ils doivent aussi se persuader que la médecine ne s’apprend pas dans le Journal Officiel.

Les citoyens, eux, doivent être formés à la gestion de leur capital santé et à la maîtrise de leurs maladies chroniques. Cette une action de Santé Publique primordiale.

L’administration doit, pour sa part, devenir une alliée facilitatrice de l’organisation au coût le plus juste.

C’est par cette nouvelle alliance centrée sur une confiance retrouvée que s’installera la ‘‘Médecine Sobre’’ que j’ai prônée dès 1997. En février1872, il y a 140 ans, un jeune médecin écrivait : l’hôpital est créé pour soigner et chercher, qui sont la même et unique action. Il s’appelait Georges Clémenceau. Il allait devenir ‘‘Le Tigre’’.

 

<p>* Neurologie — Toulouse ; e-mail : bguiraud-chaumeil@orange.fr</p>

Bull. Acad. Natle Méd., 2012, 196, no 1, 71-73, séance du 17 janvier 2012