Communication scientifique
Séance du 17 janvier 2012

Impact économique de la consommation des immunoglobulines

MOTS-CLÉS : immunité. immunoglobulines. immunomodulation
Economic aspects of polyvalent immunoglobulins
KEY-WORDS : immunity. immunoglobulins. immunomodulation

Loïc Guillevin *

Résumé

Les immunoglobulines sont des médicaments ayant plusieurs particularités : elles sont dérivées du plasma humain et de ce fait leur production n’est probablement pas extensible à l’infini et elles sont suffisamment coûteuses pour peser sur les ressources de l’Assurance Maladie. Ces deux caractéristiques doivent, encore plus que pour d’autres médicaments, inciter à la maîtrise des indications et donc des coûts. Les consommations d’immunoglobulines en France sont en augmentation constante et les nouvelles indications doivent être évaluées au travers d’études prospectives plus nombreuses.

Summary

Immunoglobulins differ from other drugs in several respects. In particular, they are derived from human plasma, which theoretically limits their availability, and their cost is sufficiently high to place economic pressure on the healthcare system. This implies the need for tight regulation. Immunoglobulin prescription is gradually increasing in France, and all new indications must be thoroughly assessed in prospective studies. Les immunoglobulines sont des médicaments d’origine sanguine dont la préparation est soumise à des procédures complexes, très encadrées, permettant de fournir au patient un médicament biologique d’origine humaine répondant à des règles de sécurité sanitaire alliant précision et fiabilité. Bien qu’en France les dons du sang et du plasma soient gratuits, les coûts de collecte et de préparation sont élevés, ce qui explique le prix du produit fini. L’impact budgétaire de la prescription des immunoglobulines est important, ce qui justifie les mesures d’encadrement mises en place par les agences de santé, les institutions hospitalières, en particulier à l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP).

Le groupe d’experts

Fondé en 1991, par le Comité d’étude des Innovations technologiques (CEDIT) de l’AP-HP, le groupe d’experts des immunoglobulines (liste des membres et anciens membres en annexe) s’est vu confier une triple mission : — établir la liste des indications des immunoglobulines et suivre leur prescription au sein des hôpitaux parisiens ; — codifier les modalités de prescription et les modalités d’administration ; — stimuler les études scientifiques permettant de faire évoluer les stratégies thérapeutiques. Au fil des années, le groupe d’experts est également devenu l’interlocuteur des pouvoirs publics pour définir une liste de prescriptions, contribuer à l’établissement des protocoles thérapeutiques temporaires (PTT) et hiérarchiser l’administration des immunoglobulines par rapport aux autres modalités de traitement en cas de pénurie.

Le coût des immunoglobulines dans les pays développés

En Europe, les données publiées montrent une très grande variabilité des consommations selon les pays. Certaines de ces variations reflètent les choix de politiques de santé opérés par certains gouvernements, ne privilégiant pas les médicaments les plus coûteux. Les trois-quarts de la consommation mondiale se fait en Europe et aux USA, le reste se répartissant dans les pays en voie de développement (figure 1, Source: The Worldwide plasma fractions market — 2008). Toutefois, l’étude plus fine des consommations d’immunoglobulines révèle de grandes disparités en Europe.

Les pays les plus consommateurs sont la Suède, la Belgique et la France, alors que la consommation est moitié moindre en Grande-Bretagne ou en Allemagne. Tous ces pays ont un niveau de vie comparable et des systèmes de protection sociale élevés, leur permettant d’acheter de grandes quantités d’immunoglobulines. Les différences majeures dans les consommations par tête d’habitant reflètent vraisemblablement une approche différente des prescriptions d’immunoglobulines avec une approche plus rigoureuse et une meilleure analyse des bénéfices attendus pour chaque indication dans certains pays à plus faible consommation.

 

Fig. 1. — Consommation d’immunoglobulines en tonnes (81,9 t. + 6 %) Le coût des immunoglobulines à l’AP-H

La consommation en France et plus particulièrement à l’AP-HP de Paris suit une courbe ascendante quasi constante dont la pente n’a fait que s’accentuer ces dernières années (figure 2). Cette élévation constante est la conséquence d’indications nouvelles aux modalités souvent mal maitrisées et à l’augmentation du prix au gramme, qui est la conséquence des progrès technologiques permettant d’obtenir des produits purifiés, calibrés et de grande sureté. Le prix des immunoglobulines est fixé par les autorités de santé (CEPS) et est fixé, pour toutes les immunoglobulines à 42 k le gramme. La loi de la concurrence et les appels d’offres fait auprès des quatre principaux laboratoires produisant ou commercialisant les immunoglobulines en France (LFB, CSL Behring, Octapharma et Baxter) permet pour chaque organisation hospitalière d’obtenir des lots d’immunoglobulines à des prix inférieurs, parfois de près de 10 k par gramme par rapport au prix de référence. La régulation du marché n’est toutefois pas, à terme, un moyen de limiter le prix des immunoglobulines car les moyens de préparation des produits sont coûteux et la source d’approvisionnement, par définition limitée, notamment en France où le don du sang est gratuit. Cette gratuité du don, à laquelle sont attachées les associations de donneurs, limite l’approvisionnement international en plasma car même les laboratoires étrangers qui fournissent le marché français doivent mettre en place des centres de collecte dans lesquels le plasma est donné gratuitement, obéissant à la législation française (une compensation pour frais de transport et perte d’heures travaillées est admise).

Indications des immunoglobulines et modalités d’administration : un moyen de régulation de la prescription

La limitation des coûts engagés pour acquérir des immunoglobulines ne peut en fait passer que par une réflexion sur leurs indications et les modalités de leur prescrip-

Fig. 2. — Consommation des immunoglobulines en France et à l’AP-HP (source — HP) tion. Un certain nombre d’indications sont indiscutables et ont reçu leur AMM. À côté de ces indications, un certain nombre de maladies bénéficieront vraisemblablement d’AMM et font l’objet d’études. Durant cette période, les autorités de santé ont permis leur utilisation dans le cadre des Procédures temporaires de traitement (PTT). Cette période de trois à quatre ans, doit permettre aux laboratoires pharmaceutiques et aux cliniciens prescripteurs de prouver par des essais thérapeutiques l’efficacité des médicaments à l’étude. C’est vraisemblablement là que pèche notre approche de la prescription médicamenteuse : les périodes accordées aux PTT n’ont pas toujours été mises à profit pour conduire les essais thérapeutiques nécessaires ce qui aboutit aujourd’hui à des situations parfois difficiles car l’AFSSAPS met actuellement fin à de nombreux PTT faute de preuve d’efficacité des médicaments concernés. C’est le cas pour certains biomédicaments mais pas encore pour les immunoglobulines.

Propositions et avenir

La limitation des coûts, sans priver les patients de traitements efficaces, suppose une remise en question profonde des comportements médicaux vis-à-vis de la prescription médicamenteuse et, en ce qui nous concerne, des immunoglobulines. Les pistes sont nombreuses :

— Appliquer strictement les prescriptions de l’AMM : la seule prise de conscience que les immunoglobulines ne peuvent être utilisées comme « médicament magique », en dehors de tout contrôle, permettrait déjà de faire de notables écono- mies. La nouvelle classification par groupes, adaptée de la classification du groupe d’experts des immunoglobulines de l’AP-HP et mise en place par l’AFSSAPS, isole deux catégories, 3 et 4 qui regroupent des indications « atypiques » et les mauvaises indications. Le tableau 1 montre que les catégories 3 et 4 ne représentent que quelques pour cents des indications totales, mais on assiste à une progression au cours des dernières années.

— La dose prescrite mériterait aussi d’être optimisée. Les doses à utiliser dans les déficits immunitaires sont bien codifiées. Par contre, en cas d’immunomodulation, les doses nécessaires méritent d’être soigneusement étudiées. La dose usuelle est de 2gr/kg/cure. Toutefois, elle pourrait être moindre : en cas de thrombopénie immunologique, une dose initiale de 0.8 gr/kg peut suffire à normaliser le chiffre des plaquettes. Au cours des crises aiguës de myasthénie, il a été démontré grâce à un essai randomisé que I gr/kg/cure donnait un résultat identique à 2 gr/kg/cure [1]. Cette approche visant à réduire les doses de chaque cure devrait être étudiée dans la plupart des indications d’immunomodulation.

— La durée des traitements est également arbitrairement établie, variable d’un sujet à l’autre et d’une maladie à l’autre. Les modalités d’arrêt du traitement n’ont fait l’objet d’aucun consensus, ni d’aucune étude. Des études prospectives devraient être mises en place que ce soit à l’initiative des industriels produisant les immunoglobulines qu’à celle d’investigateurs hospitaliers et hospitalouniversitaires.

— Les immunoglobulines sont aujourd’hui disponibles sous deux formes : souscutanée et intraveineuse. Les formes sous-cutanées sont réservées à la supplé- mentation et la forme intraveineuse à l’immunomodulation. Une réduction des doses permettant d’obtenir une immunomodulation rendrait possible l’emploi des formes sous-cutanées pour obtenir une immunomodulation. Toutefois, ce mode d’administration doit aussi être soigneusement étudié avant d’être géné- ralisé, sans étude autre que la compilation de cas cliniques anecdotiques.

— Un des moyens de limiter la consommation d’immunoglobulines est de ne pas en prescrire lorsqu’il y a des solutions alternatives. Les autorités de santé ont établi des listes de thérapeutiques permettant de traiter les malades sans avoir à utiliser d’immunoglobulines. C’est par exemple le cas des échanges plasmatiques qui peuvent être employés en cas de polyradiculonévrite de Guillain-Barré ou d’anti-CD 20 dans certaines maladies autoimmunes. Cette liste a été établie pour répondre aux tensions d’approvisionnement Elle pourrait aussi s’intégrer dans un plan de meilleure gestion de l’approvisionnement d’immunoglobulines.

Commentaires et conclusions

L’augmentation de la consommation d’immunoglobulines doit faire appel à notre créativité et à notre rigueur. Les responsabilités doivent être partagées par les compagnies pharmaceutiques et les cliniciens prescripteurs. La vision du marché des

Tableau 1. — Consommation par année à l’AP-HP, selon les catégories de prescription (* pour 2009 et 2010, les groupes 3 et 4 sont cumulés).

Groupe/année 2007 2008 2009 2010 1 (AMM) 78 % (2 066) 77 % (2 271) 65 % (2358) 63 % (2566) 2 (PTT) 16 % (256) 17 % (343) 29 % (760) 29 % (752) 3 (autres) 0,7 % (25) 0,8 % (25) 6,7 % (326)*

8 % (343)*

4 (injustifiée) 5,3 % (183) 5,5 % (187) immunoglobulines ne peut être faite à court terme en imaginant « un toujours plus », mobilisant les ressources de l’Assurance maladie d’une part et l’énergie des industriels. Le marché des immunoglobulines est mondial et de nouveaux consommateurs vont apparaître. Même si ces pays émergents deviennent aussi producteurs, il y aura des tensions, voire des pénuries. Le meilleur moyen d’y remédier passe par la multiplication des travaux scientifiques permettant de rationaliser l’usage des immunoglobulines et à permettre l’émergence de nouvelles indications qui auront une chance d’être applicables chez tous les patients qui en ont besoin. Les « pistes » cliniques sont connues, il faut maintenant les appliquer.

BIBLIOGRAPHIE [1] Gajdos P., Tranchant C., Clair B., Bolgert F., Eymard B., Stojkovic T., Attarian S., Chevret S. — For the Myasthenia Gravis Clinical Study Group. Treatment of Myasthenia Gravis Exacerbation with Intravenous Immunoglobulin 1 g/kg versus 2 g/kg: A Randomized Double-Blind Clinical Trial. Arch. Neurol ., 2005, 62 , 1689-1693.

 

DISCUSSION

M. Christian NEZELOF

Qu’en est-il des déficits immunitaires dans lesquels le taux des IG est normal, en particulier les déficits immunitaires cellulaires pubères ? Pour la maladie de Kawasaki, quel est le mécanisme d’action des IgIV dans cette affection pédiatrique ?

Au cours des déficits immunitaires, les immunoglobulines ne sont indiquées que si le taux est bas et si il y a des infections, répétées et sévères, nécessitant une antibiothérapie. Hors de ce cadre, il n’y a pas de raison de substituer.

 

M. Pierre GODEAU

Peut-on traiter en ambulatoire les patients relevant des Igiv ? Un des avantages de ma voie intraveineuse ou sous cutanée étant en dehors de la réduction des doses, la facilité d’administration ?

Les immunoglobulines peuvent être perfusées à domicile. Les formes sous cutanées aussi mais sont actuellement limitées à la supplémentation des déficits immunitaires. En effet, dans ce cas, les doses d’immunoglobulines sont plus faibles qu’en cas d’immunomodulation et la voie sous-cutanée est adaptée. Actuellement, il y a une réflexion sur l’immunomodulation par voie sous cutanée mais rien n’est réglé : le mode d’injection progressif sous la peau aura-t-il la même efficacité qu’une forte dose prescrite par voie IV sur des anticorps que l’on souhaite normaliser ?

M. Jean-Jacques HAUW

Quel est le coût, en euros, d’un traitement moyen par les immunoglobulines ? Quel est, d’autre part, le pourcentage des dépenses de santé que représente le montant de ce traitement ?

Le coût d’un traitement par IgIV est de 42 k le gramme, soit pour un sujet de 60 kg qui relève d’un traitement immunomodulateur, environ 5 000 k. EN pratique, c’est un peu moins car la politique des appels d’offre permet aux institutions hospitalières de faire baisser les prix autour de 30 à 35 k le gramme. On doit aussi rappeler que le traitement doit être souvent renouvelé tous les mois. Quant à la part que représente les immunoglobulines dans l’ensemble des dépenses de santé, je n’ai pas la réponse mais c’est bien sûr très faible car les patients traités sont atteints bien souvent d’affections rares.

ANNEXE 1. Membres du groupe d’experts de l’AP-HP de Paris (ce groupe était précédemment intégré au CEDIT et est aujourd’hui rattaché au Comité de la Juste Prescription Loïc Guillevin (Président) Hôpital Cochin, Olivier Blétry (Hôpital Foch), Annette Bussel (Hôpital Cochin), Pierre Faure (Hôpital Saint-Louis), Alain Fischer (Hôpital Necker), Bertrand Fontaine (Hôpital La Pitié-Salpétrière), Bertrand Godeau (Hôpital Henri Mondor), Jean-Marc Léger (HôpitalLa Pitié-Salpétrière), Luc Mouthon (Hôpital Cochin), Eric Oksenhendler (Hôpital Saint-Louis).

 

<p>* Président du Groupe d’Experts des Immunoglobulines de l’AP-HP, Médecine Interne, Hôpital Cochin, AP-HP, Université Paris Descartes, Sorbonne Paris Cité, 27 rue du Faubourg SaintJacques, 75014 Paris ; e-mail : loic.guillevin@orange.fr Tirés à part : Professeur Loïc Guillevin, même adresse Article reçu le 5 janvier 2012, accepté le 16 janvier 2012</p>

Bull. Acad. Natle Méd., 2012, 196, no 1, 63-69, séance du 17 janvier 2012